Prêt illicite de main d’oeuvre : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/04193

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Prêt illicite de main d’oeuvre : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/04193
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C 9

N° RG 21/04193

N° Portalis DBVM-V-B7F-LB7P

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELEURL Société d’Exercice libéral d’Avocat ISNAH

la SELARL DELGADO & MEYER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 28 SEPTEMBRE 2023

Appels d’une décision (N° RG 20/00084)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BOURGOIN JALLIEU

en date du 14 septembre 2021

suivant déclarations d’appel du 05 octobre 2021 et du 6 octobre 2021

Jonction prononcée le 16 décembre 2021, de la procédure N° RG 21/04234 sous le N° RG 21/04193

APPELANTE :

SASU SAFT, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Paul VAN DETH de la SELEURL Société d’Exercice libéral d’Avocat ISNAH, avocat au barreau de PARIS

INTIME :

Monsieur [I] [W]

né le 05 avril 1973 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Eladia DELGADO de la SELARL DELGADO & MEYER, avocat au barreau de LYON substituée par Me Vanille LABORIE, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 juin 2023,

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport, et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 28 septembre 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L’arrêt a été rendu le 28 septembre 2023.

EXPOSE DU LITIGE’:

La société anonyme (SA) Saft Groupe est une société holding, détenant plusieurs entités dont la société par actions simplifiée (SAS) Saft et la société allemande Tadiran.

M. [I] [W], né le 5 avril 1973, a été destinataire d’une lettre d’embauche en date du 19 décembre 2007 ayant pour objet un poste de responsable des ventes au sein de la société allemande Tadiran.

En date du 25 février 2008, M. [I] [W] a signé un contrat de travail à durée indéterminée à effet au 1er mars 2008, avec la SAS Saft, en qualité de responsable des ventes France, statut cadre, pour vendre des produits de la marque Tadiran Batteries.

Le contrat est soumis à la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Par email en date du 12 décembre 2018, M. [I] [W] a sollicité du directeur des ressources humaines de la SAS Saft de régulariser sa situation concernant sa rémunération qui n’était pas accordée à celle des autres salariés de la société.

Par email en date du 25 mars 2019, le directeur des ressources humaines de la SAS Saft a indiqué à M. [I] [W] qu’il ne pouvait pas bénéficier des règles applicables au sein de la SAS Saft dès lors qu’il était salarié de la société allemande Tadiran, la SAS Saft ne s’occupant que de l’administration de son contrat de travail.

De cette situation est né le litige opposant M.'[I] [W] à la SAS Saft.

Par requête en date du 22 janvier 2020, M. [I] [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Bourgoin-Jallieu à l’encontre de la SAS Saft afin de voir reconnaître l’existence d’une relation salariée avec cette dernière et d’obtenir réparation des préjudices découlant de la mauvaise exécution du contrat par l’employeur ainsi que des rappels de primes de fin d’année.

La société Saft s’est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 14 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Bourgoin-Jallieu a’:

– dit et jugé que M.'[I] [W] est lié à la SAS Saft par un contrat de travail’;

– dit et jugé que M.'[I] [W] est exclusivement un salarié Saft’;

– dit et jugé que l’ensemble des droits et avantages dont bénéficie les salariés Saft doivent s’appliquer à M.'[I] [W]’;

– dit et jugé que la société Saft à exécuté le contrat de travail de manière déloyale’;

– fixé le salaire moyen de M.'[I] [W] à 6.429,64 €’;

En conséquence :

– condamné la SAS Saft à verser à M.'[I] [W] la somme de 24.333, 17 € à titre de rappel de prime;

– condamné la SAS Saft à verser à M.'[I] [W] la somme de 2.433,17 € au titre de CP afférant au rappel de prime ;

– condamné la SAS Saft à verser à M.'[I] [W] la somme de 120.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail’;

– ordonné l’exécution provisoire exclusivement sur la somme de 24.333,17 € à titre de rappel de prime et la somme de 2.433,17 € au titre des congés payés afférent ;

– condamné la SAS Saft à verser la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

– débouté la SAS Saft de l’ensemble de ses demandes’;

– condamné la SAS Saft aux entiers dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 15 septembre 2021 par les deux parties.

Par déclarations en date du 5 octobre 2021, régularisée par une seconde déclaration en date du 6 octobre 2021, la SAS Saft a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.

Par ordonnance en date du 16 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des instances’n° RG 21/04234 et n° RG 21/04193 sous ce dernier numéro.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 27 avril 2023, la SAS Saft sollicite de la cour de’:

Vu les pièces, jurisprudences et documents versés au débat,

– Infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes dans toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau, de :

– Dire et juger que la SAS Saft n’est pas liée par un contrat de travail à M. [I] [W] et en conséquence

– Constater la mise hors de cause de la SAS Saft.

– Condamner M. [I] [W] au versement de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner M. [I] [W] aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 avril 2023, M. [I] [W] sollicite de la cour de’:

Vu les articles L. 3245-1, L. 3221-3, L. 1222-1 du code du travail,

Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bourgoin-Jallieu du 14 septembre 2021 en ce qu’il a:

Dit et jugé que M. [I] [W] est lié à la SAS Saft par un contrat de travail ;

Dit et jugé que M. [I] [W] est exclusivement un salarié Saft ;

Dit et jugé que l’ensemble des droits et avantages dont bénéficie les salariés Saft doivent s’appliquer à M. [I] [W];

Dit et jugé que la SAS Saft a exécuté le contrat de travail de manière déloyale ;

En conséquence,

Condamné la SAS Saft à verser la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Débouté la SAS Saft de l’ensemble de ses demandes ;

Condamné la SAS Saft aux entiers dépens.

Recevoir M. [I] [W] dans son appel incident ;

Reformer le jugement en ce qu’il a :

Condamné la SAS Saft à verser à M. [I] [W] la somme de 120.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Condamné la SAS Saft à verser à M. [I] [W] la somme de 24.333,17 € à titre de rappel de prime ;

Condamné la SAS Saft à verser à M. [I] [W] la somme de 2.433,17 € au titre de CP afférant au rappel de prime ;

Statuant à nouveau,

Condamner la SAS Saft à verser à M. [I] [W] 85 971,28 € à titre de rappel de prime de fin d’année outre 8 597,13 € au titre des congés payés afférents ;

Condamner la SAS Saft à verser à M. [I] [W] 200.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale ;

Rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires ;

Condamner la SAS Saft à payer à M. [I] [W] la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de la présente instance,

Condamner la SAS Saft aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 4 mai 2023.

L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 28 juin 2023.

EXPOSE DES MOTIFS’:

Sur l’existence d’un contrat de travail entre la société Saft et M. [W]’:

D’une première part, l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

D’une seconde part, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

D’une troisième part, en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve.

D’une quatrième part, ensuite de la recodification à droit constant du code du travail, les dispositions suivantes s’appliquaient au jour de la régularisation du contrat de travail litigieux’: l’article L 8241-1 du code du travail (ex L125-3 du code du travail) dispose que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre est interdite (sauf quelques exceptions précisées par le texte).

L’article L 8241-2 du code du travail dispose que les opérations de prêt de main d’oeuvre à but non lucratif sont autorisées. Dans ce cas, les articles L 1251-21 à L 1251-24 (application par l’entreprise utilisatrice au salarié mis à disposition du régime de la durée du travail, du travail de nuit, du repos hebdomadaire et des jours fériés, de la santé et de la sécurité au travail, du travail des femmes, des enfants et des jeunes travailleurs, médecine du travail et fourniture des équipements de protection individuelle), L 2313-3 à L 2313-5 (les missions des délégués du personnel s’étendent aux salariés mis à disposition) et L 5221-4 du code du travail (pas de mise à disposition de travailleur étranger si la prestation de travail se déroule à l’étranger) et les articles L 412-3 à L 412-7 du code de la sécurité sociale sont applicables.

Constitue une opération de prêt illicite de main-d’oeuvre à but lucratif interdite par l’article L. 125-3 du Code du travail, le fait par une entreprise de mettre à disposition d’une autre entreprise, moyennant rémunération, le salarié qu’elle a engagé, à cet effet, pour la durée déterminée d’un chantier, lequel a été placé sous l’autorité d’une autre entreprise, la société prêteuse n’ayant conservé aucun pouvoir de contrôle et de direction sur le salarié. (cass.soc. 17 juin 2005, pourvoi n° 03-13.707, Bull. 2005, V, n° 205).

Réalise l’opération de prêt de main-d’oeuvre à but lucratif interdite par l’article L 125-3 du code du travail, la société qui ne répondant pas aux conditions d’application des articles L 124 et suivants du même code, met des salariés à la disposition d’une autre entreprise, en transférant à celle-ci le lien de subordination et l’obligation de paiement par son intermédiaire du salaire et des accessoires tout en prélevant un bénéfice pour elle-même. (cass. soc., 25 septembre 1990, pourvoi n° 88-19.856, Bulletin 1990 V N° 382).

En cas de prêt de main-d”uvre illicite, il est établi l’existence d’un double contrat de travail liant le salarié conjointement à son employeur et à l’entreprise utilisatrice (Cass. soc., 4 avr. 1990, n°86-44.229 ; Cass. soc., 16 mai 1990, n°86-43.561 ; Cass. soc., 18 mai 2011, n°09-69.175).

En l’espèce, M. [W] a fait l’objet d’une embauche en contrat à durée indéterminée par la société Saft selon contrat de travail du 25 février 2008.

La même entreprise a fait une déclaration unique d’embauche et a édité depuis lors des bulletins de salaire.

Il s’ensuit qu’il y a un contrat de travail apparent.

Il résulte des propres explications et pièces de la société Saft qu’elle s’est livrée ainsi que le soutient à juste titre dans un moyen de défense M. [W] à un prêt de main d”uvre illicite dès lors qu’elle explique qu’elle a certes embauché M. [W] mais uniquement pour assurer l’administration du contrat de travail que ce dernier a en réalité régularisé avec la société de droit allemand Tadiran Batteries Gmbh ensuite d’une proposition d’embauche contresignée par M. [W] le 19 décembre 2007, ladite entreprise n’ayant pas d’établissement en France.

Elle revendique en effet le fait que le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction a été entièrement exercé par la société Tadiran Batterie Gmbh et qu’elle n’a en définitive réalisé que la déclaration d’embauche, le courrier de fin de période d’essai, édité les fiches de paie, informé le salarié sur les bonus décidés par son supérieur hiérarchique, transmis le règlement intérieur, invité le salarié à un séminaire de groupe, lui a accordé le bénéfice de l’intéressement et de la participation et que tout au plus, M. [W] a interagi avec divers services de l’entreprise.

Elle développe un moyen inopérant tenant au fait qu’elle n’aurait perçu aucun bénéfice en ne refacturant que les salaires de M. [W] à la société Tadiran Batterie Gmbh dès lors que les faits sus décrits tenant au fait d’avoir volontairement embauché un salarié pour ensuite le mettre de manière permanente et sans limite de temps à disposition d’une autre entreprise sans conserver à son égard le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction caractérise un prêt de main d”uvre illicite qui ne saurait en tout état de cause lui permettre de remettre en question l’existence d’un contrat de travail entre elle-même et M. [W], sans préjudice le cas échéant pour ce dernier de la possibilité d’agir en justice aux fins de voir reconnaître un double lien de subordination juridique à l’égard de la société bénéficiaire du prêt de main d”uvre illicite.

Au demeurant, elle tire nécessairement un bénéfice d’une opération de prêt de main d”uvre dans laquelle elle s’exonère sans aucune limite de temps ni conditions de l’ensemble de ses occupations pécuniaires à l’égard du salarié au profit d’une entreprise tierce dont elle soutient qu’elle lui a en réalité transféré le lien de subordination juridique, et ce en dehors de toute convention tripartite de transfert.

Il ne peut qu’être observé qu’aucune convention de mise à disposition au bénéfice de la société de droit allemand Tadiran n’est produite et au demeurant non revendiquée par la société Saft qui entend en réalité obtenir à tort de voir supprimer tout lien contractuel avec le salarié qu’elle a pourtant embauché, M. [W] développant de manière pertinente en défense que dans le cadre d’un prêt de main d”uvre licite le contrat de travail qui lie le salarié à l’entreprise prêteuse n’est ni rompu ni suspendu.

Le compte-rendu de la réunion du 10 octobre 2019 pour clarifier la position de chacune des parties au regard de la situation contractuelle de M. [W], formaliser l’éventuel préjudice subi et déterminer «’les options de sortie de cette situation complexe Tadiran/Saft’» est particulièrement éclairant s’agissant du montage contractuel mis en ‘uvre.

La direction indique ainsi’:

«'[I] est salarié Tadiran et n’a un contrat Saft que pour des raisons administratives du fait de la non-existence d’entité Tadiran en France. L’offre d’embauche en anglais du 19 décembre 2007, faite par [L] [K], décrit rôle, salaire fixe et % de variable, lieu de travail. Clairement indiqué que le contrat sera administré par Saft France. Lu et approuvé par XM le 19/12/17. A la suite de cela, le contrat Saft a été traité comme une société de portage. C’était un contrat standard comme fait à l’époque. Le lien de subordination envers Tadiran Allemagne est fait via les augmentations, bonus, validation de frais et formation par le manager Tadiran. Les coûts de [I] sont facturés mensuellement à Tadiran Allemagne. L’adresse mail de [I] est une adresse Tadiran. Le package salarial est lié à un pays et à ses conditions propres, on ne peut pas comparer d’un pays à l’autre. (‘)’».

En conséquence, sans qu’il soit nécessaire d’entrer davantage dans le détail de l’argumentation des parties, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que M. [W] est lié à la société Saft par un contrat de travail.

Sur les prétentions au titre du rappel de prime de fin d’année’:

Selon le principe d’égalité de traitement, des salariés placés dans une situation identique ou similaire doivent en principe pouvoir bénéficier des mêmes droits individuels et collectifs qu’il s’agisse des conditions de rémunération, d’emploi, de travail ou de formation.

Seules sont présumées justifiées, pour autant qu’elles résultent d’un accord collectif et à condition qu’elles ne relèvent pas d’un domaine où est mis en oeuvre le droit de l’Union Européenne, les différences de traitement entre catégories professionnelles, collaborateurs appartenant à des établissements distincts, ou s’agissant d’une entreprise de prestation de services, entre salariés affectés à des sites ou des établissements différents ou enfin, entre ceux exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes.

S’agissant des premières, c’est au salarié d’apporter non seulement des éléments de preuve de la réalité de l’inégalité, laquelle résulte le plus souvent des termes même de l’accord collectif, mais il lui faut aussi démontrer que cette différence de traitement est étrangère à toute considération de nature professionnelle.

En revanche, s’agissant du régime de la preuve des autres inégalités de traitement, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe “à travail égal, salaire égal” de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de caractériser une inégalité et ensuite, le cas échéant, à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence.

En l’espèce, par ses pièces n°6 et 6.1, à savoir un courriel du 02 octobre 2019 du délégué syndical central au sein de l’entreprise Saft et un mail du 09 novembre 2018 du service des ressources humaines de l’entreprise Saft à M. [W], ce dernier établit de manière suffisante que les commerciaux de l’entreprise Saft perçoivent une prime de fin d’année, étant observé que des échanges de courriels internes mettent en évidence que les commerciaux de la société Saft et M. [W] interviennent sur le même marché et vendent au moins en partie et de manière régulière les mêmes produits de la marque Tadiran, qui sont distribués non seulement par la société de droit allemand Tadiran Gmbh mais encore par les commerciaux de la société Saft, M. [W] s’étant plaint et justifiant d’être en concurrence avec les autres commerciaux de cette entreprise et de se voir imposer de proposer aux clients des conditions moins favorables que ses homologues.

Au demeurant, la société Saft admet dans ses conclusions d’appel en page n°2 que les sociétés Saft et Tadiran appartiennent au même groupe Saft Group, lui-même intégré dans le groupe Total, qu’elles étaient concurrentes, que la société Tadiran a été rachetée par la société Saft Group en l’an 2000 mais que celle-ci a décidé de maintenir les deux entités afin de préserver une certaine concurrence entre les produits Saft et Tadiran.

En outre, M. [W] met en évidence par ses pièces n°16.1 et 16.2 qu’il est supposé travailler dans les mêmes conditions que ses homologues de la société Saft dans le cadre des règles de délégations de pouvoirs, en particulier pour la passation des commandes, qui sont définies au niveau du groupe Saft mais faisant l’objet d’un certain nombre d’adaptations qui sont imposées à M. [W] par sa hiérarchie dans la société Tadiran Gmbh dont le salarié a remis en cause le bien-fondé au motif qu’elles nuisent à sa compétitivité par rapport aux autres commerciaux de Saft vis-à-vis des clients.

L’employeur reprend à son compte la prescription triennale de l’article L 3245-1 du code du travail retenue par le conseil de prud’hommes.

Pour autant, il ne développe aucun moyen utile en réponse à celui pertinent développé par M. [W] selon lequel ce dernier n’a été informé de l’existence de cette prime de fin d’année au sein de la société Saft que par le courriel précité qui lui a été adressé le 09 novembre 2018 de sorte que le point de départ du délai de prescription se situe à cette date.

Il s’ensuit que M. [W] qui a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble par requête du 22 janvier 2020, soit dans un délai de moins de 3 ans à compter de la révélation de l’existence de cette prime de fin d’année est recevable en ses demandes de prime de fin d’année depuis son embauche en mars 2008, la saisine étant interruptive de prescription, de sorte que la fin de non-recevoir soulevée doit être rejetée.

M. [W] rapporte la preuve suffisante en sa qualité de responsable des ventes France rattaché à l’établissement de [Localité 5] de la société Saft qu’il est dans une situation similaire aux autres commerciaux de la société Saft de cet établissement dès lors que son rattachement hiérarchique à la société de droit allemand Tadiran procède ainsi qu’il a été vu précédemment d’un prêt de main d”uvre illicite préjudiciable au salarié s’agissant de la rémunération servie et que surcroît, il intervient en large partie sur les mêmes marchés que ses homologues commerciaux de Saft et se voit appliquer les mêmes directives décidées au niveau du groupe, si ce n’est des adaptations imposées par la hiérarchie de la société Tadiran, qu’il a dénoncées au motif qu’elles le mettent dans une situation moins favorable que ses homologues commerciaux employés également par la société Saft.

En particulier, M. [W] n’a pas été bénéficiaire de la prime de 13ième mois équivalente à 8,34 % des salaires versés sur l’année aux commerciaux de l’établissement de [Localité 5] de la société Saft d’après le courriel précité de M. [R].

La société Saft développe un moyen inopérant tenant au fait que cette prime de fin d’année ne serait prévue par aucune disposition interne et serait négociée au cas par cas lors de la signature du contrat de travail, sans produire la moindre pièce à ce titre alors qu’il lui appartient de se justifier sur les conditions d’attribution de cette prime afin de respecter le principe d’égalité de traitement entre salariés placés dans une situation identique ou similaire, qu’au demeurant le taux de 8,34 % est confirmé par le courriel précité du 09 novembre 2018 du service des ressources humaines de la société Saft à M. [W] et que le contrat de travail stipule en son article 3 que «’le titulaire du présent contrat recevra, en outre, les primes, indemnités et autres avantages versés au personnel, selon les dispositions réglementaires ou contractuelles dans l’établissement auquel il est rattaché.’».

Il convient en conséquence, par infirmation du jugement entrepris, de condamner la société Saft à payer à M. [W] la somme de 85971,28 euros bruts à titre de rappel de prime de fin d’année pour la période de 2008 à 2022, outre 8597,13 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Sur la perte de chance au titre de la rémunération variable’:

L’article L 1222-1 du code du travail énonce que le contrat de travail s’exécute de bonne foi.

Premièrement, M. [W] met en évidence que selon les règles de délégation de signatures au sein du groupe Saft actualisées au 01 juillet 2016, les responsables régionaux des ventes sont en principe autorisés à signer des contrats pour un maximum de 750000 euros mais que son supérieur hiérarchique lui a imposé une double autorisation pour les contrats dépassant 300000 euros dans le cadre du prêt de main d”uvre illicite au bénéfice de la société Tadiran Gmbh, plaçant ainsi M. [W] dans une situation moins favorable que les autres commerciaux de la société Saft bénéficiant d’une autonomie beaucoup plus large pour le développement de leurs activités commerciales et ce d’autant que M. [W] objective par de échanges de courriels internes avec son supérieur hiérarchique de janvier et juillet 2019 que celui-ci lui a imposé de fixer des prix supérieurs à ceux pratiqués par Saft lorsqu’il est en concurrence avec les autres commerciaux de Saft’; ce qui a eu pour effet que les clients ont opté pour l’offre Saft avec un impact négatif certain sur la rémunération variable de M. [W], qui s’est vu ainsi privé de certains contrats.

Il démontre également par des échanges internes avec ses collègues de Saft que le client Birdz-Veolia a annulé une commande pour acheter des piles Tadiran via le réseau Saft.

Il est également justifié par des échanges internes de janvier à juin 2019 que le groupe Saft privilégie par un différentiel de prix le réseau commercial Saft pour le client Schneider alors même que les produits vendus sont de marque Tadiran, M. [W] ne pouvant que renvoyer le client vers Saft lorsque celui-ci lui signale un problème sur des piles Tadiran en novembre 2019.

Des échanges de courriels internes de décembre 2018 mettent là encore en évidence que le réseau commercial Saft est privilégié sur le réseau Tadiran pour le client World Sensing.

M. [W] met également en exergue que le client est passé de Tadiran à Saft au motif qu’il a été demandé à la première d’augmenter ses prix de sorte que le service commercial de Saft a pu proposer un prix inférieur et remporter en définitive le marché.

Le salarié verse également aux débats des éléments d’octobre et novembre 2020 établissant que deux clients JRi et Upergy ont privilégié les offres Saft mieux placées que celles du réseau Tadiran.

Par ailleurs, M. [W] objective qu’il a été confronté aux difficultés d’approvisionnement dans le réseau Tadiran de juillet 2015 à décembre 2017′; ce qui a généré des annulations de commandes et le mécontentement de clients.

En outre, alors que M. [W] démontre qu’il avait dans son portefeuille clients, la société Actia depuis mai 2009, celle-ci lui a été retirée progressivement en mai 2013 et définitivement en 2014.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la société Saft, non seulement en ne mettant pas à la disposition de son salarié l’ensemble des moyens utiles à l’exécution de ses missions commerciales mais encore en faisant volontairement obstacle à leur développement en privilégiant régulièrement le réseau commercial Saft au détriment de M. [W] sur son périmètre géographique, a gravement manqué à ses obligations contractuelles dans des conditions préjudiciables au salarié dès lors que le chiffre d’affaires réalisé est déterminant dans la fixation de sa part variable.

Deuxièmement, il résulte d’un courriel du délégué central Cfdt France du 17 septembre 2019 que le bonus des commerciaux Saft peut atteindre 100 % du salaire, graphique à l’appui ; chiffre repris par M. [W] dans une réunion du 10 octobre 2019 entre les parties pour tenter de trouver une solution au litige.

La société Saft a appliqué à M. [W] un bonus différent dont elle indique pour autant qu’il lui a toujours été versé dans son intégralité, le salarié ayant atteint l’intégralité de ses objectifs.

M. [W] récapitule en pièce n°14.2 sur la période de 2013 à 2020 son salaire annuel de base, le bonus potentiel qu’il aurait perçu s’il lui avait été appliqué les mêmes règles qu’à ses homologues de la société Saft et le bonus réel versé sur la période pour en déduire une différence de 343548 euros.

M. [W] sollicite une somme à hauteur de 200000 euros au titre de la perte de chance d’avoir pu percevoir une rémunération variable supplémentaire sur la période de 2013 à 2020 en ayant procédé à une actualisation en cause d’appel.

La société Saft objecte qu’il ne prouve pas son préjudice alors même que sans inverser la charge de la preuve il lui appartenait de verser aux débats les éléments ayant permis le calcul de la rémunération variable du salarié en particulier le chiffre d’affaires réalisé au regard des objectifs.

M. [W] avait une part variable de 12 % selon l’atteinte d’objectifs jusqu’en 2018, qui a été portée unilatéralement ensuite à 20 % les années suivantes par l’employeur, faute d’acceptation de l’avenant par le salarié.

Il résulte des pièces n°6 et 15 de l’employeur que M. [W] a atteint 105 % de ses objectifs en 2013, 130 % en 2014, 186 % en 2015, 110 % en 2016 et 2017 et 135 % en 2018 et qu’il a au moins atteint 100 % de ses objectifs les années ultérieures d’après les écritures de l’employeur.

Il s’en déduit que M. [W] justifie suffisamment d’une perte de chance certaine d’avoir pu bénéficier d’une rémunération variable plus importante s’il lui avait été appliqué les règles afférentes à la rémunération variable des autres commerciaux eu égard au fait qu’il a très régulièrement dépassé ses objectifs mais que sa rémunération a été contrainte par le pourcentage de 18 puis 20 % appliqué et qu’il aurait manifestement pu obtenir de bien meilleurs résultats si la société Saft n’avait pas régulièrement avantagé le réseau commercial Saft au détriment de M. [W] et si sa hiérarchie ne lui avait pas retiré au moins un client important de son portefeuille, outre le fait que la société Tadiran a dû faire face plusieurs années de suite à des problèmes d’approvisionnement impactant négativement les ventes, que n’a manifestement pas eu à connaitre la société Saft.

La perte de chance est évaluée à 34 % du montant total du bonus qu’il aurait pu obtenir soit la somme de 120000 euros nets, le jugement entrepris étant confirmé par substitution de motifs dès lors qu’il a appliqué un coefficient plus élevé sur une période plus courte.

Sur les demandes accessoires’:

L’équité commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Saft à payer à M. [W] la somme de 2000 euros à titre d’indemnité de procédure et de lui accorder une indemnité complémentaire de 500 euros en cause d’appel.

Le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile est rejeté.

Au visa de l’article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient condamner la société Saft, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS’;

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi’;

CONFIRME le jugement entrepris sauf s’agissant des dispositions relatives à la prime de fin d’année

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande au titre de la prime de fin d’année

CONDAMNE la société Saft à payer à M. [W] les sommes suivantes’:

– quatre-vingt-cinq mille neuf cent soixante-et-onze euros et vingt-huit centimes (85971,28 euros) bruts à titre de rappel de prime de fin d’année pour la période de 2008 à 2022

– huit mille cinq cent quatre-vingt-dix-sept euros et treize centimes (8597,13 euros) bruts au titre des congés payés afférents

CONDAMNE la société Saft à payer à M. [W] une indemnité complémentaire de procédure de 500 euros

REJETTE le surplus des prétentions au titre de l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Saft aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

 


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