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AFFAIRE : N° RG 19/00241 –
N° Portalis DBVC-V-B7D-GH2X
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DÉCISION du Tribunal de Grande Instance de CAEN du 08 Octobre 2018 – RG n° 16/03532
COUR D’APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 10 MAI 2022
APPELANT :
Monsieur [S] [J]
né le [Date naissance 4] 1986 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté et assisté de Me Alice DUPONT-BARRELLIER, avocat au barreau de CAEN
INTIMÉES :
La Société MATMUT
[Adresse 6]
[Localité 7]
prise en la personne de son représentant légal
représentée et assistée de Me Noël LEJARD, avocat au barreau de CAEN
La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU FINISTERE
[Adresse 1]
[Localité 5]
prise en la personne de son représentant légal
non représentée bien que régulièrement assignée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
M. GANCE, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 08 mars 2022
GREFFIER : Mme COLLET
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le 10 Mai 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Le 24 mai 2008, M. [J] a été victime d’un accident de la circulation impliquant le véhicule de M. [I].
Une expertise amiable a été mise en oeuvre conjointement par la Matmut (assureur de M. [J]) et par la Gmf (assureur de responsabilité de M. [I]).
Les experts ont déposé leur rapport le 13 septembre 2010 sur la base duquel un protocole transactionnel a été régularisé le 10 mai 2011.
Estimant que les indemnités stipulées dans ce protocole étaient très inférieures à celles auxquelles ils auraient pu prétendre, M. [J] a fait assigner la Matmut ainsi que les tiers payeurs par actes du 6 octobre 2016 afin d’indemniser de ses préjudices.
Par jugement du 8 octobre 2018 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal de grande instance de Caen a :
– débouté la société Matmut de sa fin de non-recevoir opposée au motif de la prescription de l’action de M. [J]
– condamné la société Matmut à payer à M. [J] la somme de 68 572 euros en réparation de son préjudice résultant des manquements à son obligation contractuelle de conseil au titre de la réparation du préjudice de son assuré suite à l’accident du 24 mai 2008
– dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision à la société Matmut
– débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires
– condamné la société Matmut à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la société Matmut aux dépens avec distraction au profit de Me Dupont-Barrellier.
Par déclaration du 17 janvier 2019, M. [J] a formé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 4 février 2022, M. [J] demande à la cour de :
– le déclarer recevable et bien fondé en son appel
– infirmer le jugement en ce qu’il :
* a condamné la Matmut à lui payer la somme de 68 572 euros en réparation de son préjudice résultant des manquements à son obligation contractuelle de conseil au titre de la réparation de son préjudice suite à l’accident du 24 mai 2008
* l’a débouté de toutes ses demandes plus amples ou contraires
statuant à nouveau :
– juger qu’il n’avait commis aucune faute de conduite de nature à réduire son droit à indemnisation
– fixer sa perte de chance d’être indemnisé intégralement de son dommage à 90 %
– fixer sa perte de chance d’être indemnisé intégralement de :
*ses dépenses de santé à 99,9 %
*ses frais de véhicule adapté à 95 %
*son besoin en tierce personne temporaire et permanent à 90 %
*son déficit fonctionnel temporaire et permanent à 98 %
*ses souffrances endurées à 80 %
*son préjudice esthétique permanent à 97 %
– condamner la Matmut à lui verser en réparation de son préjudice résultant des manquements à son obligation contractuelle de conseil au titre de la réparation de son préjudice suite à l’accident du 24 mai 2008, 737 555,03 euros ou subsidiairement 689 487,25 euros en réparation du préjudice subi du fait des défauts de conseil de la Matmut se décomposant comme suit :
préjudices patrimoniaux
*dépenses de santé actuelles
évaluation de la perte de chance : 570,18 euros
indemnité Gmf à déduire : 150 euros
solde : 420,18 euros
*frais de véhicule adapté
évaluation de la perte de chance : 98 768,32 euros
indemnité Gmf à déduire : 6 179 euros
solde : 92 589,62 euros
*tierce personne temporaire
évaluation de la perte de chance – principal : 70 049,38 euros
évaluation de la perte de chance – subsidiaire : 58 844,31 euros
indemnité Gmf à déduire – principal : 2 707 euros
indemnité Gmf à déduire – subsidiaire : 2 707 euros
solde -principal : 67 342,38 euros
solde – subsidiaire : 56 137,31 euros
*tierce personne permanente
évaluation de la perte de chance – principal : 487 731,58 euros
évaluation de la perte de chance – subsidiaire : 450 868,88 euros
indemnité Gmf à déduire – principal : 28 352 euros
indemnité Gmf à déduire – subsidiaire : 28 352 euros
solde – principal : 459 379,58 euros
solde – subsidiaire : 422 516,88 euros
préjudices extrapatrimoniaux :
*déficit fonctionnel temporaire :
évaluation de la perte de chance : 13 854 euros
indemnité Gmf à déduire : 6 253 euros
solde : 7 601 euros
*déficit fonctionnel permanent :
évaluation de la perte de chance : 148 225,96 euros
indemnité Gmf à déduire : 71 550 euros
solde : 76 675,96 euros
*souffrances endurées
évaluation de la perte de chance : 27 745,20 euros
indemnité Gmf à déduire : 7 500 euros
solde : 20 245,20 euros
*préjudice esthétique permanent
évaluation de la perte de chance : 17 301,11 euros
indemnité Gmf à déduire : 4 000 euros
solde : 13 301,11 euros
total :
*évaluation de la perte de chance -principal : 864 246,03 euros
évaluation de la perte de chance -subsidiaire : 816 178,25 euros
*indemnité Gmf à déduire -principal : 126 691 euros
indemnité Gmf à déduire -subsidiaire : 126 691 euros
*solde -principal : 737 555,03 euros
solde -subsidiaire : 689 487,25 euros
– condamner la Matmut à lui verser 6 710,60 euros au titre du capital de base en exécution du contrat souscrit
– surseoir à statuer :
* sur l’indemnisation des préjudices esthétique temporaire, d’agrément et sexuel jusqu’au jour du jugement à intervenir sur l’indemnisation du préjudice aggravé et des postes non indemnisés
* sur le règlement du capital complémentaire jusqu’au jour de l’indemnisation de l’incidence professionnelle par la Gmf
– condamner la Matmut au paiement des intérêts à compter du 6 octobre 2016 et aux intérêts ayant plus d’un an d’ancienneté
– ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux quotidiens nationaux aux frais de la société Matmut
– débouter la Matmut de l’intégralité de ses demandes
y ajoutant :
– condamner la Matmut à lui verser, en plus de l’indemnité allouée par le tribunal, 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens y compris l’intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement prévus à l’article L111-8 du code des procédures civiles d’exécution, et dire, s’agissant de ces derniers, qu’ils seront directement recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 juin 2019, la Matmut demande à la cour de :
– déclarer recevable mais infondé l’appel inscrit par M. [J] à l’endroit du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Caen du 8 octobre 2018
– la recevoir en son appel incident
– voir réformer en conséquence le jugement entrepris en ce qu’il :
* l’a condamnée à payer M. [J] la somme de 68 572 euros en réparation de son préjudice résultant des manquements à son obligation contractuelle de conseil au titre de la réparation du préjudice de son assuré suite à l’accident du 24 mai 2008 avec l’indication que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la signification de la décision,
* l’a condamnée à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 ainsi qu’aux dépens avec distraction au profit de Me Dupont-Barrellier,
– confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions en ce que M. [J] a été débouté de ses autres demandes
– débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions
– condamner M. [J] au paiement d’une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture de l’instruction a été prononcée le 16 février 2022.
Pour l’exposé complet des prétentions et de l’argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS :
Le 24 mai 2008, M. [J] a été victime d’un accident de la circulation alors qu’il conduisait sa motocyclette. Il était assuré auprès de la Matmut, la police d’assurance stipulant notamment une garantie au titre de sa protection juridique.
L’accident est survenu alors qu’il était en train de dépasser sur la voie de gauche, un véhicule conduit par M. [I] (assuré auprès de la Gmf) lorsque celui-ci a entrepris de doubler un groupe de quatre cyclistes circulant de front, percutant dans sa manoeuvre la motocyclette de M. [J].
Un rapport d’expertise amiable a été déposé le 13 septembre 2010 par les experts des deux compagnies d’assurance (le docteur [T] pour la Matmut et le docteur [Z] pour la Gmf) fixant notamment l’atteinte à l’intégrité physique et psychique permanente à hauteur de 53 % (principalement au titre du plexus brachial) et le besoin en tierce personne définitif à 3 heures par semaine avec une date de consolidation fixée au 26 août 2010.
Sur ces bases, une transaction est intervenue entre M. [J] et la Gmf le 10 mai 2011 (sur les conseils de la Matmut) stipulant un droit à indemnisation réduit de 50 % en raison d’une faute de M. [J] et évaluant les différents préjudices comme suit :
– dépenses de santé actuelles : 300 euros
– déficit fonctionnel temporaire : 12 505 euros
– déficit fonctionnel permanent : 143 100 euros
– souffrances endurées : 15 000 euros
– préjudice esthétique : 8000 euros
– tierce personne temporaire : 5145 euros
– tierce personne définitive : 56 703 euros
– aménagement de la voiture : 12359 euros.
M. [J] a donc perçu la moitié des sommes susvisées compte tenu de la limitation de son droit à indemnisation.
Il est soutenu que la Matmut a engagé sa responsabilité au titre de sa garantie protection juridique aux motifs qu’elle a manqué à son devoir de conseil en faisant accepter à son assuré une transaction défavorable à ses droits en raison de la limitation de son droit à indemnisation de moitié, d’une évaluation des préjudices sur la base d’éléments d’expertise aboutissant à une minoration des préjudices et d’une évaluation non conforme à la jurisprudence de l’époque. Il est invoqué en outre un conflit d’intérêt.
L’article L 127-1 du code des assurances définit l’opération d’assurance de protection juridique comme toute opération consistant moyennant le paiement d’une prime ou d’une cotisation préalablement convenu à prendre en charge des frais de procédure ou à fournir des services découlant de la couverture d’assurance, en cas de différend ou de litige opposant l’assuré à un tiers, en vue notamment de défendre ou de représenter en demande l’assuré dans une procédure civile, pénale administrative ou autre ou contre une réclamation dont il est l’objet ou d’obtenir réparation à l’amiable du dommage subi.
Le contrat d’assurance stipule notamment que la Matmut s’engage à réclamer l’indemnisation du préjudice et pour ce faire à fournir ‘les avis et services appropriés à la recherche d’une solution amiable’.
Il appartenait donc à la Matmut de fournir à M. [J] les informations et conseils utiles dans le cadre du processus de transaction afférent à l’indemnisation de son préjudice corporel.
Avant d’examiner les différents arguments de M. [J], il convient de rappeler que l’objet du litige n’est pas de liquider son préjudice corporel en lien avec l’accident à la date de l’arrêt, mais de déterminer si la Matmut a commis des manquements à ses obligations dans le cadre du processus ayant abouti à la signature de la transaction et d’évaluer les préjudices consécutifs à ces manquements.
– Sur le conflit d’intérêt :
L’article L 127-5 du code des assurances dispose qu’en cas de conflit d’intérêt entre l’assureur et l’assuré, l’assureur de protection juridique informe l’assuré du droit mentionné à l’article L127-3 (droit d’être assisté par un avocat) et de la possibilité de recourir à la procédure prévue à l’article L 127-4 (recours à une tierce personne désignée d’un commun accord par les parties ou à défaut par le président du tribunal de grande instance).
En revanche, il n’est pas prévu que l’assureur doit cesser son intervention au titre de la protection juridique.
M. [J] soutient que la Matmut avait un intérêt opposé au sien dans le cadre de sa mission de protection juridique ce qui aurait dû le conduire à mettre en oeuvre la procédure de l’article L 127-4.
Il indique que la Matmut avait intérêt à ce que le taux d’incapacité et les besoins en tierce personne soit les plus faibles, se référant aux dispositions de la garantie dommages corporels du conducteur.
L’article 22-9 des conditions générales de la police d’assurance ‘dommages corporels conducteurs’ prévoit :
A – En cas d’incapacité permanente dont le taux est au moins égal à 10 %, le versement d’une indemnité :
* de base
* complémentaire
B – le taux d’incapacité permanente est fixé par le médecin désigné par la société et déterminé conformément au barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en droit commun
C – une majoration opérée sur le calcul du capital de base et du capital complémentaire … pour assistance par tierce personne lorsque l’incapacité permanente nécessité l’assistance d’une aide humaine durant au minimum 2 heures par jour, le capital maximum de base et le capital maximum complémentaire sont majorés de 50 %
D – Indemnités versées :
1 – un capital de base correspondant à la somme résultant du produit du taux d’incapacité par la valeur du point correspondant au taux indiqué à l’article 2-2 auquel il convient d’appliquer le cas échéant les majoration ou abattement prévus au paragraphe ci-avant
2 – un capital complémentaire égal à la différence entre :
* d’une part la somme résultant du produit du taux d’incapacité par la valeur du point correspondant au taux indiqué à l’article 2-2 auquel il convient d’appliquer le cas échéant les majoration ou abattement prévus au paragraphe ci-avant
* d’autre part les indemnités reçues ou à recevoir par l’assuré au titre du dommage concerné du responsable de l’accident au titre du déficit fonctionnel permanent, retentissement professionnel (incidence professionnelle et/ou pertes de gains professionnels futurs) et de l’assistance par tierce personne (étant précisé qu’en cas de partage des responsabilités, l’indemnité concernée correspond à l’indemnité allouée ou offerte pour le compenser réduite proportionnellement au taux de responsabilité de l’assuré,
et de l’employeur, de tout régime de protection sociale ou de prévoyance collective.
Il est exact comme l’affirme la Matmut qu’elle avait intérêt (comme son assuré) à ce que le droit à indemnisation de M. [J] soit le plus élevé possible (c’est à dire qu’il n’y ait pas de limitation de ce droit à indemnisation).
En revanche, il est aussi exact qu’elle avait intérêt à ce que le taux d’incapacité soit le plus faible possible puisque le capital de base de sa garantie était calculé sur le fondement du taux d’incapacité déterminé par l’expert de la compagnie. Il en est de même pour ce qui concerne la majoration du capital de base au titre de l’assistance tierce personne puisque cette majoration était conditionnée par l’évaluation de l’aide humaine à un minimum de deux heures par jour.
Il est donc établi que la Matmut avait un intérêt contraire à celui de son assuré pour ce qui concerne l’évaluation du taux d’incapacité et du besoin en aide humaine en sa double qualité d’assureur de protection juridique et d’assureur des dommages corporels subis en lien avec l’accident.
La Matmut avait donc l’obligation d’informer M. [J] de son droit d’être assisté par un avocat et de la possibilité de recourir à l’arbitrage d’un tiers.
Elle ne justifie pas avoir satisfait à l’une ou l’autre de ces obligations.
On relèvera que si le courrier du 24 mars 2009 de la Matmut mentionne le fait que M. [J] avait pour idée de faire intervenir un avocat (Me Joueanneau-Launay), aucune pièce ne confirme que cette intervention a eu lieu. En effet, il résulte des courriers échangés et de la transaction que celle-ci a été élaborée et signée sans l’intervention d’un avocat aux côtés de M. [J].
Par ailleurs, dans ses développements se rapportant au conflit d’intérêt, M. [J] ne fait pas état de préjudices chiffrés, ni de perte de chance en lien avec ce conflit d’intérêt, indiquant seulement qu’il n’a pas pu être assisté d’un avocat.
– Sur l’étendue du droit à indemnisation :
M. [J] estime que la Matmut n’aurait pas dû lui conseiller d’accepter la réduction de son droit à indemnisation en l’absence de faute de sa part dans la réalisation du dommage. Il estime ainsi que le brusque déport à gauche de M. [I] au moment où il entreprenait un dépassement était imprévisible et que sa propre vitesse est sans rapport avec l’accident.
Il résulte des procès-verbaux de gendarmerie qu’alors que M. [J] entreprenait de dépasser le véhicule de M. [I], celui-ci a amorcé le dépassement de cyclistes qui le précédaient. C’est à cet instant que la motocylette de M. [J] est entrée en collision avec l’arrière du véhicule de M. [I] ce qui a entraîné la chute de M. [J] et le décès de son jeune frère (passager).
Afin de déterminer une éventuelle limitation ou exclusion du droit à indemnisation sur le fondement de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985, la faute du conducteur victime d’un accident de la circulation doit être appréciée indépendamment du comportement du ou des autres conducteurs impliqués dans l’accident.
Dans sa première déclaration, M. [J] a indiqué qu’avant d’amorcer sa manoeuvre de dépassement, il roulait à une vitesse de 100 ou 110 km/h et qu’en voyant la voiture de M. [I] débuter sa propre manoeuvre de dépassement, il n’avait pas freiné mais avait accéléré en se déportant sur la voie de gauche pour tenter d’éviter le véhicule (ce qu’il n’est pas parvenu à faire).
Dans sa seconde audition, s’il a confirmé qu’il roulait à une vitesse de 110 km/h avant de dépasser le véhicule de M. [I], en revanche, il a prétendu qu’il lui ‘semblait’ qu’il avait ‘freiné fortement’ afin de l’éviter.
Un premier témoin (M. [E]) déclare qu’il pense que M. [J] roulait à une vitesse de l’ordre de 140km/h. Un second témoin (M. [P]) fait état d’une vitesse de l’ordre de 130 km/h.
Aucune règle du code de la route n’autorise un conducteur à dépasser la limitation de vitesse lorsqu’il double un autre véhicule contrairement à ce qu’a laissé entendre M. [J] dans son audition.
Les gendarmes ont relevé que les conditions météorologiques étaient normales, que l’accident avait eu lieu en plein jour et que l’état de la route était normal.
La vitesse était limitée à 90 km/h à l’endroit de l’accident s’agissant d’une route départementale hors agglomération.
Il résulte de ces observations que M. [J] ainsi que les deux témoins confirment qu’il roulait à une vitesse excessive. Il s’agit d’une contravention, c’est à dire d’une faute.
Il est donc très probable qu’en cas de procédure judiciaire, le tribunal aurait retenu que M. [J] avait commis une faute et plus précisément un excès de vitesse.
Toutefois, comme le rappelle M. [J], il est de droit constant (ce qu’un assureur de dommages corporel d’accident de la circulation ne peut ignorer) que la faute du conducteur victime doit présenter un lien de causalité avec l’accident et il résulte des décisions produites qu’il a pu être jugé qu’une faute même grave (conduite sous l’empire d’un état alcoolique) ne justifiait pas une réduction du droit à indemnisation en l’absence de lien de causalité avec l’accident.
S’il pouvait être soutenu que la vitesse augmente la distance de freinage et rend d’autant plus difficile la maîtrise du véhicule à l’approche d’un obstacle, il pouvait tout autant être prétendu qu’une vitesse de 90 km/h n’aurait pas eu d’incidence sur la réalisation de l’accident compte tenu des circonstances rappelées précédemment.
Il résulte d’un courrier du 24 mars 2009 de la Matmut que celle-ci avait connaissance de la position de M. [J] d’accepter un partage de responsabilité, mais en conservant à sa charge un pourcentage de l’ordre de 25 à 40 %.
Le courrier fait état de la consultation d’un avocat par M. [J], mais aucune pièce ne montre que celui-ci a effectivement eu recours à un avocat. En particulier, aucun échange par courrier n’est intervenu avec un avocat représentant les intérêts de M. [J] et la transaction a donc été signée sans qu’un avocat n’intervienne.
Dans un courrier du 3 juillet 2009, la Matmut a indiqué à M. [J] que la proposition de limitation du droit à indemnisation de la Matmut à hauteur de 50 % lui semblait ‘acceptable’ considérant qu’il n’était ‘pas évident qu’un tribunal’ allouerait un droit à indemnisation plus favorable. Elle informe aussi M. [J] que le droit à indemnisation s’apprécie uniquement au regard des fautes commises et non par rapport au comportement de l’autre conducteur.
Il est en effet exact qu’il n’était ‘pas évident’ qu’un tribunal allouerait un droit à indemnisation plus favorable compte tenu des observations susvisées et que le droit à indemnisation de M. [J] devait être apprécié au regard des fautes qu’il avait pu commettre.
En revanche, à aucun moment, il n’est fait état de la question du lien de causalité entre la faute et l’accident survenu. Or, comme rappelé précédemment, une faute même grave peut ne pas entraîner de limitation du droit à indemnisation.
Les circonstances de l’accident permettaient de discuter ce lien de causalité.
En laissant entendre à M. [J], qu’il convenait uniquement de raisonner par rapport à l’existence d’une faute (que M. [J] reconnaissait au titre de l’excès de vitesse) alors que l’existence d’un lien de causalité avec l’accident pouvait être raisonnablement discutée, la Matmut n’a pas donné toutes les informations utiles à M. [J].
De même, malgré les observations susvisées sur la possibilité de contester de manière argumentée l’existence d’un lien de causalité entre l’excès de vitesse et l’accident, la Matmut n’a pas plus informé M. [J] de la possibilité de faire une contreproposition fondée sur une telle argumentation.
La Matmut a donc manqué à son obligation d’information et de conseil se rapportant à la limitation du droit à indemnisation.
Il est exact que l’accident est concomitant avec la manoeuvre de dépassement de M. [I] qui a indiqué qu’il n’avait pas vu la motocyclette de M. [J] qui le doublait.
Il résulte d’une étude produite par la Matmut qu’en cas de faute du conducteur en lien avec l’accident, les juges avaient tendance à l’époque à privilégier un droit à indemnisation réduit à hauteur de 50 %.
Il convient toutefois d’évaluer la perte de chance de M. [J] en tenant compte des circonstances précises de son accident et en considérant notamment qu’il existait une possibilité pour que le droit à indemnisation ait été total.
Compte tenu de ces observations, la perte de chance d’obtenir un droit à indemnisation totale de ses préjudices sera évaluée à 20 %.
Le défaut de conseil susvisé est donc à l’origine d’une perte de chance de 20 % pour M. [J] d’obtenir la seconde moitié de chacun des postes de préjudices.
On relèvera que le calcul opéré par le juge en première instance consistant à appliquer le pourcentage sur la totalité du préjudice est erroné. En effet, M. [J] a déjà été indemnisé de la moitié de son préjudice par la Gmf de telle sorte que la perte de chance doit être appliquée sur le gain manqué c’est à dire la seconde moitié (qu’il n’a pas perçue).
Sur le défaut de conseil afférent à l’évaluation des postes de préjudice :
Les différents postes de préjudices ont été évalués sur la base du rapport amiable du 13 septembre 2010 établi par le docteur [T] (missionné par la Matmut) et le docteur [Z] (missionné par la Gmf).
La Matmut qui n’a pas de compétence dans le domaine médical n’avait pas à remettre en cause les conclusions des deux médecins experts sauf à ce qu’il soit démontré qu’elle disposait d’éléments permettant à un professionnel de l’assurance du dommage corporel de constater que les conclusions des experts étaient erronées.
Par ailleurs, aucune indemnisation complémentaire n’est sollicitée au titre des préjudices d’agrément, esthétique temporaire et sexuel (non visés par la transaction) de telle sorte que l’existence d’un manquement de la Matmut sur ce point n’a aucune incidence sur la solution du litige.
Il est seulement demandé de surseoir à statuer sur ces postes.
Toutefois, aucun élément ne justifie de surseoir à statuer sur ces postes.
La demande de sursis sera rejetée.
Il convient donc d’examiner chacun des postes allégués (dans l’ordre des écritures de l’appelant) afin de déterminer si la Matmut a manqué à son obligation de conseil, et d’évaluer les préjudices subis afférents à chaque poste en lien avec les manquements retenus.
Sur les dépenses de santé (DPS) :
Les dépenses de santé ont été évaluées à 300 euros correspondant aux frais d’ambulance restés à charge de l’assuré. M. [J] prétend que n’a pas été prise en compte la somme complémentaire de 275,50 euros au titre des participations forfaitaires et franchises de soins de la Cpam et de la caisse nationale militaire de sécurité sociale.
La pièce n° 6.1 ne permet pas de relier les dépenses mentionnées et les soins en lien avec l’accident, le seul fait qu’il s’agisse de dépenses de 2008 à 2010 étant insuffisant.
En revanche, le relevé des débours de la Cpam du 24 juillet 2009 (soit un document établi avant la signature de la transaction) mentionne une participation de M. [J] aux dépenses de santé exposées en lien avec son accident à hauteur de 64,50 euros.
La Matmut n’a manifestement pas pris en compte ces éléments facilement vérifiables pour chiffrer le préjudice de son assuré dans le cadre de la transaction.
Elle a ainsi manqué à ses obligations.
Si elle avait pris en compte ces éléments, il est très problable que les dépenses de santé auraient été évaluées à hauteur d’une somme supérieure de 64,50 euros. La perte de chance d’obtenir cette somme supplémentaire sera fixée à hauteur de 90 %.
Compte tenu de l’existence de la perte de chance liée au défaut de conseil afférent au droit à indemnisation, il convient d’y ajouter 20 % de la seconde moitié de cette somme conformément aux principes rappelés précédemment outre 20 % de la moitié de 300 euros (puisqu’il n’a perçu que 150 euros sur les 300 euros correspondant au préjudice tel qu’évalué).
Ainsi, le préjudice subi par M. [J] au titre des dépenses de santé consécutif aux manquements de la Matmut doit être calculé comme suit : (90 % x [50 % de 64,50 euros + 20 % de 50 % de 64,50 euros]) + 20 % de 150 euros = 34,83 euros + 30 euros = 64,83 euros.
En conclusion, le préjudice subi par M. [J] au titre des dépenses de santé en lien avec les défauts de conseil de la Matmut se rapportant à l’évaluation de ce préjudice ainsi qu’à la réduction du droit à indemnisation s’élève à 64,83 euros à la date de la transaction, soit 71,38 euros à la date de l’arrêt (après réévaluation à la date de l’arrêt en fonction de l’évolution des prix à la consommation sur la période 2011/2022).
– Sur le déficit fonctionnel temporaire (DFT) :
Il est soutenu que ce déficit fixé à la somme globale de 12505 euros aurait dû être évalué sur la base de 23,08 euros par jour de déficit fonctionnel temporaire total au lieu de 20 euros par jour.
M. [J] produit de décisions de justice qui ont évalué le déficit fonctionnel temporaire sur la base de 20 à 25 euros par jour de déficit fonctionnel temporaire (en moyenne 23 euros/jour).
Tout d’abord, ces décisions sont insuffisantes pour établir que le déficit fonctionnel temporaire total était systématiquement évalué entre 20 et 25 euros par jour en 2009/2011.
En l’absence d’étude complète sur les arrêts des cours d’appel rendus à l’époque, les quelques décisions produites (qui ont été choisies par l’appelant) ne peuvent être considérées comme établissant une base d’indemnisation systématiquement appliquée par les juridictions du fond en 2009/2011.
En outre, la Matmut produit deux décisions de 2011 et 2014 ayant indemnisé le DFT sur une base de 13,33 euros et 18 euros.
Par ailleurs, l’offre de la Gmf fait partie de la fourchette d’indemnisation des décisions produites.
En conclusion, il n’est pas démontré que cette offre était manifestement incohérente avec les évaluations habituellement retenues par les juges du fond.
Compte tenu de ces observations, la Matmut n’a pas manqué à ses obligations de conseil et d’information concernant l’évaluation du déficit fonctionnel temporaire.
En revanche, M. [J] a perdu une chance d’être indemnisé en totalité de ce préjudice en raison du défaut de conseil de la Matmut sur le droit à indemnisation comme rappelé précédemment.
Aux termes de la transaction, M. [J] a obtenu 6253 euros au lieu de 12505 euros en cas d’indemnisation totale.
Le préjudice de M. [J] au titre de l’indemnisation du déficit fonctionnel temporaire consécutif au défaut de conseil se rapportant à la limitation du droit à indemnisation s’élève donc à 1250,60 euros à la date de la transaction (soit 20 % de ce qu’il aurait eu en plus pour ce poste en cas d’indemnisation intégrale c’est à dire 20 % de 6253 euros), soit après réévaluation à la date de l’arrêt compte tenu de l’érosion monétaire sur la base de l’évolution des prix à la consommation entre 2011 et 2022 : 1376,91 euros.
– Sur le déficit fonctionnel permanent (DFP) :
M. [J] soutient que ce préjudice fixé à la somme globale de 143 100 euros aurait dû être évalué sur la base de 3200 euros du point d’incapacité au lieu de 2700 euros compte tenu du taux d’incapacité retenu (53 %) et de l’âge de M. [J] à la date de la consolidation (21 ans).
M. [J] produit 15 décisions de justice et un tableau intitulé ‘étude de jurisprudence’ renvoyant à 23 décisions rendues entre 2007 et 2013 ayant calculé ce poste de préjudice pour des victimes âgées de 18 à 30 ans présentant un déficit fonctionnel permanent compris entre 40 % et 60 %, sur une base de 2500 euros à 3683 euros du point.
Il est en outre produit un référentiel indicatif de l’indemnisation du préjudice corporel de novembre 2011 concernant 15 cours d’appel (hors cour d’appel de Caen) ainsi que différents barèmes d’indemnisation de cours d’appel (Lyon, Toulouse, Chambéry)
Tout d’abord, en l’absence de transaction, le litige aurait relevé de la cour d’appel de Caen et non des cours susvisés.
Ensuite, l’offre de la Gmf fait partie de la fourchette d’indemnisation des décisions produites en particulier celle des années 2007 et 2008. Par exemple, la cour d’appel de Besançon a retenu une valeur du point de 2500 euros pour un DFP de 52 % et une victime âgée de 19 ans à la date de consolidation en septembre 2008, c’est à dire pour une victime dont la situation était très proche de celle de M. [J].
De même, le barème de la cour d’appel de Lyon de 2010 mentionne une valeur de 2800 euros du point pour un DFP de 51 à 55 % et un âge de 21/30 ans au moment de la consolidation.
Enfin, on relèvera qu’il est inexact d’affirmer que M. [J] avait 21 ans à la date de consolidation fixé au 26 août 2010 puisqu’il avait en réalité 23 ans et 11 mois (soit pratiquement 24 ans), étant né le [Date naissance 4] 1986.
En conclusion, il n’est pas démontré que l’offre de la Gmf était manifestement incohérente avec les évaluations habituellement retenues par les juges du fond.
Compte tenu de ces observations, la Matmut n’a pas manqué à ses obligations de conseil et d’information concernant l’évaluation du déficit fonctionnel permanent.
En revanche, M. [J] a perdu une chance d’être indemnisé en totalité de ce préjudice en raison du défaut de conseil de la Matmut sur le droit à indemnisation comme rappelé précédemment.
Aux termes de la transaction, M. [J] a obtenu 71 550 euros au lieu de 143 100 euros en cas d’indemnisation totale.
Le préjudice de M. [J] au titre de l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent consécutif au défaut de conseil se rapportant à la limitation du droit à indemnisation s’élève donc à 14 310 à la date de la transaction (c’est à dire 20 % de ce qu’il aurait eu en plus pour ce poste en cas d’indemnisation intégrale soit 20 % de 71 550 euros), soit après réévaluation à la date de l’arrêt compte tenu de l’érosion monétaire sur la base de l’évolution des prix à la consommation entre 2011 et 2022 : 15 755,31 euros.
Sur les souffrances endurées :
Il est soutenu que les souffrances endurées fixées à 15000 euros auraient dû être évaluées à hauteur de 35 000 euros puisque les experts ont fixé ce poste à 5/7.
M. [J] se réfère à 23 décisions de justice rendues de 2007 à 2013 ayant fixé les souffrances endurées à des sommes allant de 15 000 euros à 35 000 euros.
Tout d’abord, ces décisions sont insuffisantes pour établir que des souffrances endurées fixées par les experts à 5/7 étaient systématiquement évaluées entre 15 000 euros et 35 000 euros.
En l’absence d’étude complète sur les arrêts des cours d’appel rendus à l’époque, les quelques décisions produites (qui ont été choisies par l’appelant) ne peuvent être considérées comme établissant une base d’indemnisation systématiquement appliquée par les juridictions du fond en 2009/2011 (étant constaté que certaines décisions sont d’ailleurs postérieures à la date de la transaction).
Ensuite, l’offre de la Gmf fait partie de la fourchette d’indemnisation des décisions produites.
En conclusion, il n’est pas démontré que l’offre de la Gmf était manifestement incohérente avec les évaluations habituellement retenues par les juges du fond.
Compte tenu de ces observations, la Matmut n’a pas manqué à ses obligations de conseil et d’information concernant l’évaluation des souffrances endurées.
En revanche, M. [J] a perdu une chance d’être indemnisé en totalité de ce préjudice en raison du défaut de conseil de la Matmut sur le droit à indemnisation comme rappelé précédemment.
Aux termes de la transaction, M. [J] a obtenu 7 500 euros au lieu de 15 000 euros en cas d’indemnisation totale.
Le préjudice de M. [J] au titre de l’indemnisation des souffrances endurées, consécutif au défaut de conseil se rapportant à la limitation du droit à indemnisation s’élève donc à 1500 euros à la date de la transaction (soit 20 % de ce qu’il aurait eu en plus en cas d’indemnisation intégrale de ce poste, c’est à dire 20 % de 7500 euros), soit après réévaluation à la date de l’arrêt compte tenu de l’érosion monétaire sur la base de l’évolution des prix à la consommation entre 2011 et 2022 : 1651,50 euros.
– Sur le préjudice esthétique permanent :
Il est soutenu que le préjudice esthétique permanent aurait dû être évalué à hauteur de 18 000 euros au lieu de 7 500 euros puisque les experts ont fixé ce poste à 4/7.
M. [J] produit quatre décisions de justice rendues en 2009 ainsi qu’un document diffusé par Dalloz mentionnant les indemnisations allouées en matière de préjudice corporel dans six affaires entre 2008 et 2013. Il en résulte que le préjudice esthétique évalué par les experts à 4/7 a pu être évalué à hauteur de 8 000 euros à 30 000 euros.
Tout d’abord, ces décisions sont insuffisantes pour établir qu’un préjudice esthétique permanent pour un homme de l’âge de M. [J] à la date de consolidation et fixé par les experts à 4/7 était systématiquement évalué entre 8 000 euros et 30 000 euros en 2009/2011.
On relèvera d’ailleurs que la somme de 30 000 euros très supérieure aux autres évaluations, a été retenue dans un arrêt qui s’est contenté de confirmer l’accord des parties sur ce point.
En l’absence d’étude complète sur les arrêts des cours d’appel rendus à l’époque, les quelques décisions produites qui ont été choisies par l’appelant ne peuvent être considérées comme établissant une base d’indemnisation systématiquement appliquée par les juridictions du fond en 2009/2011 (étant constaté que certaines d’entres elles sont d’ailleurs postérieures à la date de la transaction).
Ensuite, l’offre de la Gmf fait partie de la fourchette d’indemnisation des décisions produites.
En conclusion, il n’est pas démontré que l’offre de la Gmf était manifestement incohérente avec les évaluations habituellement retenues par les juges du fond.
Compte tenu de ces observations, la Matmut n’a pas manqué à ses obligations de conseil et d’information concernant l’évaluation du préjudice esthétique permanent.
En revanche, M. [J] a perdu une chance d’être indemnisé en totalité de ce préjudice en raison du défaut de conseil de la Matmut sur le droit à indemnisation comme rappelé précédemment.
Aux termes de la transaction, M. [J] a obtenu 4000 euros au lieu de 8 000 euros en cas d’indemnisation totale.
Le préjudice de M. [J] au titre de l’indemnisation du préjudice esthétique permanent, consécutif au défaut de conseil se rapportant à la limitation du droit à indemnisation s’élève donc à 800 euros à la date de la transaction (soit 20 % de ce qu’il aurait eu en plus en cas d’indemnisation intégrale de ce poste, soit 20 % de 4000 euros), soit après réévaluation à la date de l’arrêt compte tenu de l’érosion monétaire sur la base de l’évolution des prix à la consommation entre 2011 et 2022 : 880,80 euros.
Sur le besoin en tierce personne :
L’aide humaine doit être évaluée en considération du besoin et non de la dépense. En outre, elle n’a pas à être réduite au motif qu’elle est assumée par un membre de la famille ou un proche. Enfin, elle devait être évaluée dans le cas présent à la date de la transaction, c’est à dire le 10 mai 2011.
Le besoin en aide humaine a été évalué à 5 415 euros au titre des arrérages échus pour la période allant de la date de l’accident jusqu’au 27 août 2010, puis à hauteur d’un capital de 56703 euros pour la période à compter du 27 août 2010 calculé sur la base d’un besoin en aide humaine de 3 heures par semaine.
Les experts ont évalué le besoin en aide humaine à 10 heures par semaine pendant les six premiers mois après l’accident (soit 1 heure 25 mn par jour), puis 3 heures par semaine.
Le taux horaire retenu a été fixé à 10 euros de l’heure pour les 26 premières semaines, puis 11 euros de l’heure jusqu’à la consolidation et enfin 13 euros de l’heure avec une capitalisation sur la base d’une valeur de l’euro de rente annuelle viagère de 25,963.
M. [J] conteste à la fois les bases retenues par les experts, le taux horaire ainsi que le barème de capitalisation appliquée.
– sur les évaluations des experts :
La Matmut ne dispose pas de compétences médicales de telle sorte qu’il appartient à M. [J] de démontrer qu’elle disposait d’éléments lui permettant de constater que les conclusions des experts étaient erronées sur son besoin en aide humaine.
M. [J] soutient tout d’abord que la Matmut aurait dû refuser l’évaluation des experts sur le besoin en aide humaine évaluée à 3 heures par semaine alors que ces mêmes experts constataient qu’il avait besoin d’une assistance pour l’habillage et la toilette ‘par définition quotidienne’.
Toutefois, cet élément n’est pas suffisant à établir une incohérence entre les constatations et conclusions des experts puisque leur évaluation aboutit à considérer que le besoin en habillage et toilette est évalué à 25 minutes par jour ce qui apparaît suffisant.
En outre, on constatera que le pré rapport d’expertise judiciaire déposé en 2021 auquel se réfère M. [J] fait lui même état d’un besoin en aide humaine de 6 heures ‘un jour sur deux’ du 15 septembre au 1er octobre 2008.
Par ailleurs, M. [J] fait état de rapports d’expertise et décisions rendues dans des affaires distinctes dont il résulte que le besoin en aide humaine en matière de plexus brachial est de 4 à 6 heures par jour (voire 10 heures par jour) avant consolidation, puis de 1 à 3 heures par jour après consolidation.
Toutefois, ces rapports et décisions sont insuffisants pour établir que le besoin en aide humaine était systématiquement évalué dans ces termes en 2009/2011 ce qui aurait dû conduire la Matmut à remettre en cause les conclusions des experts amiables.
Par ailleurs, il est prétendu que les éléments résultant des rapports d’expertise amiable et de l’expertise judiciaire ordonnée le 5 décembre 2016 (c’est à dire des documents établis après la transaction) permettent de considérer que le besoin en aide humaine de M. [J] a été sous-évalué dans le rapport amiable qui a servi de base pour établir la transaction.
Tout d’abord, il est seulement établi par le pré rapport d’expertise judiciaire que le besoin en aide humaine a été sous-évalué jusqu’au 1er octobre 2008 (c’est à dire avant consolidation), étant rappelé que les éléments des rapports non contradictoires du docteur [O] de 2014 et 2016 ne sont pas de nature à établir à eux-seuls la preuve d’une sous-évaluation médicales des préjudices.
Comme le rappelle M. [J] dans ses écritures, son besoin a été évalué par l’expert judiciaire à 6 heures par jour ou tous les deux jours, selon les périodes mais uniquement jusqu’au 1er octobre 2008, l’expert retenant outre un besoin de 4 heures par jour à compter de la consolidation de l’aggravation du dommage à compter du 8 février 2018.
En outre, il n’en résulte pas pour autant que la Matmut disposait à l’époque où la transaction a été signée, d’éléments lui permettant de remettre en cause les conclusions de l’expertise amiable.
Sur ce point, il convient de rappeler que la Matmut bien que professionnel de l’assurance du dommage corporel, ne dispose pas de compétences médicales et que le rapport d’expertise amiable a été rédigé par des médecins experts, c’est dire sous leur autorité.
Or, il ne résulte pas de la lecture du rapport de 2010 qu’il existait des éléments permettant à la Matmut de constater que leurs conclusions étaient manifestement erronées.
Par ailleurs, il est soutenu que la Matmut a conseillé à M. [J] d’accepter les conclusions des experts amiables car elle se trouvait en conflit d’intérêt.
Toutefois, cet élément ne permet pas plus de rapporter la preuve que la Matmut avait conscience que les conclusions des médecins experts auraient été erronées.
Enfin, il est prétendu que la Matmut aurait dû relever la présence d’un enfant pour majorer l’aide humaine.
Cependant, M. [J] ne démontre pas qu’en 2011, il était habituel pour les experts comme pour les juges du fond d’indemniser l’aide humaine en prenant en compte la présence de jeunes enfants à charge (les quelques décisions vantées étant insuffisantes pour ce faire).
En conclusion, M. [J] ne rapporte pas la preuve que la Matmut disposait à l’époque à laquelle la transaction a été élaborée puis signée, d’éléments lui permettant de constater que les conclusions des médecins experts étaient manifestement erronées ou incohérentes.
Aucun manquement ne sera donc retenu sur ce point à son encontre.
– sur le taux horaire et le barème de capitalisation :
En premier lieu, la Matmut aurait dû alerter M. [J] sur le fait qu’il était incohérent de retenir des taux horaires différents selon les périodes puisque le préjudice était indemnisé à la date de la transaction.
Elle aurait donc dû conseiller à M. [J] de solliciter un même taux horaire par jour pour toutes les périodes.
En deuxième lieu, le jugement a retenu que l’estimation du taux horaire était ‘particulièrement basse’ dans la mesure où M. [J] avait produit des factures ce qui aurait dû amener la Gmf à indemniser ce préjudice sur la base d’un tarif prestataire de service.
Cependant, le jugement ne fait état d’aucune pièce permettant de considérer que l’estimation du taux horaire était particulièrement basse par rapport à l’état de la jurisprudence en 2011. La cour ignore donc comment le tribunal est parvenu à cette conclusion.
Il est fait état de factures exposées pour l’aide humaine, mais aucune n’est versée aux débats.
La Matmut n’a donc pas manqué à ses obligations pour ce qui concerne l’évaluation du taux horaire à hauteur de 13 euros. Elle a en revanche manqué à ses obligations pour les deux autres évaluations à hauteur de 10 et 11 euros.
En troisième lieu, il est établi que la Gmf a proposé d’indemniser l’aide humaine pendant les six premiers mois sur une base de 4 heures par semaine alors que les experts proposaient 10 heures par semaine.
La Matmut ne pouvait ignorer cette discordance. Elle aurait donc dû solliciter une indemnisation sur la base de 10 heures par semaine conformément aux conclusions des experts amiables.
En quatrième et dernier lieu, il est exact qu’en sa qualité d’assureur de dommages corporels, la Matmut était censée être informée des nouveaux barèmes diffusés par la gazette du palais.
Cependant, dans le cas présent, le barème allégué a été publié le 5 mai 2011, soit moins d’une semaine avant la signature de la transaction.
Aucune faute ne peut donc être reprochée à la Matmut à cet égard.
Par ailleurs, il n’est pas justifié que l’application du barème de la gazette du palais 2004 utilisé, n’était manifestement pas conforme à la jurisprudence de l’époque.
La Matmut n’a donc pas manqué à ses obligations au titre du barème de capitalisation.
En conclusion, la Matmut a manqué à ses obligations de conseil et d’information en ce qui concerne le calcul du préjudice afférent au besoin en aide humaine en acceptant un taux horaire différent selon les périodes et en ne relevant pas la discordance entre le nombre d’heures d’aide retenu par les experts sur les six premiers mois et la proposition de la Gmf.
Le préjudice en résultant est une perte de chance d’avoir pu obtenir une évaluation supérieure au titre du besoin en tierce personne pour la période antérieure à la consolidation, soit : (26 semaines x 10 heures x 13 euros) + (85 semaines x 3 heures x 13 euros) = 3380 euros + 3315 euros = 6695 euros – 5415 euros = 1280 euros.
La perte de chance d’avoir pu obtenir une évaluation supérieure de 1280 euros au titre de l’aide humaine avant consolidation sera évaluée à 90 %.
Compte tenu de l’existence de la perte de chance liée au défaut de conseil afférent au droit à indemnisation, le préjudice global subi par M. [J] consécutif aux manquements relevés au titre du droit à indemnisation et de l’évaluation du besoin en aide humaine pour la période antérieure à la consolidation s’élève donc à : 90 % x [(1280 euros x 50 %) + (1280 euros x 50 % x 20 %)] = 90% de (640 euros + 128 euros) = 691,20 euros à la date de la transaction soit après réévaluation à la date de l’arrêt compte tenu de l’érosion monétaire sur la base de l’évolution des prix à la consommation entre 2011 et 2022: 761,01 euros.
En outre, le préjudice subi par M. [J] consécutif aux manquements relevés au titre du droit à indemnisation se rapportant au besoin en aide humaine pour la période postérieure à la consolidation s’élève à 28352 euros x 20 % = 5670,40 euros à la date de la transaction soit après réévaluation à la date de l’arrêt compte tenu de l’érosion monétaire sur la base de l’évolution des prix à la consommation entre 2011 et 2022 : 6243,11 euros.
Sur l’aménagement du véhicule et le renouvellement capitalisé :
Il est soutenu que le préjudice afférent à l’aménagement du véhicule fixé à 12359 euros n’a pas été calculé correctement.
Tout d’abord, on relèvera que le calcul de M. [J] aboutissant à évaluer son préjudice à 109742,91 euros est erroné en ce sens que le préjudice ne correspond pas au coût d’achat d’un véhicule neuf, mais au surcoût lié à la nécessité d’adapter le véhicule à son handicap (outre le coût d’achat d’un premier véhicule évalué à 8000 euros).
Ensuite, les modalités de calcul ayant abouti à évaluer le préjudice à la somme de 12359 euros ne sont pas détaillées, ni établies par les pièces vantées n° 11.1 à 11.5.
Enfin, on relèvera que si l’on ajoute le coût d’achat du premier véhicule à hauteur de 8000 euros (comme M. [J] l’indique), que l’on déduit la valeur résiduelle de sa moto (dont il n’est pas démontré qu’elle n’avait plus aucune valeur, soit une valeur résiduelle de 1000 à 2000 euros) et que l’on y ajoute le surcoût d’aménagement du véhicule (soit 1264,70 euros tous les sept ans ou 180,67 euros par an à capitaliser sur une base d’un prix de l’euro de rente viagère de 25,922), on obtient un préjudice évalué à une somme de l’ordre de 11 000 euros (alors que le préjudice a été évalué à hauteur de 12359 euros).
Aucun manquement ne sera donc retenu à l’encontre de la Matmut au titre de ce poste de préjudice.
En revanche, le préjudice subi par M. [J] consécutif aux manquements relevés au titre du droit à indemnisation pour le poste aménagement du véhicule s’élève à 20 % de la somme supplémentaire qu’il aurait pu avoir en cas d’indemnisation intégrale, soit 20 % de 6179 euros = 1235,84 euros à la date de la transaction, soit après réévaluation à la date de l’arrêt compte tenu de l’érosion monétaire sur la base de l’évolution des prix à la consommation entre 2011 et 2022 : 1360,66 euros.
Sur la condamnation :
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la Matmut à payer à M. [J] la somme de 68572 euros en réparation de son préjudice résultant des manquements à son obligation de conseil avec intérêts à compter du 6 octobre 2016.
Statuant à nouveau, la Matmut sera condamnée à payer à M. [J] les sommes suivantes au titre de ses préjudices en lien avec les manquements de la Matmut pour chacun des postes visés dans la transaction :
– 71,38 euros (dépenses de santé)
– 1376,91 euros (déficit fonctionnel temporaire)
– 15755,31 euros (déficit fonctionnel permanent)
– 1651,50 euros (souffrances endurées)
– 880, 80 euros (préjudice esthétique permanent)
– 761,01 euros (aide humaine avant consolidation)
– 6243,11 euros (aide humaine après consolidation)
– 1360,66 euros (aménagement véhicule)
soit une somme globale de 28 100,68 euros (avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt).
Sur la majoration du capital maximum de base et du capital maximum complémentaire :
M. [J] prétend que si le besoin en aide humaine avait été évalué correctement, c’est à dire à plus de deux heures par jour, la Matmut aurait dû lui verser une indemnité complémentaire de 6710,60 euros.
Cette majoration se rapporte à l’incapacité permanente partielle et donc à la période post-consolidation. Or, comme rappelé précédemment, il n’est pas démontré que le besoin en aide humaine après consolidation (et avant aggravation des séquelles qui fait l’objet de l’expertise judiciaire) était de deux heures par jour au minimum.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnisation afférente au capital de base.
Aucun élément ne justifie d’ordonner un sursis à statuer sur le capital complémentaire. La demande afférente sera rejetée.
Sur la publication de la décision :
Il est demandé d’ordonner la publicité de la présente décision dans trois journaux quotidiens nationaux aux frais de la Matmut.
Toutefois, les manquements retenus à l’encontre de la Matmut ne revêtent pas un caractère d’exemplarité susceptible de justifier une telle publication alors qu’ils ne se rapportent qu’à la transaction de M. [J].
La demande de publication de la décision sera donc rejetée.
Sur les dépens et frais irrépétibles :
Le jugement étant partiellement confirmé, il sera aussi confirmé sur les dépens et frais irrépétibles.
Succombant en cause d’appel, M. [J] sera condamné aux dépens afférents.
Il est équitable de débouter les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Statuant par arrêt réputé contradictoire, rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe ;
Infirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la Matmut à payer à M. [J] la somme de 68572 euros en réparation de son préjudice avec intérêts à compter de la signification de la décision ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la Matmut à payer à M. [J] les sommes suivantes au titre de ses préjudices en lien avec les manquements de la Matmut pour chacun des postes visés dans la transaction :
– 71,38 euros (dépenses de santé)
– 1376,91 euros (déficit fonctionnel temporaire)
– 15755,31 euros (déficit fonctionnel permanent)
– 1651,50 euros (souffrances endurées)
– 880, 80 euros (préjudice esthétique permanent)
– 761,01 euros (aide humaine avant consolidation)
– 6243,11 euros (aide humaine après consolidation)
– 1360,66 euros (aménagement véhicule)
soit une somme globale de 28 100, 68 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt ;
Dit que les intérêts dus pour au moins une année entière produiront eux-mêmes intérêts au taux légal ;
Condamne M. [J] aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct au profit des avocats de la cause ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
M. COLLETG. GUIGUESSON