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Un salarié licencié économique a fait valoir que la vente de brevets de son employeur avait marqué le démantèlement d’une division cohérente constituée de deux sites de productions spécialisés, un centre de recherche, une équipe commerciale et des fonctions support et qu’à compter de cette opération, la société Arjowiggins Security avait perdu la propriété de ses brevets dans le cadre d’un contrat de licence compliqué et peu pérenne à terme.
Il reste néanmoins que ces opérations se sont inscrites dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ouverte au profit de la société Sequana SA par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 15 février 2017.
Le rapport SECAFI avait relevé qu’à partir du second semestre 2015, l’activité et les résultats de la branche sécurité étaient en chute libre et que dès le 24 octobre 2016, le groupe Arjowiggins avait sollicité l’ouverture d’une procédure de conciliation auprès de cette juridiction.
C’est alors qu’en application du plan de sauvegarde, la société Arjowiggins Security avait cédé le 31 juillet 2017 à la société Oberthur fiduciaire les titres de sa filiale de droit néerlandais, la société VHP Security Papers BV, et les droits de propriété intellectuelle afférents à son activité de production de papier pour billets de banque. Cette restructuration, une fois achevée, devait permettre d’éliminer une source de perte (13 millions d’euros en 2016), le prix de cession contribuant par ailleurs à financer la restructuration du reste de la branche.
Au vu des conditions ci-dessus rappelées, il ne saurait être déduit que ces opérations auraient constitué la manifestation d’une faute ou légèreté blâmable de la part de la société Arjowiggins Security.
* * *
Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 6, 5 avril 2023, 21/06954 REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 05 AVRIL 2023
(n° , 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06954 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEOX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Mai 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de MEAUX – RG n° F 19/00538
APPELANT
Maître [M] [E]
ès qualités de liquidateur judiciaire de la société ARJOWIGGINS SECURITY
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Antoine PASQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0117
INTIMES
Monsieur [N] [K]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Paul BEAUSSILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : P99
UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 31 janvier 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffière : Madame Figen HOKE, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Figen HOKE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DU LITIGE
La SAS Arjowiggins Security est une société spécialisée dans la production de papier pour documents sécurisés (cartes grises, passeports, ‘) ainsi que de papier de billets de banque pour un certain nombre de banques centrales étrangères. Celle-ci appartient au groupe Sequana qui détient 100% du capital du groupe Arjowiggins détenant lui même 100% du capital de la société Arjowiggins Security. La société Sequana a été placée en sauvegarde judiciaire le 15 février 2017 puis en liquidation judiciaire le 15 mai 2019.
La SAS Arjowiggins Security a embauché M. [N] [K] suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 14 novembre 1994 en qualité de chargé de secteur travaillant.
La convention collective applicable est celle de la production des papiers cartons et celluloses.
Le salarié travaillait dans l’usine installée sur le site de [Adresse 8] à [Localité 9]’; le siège social se situant à [Localité 7].
L’effectif total s’élevait à 238 salariés.
Le 11 avril 2018, les titres composant le capital social de la SAS Arjowiggins Security détenus par le groupe Arjowiggins ont été cédés à la société PL Technologies, filiale du groupe d’investissement germano-suisse Blue Motion Technologies Holding, à un prix de cession d’un euro, la prise en charge d’une partie de son passif par la société mère Arjowiggins et un abandon de créances fiscales et sociales. Cet accord est intervenu sous l’égide d’un conciliateur désigné par le président du tribunal de commerce à la requête de la SAS Arjowiggins Security.
Par jugement du 16 janvier 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS Arjowiggins Security, avec poursuite d’activité jusqu’au 30 janvier 2019, et nomination de Me [I] [G] avec pour mission d’administrer la société et désignation de Me [E] en qualité de liquidateur judiciaire, qui a élaboré un plan de sauvegarde de l’emploi.
Par décision en date du 18 février 2019, la DIRECCTE a homologué le document unilatéral valant Plan de Sauvegarde de l’Emploi ; décision de validation qui sera confirmée par le tribunal administratif de Pontoise par jugement du 9 juillet 2019 puis la cour administrative d’appel de Versailles par arrêt du 4 décembre 2019.
Par lettres recommandées avec accusé de réception adressées le 20 février 2019 pour les salariés non protégés en mai et juin 2019 pour les salariés protégés après obtention de l’autorisation administrative, leur était notifié leur licenciement pour motif économique du fait de la liquidation judiciaire de la société et de l’impossibilité de tout reclassement.
Le 14 mai 2019, M. [N] [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Meaux aux fins de demander la requalification de son licenciement économique en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence se voir verser diverses indemnités.
Par jugement du 21 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Meaux :
– s’est déclaré compétent matériellement pour juger de la présente affaire’;
– a rejeté les pièces 25, 27 et 28 produites en langue étrangère aux débats, du fait de leur absence de traduction par le demandeur avant communication au mépris du principe du contradictoire’;
– a rejeté le surplus des demandes formulées in limine litis par l’Unedic AGS CGEA d’Ile de France Ouest’;
– a fixé le salaire de référence à la somme de 3 326,15 euros brut correspondant à la moyenne des douze derniers mois de salaire de M. [N] [K] avant son licenciement du 1er janvier au 31 décembre 2018′;
– a dit que le licenciement de M. [N] [K] n’est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
En conséquence, a’:
– fixé la créance de M. [N] [K] au passif de la liquidation de la société Arjowiggins Security entre les mains de Me [E], mandataire liquidateur aux sommes suivantes’:
13 304,60 euros, soit 4 mois à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
1 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS)’;
– donné acte de l’intervention forcée de l’UNEDIC AGS CGEA IDF OUEST’;
– dit que le jugement est opposable à l’UNEDIC AGS CGEA IDF OUEST, dans les limites des conditions légales d’intervention de celles-ci’;
– rejeté le surplus des demandes’;
– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision’;
– laissé à la charge de la société Arjowiggins Security prise en la personne de Me [E], ès qualité de mandataire liquidateur les dépens de l’instance, qui seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Par déclaration du 27 juillet 2021, Me [M] [E] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Arjowiggins Security a interjeté appel de cette décision.
Par déclaration du 12 août 2021, l’UNEDIC AGS CGEA IDF OUEST a également interjeté appel de cette décision. Les instances ont été jointes par ordonnance du 23 juin 2022.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par RPVA le 20 octobre 2021, Me [M] [E] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Arjowiggins Security demande à la cour de’:
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Meaux le 21 mai 2021 ;
Et, statuant à nouveau’:
– dire et juger que le licenciement pour motif économique de M. [N] [K] repose sur une cause réelle et sérieuse’;
– en conséquence, débouter M. [N] [K] de toutes de ses demandes’;
– le condamner aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par RPVA le 15 septembre 2022 et auxquelles il est fait expressément référence, l’association UNEDIC délégation AGS CGEA IDF Ouest demande à la cour de’:
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a exclu les pièces 25, 27 et 28′;
– fixer la moyenne des rémunérations conformément au tableau de rappel ci-dessus, et réduire à bien plus juste proportion les indemnités sollicitées, dans la limite des plafonds applicables.
– réformer le jugement entrepris’:
dire les créances liées à l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements non garanties par l’AGS’;
subsidiairement, rendre opposable à l’AGS dans les limites et plafonds de sa garantie, toutes créances brutes confondues’;
exclure de l’opposabilité à l’AGS la créance éventuellement fixée au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
rejeter la demande d’intérêts légaux’;
dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.
Dans ses conclusions adressées au greffe par le RPVA le 9 septembre 2022 auxquelles il est fait expressément référence, M. [N] [K] demande à la cour de’:
– débouter Me [E] et l’AGS CGEA IDF OUEST de leurs appels contre le jugement attaqué’;
– le dire recevable et bien fondé en son appel incident’;
– réformer le jugement entrepris du chef du quantum de l’indemnité allouée pour le licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
Statuant à nouveau’:
– fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Arjowiggins Security la somme de 58 207 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– dire cette condamnation opposable à l’AGS CGEA’;
– confirmer pour le surplus le jugement entrepris’;
– fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Arjowiggins Security la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles.
La clôture a été rendue par ordonnance du 27 septembre 2022.
– Sur la demande de rejet des pièces 25, 27 et 28
Ces pièces qui représentent respectivement une plaquette de présentation du groupe PARTER CAPITAL GROUP dans le cadre de l’offre de reprise de AWS, la plaquette de présentation au CCE de AWS «’strategy & structure’» 18 juillet 2018, et le mail du 10 mai 2018 du contrôleur de gestion d’AWS adressé à M. [H], sont rédigées intégralement en anglais et dépourvues d’une quelconque traduction. Dès lors, ces pièces seront écartées des débats et le jugement sera confirmé de ce chef.
– Sur le licenciement
L’article L1233-3 du code du travail dispose notamment que’:
Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L233-1, aux I et II de l’article L233- 3 et à l’article L233- 16 du code de commerce.
Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L1237-11et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L1237-17et suivants.
M. [N] [K] a été licencié pour motif économique du fait de la liquidation judiciaire de la société ayant entraîné une cessation d’activité et de l’impossibilité de tout reclassement.
Celui-ci fait valoir que’son licenciement est la conséquence des fautes et de la légèreté blâmable de l’employeur qui a, avant comme après la cession intervenue en avril 2018, pris une série de décisions préjudiciables à la société Arjowiggins Security et contraires à son intérêt social. Il met en cause «’l’incroyable incurie’» de cette société dans la gestion de l’entreprise, le «’sabordage’» de cette dernière, et l”«’impéritie’» des dirigeants.
S’il n’appartient pas au juge appelé à se prononcer sur la cause réelle et sérieuse d’un licenciement pour motif économique, de rechercher l’origine de la situation invoquée par l’employeur et en particulier de porter une appréciation sur les choix de gestion de celui-ci et leurs conséquences sur l’entreprise, il en va toutefois différemment lorsque cette situation est imputable à sa légèreté blâmable. La légèreté blâmable qui suppose une décision prise de manière inconsidérée en dépit des conséquences graves qu’elle peut entraîner, doit être distinguée de la simple erreur d’appréciation du chef d’entreprise dont les prévisions peuvent être déjouées par les aléas de la vie économique.
En l’espèce, M. [N] [K] fait valoir que’le licenciement des salariés est la conséquence des fautes et de la légèreté blâmable de l’employeur, lesquelles se sont illustrées au travers des opérations suivantes :
la vente de Arjowiggins System et de Arjowiggins Solutions et le redressement fiscal opéré par l’administration
la vente des machines et des outils de production
la cession des brevets de propriété industrielle à un concurrent de la société Arjowiggins Security
l’absence de respect des engagements de financement de l’activité par les repreneurs
le prélèvement frauduleux de commissions en violation du jugement du tribunal de commerce de Nanterre
la position du mandataire liquidateur (cf pièce n°51)
il ne s’agit pas de simples choix de gestion échappant à la gestion du juge mais au contraire d’actes anormaux contraires à l’intérêt social de la société
l’incurie des repreneurs, le pillage des fonds laissés en caisse dès la cession, l’absence de recouvrement de la facturation ou le défaut de libération des cautions, ont précipité le dépôt de bilan et rendu impossible une poursuite d’exploitation même limitée dans le temps et privé le mandataire de toute ressource pour établir et mettre en ‘uvre un PSE
ces agissements ont ruiné l’entreprise en moins de 3 mois puisque l’état de cessation des paiements a été fixé au mois d’août 2018
ils ont contraint le mandataire à licencier l’ensemble des salariés sans pouvoir mettre en place un plan social susceptible d’assurer le redressement de salariés ou de financer des mesures sociales
Me [E] en qualité de liquidateur judiciaire oppose notamment les moyens suivants’:
– Le salarié impute son licenciement aussi bien aux agissements du groupe Sequana, même s’il vise la société Arjowiggins dans ses conclusions – car c’est elle son employeur – ainsi que le groupe Blue Motion Technologies, repreneur de cette société.
– La liquidation judiciaire de la société Arjowiggins Security et les licenciements économiques qui en ont résulté ne sont pas dus à une faute ou légèreté blâmable des employeurs successifs mais aux difficultés économiques et financières depuis plusieurs années liées au contexte du marché très spécifique de la production de papier pour billets de banque. Cette liquidation judiciaire n’a en fait été que retardée, par une tentative de la dernière chance ayant consisté, sous l’égide du tribunal de commerce de Nanterre dans le cadre d’une procédure de conciliation, à sa vente au fonds d’investissement Blue Motion Technologies. Lors du rachat par ce dernier, la société était déjà destinée à une liquidation judiciaire certaine.
– Si le juge judiciaire a le pouvoir de contrôler et sanctionner le détournement par l’employeur de son pouvoir de direction économique, il n’est pas pour autant autorisé à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, et il ne lui appartient pas de contrôler et d’invalider le choix effectué par l’employeur confronté à des difficultés économiques pour dire que les licenciements qui en ont résulté seraient sans cause réelle et sérieuse.
– Le groupe Sequana auquel appartenait la société Arjowiggins Security était lui-même confronté à des difficultés économiques et financières très importantes l’ayant contraint à opérer des choix et prendre des décisions qui ne permettent pas pour autant de démontrer la légèreté blâmable ou les fautes de l’employeur.
– Si le licenciement économique peut être reconnu sans cause réelle et sérieuse en cas de faute ou de légèreté blâmable de l’employeur, celles-ci ne sauraient être confondues avec l’erreur, le chef d’entreprise se voyant reconnaître un droit à l’erreur. Ce n’est qu’en cas d’agissements frauduleux ou intentionnels de l’employeur ayant conduit à la situation économique sur laquelle se fondent les licenciements que ceux-ci seront déclarés dépourvus de cause réelle et sérieuse. En outre ce comportement fautif doit avoir été la cause directe du licenciement économique or en l’espèce, si certains choix de l’employeur peuvent être contestés comme ayant aggravé les difficultés économiques de la société Arjowiggins Security, ils ne sauraient être considérés comme la cause de ces difficultés et de la liquidation judiciaire de ladite société.
– Si aucune mesure de restructuration pour redresser la société n’a été prise par le repreneur, c’est que la trésorerie s’est très vite dégradée et n’a pas été suffisante pour le faire et donc que cette absence de restructuration n’est pas la cause mais la conséquence de la situation financière dégradée et de la trésorerie insuffisante.
* Sur la vente de Arjowiggins System et de Arjowiggins Solutions et le redressement fiscal opéré par l’administration
L’opération consistant le 30 juin 2015 à céder 85% du capital des sociétés Arjo Systems et Arjowiggins Solutions, filialisées au dernier trimestre 2014, au profit d’un fond d’investissement, dénommé Impala, a été réalisée par le groupe Arjowiggins dans le cadre d’une restructuration de son endettement.
Le cabinet d’expertise SECAFI a rappelé la genèse de cette opération aux termes de son rapport de mission de mars 2019.
Il a ainsi noté que le groupe Arjowiggins appartenait au groupe Sequana qui était positionné sur deux grandes activités, à savoir la production de papier avec Arjowiggins et la distribution de papier avec Antalis. Depuis plusieurs années, dans un environnement concurrentiel compliqué (surcapacité de production, tensions sur les prix des matières premières et de l’énergie, impacts devise), les résultats d’ Arjowiggins étaient devenus déficitaires. Son actionnaire Sequana, avait décidé en 2008, sous l’égide de sa nouvelle gouvernance, de sortir du marché de la production de papier pour se concentrer uniquement sur la distribution. C’est alors que le groupe Arjowiggins avait initié une restructuration industrielle d’ampleur dès l’année 2014 et s’était lancé dans une succession de fermetures ou de cessions d’usines, à savoir en premier lieu la cession de l’usine de billets de banque Salto, sa filiale brésilienne, puis la cession de 85 % du capital des sociétés Arjowiggins Solutions et Arjowiggins Systems.
Si le rapport note que ces deux sociétés présentaient des activités en plein développement avec des perspectives fortes de croissance, il relève dans le même temps que suite à cette opération le groupe n’avait plus eu de dette et disposait même de disponibilités nettes de 3,5 millions d’euros, et qu’en deux ans, la situation financière de celui-ci s’était nettement améliorée alors qu’elle était au bord du dépôt de bilan en 2014. En toute occurrence, une telle restructuration relevait d’une option stratégique du groupe et constituait un choix de gestion qu’il n’appartient pas au juge d’apprécier.
S’agissant du redressement fiscal qui aurait été induit par cette opération, il a été versé aux débats par le salarié dans sa pièce n°31 un courrier de l’administration fiscale ayant pour objet une «’proposition de rectification’» suite à la cession des titres mais dont l’issue n’a pas été justifiée.
Le mandataire liquidateur fait justement observer que cette proposition notifiée le 27 décembre 2018 avec un délai de réponse de 30 jours pour faire valoir ses observations ne saurait être considérée comme étant à l’origine des difficultés économiques de la société Arjowiggins Security et de sa liquidation judiciaire, celle-ci étant intervenue le 16 janvier 2019.
Ces éléments ne sauraient donc conduire à voir retenir un quelconque comportement fautif à l’égard de l’employeur.
* Sur la vente des machines et des outils de production
M. [N] [K] fait valoir que les dirigeants de la société Arjowiggins Security ont cédé, entre décembre 2015 et juin 2016, à une société Econocom SAS, dans le cadre d’une opération de lease back, les outils de production, machines à papier, sécheuses, matériel informatique et électrique, conservant l’usage de ces équipements moyennant un loyer qu’il qualifie d’important. La quasi-totalité des machines et moyens de production a été cédée à la société Econocom, la société Arjowiggins Security AWS en conservant l’usage en contrepartie d’un loyer mensuel de 131 889 euros concernant la cession de décembre 2015, et de 54 525,93 euros concernant la cession de juin 2016.
Ici encore cette opération apparaît devoir s’analyser en un choix de gestion ressortant de la seule appréciation de l’employeur alors même que le cabinet d’expertise SECAFI relève aux termes de son rapport de mission que des « difficultés quotidiennes, associées à un marché concurrentiel compliqué et marqué par une pression sur les prix de vente, ne pouvaient pas permettre la mise en ‘uvre du plan stratégique ambitieux qui consistait à se développer sur le marché des billets haut de gamme » et qu’« à partir du second semestre 2015, l’activité et les résultats de la branche sont en chute libre ».
* Sur la cession des brevets de propriété industrielle à un concurrent de la société Arjowiggins Security
M. [N] [K] fait valoir que cette vente avait marqué le démantèlement d’une division cohérente constituée de deux sites de productions spécialisés, un centre de recherche, une équipe commerciale et des fonctions support et qu’à compter de cette opération, la société Arjowiggins Security avait perdu la propriété de ses brevets dans le cadre d’un contrat de licence compliqué et peu pérenne à terme.
Il reste néanmoins que ces opérations se sont inscrites dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ouverte au profit de la société Sequana SA par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 15 février 2017.
Le rapport SECAFI avait relevé qu’à partir du second semestre 2015, l’activité et les résultats de la branche sécurité étaient en chute libre et que dès le 24 octobre 2016, le groupe Arjowiggins avait sollicité l’ouverture d’une procédure de conciliation auprès de cette juridiction.
C’est alors qu’en application du plan de sauvegarde, la société Arjowiggins Security avait cédé le 31 juillet 2017 à la société Oberthur fiduciaire les titres de sa filiale de droit néerlandais, la société VHP Security Papers BV, et les droits de propriété intellectuelle afférents à son activité de production de papier pour billets de banque. Cette restructuration, une fois achevée, devait permettre d’éliminer une source de perte (13 millions d’euros en 2016), le prix de cession contribuant par ailleurs à financer la restructuration du reste de la branche.
Au vu des conditions ci-dessus rappelées, il ne saurait être déduit que ces opérations auraient constitué la manifestation d’une faute ou légèreté blâmable de la part de la société Arjowiggins Security.
* Sur la reprise par la société PL technologies AG
M. [N] [K] soutient ensuite que la vente pour un prix négatif de la société Arjowiggins Security après qu’elle a été dépouillée de tous ses actifs, à des repreneurs sans solvabilité et connus pour être des «’aigrefins’», déjà condamnés, n’est pas simplement un choix de gestion. Selon lui, cette opération a poursuivi un caractère frauduleux dans la mesure où elle avait pour seul objet de permettre au groupe Arjowiggins de le soustraire à l’obligation d’établir un PSE pour fermer l’une de ses usines.
Il reste néanmoins que la cession de la société au groupe Blue Motion Technologies s’est faite dans le cadre d’une nouvelle procédure de conciliation initiée en juillet 2017.
L’offre de reprise avait été faite pour un prix de cession d’un euro pour l’intégralité des actions composant le capital social de la société par Arjowiggins Security.
Cette offre avait été conditionnée par la mise en ‘uvre de plusieurs financements ou abandons de créances au profit de la société Arjowiggins Security, dont notamment :
‘ la capitalisation du compte courant de la société Arjowiggins Security préalablement à la cession,
‘ un abandon de créances fiscales et sociales ou leur prise en charge par le groupe Sequana,
‘ la prise en charge de divers autres passifs,
‘ la reconstitution de la trésorerie de la société Arjowiggins Security au travers d’une injection de fonds.
Diverses conditions suspensives à l’entrée en vigueur du protocole de conciliation avaient été levées avant l’audience du tribunal :
‘ par lettre du 20 mars 2018, le ministre de l’économie et des finances a autorisé en application des dispositions du code monétaire et financier, l’acquisition de la société Arjowiggins Security par la société suisse PL technologies AG, détenu en totalité par la société suisse Blue Motion technologique holding AG,
‘ par jugement du 22 mars 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a autorisé la conclusion d’un contrat de prêt entre BPI France participations et la société Sequana pour un montant de 10 millions d’euros,
‘ par lettre du 3 avril 2018, le directeur départemental des finances publiques a décidé notamment une remise de 4 millions d’euros au titre de créances fiscales et sociales de la société Arjowiggins Security faisant l’objet d’un moratoire, sous réserve de la constatation de l’homologation du protocole de conciliation.
Le tribunal avait relevé que la société Arjowiggins Security n’était pas en état de cessation de paiement, que le projet de reprise reposait sur un maintien des activités actuelles tout en développant une activité complémentaire d’emballage sécurisé de produits pharmaceutiques, que 80 % du chiffre d’affaires prévu reposait sur des commandes déjà enregistrées, que le business plan communiqué par le repreneur prévoyait un retour graduel à l’équilibre d’exploitation en 2020 et que l’accord était donc de nature à assurer la pérennité de l’activité de l’entreprise. Toutes les parties avaient donné un avis favorable à l’homologation du protocole de conciliation, de même que le ministère public ainsi que le représentant du comité central d’entreprise.
C’est dans ces conditions que ce protocole avait été homologué par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 11 avril 2018.
Il résulte de ce qui précède que l’opération relevait bien d’un choix de gestion de la société Arjowiggins Security et ne pouvait être qualifiée de frauduleuse.
En dépit de procédure judiciaire ci-dessus rappelée, M. [N] [K] fait reproche au groupe Blue Motion Technologies de ne pas avoir tenu ses engagements financiers, pris au moment de la reprise ; ces agissements ayant ruiné l’entreprise en moins de 3 mois puisque l’état de cessation des paiements avait déjà été fixé en août 2018.
A cela, le mandataire liquidateur oppose que la société Arjowiggins Security n’était pas de taille à lutter et à inspirer suffisamment confiance à ses clients et que dès lors son sort était déjà scellé. Il ajoute que la non libération des cautions bancaires n’était pas dû à une quelconque faute du repreneur mais à la trésorerie insuffisante et la situation financière dégradée de la société bien avant sa reprise, au point qu’aucune banque n’accordait plus la moindre confiance à la société Arjowiggins Security et ne souhaitait garantir de caution pour son compte.
Il reste néanmoins que les difficultés de fonctionnement qu’il évoque sont relatives à un contexte manifestement connu de repreneur, à savoir une pression sur les prix de vente en raison d’une situation de surcapacité du marché, un carnet de commande faible, un chômage technique de novembre 2017 à avril 2018, l’annulation d’importantes commandes déjà passées mais également à venir de la part de l’Inde et le report à fin 2018 d’un appel d’offres indien.
Pour autant, le projet de reprise de la société Blue Motion technologies holding AG reposait sur un maintien des activités actuelles tout en développant une activité complémentaire d’emballage sécurisé de produits pharmaceutiques et celle-ci avait communiqué un business plan courant jusqu’en 2022 qui prévoyait un retour graduel à l’équilibre d’exploitation ainsi qu’un prévisionnel de trésorerie jusqu’en 2022. Il avait également été prévu un renforcement préalable de la trésorerie nette et des fonds propres de la société Arjowiggins Security de telle sorte qu’à la date de la réalisation du protocole de conciliation, celle-ci bénéficiait d’une trésorerie nette d’au moins 12 millions d’euros.
En outre, s’il est constant que dans le cadre du protocole de conciliation, le repreneur ne s’était pas engagé à octroyer des financements nouveaux à la société Arjowiggins Security, il s’était néanmoins engagé à fournir les garanties bancaires.
En effet, lors de la réunion extraordinaire du comité central d’entreprise du 27 février 2018, les représentants de la société Parter Capital avait admis que l’activité de la société Arjowiggins Security dépendait, lors des appels d’offres, de garanties de bonne exécution jusqu’à la livraison effective. Ils indiquaient alors : « du fait de la nouvelle situation, les banques ont demandé de nouvelles garanties, que nous allons leur fournir car il est impossible d’opérer notre activité sans les garanties bancaires ».
Interpellé par un salarié sur la difficulté d’obtenir ces cautions dès lors que la demande devait être accompagnée de garanties de bons résultats financiers, dont la société ne disposait pas, les repreneurs avaient notamment précisé : « (‘) il est évident que nos concurrents vont utiliser la situation contre nous, mais nous pouvons faire face en livrant à temps des produits de qualité. Nous fournirons aussi une garantie supplémentaire en contresignant des lettres de confirmation. La relation avec les banques centrales est bonne, ils continueront à nous faire confiance (‘) nous sommes pleinement conscients de la situation. Nous allons en discuter avec l’équipe commerciale, et nous savons ce qu’il faut faire (‘) notre contribution prendra 2 formes : d’une part l’augmentation de capital de la société Arjowiggins Security, convenue avec Sequana, permettra d’avoir une situation de trésorerie positive ; d’autre part nous fournirons des garanties bancaires pour des opérations spécifiques (‘) nos prévisions pour 2018 sont centrées sur le cash : nous devons nous assurer que nous n’en manquerons pas dans le courant de l’année (‘) ».
Le rapport SECAFI rappelle que dans le cas particulier des Philippines, le client aurait dû payer les 60 % des factures mais faute d’émission des cautions, il n’a pas honoré les règlements. Il précisait que depuis la reprise par Parter, les cautions n’avaient pas été émises et la société Arjowiggins Security n’avait pas pu répondre à des appels d’offres.
En outre, l’offre de reprise contenait un engagement du repreneur de ne pas percevoir de fonds de la part de la société Arjowiggins Security (sauf en cas de prestations effectuées par le repreneur, dans la limite de 150’000 euros par an, et/ou d’apports de fonds réalisés par le repreneur postérieurement à la cession) pendant une période s’arrêtant à la date la plus proche entre : une durée de 3 ans à partir de la date de réalisation et la date à laquelle la société Arjowiggins Security deviendrait rentable.
Le rapport SECAFI révèle néanmoins que le détail des comptes honoraires et charges exceptionnelles (622 et 678) fait apparaître la rémunération de plusieurs cabinets de conseil de personnes physiques (management fees) pour des montants très importants – 306’032,66 euros pour le détail du compte 622 et -1’147’831 euros pour le détail du compte 678.
Le mandataire liquidateur admet que ces prélèvements étaient « critiquables » comme ne respectant pas les engagements du repreneur mais ne sauraient pour autant être considérés comme la cause de l’insuffisance de trésorerie.
Il reste que ces “management fees” de montants importants incluant des frais divers au profit de personnes relevant de la société repreneuse, de partenaires ou d’autres intervenants de l’environnement du groupe Blue Motion Technologies, ont manifestement grevé la trésorerie de la société Arjowiggins Security. En effet, le repreneur les a prélevés à son profit directement ou au profit d’autres sociétés de son environnement, au mépris de ses engagements, et sans qu’il ne justifie dans le cadre des présents débats que ces dépenses auraient présenté un intérêt pour la société.
M. [N] [K] produit dans ses pièces 32 et suivantes les nombreuses conventions de management fees entre cette société et des sociétés gravitant autour du fonds d’investissement Blue Motion Technologies AG. Au vu du tableau versé en pièce 46, il apparaissait qu’en quelques mois, 1’416’395,88 euros avaient été prélevés au préjudice de la société Arjowiggins Security, dont 323’863,54 euros au profit de Gramax capital (honoraires uniquement).
Le 18 octobre 2018, le ministre de l’économie et des finances français a adressé aux nouveaux dirigeants de société un courrier leur rappelant notamment les engagements qu’ils avaient exprimés de financer l’activité via l’émission de solutions de garantie et d’affacturage aux banques avec lesquels ils étaient en contact. Il déplorait que le fonds d’investissement ait exigé le paiement de frais de management pour environ 9 mois sans avoir injecté le moindre euro dans la société depuis l’acquisition, contrairement à l’État français, et au vendeur, en dépit de ses engagements de fournir les fonds nécessaires à la continuité de l’activité à court terme. La société devait également être en mesure de mettre en place un plan de relance industrielle, discutée à l’avance avec le personnel. Le ministre confirmait que l’État français était prêt à collaborer à nouveau avec la société en finançant des contre garanties d’export via BPI France pour les contrats d’export jusqu’à 80 %. Il soulignait que son refus de contribuer au moindre financement à ce stade était irresponsable et compromettait directement 250 emplois.
Il résulte de ce qui précède que les nouveaux actionnaires, directement ou par l’intermédiaire d’une autre société, ont pris des décisions profitables à eux-mêmes, mais dommageables pour l’entreprise et qui ont aggravé la situation économique difficile de cette dernière, la faisant péricliter en trois mois, et dès lors ces derniers ont, par leur faute et légèreté blâmable, concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois qui en a résulté. Ainsi, les difficultés économiques invoquées à l’appui du licenciement ont été occasionnées par les agissements fautifs de l’employeur, allant au-delà des seules erreurs de gestion. Ces circonstances privent le licenciement économique des salariés de toute cause réelle et sérieuse et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les préjudices
* Sur la compétence juridictionnelle pour les salariés protégés
Le mandataire liquidateur soutient que les salariés protégés ayant été licenciés pour motif économique sur autorisation de l’autorité administrative, il en résulte que le juge judiciaire ne saurait, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, apprécier la validité des licenciements et décider d’accorder à ces derniers, comme ils le sollicitent, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le principe de séparation des pouvoirs induit que le juge judiciaire ne peut contrôler ce qui l’a déjà été par l’administration, et éventuellement les juridictions administratives. En revanche, il reste compétent pour trancher tous les points qui ne sont pas examinés par l’administration.
Dans le cadre de la procédure devant le juge prud’homal, les salariés ont contesté la légitimité de leur licenciement dès lors que celui-ci résultait d’une opération à caractère frauduleux.
Le salarié protégé, licencié après autorisation de l’autorité administrative, peut invoquer devant le juge judiciaire, eu égard aux circonstances dans lesquelles est intervenu son licenciement, l’existence d’une fraude ou une légèreté blâmable à l’origine de la cessation d’activité de son employeur, cause de la suppression de son emploi, et solliciter sur ce fondement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative qui a autorisé la mesure de licenciement, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Ce moyen sera donc rejeté.
* Sur la rémunération moyenne mensuelle brute
L’AGS fait grief aux salariés de ne pas avoir proratisé les primes de 13ème mois dont ils bénéficiaient, les incluant dans un calcul de rémunération mensuelle moyenne brute tel quel sans les lisser. L’AGS propose donc un calcul de la rémunération à prendre en compte dans un tableau inséré dans le corps de ses écritures.
Les éléments du débat démontrent néanmoins que le salaire mensuel moyen brut a bien été calculé par M. [N] [K] sur la base de la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement (sa fiche de paie de décembre 2018) conformément aux dispositions tirées de l’article R 1234-9 1° du code du travail.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a retenu la somme de 3 326,15 euros.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
L’AGS fait valoir qu’il incombe à M. [N] [K] de démontrer son préjudice tant dans son principe que dans son quantum et en l’espèce les salariés sollicitent tous de se voir allouer 24 mois de dommages-intérêts sans aucune justification de période de chômage laissant entendre qu’ils ont retrouvé un emploi à brève échéance.
Me [M] [E] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Arjowiggins Security fait valoir que M. [N] [K] n’apporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice et son étendue.
M. [N] [K] fait valoir au contraire qu’il produit tous les justificatifs utiles.
Il revient à la cour d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du code du travail.
Compte tenu du montant de la rémunération de M. [N] [K], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces fournies, la cour retient que l’indemnité à même de réparer de manière adéquate et appropriée son préjudice doit être évaluée à la somme de 13 304,60 euros, soit 4 mois.
Sur la garantie de l’AGS
L’AGS fait valoir que’dans l’hypothèse où la cour estimerait que le jugement de liquidation judiciaire rendu par le tribunal de commerce de Nanterre aurait été rendu par l’effet d’une fraude ou d’une faute des dirigeants, les conséquences de celles-ci ne seraient pas garanties par elle. Il en résulterait que les créances dues en raison de la faute de l’employeur ayant pour conséquence de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse serait exclue de la garantie de l’AGS.
Il reste néanmoins que l’assurance mentionnée à l’article L3253-6 du code du travail couvre notamment :
1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l’employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle ;
2° Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
a) Pendant la période d’observation
b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession
c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation
d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité.
Il en résulte que l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse relève de la garantie de l’AGS sans avoir à distinguer selon que ce licenciement procéderait ou non d’une faute ou d’une légèreté blâmable des dirigeants.
La garantie de l’AGS est donc due et elle s’exercera dans la limite des plafonds applicables par application des articles L.3253-6, L.3253-8 et L.3253-17 du code du travail.
Tout moyen contraire sera rejeté et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a été déclaré opposable à l’UNEDIC AGS-CGEA IDF OUEST dans les limites des conditions légales d’intervention de celle-ci.
Sur les intérêts légaux
L’AGS fait valoir que’la cour doit débouter les salariés de leurs demandes sur le fondement de l’article L.621-48 du code de commerce qui dispose que l’ouverture d’une procédure collective interrompt le cours des intérêts. Il reste néanmoins que les salariés n’ont jamais présenté une telle demande. La cour rappelle que le jugement d’ouverture d’une procédure collective de paiement arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations en application des dispositions de l’article L. 622-28 du code de commerce.
Sur les autres demandes
Il sera accordé une somme de 1000 euros à M. [N] [K] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Me [M] [E] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Arjowiggins Security sera tenu aux dépens de première instance et d’appel.
La Cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Fixe la créance de M. [N] [K] au passif de la liquidation de la société Arjowiggins Security entre les mains de Me [M] [E] ès qualités à la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Laisse les dépens à la charge Me [M] [E] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Arjowiggins Security.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE