Producteur délégué : décision du 26 juin 2015 Cour d’appel de Paris RG n° 13/03179
Producteur délégué : décision du 26 juin 2015 Cour d’appel de Paris RG n° 13/03179
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Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 26 JUIN 2015

(n° , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 13/03179

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Février 2013 -Tribunal de Commerce de PARIS 04 – RG n° 2010044835

APPELANTE

SAS VERTIGO HOLDING nouvellement dénommée VERTIGO PRODUCTIONS, immatriculée au R.C.S de Paris sous le n°412.834.400 et venant aux droits de la société VERTIGO PRODUCTIONS immatriculée au R.C.S de Paris sous le°451.368.302, agissant en la personne de ses représentans légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée par Me Lorenzo VALENTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1498

INTIMEES

SA ORANGE STUDIO (ANCIENNEMENT STUDIO 37) agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Adresse 3]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Représentée par Me Jean-Michel ISCOVICI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0165

SARL ELIA FILMS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 3]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING – DURAND – LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Représentée par Me Sébastien HAAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2251

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Avril 2015, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Janick TOUZERY-CHAMPION, Président de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Janick TOUZERY-CHAMPION, Président de chambre

Paul André RICHARD, Conseiller Hors Hiérarchie,

Marie-Annick PRIGENT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Janick TOUZERY-CHAMPION, président et par Mme Patricia DARDAS, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Les Sarl ELIA FILMS et VERTIGO PRODUCTIONS exercent des activités cinématographiques de production déléguée, de coproduction, d’exportation, vente internationale et de distribution en France.

La société Studio 37 a pour activité principale la coproduction cinématographique de longs métrages ; filiale spécialisée de la société France Télécom, elle investit des fonds dans des coproductions, sans assurer la production exécutive ou déléguée.

Le 11 juillet 2007, les sociétés Elia Films et Vertigo Productions ont signé un contrat de production déléguée pour le film ‘SANS ARME, NI HAINE NI VIOLENCE’ de [V] [N] et [Z] [O], auteurs scénaristes, traitant de la vie d'[R] [D]. Après avoir proposé à la SA Studio 37 de participer à la production et à l’exploitation de ce film, elles ont signé avec cette dernière le 7 décembre 2007 un contrat de production, puis un mandat de distribution du film en salles, un co-mandat de ventes internationales et un contrat d’exploitation vidéo du film.

Le film a été tourné d’août à octobre 2007 puis est sorti en salles en France le 16 avril 2008 ; en août 2012 il avait réalisé 350.506 entrées.

Reprochant aux sociétés Elia Films et Vertigo Productions des manquements à leurs engagements tenant au budget du film, à son financement, à la rémunération des producteurs délégués, et estimant que le film ne correspond plus au scénario la société Studio 37 les a fait assigner par acte du 14 juin 2010 devant le Tribunal de commerce de Paris , lequel par :

– un premier jugement rendu le 20 septembre 2011 a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés Elia Films et Vertigo Productions, confirmé par arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 20 mars 2012 laquelle a débouté ces dernières de leurs contredits et confirmé la compétence de la juridiction consulaire,

– un second jugement rendu le 5 février 2013, sous le bénéfice de l’exécution provisoire à l’exception de la publication judiciaire, a :

condamné in solidum les SARL Elia Films et Vertigo Productions à payer à la SA Studio 37 la somme de 1.012.452€ à titre du trop perçu,

ordonné la publication judiciaire de cette décision dans les quatre journaux suivants Le Monde, Libération, Ecran Total et Le Film Français dans la limite de 5.000€ par publication, aux frais in solidum des sociétés Elia Films et Vertigo Productions,

condamné in solidum les SARL Elia Films et Vertigo Productions à payer à la SA Studio 37 la somme de 20.000€ en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de leurs autres prétentions,

Par écritures signifiées le 11 mars 2015, la société Vertigo Productions, appelante :

– sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Studio 37 de sa demande de condamnation au titre de la perte de chance qu’elle dit avoir éprouvée du fait du traitement qui aurait été réservé au scénario du film,

– souhaite l’infirmation des autres dispositions du jugement ,

– estime mal fondée la demande de la société Studio 37 au titre du surinvestissement dont la production du film aurait fait l’objet,

– à titre reconventionnel, réclame la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 50.000€à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile et celle de 20.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Selon conclusions signifiées le 30 mars 2015 la société Elia Films, intimée :

– demande la confirmation du jugement querellé en ce qu’il a débouté la société Studio 37 de sa demande de condamnation au titre de la perte de chance prétendument éprouvée du fait du traitement qui aurait été réservé au scénario du film,

– réclame l’infirmation des autres dispositions,

– estime que le courrier du 5 août 2008 de la société Orange Studio à l’attention du CNC emporte novation sur le montant définitif du film,

– constate l’absence de fautes contractuelles imputables à elle- même et à la société Vertigo Productions,

– exige le rejet de toutes les prétentions de la société Orange Studio et la condamnation de cette dernière à lui verser une somme de 30.000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Suivant écritures signifiées le 25 mars 2015 la société Orange Studio, anciennement dénommée Studio 37, intimée :

– sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a condamné in solidum les sociétés Elia Films et Vertigo Productions à lui payer la somme de 1.012.452€ à titre de dommages et intérêts et la somme de 20.000€ en vertu de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a ordonné la publication dudit jugement,

– estime que les sociétés Elia Films et Vertigo Productions ont enfreint leurs obligations contractuelles tirées du contrat de coproduction, du mandat de distribution du film en salles, du co-mandat de ventes internationales et du contrat d’exploitation vidéo du film et engagé leur responsabilité contractuelle,

– réclame l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande de réparation de perte de chance,

– souhaite la condamnation in solidum des sociétés Elia Films et Vertigo Productions à lui verser à titre de dommages et intérêts la somme de 1.015.000€ pour la perte de chance de réaliser un gain dont elle a été privée, et , la somme de 25.000€ par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– demande le rejet des autres prétentions.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes du contrat de coproduction du film ‘Sans Arme, ni haine ni violence’ passé le 7 décembre 2007 entre la société Studio 37, d’une part, et les sociétés Vertigo Productions et Elia Films, d’autre part, la première, après avoir pris connaissance et approuvé le scénario du film puis donné son accord sur le découpage technique, le devis et le plan de financement du filme, a accepté de coproduire ce film et de l’exploiter dans les conditions suivantes :

‘article 2: Devis et plan de financement du film :

Le devis du film sur lequel les parties ont donné leur accord est joint en annexe 1 et s’élève à Aucune augmentation ou modification du devis ne pourra être apportée, sans l’accord conjoint des parties 10.800.217€ HT.’

Article 2.2: Le plan de financement du film :

Aucune modification du plan de financement ne pourra être apportée, sans l’accord conjoint des parties’

Article 2.2.2: Apports en MG :

La société Studio 37 verse un minimum garanti sur la distribution des salles, vidéo, et étranger de 1.275.000€ HT

Article 2.2.3 Apports en coproduction :

le solde du devis restant à couvrir sera apporté par :

– les sociétés Vertigo et Elia versent un apport en coproduction de 4.170.218€ incluant le crédit d’impôt, le soutien financier investi et la mise en participation des frais généraux, du salaire producteur et des imprévus.

– la société Studio 37 verse un apport en coproduction de 425.000€,

Aux termes de l’article 4 ‘la production déléguée et exécutive est assurée par le producteur délégué sous sa responsabilité exclusive à l’égard des tiers et de Studio 37 ; il est prévu l’article 4.4 que ‘le producteur délégué prend en charge la gestion financière, administrative, juridique et comptable de la production du film ; il prend toute décision relative à la réalisation du film au mieux des intérêts communs sous réserve des caractéristiques essentielles du film exposées à l’article 1 et du droit d’approbation de Studio 37 visé à l’article 4.2’.

La société Studio 37, devenue Orange Studio, recherche la responsabilité contractuelle des deux sociétés Elia Films et Vertigo Productions, en leur reprochant les manquements suivants au contrat principal de coproduction et aux contrats d’exploitation secondaires qui en découlent :

– avoir présenté un devis de production de 10.800.000€ sciemment surévalué,

– avoir diminué unilatéralement le coût réel du film à 7.459.000€,

– avoir omis de réaliser les apports en coproduction qui devaient atteindre 4.170.218€ mais qui n’ont été que de 448.201€, sans le versement en numéraire de 200.000€ prévu contractuellement ni mise en participation de la rémunération ou des frais généraux des producteurs délégués,

– avoir doublé unilatéralement leur rémunération et avoir imputé au coût du film des dépenses indues.

Elle fait valoir, sur le fondement de l’article 1149 du code civil, que ces fautes contractuelles ont entraîné un déséquilibre financier à son détriment ainsi qu’une perte de chance que le film ait pu être présenté au public dans des conditions conventionnellement convenues et donc de réaliser une opération qui aurait pu lui être profitable.

La société Vertigo Productions critique la décision des premiers juges qui ont fixé eux-mêmes l’étendue des engagements financiers devant être mis à la charge des parties, procédant ainsi à la révision d’une convention en violation du principe de l’intangibilité des contrats et qui n’ont pas caractérisé le lien de causalité entre les fautes imputées et le dommage allégué. Elle réplique que selon l’accord cadre convenu avec [Adresse 5] qui fixe le montant de l’apport en diffusion sur la seule base du montant du devis , le montant prévu de 10.800.218€ devait permettre aux diffuseurs d’effectuer un apport plus élevé. Elle soutient que la société Studio 37/Orange Studio avait connaissance de la fausseté des éléments du devis, pratique très répandue dans le domaine de la production cinématographique. Elle objecte qu’il n’y a pas eu dénaturation du scénario du film. Elle considère que la société Orange Studio réclame en réalité une double indemnisation au titre d’un trop perçu et d’une perte de chance.

La société Elia Films ajoute que les obligations convenues entre les parties tenant au montant du devis et à celui de la participation des deux producteurs délégués au financement du film ont été novées par l’effet de la lettre du 5 août 2008 adressée par la société Studio 37 au Centre National de Cinéma et de l’image animée (CNC). Elle prétend également que les griefs tenant à l’imputation au coût du film d’une refacturation des frais du personnel propres aux deux sociétés ou au doublement de la rémunération au titre ‘des salaires producteurs’ n’étaient pas fautifs puisque non interdits par les clauses contractuelles. Enfin elle considère que le montant du budget est un élément secondaire des accords et que les droits de chacun doivent être définis par rapport à chaque source de financement en distinguant ‘apport producteur’ et ‘minimum garanti’.

Il est constant que la société Orange Studio a donné son accord pour un devis du film ‘Sans arme, ni haine ni violence’ s’élevant à la somme de 10.800.217€ HT, alors que le coût du film a été déclaré au CNC pour un montant de 7.459.309€ HT.

Si le montant du devis ne constitue pas une condition essentielle et déterminante de l’engagement de la société Orange Studio comme celles énoncées à l’article 1 du contrat du 7 décembre 2007 et ne figure pas davantage à l’article 14 comme condition dont l’inobservation permet de demander la résolution du contrat sans formalité, il n’en reste pas moins qu’il était prévu audit contrat ,en ses articles 2.1 et 6.2, qu’aucune modification ne pouvait être apportée au montant du devis et au plan de financement, sans l’accord des parties ; qu’en outre, aux termes de l’article 4.1 dudit contrat, le producteur délégué doit prendre ‘en charge la gestion financière, administrative, juridique et comptable de la production du film jusqu’à la livraison’ et ‘prend toute décision relative à la réalisation du film au mieux des intérêts communs’, de sorte que le producteur délégué (Vertigo Productions et Elia Films) doit démontrer avoir agi dans l’intérêt commun et non dans son intérêt propre, justifier de ses diligences auprès de ses partenaires, rendre compte de sa gestion conformément au droit commun du mandat. Ainsi la société Orange Studio est fondée à revendiquer un manquement des producteurs délégués aux dispositions contractuelles, en ce qu’ils n’ont pas sollicité son accord pour modifier le montant du devis du film et son financement, manquement dont il conviendra d’apprécier la gravité, les conséquences, le lien de causalité avec le préjudice allégué.

Pour sa défense, la société Elia Films oppose avoir été déchargée de son obligation de maintenir le budget initialement prévu dans la mesure où cette obligation s’est éteinte par l’effet novatoire du courrier envoyé le 5 août 2008 par la société Orange Studio au CNC.

Aux termes de l’article 1273 du code civil ‘la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l’opérer résulte clairement de l’acte’.

Au cas particulier, pour obtenir l’agrément de production et l’accès au soutien financier automatique prévu au contrat du 7 décembre 2007 dans les conditions du décret du 24 février 1999, il était indispensable pour la société Orange Studio d’informer le CNC du coût du film d’un montant de 7.459.309€ HT tel qu’il avait été porté à sa connaissance par le producteur délégué. Ainsi, a t-elle écrit dans cette correspondance du 5 août 2008 adressé au CNC ‘Nous vous confirmons que nous avons noté que le coût du film d’un montant de 7.459.309€ HT, qui a été porté à notre connaissance par le producteur délégué les sociétés Vertigo Productions et Elia Films.’

La teneur de cette lettre, le choix des mots utilisés ne peuvent en rien être analysés comme une approbation du coût final atteint par la production, ou, comme une volonté d’éteindre l’obligation ancienne, de créer une obligation nouvelle et de lier indissolublement extinction et création ; en effet la société Orange Studio n’a pas exprimé son accord sur le coût annoncé mais s’est limitée à transmettre l’information de son coût au CNC dans les conditions du décret précité. Elle a conservé son droit de mettre en oeuvre un contrôle annuel des décomptes d’exploitation, de demander des comptes à la production déléguée avec laquelle elle est liée par un mandat d’intérêt commun, ce qu’elle a au demeurant entrepris en février et mars 2009 .Le moyen tiré de la novation est par conséquent inopérant.

La société Vertigo Productions soutient également pour sa part que non seulement la société Orange Studio avait connaissance de la véritable enveloppe budgétaire du film mais c’est avec son accord que le budget aurait été surévalué aux fins d’obliger le diffuseur [Adresse 6] à effectuer un apport plus élevé.

Or, il importe de relever que la société Vertigo Productions ne justifie cette connaissance et cet accord de la part de la société Orange Studio que par une analyse personnelle des termes du contrat du 7 décembre 2007, à l’aide de comparatifs non étayés par des documents ; en effet, il ne peut être déduit de la clé de répartition des recettes du contrat de production, l’intention cachée des parties de se référer à un coût réel au lieu du coût annoncé, alors qu’il n’existe aucune règle établie de proportionnalité entre les apports réalisés et les recettes à venir, et en outre, la contrepartie du caractère factice du montant du budget pour la société Orange Studio n’est pas évidente car cela suppose qu’elle ait connaissance de l’accord cadre entre les sociétés [Adresse 6]. Par ailleurs, la réponse de la société TPS à la sommation interpellative du 5 octobre 2012 de la société Studio 37 met à néant l’argumentation de la société Vertigo Productions tenant à un faux devis permettant par fraude d’obtenir la perception par la coproduction du film d’un prix de droits de diffusion plus élevé que celui qui aurait du être atteint et également d’obtenir l’acquisition par la société [Adresse 6] d’un prix élevé de son droit de diffusion, puisque cette dernière a précisément démenti toutes les allégations de l’appelante, selon lesquelles elle aurait eu connaissance d’une surévaluation du montant du devis. Enfin, la simple circonstance que la société Orange Studio n’a pas réagi immédiatement après avoir eu connaissance du coût définitif du film en juillet 2007 ne saurait être la preuve qu’elle en avait connaissance, puisqu’elle attendait de réaliser un audit des comptes.

L’argumentation de la société Vertigo Productions ne peut en conséquence être retenue.

Les sociétés Vertigo Productions et Elia films objectent en tout état de cause que l’écart entre le devis d’un film et son coût est une pratique habituelle non ignorée par la société Orange Studio en sa qualité de professionnel de l’activité cinématographique.

Il ressort de l’étude versée aux débats et réalisée par le CNC que le coût définitif d’un film d’initiative française, tel que présenté à la commission d’agrément pour l’obtention de l’agrément de production, est en moyenne pour la période 2004 à 2011 inférieur de 8,9% au devis présenté en amont du tournage pour l’obtention de l’agrément des investissements; pour les films au budget compris entre 7 et 15 millions ce coût est inférieur de 9,2% au devis. Seule une journaliste [S] [Y] écrit que les budgets officiels des films français sont surévalués de 15 à 25% en moyenne, sans citer à propos de ce chiffre sa source. Il s’en déduit par conséquent que le pourcentage afférent au film ‘Sans arme, ni haine, ni violence’ de 30% de baisse par rapport au devis initial était, à tout le moins, inhabituel, bien au-delà de la norme, de sorte que cet argument n’est pas pertinent.

La société Orange Studio fait valoir que non seulement elle n’a pas donné son accord pour une diminution unilatérale du montant du devis du film, mais que les sociétés Vertigo Productions et Elia Films n’ ont pas réalisé leurs apports en coproduction, et en outre, ont doublé leur rémunération, sans l’en avertir, en contravention au contrat de production.

Il était prévu à l’article 2.1 de la convention que le salaire du producteur délégué serait plafonné à 600.000€, mais pour la rémunération distincte du producteur exécutif, aucune indication de son montant ; toutefois à l’annexe 1 a été porté le chiffre 670.000€ dans la colonne correspondant aux producteurs délégués et/ou exécutifs, de sorte que ce dernier chiffre peut être retenu.

Or, les comptes figurant dans la demande d’agrément de production font apparaître dans le poste catégorie ‘2.Personnel’ les rémunérations suivantes :

– 600.000€ pour les producteurs délégués,

– 635.000€ pour les producteurs exécutifs, dont 35.000€ de dépenses à l’étranger, ce qui constitue un quasi doublement de la rémunération non prévue contractuellement, si l’on se reporte au chiffre de 670.000€ et pour lequel l’accord de la société Orange Studio n’a pas été sollicité.

De même la diminution drastique des apports en coproduction des sociétés Vertigo Productions et Elia Films qui devaient atteindre la somme de 4.170.218€, sans avoir obtenu l’accord de la société Orange Studio, constitue une faute contractuelle.

Il est ainsi établi que les sociétés Vertigo Productions et Elia Films n’ont pas respecté leurs obligations en ne sollicitant pas l’accord de la société Orange Studio sur le montant du devis du film et sur le plan de financement du film, en contravention aux termes du contrat les liant.

La société Orange Studio fait valoir que non seulement que ces deux sociétés ont cherché à la tromper pour obtenir un surfinancement, mais qu’elles ont réalisé d’importantes économies, dont elles ont indûment tiré profit et ce au détriment de la qualité du film. Elle réclame en conséquence une indemnisation correspondant à un surplus de financement au seul profit des producteurs délégués d’un montant de 1.012.452€ ainsi que l’indemnisation d’une perte de chance résultant de la décision des sociétés Vertigo Productions et Elia Films de ne pas investir dans la production du film le montant des investissements initialement prévus, décision qui les a conduit à produire un film au rabais, la privant de l’opportunité de percevoir les recettes supplémentaires qu’elle était en droit d’espérer, soit selon elle une somme de 1.015.000€.

Les sociétés appelantes contestent ces prétentions et la décision des premiers juges qui ont recalculé les financements respectifs des parties en fonction du besoin de financement réel, ont modifié a posteriori l’économie de la convention, et ce, en méconnaissance des mécanismes de financement régissant la production cinématographique et en ne déterminant ni la nature de la faute reprochée, ni surtout le lien de causalité avec le préjudice invoqué.

Il est constant que les investisseurs déterminent le montant de leur financement non seulement en considération de critères économiques (tels que le devis), mais également en fonction de critères artistiques comme les noms du réalisateur, du scénariste et des interprètes, le sujet du film, l’écriture du scénario, qui constituent d’ailleurs dans le contrat du 7 décembre 2007 des conditions essentielles et déterminantes de l’engagement de la société Studio 37/Orange Studio, ou encore de critères objectifs comme la durée du film, sa nationalité ; en effet le budget d’un film n’est qu’un élément d’appréciation parmi d’autres qui peut permettre à un producteur de mesurer partiellement l’étendue du risque financier auquel est exposé le film, (d’ailleurs limité par la garantie de bonne fin qui pèse sur le producteur délégué laquelle oblige ce dernier à prendre en charge les dépassements éventuels) dans la mesure où le succès d’un film, qui est avant tout un produit artistique, est toujours soumis à un aléa. L’intimée produit elle-même une note (pièce 34) aux termes de laquelle elle conclut qu’un ‘partage des recettes déterminé en fonction du rapport entre investissement et devis du film ne constitue nullement une règle mais plutôt une exception acceptée par les investisseurs pour qui la récupération de leur investissement constitue un caractère accessoire’.

Au cas particulier, aucun élément n’est versé aux débats qui peut permettre de déterminer que les parties ont indissolublement lié le montant de l’investissement au montant du devis; de même, il est impossible de connaître quel serait le montant de l’investissement de la société Studio 37/Orange Studio en considération du seul critère économique, de savoir de quel montant elle aurait diminué son investissement , son apport en minimum garanti (MG) ou en coproduction, si elle avait connu le coût réel du film en décembre 2007 au regard des autres critères existants. Il ne saurait donc y avoir une corrélation mathématique absolue entre le coût d’un film et l’investissement souhaité.

A tort en conséquence, les premiers juges ont recalculé, de manière arbitraire, en fonction du besoin de financement réel établi en comparant le coût réel du film et les apports des diffuseurs, le trop perçu par les producteurs délégués, alors que le souhait d’investir dans un film résulte avant tout du choix d’un projet artistique, qui doit néanmoins présenter des conditions de rentabilité. D’ailleurs, en ne corrigeant pas le seuil de récupération de l’apport global et le montant de l’apport des diffuseurs lié au coût réel du film, le Tribunal n’a pas modifié le déséquilibre qu’il avait dénoncé.

La société Orange Studio considère également que l’ensemble de ces manquements au seul bénéfice des producteurs délégués (la diminution du financement du film, la moindre contribution des producteurs et l’auto attribution d’une rémunération quasi double) a eu pour conséquence la réalisation d’une oeuvre différente de celle prévue, empêchant que le film n’atteigne l’impact et le public potentiel, ainsi que le démontre, selon elle, l’examen du scénario et la lecture de la presse. Elle reproche une quarantaine de modifications dans les scènes du film visant le non respect des repères géographiques du scénario contractuel, l’abandon des scènes destinées à illustrer l’aspect luxueux de certains passages, la suppression d’importants éléments qui permettaient de reconstituer l’atmosphère de l’époque.

Mais force est de relever que les détails des modifications incriminées (choix de la décoration, plans retenus, situation géographique des scènes, nombre de figurants, suppression de chansons ou pauvreté des chansons, absence de luxe) ne procèdent nullement d’une réécriture du scénario et n’ont pas altéré la structure narrative de l’histoire, mais relèvent du simple traitement dont tout scénario fait l’objet au travers du prisme du réalisateur; en effet ,ces interventions de pure forme n’ont pu affecter la trame et la composition de l’oeuvre.

La société Orange Studio ne démontre pas davantage que les caractéristiques du film telles que prévues à l’article 1 du contrat du 7 décembre 2007 (réalisateur, scénariste, interprètes, durée du film…etc) n’auraient pas été respectées) conformément à l’article 4.2 du contrat du 7 décembre 2007 qui stipule que ‘le producteur délégué fera son affaire des exigences des auteurs afin que le film livré soit conforme aux caractéristiques définies à l’article 1 (…)’

IL était également prévu à cet article 4.2 que la société ‘Studio 37 visionnera le montage intermédiaire et le montage final avant mixage, afin de s’assurer que le film réalisé correspond au projet approuvé par Studio 37 au jour du contrat’.

Or cette dernière n’établit nullement avoir manifesté des réserves quelconques sur la qualité du travail aux différentes étapes de sa fabrication et n’a jamais avant l’introduction du présent litige fait part de son désaccord sur des modifications de fond substantielles au scénario qui n’auraient pas été portées à sa connaissance alors que l’article 4.2 précisait que ‘dans l’hypothèse où des modifications de fond substantielles au scénario étaient apportées, celles-ci devront être portées immédiatement à la connaissance de Studio 37 par le producteur délégué et être soumises à son approbation préalable et écrite’, ce qu’elle n’aurait pas manqué de faire lors du visionnage, si elle avait remarqué de telles modifications de fond substantielles.

A juste titre, les premiers juges ont retenu que la société Orange Studio n’apportait aucun élément permettant d’établir que la baisse du budget du film aurait eu un impact sur les recettes du film, ni même que les recettes générées par le film seraient inférieures aux recettes escomptées, la rentabilité d’un film ne dépend pas nécessairement de son coût.

Si le cumul de l’indemnisation de la perte de chance et de l’indemnisation du trop perçu est possible lorsqu’il s’agit d’indemniser deux préjudices distincts qui ont pour cause des manquements différents, il ne l’est plus si la cause est unique. En l’espèce, la société Orange Studio se plaint, en définitive, de ce que les économies réalisées de plusieurs manières par les producteurs délégués ont nécessairement diminué la qualité du film, qui n’a pas eu de ce fait le succès escompté. Mais elle ne saurait, à la fois, solliciter une compensation pour avoir surinvesti dans ce film et un gain qui serait égal à celui escompté du fait du surinvestissement.

Le principe selon lequel la société Studio 37/Orange Studio aurait investi des sommes uniquement en fonction du montant du budget initialement prévu n’est pas prévu au contrat et n’est nullement démontré. Ses contributions financières ont d’ailleurs une nature juridique et une contrepartie financière différentes de sorte que le montant de chacune était susceptible de modifications n’allant pas dans le même sens, puisque son apport en coproduction d’un montant de 425.000€ ouvre droit à une quote part de recettes et une part de propriété indivise sur tous les éléments du film, alors que son apport en MG de 1.275.000€ HT ouvre droit à des commissions et redevances fixées par mandat.

Au regard des caractéristiques du projet (intérêt et originalité du sujet, la notoriété des acteurs, du réalisateur qui constituent le potentiel commercial du film) qui ont été sauvegardés, le fait de n’avoir pas demandé à la société Studio 37/0range Studio son accord pour modifier le montant du devis et le plan de financement a fait perdre à cette dernière une chance sérieuse de pouvoir modifier le montant de son investissement global de 1.700.000€, au vu de l’estimation du risque qu’elle prenait et des profits potentiels qu’elle pouvait escompter, qui lui ouvre droit à l’allocation de dommages et intérêts que la Cour évalue au vu des éléments d’appréciation dont elle dispose à la somme 300.000€.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Dans ces conditions, il ne saurait être fait droit à la demande en paiement de la société Vertigo Productions de la somme de 50.000€ à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile.

Il n’existe aucun motif légitime permettant de faire droit à la demande de publication du présent arrêt dans divers journaux ; cette demande ne peut donc prospérer.

En revanche, l’équité commande d’allouer à la société Orange Studio une indemnité de 20.000€ en vertu de l’article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d’appel ; les demandes des autres parties sur ce même fondement ne seront pas accueillies.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement rendu le 5 février 2013 par le Tribunal de commerce de Paris.

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum les sociétés Vertigo Productions et Elia Films à payer à la société Orange Studio la somme de 300.000€ à titre de dommages et intérêts en réparation d’une perte de chance

Condamne in solidum les sociétés Vertigo Productions et Elia Films à payer à la société Orange Studio la somme à payer à la société Orange Studio la somme de 20.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne in solidum les sociétés Vertigo Productions et Elia Films aux dépens.

Le Greffier Le Président

 


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