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La suppression d’une décision de condamnation publiée en ligne n’est pas de droit, son maintien peut être justifié par la liberté d’expression.
1. Il est important de vérifier avec précision l’origine des publications litigieuses sur les sites internet mentionnés, en particulier en ce qui concerne la responsabilité de l’auteur de ces publications. Dans le cas présent, il est crucial de déterminer si l’auteur des publications est effectivement à l’origine de leur mise en ligne sur les sites www.archive.org et www.documentcloud.org. 2. Lorsqu’il s’agit de publications portant atteinte au droit au respect de la vie privée d’une personne, il convient de prendre en compte le contexte dans lequel ces publications ont été faites. Dans le cas présent, la publication du jugement du tribunal correctionnel de Draguignan peut être considérée comme relevant d’un débat d’intérêt général sur la protection des épargnants et des victimes de cybercriminalité, ce qui peut justifier la publication de telles informations. 3. En cas de litige concernant des publications journalistiques, il est essentiel d’évaluer si ces publications ont un caractère malveillant ou si elles visent légitimement à informer le public dans l’intérêt général. Dans le cas présent, il semble que la publication du jugement par le journaliste ait été motivée par un souci d’information du public et de protection des épargnants, ce qui peut être considéré comme légitime dans le cadre de son travail journalistique. |
→ Résumé de l’affaire |
→ Les points essentielsContexte de l’affaireVu le jugement en date du 11’janvier 2023 du tribunal judiciaire de Paris qui a condamné [C] [D] à verser une somme à [N] [G] et ordonné le retrait du jugement correctionnel du tribunal correctionnel de Draguignan du 28’juin 2007 de certains sites internet. Appel interjetéVu l’appel interjeté par [C] [D] le 22’février 2023 et les conclusions signifiées par RPVA le 6’septembre 2023 demandant l’infirmation du jugement et le rejet des demandes de [N] [G]. Arguments de [C] [D][C] [D] soutient que la publication du jugement s’inscrivait dans une démarche journalistique de protection des épargnants et répondait à la légitime information du public. Il conteste les motifs du jugement et affirme qu’il n’y avait aucune intention malveillante dans ses actions. Arguments de [N] [G][N] [G] soutient que la publication du jugement portait atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Il affirme que la mise en ligne du jugement était malveillante et visait à lui nuire. Décision de la courLa cour a examiné les arguments des deux parties et a conclu que la publication du jugement sur le site www.documentcloud.org était justifiée dans le cadre de l’information du public sur les activités de [N] [G]. La cour a débouté [N] [G] de ses demandes et l’a condamné aux dépens. Les montants alloués dans cette affaire: – [N] [G] est débouté de l’ensemble de ses demandes.
– [N] [G] doit payer à [C] [D] une somme de 4’000 euros. – [N] [G] est condamné aux dépens, qui seront recouvrés par la SCP LECOQ-VALLON & FERON-POLONI. |
→ Réglementation applicableConformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
Si les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme précité ne peuvent être invoquées pour se plaindre d’une atteinte à la réputation qui résulterait de manière prévisible des propres actions de la personne, telle une infraction pénale, la mention dans une publication des condamnations pénales dont une personne a fait l’objet, y compris à l’occasion de son activité professionnelle, porte atteinte à son droit au respect dû à sa vie privée. Selon son article’10, toute personne a droit à la liberté d’expression mais son exercice peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui. Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Afin de procéder à la mise en balance de ces droits, le juge, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, doit prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet de cette publication, le comportement antérieur de la personne concernée, ainsi que le contenu, la forme et les répercussions de la publication. Et, même si le sujet à l’origine de l’article relève de l’intérêt général, il faut encore que le contenu de l’article soit de nature à nourrir le débat public sur le sujet en question. Il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces critères. |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Nicolas LECOQ VALLON de la SCP LECOQ VALLON & FERON-POLONI
– Maître Arnaud GUYONNET de la SCP AFG – Maître Pierre-Eugène BURGHARDT – Maître Emmanuel FLEUREUX |
→ Mots clefs associés & définitions– Tribunal judiciaire de Paris
– 18 mai 2021 – [C] [D] – [N] [G] – Publication malveillante – Droit au respect de la vie privée – Articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme – Article 56 du code de procédure civile – Article 9 du code civil – Suppression de pages internet – Jugement correctionnel de Draguignan du 28 juin 2007 – Retrait de propos malveillants – Escroquerie en bande organisée – Arnaque Ponzi – Système pyramidal – Un an de prison avec sursis – Risque de prison ferme – Astreinte de 10’000 euros par jour de retard – Réparation de préjudice moral – Article 700 du code de procédure civile – Somme de 25’000 euros – Somme de 7’500 euros |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 7
ARRET DU 31 JANVIER 2024
(n° 3/2024, 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/03992 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHGJN
Décision déférée à la cour : Jugement du 11 janvier 2023 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J.EXPRO, JCP de PARIS RG n° 21/06764
APPELANT
Monsieur [C] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]
né le 19 Juillet 1967 à [Localité 5]
Représenté et assisté par Maître Nicolas LECOQ VALLON de la SCP LECOQ VALLON & FERON-POLONI, avocat au barreau de PARIS, toque : L187, avocat postulant et plaidant
INTIME
Monsieur [N] [G]
[Adresse 4]
[Localité 2]
né le 26 Mars 1971 à [Localité 6]
Représenté par Maître Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L44, avocat postulant
Assisté de Maître Pierre-Eugène BURGHARDT, avocat au barreau de PARIS, toque : C238, substitué par Maître Emmanuel FLEUREUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P77, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 20 décembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Jean-Michel AUBAC, Président
Mme Anne RIVIERE, Assesseur
Mme Anne CHAPLY, Assesseur
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame CHAPLY dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Jean-Michel AUBAC, président, et par Margaux MORA, greffier, présente lors de la mise à disposition.
– de condamner [C] [D] à supprimer les pages’:
* http://www.documentcloud.org/documents/6456535-[N]-[G]- Condamnation.html’;
* https://archive.org/details/6456535-[N]-[G]-Condamnation/page/n3/mode/2up’;
et à défaut de supprimer le jugement correctionnel de Draguignan du 28’juin 2007 disponible en accès libre aux liens URL’:
* http://www.documentcloud.org/documents/6456535-[N]-[G]- Condamnation.html’;
* https://archive.org/details/6456535-[N]-[G]-Condamnation/page/n3/mode/2up’;
– de condamner [C] [D] à retirer des sites précités l’ébauche d’article contenant les propos malveillants à l’encontre de [N] [G] suivants’:
‘jugé au tribunal correctionnel (p.1)
M. [N] [G] se prétendant défenseur des épargnants victimes d’escroquerie préférerait faire effacer ce jugement du tribunal correctionnel le concernant’,
‘ Poursuivi par le procureur de la république (p.1)
M. [N] [G] n’est peut-être pas aussi honnête qu’il le prétend’,
‘Escroquerie en bande organisée (p.’2)
Prétendant n’avoir jamais été condamné ni qu’aucun épargnant n’a jamais eu à se plaindre de ses prestations, M. [N] [G], fondateur et éditeur du site Warning-Trading, est le premier prévenu pour des délits d’escroquerie en bande organisée’,
‘Créateur d’une arnaque Ponzi ‘à la Madoff’ (p.l0),
Impliqué dans le développement d’un réseau d’épargne pyramidale Goldfinger, une escroquerie en bande organisée importée d’Italie, M. [N] [G] s’illustre aussi parmi les créateurs d’une autre arnaque à l’épargne, le réseau Epsilon, recrutant des épargnants pour escamoter leurs économies en leur vantant des ‘espérances de gain imaginaire’; par des pressions psychologiques”.
‘Argent des victimes, détourné (p.11)
Acteur clé de ce ‘système pyramidal déséquilibré de répartition des fonds au profit des seuls dirigeants, dont il faisait partie, M. [N] [G] a ainsi ‘trompé Madame [Z] ainsi que diverses victimes non identifiées pour les déterminer à remettre des fonds avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée. Faits qualifiés d’escroquerie en bande organisée’.
‘Un an de prison avec sursis (p.24)
Reconnu coupable d’escroquerie en bande organisée, M. [N] [G] est condamné par le tribunal correctionnel ‘à un an de prison (avec sursis) et 5’000’€ d’amende”.
‘Risque de prison ferme (p.24)
En cas d’écart avec les règles dont il n’a pas manqué de s’écarter, M. [N] [G] risque gros, car le président du tribunal ‘a averti le condamné que s’il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une nouvelle condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première condamnation”.
– de condamner [C] [D] à supprimer les liens URL ou à défaut le jugement correctionnel de Draguignan du 28’juin 2007 disponible en accès libre sur les liens URL, ainsi que l’ébauche d’article contenant les propos malveillants à l’encontre de M. [N] [G] dans les 24h suivant le jugement à intervenir, sous astreinte de 10’000’euros par jour de retard’;
– de condamner [C] [D] à lui verser la somme de 25’000’euros en réparation de son préjudice moral’;
– de condamner [C] [D] à lui verser la somme de 7’500’euros en application de l’article 700 du code de procédure civile’;
– de condamner la partie adverse aux entiers dépens, incluant l’intégralité des procès-verbaux de constats d’huissier’;
Vu le jugement en date du 11’janvier 2023 du tribunal judiciaire de Paris qui a :
– Condamné [C] [D] à verser à [N] [G] la somme de QUATRE MILLE EUROS (4’000’euros) en réparation du préjudice moral qu’il a subi à raison de la publication, sur les sites internet www.archive.org et www.documentcloud.org, du jugement du 28’juin 2007, assorti, s’agissant de la deuxième publication, de commentaires’;
– Ordonné à [C] [D] de retirer, dans les dix jours de la signification de la présente décision, le jugement correctionnel du tribunal correctionnel de Draguignan du 28’juin 2007, dans sa reproduction intégrale non annotée et dans sa reproduction partielle, annotée, des deux adresses URL suivantes’:
https://archive.org/details/6456535-[N]-[G]-Condamnation/page/n3/ mode/2up’;
http://www.documentcloud.org/documents/6456535-[N]-[G]- Condamnation.html’;
– Condamné [C] [D] aux entiers dépens’;
– Condamné [C] [D] à verser à [N] [G] la somme de DEUX MILLE EUROS (2’000’euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;
– Débouté les parties du surplus de leurs demandes’;
– Rappelé que l’exécution provisoire du présent jugement est de plein droit.
Vu l’appel interjeté par [C] [D] le 22’février 2023′;
Vu les conclusions de [C] [D] signifiées par RPVA le 6’septembre 2023 qui demande à la cour de’:
– INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions défavorables à [C] [D]’;
Statuant à nouveau,
– REJETER la totalité des demandes de [N] [G]’;
– LE CONDAMNER à payer à [C] [D] la somme de 10’000’euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive’;
– LE CONDAMNER à payer à [C] [D] la somme de 7’500’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
– DEBOUTER [N] [G] de son appel incident’;
– DEBOUTER [N] [G] de toutes ses demandes reconventionnelles, plus amples ou contraires’;
– CONDAMNER [N] [G] aux entiers dépens avec distraction au profit de la SCP LECOQ-VALLON & FERON-POLONI.
[C] [D] fait valoir à l’appui de ses demandes qu’il est journaliste professionnel et que la publication du jugement du 28’juin 2007 s’inscrivait dans une démarche journalistique de protection des épargnants et répondait à la légitime information du public sur la condamnation pour escroquerie en bande organisée d’une personne qui se présentait comme le défenseur des épargnants, condamnation intervenue dans un domaine d’activité similaire.
Il critique les motifs du jugement considérant que celui-ci a retenu à tort qu’il était à l’origine de la publication du jugement sur le site www.archive.org alors même qu’il n’y a aucun élément l’établissant, qu’il s’est contredit en retenant l’existence d’un débat d’intérêt général tout en considérant que la publication litigieuse ne viendrait pas utilement nourrir ce débat et lui reproche d’avoir fait prévaloir le droit à l’oubli sur le droit à l’information du public.
Il soutient qu’il n’y avait aucune intention malveillante, que ses annotations ne sont pas négatives sur la décision du tribunal de Draguignan mais sont une exégèse de la décision et que sa publication répondait à une nécessaire information du public dans le contexte et sur une plateforme documentcloud qui est un service de publication de documents ou d’articles étayant des enquêtes déjà utilisés ou en attente de publication d’articles complémentaires. Il ajoute qu’il n’est pas établi qu’il serait à l’origine de publications anonymes et que [N] [G] ne justifie pas du préjudice allégué.
Vu les conclusions signifiées par RPVA le 12’juin 2023 de [N] [G] qui demande à la cour de’:
– INFIRMER le jugement du 11’janvier 2023 en ce qu’il n’a pas retenu le caractère malveillant des publications du jugement du 28’juin 2007 effectué par [C] [D] sur les plateformes’:
– http://www.documentcloud.org/documents/6456535-[N]-[G]- Condamnation.html’;
– https://archive.org/details/6456535-[N]-[G]-Condamnation/page/n3/mode/2up’;
– INFIRMER le jugement du 11’janvier 2023 en ce qu’il n’a alloué que 4’000’euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral de [N] [G]’;
– CONFIRMER pour le surplus le jugement du 11’janvier 2023′;
En conséquence,
– CONDAMNER [C] [D] à payer à [N] [G] la somme de 10’000’euros en réparation de son préjudice moral’;
– CONDAMNER [C] [D] à payer à [N] [G] la somme de 8’000’euros en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
– CONDAMNER [C] [D] aux entiers dépens.
L’intimé soutient que la publication d’une condamnation pénale ancienne, pour des faits eux-mêmes très anciens, porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Il fait valoir que la mise en ligne du jugement du 28’juin 2007 ne s’inscrivait pas dans un débat d’intérêt général mais relevait à l’inverse de la volonté de lui nuire, venant en représailles des procédures engagées à son encontre, ainsi qu’en témoigneraient la mention du jugement dans plusieurs publications antérieures et la tonalité des commentaires qui l’assortissent. Il souligne également qu’il ne s’agit que d’une ébauche dans l’attente de la publication d’un article complet, qui n’a jamais été publié. Il considère que la mise en ligne de ce jugement s’inscrit dans un contexte d’agissements malveillants par la répétition de propos dénigrants à son endroit sur le site www.deontofi.com.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 29’novembre 2023′;
Vu l’article 455 du code de procédure civile’;
Motivation’:
Rappel des faits et des motifs du jugement
[N] [G] est le créateur, en juin’2014, avec trois associés, de la société NETLANDLAWOOD (ci-après ‘N&L’), société de droit bulgare dont le gérant est [T] [H] (pièce n°’9 en demande) et dont il présente l’objet social comme ‘le conseil, l’investigation et l’assistance administrative apportée aux victimes de cybercriminalité financière dans leurs démarches de récupération de fonds’ (assignation, §3). Aux termes de son enregistrement au registre du commerce bulgare, son activité est la suivante’: ‘conseil, investigation, assistance administrative opérationnelle apportée aux particuliers, entreprises et autres organisations, ainsi que toute autre activité qui n’est pas interdite par la loi’ (pièces n°’9 et’10 en demande).
Elle exerce par l’intermédiaire de deux marques’:
‘Broker Defense’ (ci-après, ‘BD’), dont l’activité est, aux termes de l’assignation, la récupération de fonds auprès des victimes de cybercriminalité financière’;
‘Check and pay’, dont 1’activité est, aux termes de 1’assignation, la prévention du public sur la cybercriminalité financière.
Le demandeur indique avoir quitté la société N&L le 15’mars 2018, avoir vendu l’intégralité de ses parts, et avoir créé, en 2018, la société WARNING TRADING SA (ci-après ‘WARNING TRADING’), dont l’objet social est l’enquête, l’investigation, la rédaction, le reportage vidéo, le marketing, la communication ‘en rapport avec lutte contre la cybercriminalité financière et toutes autres escroqueries’ (pièce n°’2 en demande). Cette société exploite pour ce faire le site internet www.warning-trading.com et est inscrite sur les registres de la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse (CPPAP, pièces n°’7 et’8 en demande).
Le demandeur indique que la société WARNING TRADING est devenue un partenaire-annonceur de la marque BD et que les victimes de cybercriminalité financière qui le contactent dans le prolongement des articles publiés sur le site sont redirigées vers BD qui leur propose une assistance dans la récupération de fonds.
[N] [G] avait été condamné, préalablement à la création de ces sociétés, par jugement du tribunal correctionnel de Draguignan en date du 28’juin 2007 pour des faits d’escroquerie en bande organisée, à la peine de 12 mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende délictuelle de 5’000’euros.
Aux termes de ce jugement, il lui était reproché, ‘étant membre du réseau pyramidal ‘GOLDFINGER’ et membre créateur du réseau EPSILON’, d’avoir, ‘en employant des man’uvres frauduleuses, en l’espèce une mise en scène constituée notamment’: par l’annonce de l’existence et de l’appartenance à une société légale étrangère’; par l’organisation de réunions de présentation erronée et tronquées des espérances de gains imaginaires, par des pressions psychologiques et mise en condition afin d’obtenir l’adhésion des futurs membres, par l’adhésion d’un système pyramidal déséquilibré de répartition des fonds au profit des seuls dirigeants, trompé notamment par la croyance en l’existence d’une fausse entreprise MME [Z], [X] ainsi que diverses victimes non identifiées, pour les déterminer à remettre des fonds’, faits dont il a été reconnu coupable (pièce n°’66 en demande).
Le 7’janvier 2019, il a obtenu du procureur de la République l’effacement de son inscription au fichier du Traitement des Antécédents Judiciaires (TAJ), sur le fondement des articles’230-6 à 230-11 du code de procédure pénale, dans la mesure où plus aucune mention de nature pénale ne figurait au bulletin n°’2 de son casier judiciaire (pièce n°’75 en demande).
[C] [D] est un journaliste spécialisé dans les questions d’économie et de finance. Il est le rédacteur, et fondateur du site www.deontofi.com, qu’il présente comme le ‘premier site de presse en ligne dédié à la déontologie financière agréé par la CPPAP (pièces n°’1 et’2 en défense) et comme un site diffusant des informations générales économiques et financières utiles aux épargnants et dénonçant notamment le ‘fléau des arnaques au trading’ (p. 10 de ses conclusions).
[C] [D] a développé dans plusieurs articles mis en ligne sur le site www.deontofi.com des critiques à l’encontre d’individus ou de sociétés proposant aux victimes de cybercriminalité de l’aide pour récupérer l’argent qu’elles ont perdu, notamment par le recours au ‘trading forex’, marché de devises de gré à gré qu’il dénonce comme une ‘arnaque’ et une ‘escroquerie’. Il les décrit notamment comme faisant ‘partie des mêmes bandes d’escroc avec la même intention de dévaliser une seconde fois le compte en banque [des victimes]’ et comme des ‘réseaux exploitant la crédulité des victimes d’arnaques sur Internet pour leur soutirer encore de l’argent’ en leur faisant croire à la possibilité, ‘évidemment totalement illusoire’, de ‘récupérer l’argent déjà volé’.
S’agissant spécifiquement du site www.warning-trading.com ainsi que de la société N&L ou de la marque BD, [C] [D], dans ses articles ou dans les commentaires qui les suivent, les a dénoncés comme faisant ‘partie du système de promotion d’établissements de trading à fuir’ le site www.warning-trading.com étant présenté comme ayant des ‘relations ambiguës (…) avec les escrocs du Forex que cette officine prétend combattre’ et comme faisant la publicité pour des ‘sites de trading permettant de perdre plus que sa mise’ (pièces n°’15 à’29 en demande).
Il ressort des écritures et pièces produites par les parties que celles-ci, à la suite de ces différents articles et commentaires, se sont opposées dans de nombreuses procédures judiciaires, lesquelles viennent à leur tour alimenter des publications ultérieures sur le site www.deontofi.com, qui en commentent le cours et l’issue et sont elles-mêmes par la suite poursuivies.
Dans la présente procédure, [N] [G] fait grief à [C] [D] d’avoir procédé à la mise en ligne du jugement du 28’juin 2007 le condamnant du chef d’escroquerie en bande organisée sur les sites www.archive.org et www.documentcloud.org.
Il produit à ce titre un constat d’huissier en date du 30’janvier 2020 faisant apparaître que sur le site internet www.archive.org a été mis en ligne, à l’adresse https://archive.org/details/6456535-[N]-[G]-Condamnation/mode/2up, un document intitulé ‘[N] [G] Condamnation Escroquerie Bande Organisée TGI Draguignan 20070628″, renvoyant à un exemplaire du jugement comportant 32 pages, dans lequel les noms des parties civiles ainsi que l’adresse et la filiation des prévenus ont été masqués (pièce n°’67 en demande, p.’7 à’24).
Le tribunal a considéré que’la publication du jugement du tribunal de Draguignan a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de [N] [G] pour les motifs suivants’:
– [C] [D] doit être considéré comme étant à l’origine de la publication du jugement sur les deux sites internet aux motifs que s’il n’a jamais formellement admis avoir publié le jugement litigieux sur le site www.archive.org, il ressort du constat précité que le ‘contributeur’ de ce document est ‘[C] [D]’, lequel est à l’origine de la publication sur ce site de plusieurs autres documents émanant notamment de l’AMF, en lien avec le domaine de spécialité du défendeur, et que la source de ce document est celui publié sur www.documentcloud.org, que [C] [D] reconnaît avoir mis en ligne.
– [N] [G] pouvait avoir une espérance légitime à ce que cette condamnation ne soit pas de nouveau rendue publique, le jugement ayant été rendu douze ans plus tôt et n’étant plus au bulletin n°’2 de son casier judiciaire, les faits ayant été commis il y a vingt ans et la mention des escroqueries ayant été effacée du fichier TAJ,
– La mention de la condamnation pouvait effectivement s’inscrire dans un débat plus général relatif à la protection des épargnants et des victimes de cybercriminalité, cependant, elle ne vient pas utilement nourrir ce dernier,
– La plateforme documentcloud est un outil préparatoire à la rédaction des articles, le jugement ne vient donc à l’appui d’aucune démonstration visant à faire un lien entre les activités actuelles de [N] [G] et sa condamnation passée,
– S’agissant du site www.archive.org, la mise en ligne du jugement ne vient pas nourrir le débat d’intérêt général dès lors qu’il n’y a ni contexte ni commentaire alors que sur le site documentcloud, il est assorti de commentaires négatifs.
Le tribunal n’a en revanche pas retenu le caractère malveillant des publications, au motif qu’aucun élément de la procédure ne permet d’établir que la mise en ligne du jugement litigieux trouverait son origine dans autre chose que la volonté de faire, dans la lignée de ses critiques antérieures, un parallèle entre la présentation que [N] [G] fait de lui-même et de ses activités de défense des victimes d’escroquerie et ses agissements passés, relevant que si [N] [G] n’est pas une personne connue du grand public, il a néanmoins médiatisé son activité en recevant une équipe de télévision et en se présentant sur son site internet comme une ancienne victime d’escroquerie.
Sur l’atteinte à la vie privée et le caractère malveillant des publications
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
Si les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme précité ne peuvent être invoquées pour se plaindre d’une atteinte à la réputation qui résulterait de manière prévisible des propres actions de la personne, telle une infraction pénale, la mention dans une publication des condamnations pénales dont une personne a fait l’objet, y compris à l’occasion de son activité professionnelle, porte atteinte à son droit au respect dû à sa vie privée.
Selon son article’10, toute personne a droit à la liberté d’expression mais son exercice peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui.
Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Afin de procéder à la mise en balance de ces droits, le juge, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, doit prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet de cette publication, le comportement antérieur de la personne concernée, ainsi que le contenu, la forme et les répercussions de la publication. Et, même si le sujet à l’origine de l’article relève de l’intérêt général, il faut encore que le contenu de l’article soit de nature à nourrir le débat public sur le sujet en question.
Il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces critères.
S’agissant du site www.archive.org
Le jugement a considéré que [C] [D] était à l’origine de la publication du jugement du tribunal correctionnel de Draguignan sur ce site.
La cour relève cependant que’:
– [C] [D] a toujours nié être à l’origine de cette publication sur le site www.archive.org, et ce, dès la sommation interpellative diligentée par [C] [G] le 12’mai 2020,
– Le seul fait d’avoir été à l’origine de la publication de ce jugement sur le site www.documentcloud.org ne peut suffire à en déduire qu’il l’a été aussi de celle sur le site www.archive.org,
– De même, le fait qu’en page’13 de l’inscription sur le site www.archive.org son nom apparaisse en qualité de contributeur ne suffit pas à établir qu’il serait nécessairement à l’origine de cette publication précisément,
– Le jugement relève lui-même qu’aucun élément ne permet effectivement d’établir que [C] [D] serait l’éditeur de ce site,
– Le site www.archive.org n’a fait que reprendre la publication du jugement sur le site www.documentcloud.org auquel [C] [D] était contributeur.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il n’est pas établi avec certitude que [C] [D] serait à l’origine de la publication litigieuse sur le site www.archive.org.
S’agissant du site www.documentcloud.org
[C] [D] a reconnu être l’auteur de la publication litigieuse sur le site www.documentcloud.org.
Il convient de prendre en considération qu’il est journaliste économiste et financier, rédacteur en chef et fondateur du site DEONTOFI.COM, notamment dédié à la défense des épargnants, et rédacteur d’articles dans de la presse spécialisée. Il avait précédemment alerté les épargnants sur les pratiques de la société NETLANDLAW OOD et de [N] [G].
Même si l’auteur d’une infraction doit assumer les conséquences de ses actes, il est certain que le fait de rendre à nouveau publique une condamnation pénale plusieurs années après son prononcé est susceptible de porter atteinte au respect de sa vie privée, surtout lorsque la personne condamnée a fait le nécessaire pour la voir effacée de son casier et du TAJ.
Toutefois, en l’espèce, comme l’a relevé le tribunal, ‘la mention de la condamnation de [N] [G] pour des faits d’escroquerie en bande organisée, relevant de la délinquance astucieuse s’agissant d’un système dit de Pyramide de Ponzi, dans des circonstances qui ne paraissent pas substantiellement différentes de son activité actuelle, pouvait effectivement s’inscrire dans un débat plus général relatif à la protection des épargnants et des victimes de cybercriminalité’.
De même, c’est à juste titre qu’il a relevé que ‘si [N] [G] n’est pas une personne connue du grand public, il a néanmoins fondé plusieurs sociétés dont l’objectif est de venir en aide aux victimes de cybercriminalité, activité qu’il a médiatisée en recevant une équipe du magazine ‘Envoyé Spécial’ et en se présentant sur son site internet comme une ancienne victime d’escroquerie’.
Ainsi, non seulement, la décision rendue par le tribunal correctionnel de Draguignan s’inscrit dans un débat d’intérêt général majeur, ce type d’escroqueries étant toujours d’actualité, mais en outre, elle est en lien direct avec l’activité actuelle de [N] [G], sollicité précisément par ces victimes qu’il n’hésite pas à démarcher via les médias, ce qui autorise tout journaliste spécialisé dans ce domaine à s’interroger sur les véritables intentions de [N] [G] et à attirer l’attention et la vigilance des épargnants en leur donnant ces informations. Dans ces conditions, le droit à l’information doit prévaloir sur le droit au respect de la vie privée de [N] [G], l’intérêt légitime de cette publication l’emportant sur les effets dommageables qu’elle a pu générer.
Il en est ainsi même si cette publication a eu lieu sur le site www.documentcloud.org qui est un site de partage de documentations journalistiques qui permet d’intégrer aux articles publiés sur internet des documents en format PDF (‘) dans la mesure où il s’agit d’un site d’information collaboratif à but non lucratif, c’est-à-dire un média d’information, comme en justifie l’appelant en produisant un article publié le 19’décembre 2018 par l’institut de la presse américaine, lancé en 2009 comme outil d’aide aux journalistes d’investigation. Les journalistes y téléchargent les documents sourcés dans leurs histoires sur ses serveurs, où ils peuvent être consultés par les lecteurs. L’objectif de la publication du jugement est donc bien d’informer le public.
La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé que les actes préparatoires à un article de presse, à savoir les activités de recherche et d’enquête d’un journaliste, relèvent de la liberté de la presse.
Quant aux annotations et commentaires de [C] [D], elles ont un objectif pédagogique du public et ne retirent en rien le caractère utile de la publication du jugement dans le cadre du débat d’intérêt général qu’elle vient nourrir et qui procède d’une information nécessaire à la protection des épargnants.
Par ailleurs, comme l’a justement relevé le tribunal, il n’est aucunement établi que [C] [D] aurait eu des intentions malveillantes, la publication est intervenue dans le cadre de son travail journalistique, elle répond à un intérêt légitime d’information d’un public dans un souci de protection des épargnants, public profane, susceptible d’être trompé, il s’agit d’une condamnation pénale, précisément dans ce domaine d’activité, d’une personne qui se présente aujourd’hui comme le défenseur des épargnants contre les escrocs.
Enfin, aucun élément produit par [N] [G] ne démontre que [C] [D] serait à l’origine de publications anonymes et d’articles critiques ultérieurs publiés par le demandeur et ne saurait être tenu responsable de leur contenu.
Compte tenu de ces éléments, la condamnation du journaliste à la suppression de cette publication constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.
En conséquence, [N] [G] sera débouté de l’ensemble de ses demandes.
Sur la demande au titre de la procédure abusive
Il n’est pas établi en l’espèce que [N] [G], lequel a pu se méprendre sur l’étendue de ses droits, a engagé abusivement cette procédure.
[C] [D] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts formulée à ce titre.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
En équité, [N] [G], succombant en ses prétentions, sera débouté de ses demandes à ce titre et condamné à payer à [C] [D] la somme de 4’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera également condamné aux dépens dont distraction au profit de la SCP LECOQ-VALLON & FERON-POLONI, qui pourra les recouvrer directement en application de l’article 699 du code de procédure civile.
LA COUR,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 11’janvier 2023, sauf en ce qu’il a considéré que les publications n’étaient pas malveillantes et a partiellement rejeté les demandes de [N] [G]’;
Statuant à nouveau,
Déboute [N] [G] de l’ensemble de ses demandes’;
Condamne [N] [G] à payer à [C] [D] la somme de QUATRE MILLE EUROS (4’000’euros) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;
Condamne [N] [G] aux dépens dont distraction au profit de la SCP LECOQ-VALLON & FERON-POLONI, qui pourra les recouvrer directement en application de l’article 699 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENT LE GREFFIER