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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 10 novembre 2022
PRUD’HOMMES
N° RG 21/00305 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L4PH
Monsieur [L] [T]
c/
S.A.S. CABINET DUPOUY ET ASSOCIES
S.A.R.L. REC
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 décembre 2020 (R.G. n°F 18/00829) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 18 janvier 2021.
APPELANT :
[L] [T]
né le 28 Octobre 1978 à [Localité 4]
de nationalité Française
Profession : Juriste, demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, postulant
Assistée de Me Pierre SANTI de la SELARL DARMENDRAIL/SANTI, avocat au barreau de PAU.
INTIMÉES :
S.A.S. CABINET DUPOUY ET ASSOCIES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]
S.A.R.L. REC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]
Représentées et assistées par Me Constance D’HENNEZEL DE FRANCOGNEY de la SELARL CABINET D’HENNEZEL, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 21 septembre 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Mme Sophie Masson, conseillère,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
*******
EXPOSE DU LITIGE
Par un contrat de travail à durée indéterminée du 4 octobre 2010, prévoyant un forfait en jours et une clause de non concurrence, la société Cabinet Dupouy & Associés a engagé M. [T] en qualité de juriste. La convention collective applicable est la convention collective nationale du personnel des cabinets d’experts comptables et des commissaires aux comptes.
Le 1er août 2017, M. [T] a donné sa démission à la société Cabinet Dupouy & Associés par un courrier libellé comme suit:
‘ Objet: démission
Monsieur le Président,
Par la présente, je vous informe de ma décision de quitter mon poste de reponsable juridique au sein du cabinet Dupouy&Associés que j’occupe depuis le 4 octobre 2010. Mon contrat prendra donc fin à l’issue de ma période de préavis sauf acceptation de votre part pour en réduire la durée.
Je vous saurai grè de bine vouloir accepter de réduire ma période de préavis afin d’être disponible à compter du 15 octobre 2017 au plus tard.
A l’issue de mon prévais vous voudrez bien me remettre la documenation prévue en pareil cas.
Veuillez agréer (…)’.
La société Cabinet Dupouy &Associés a pris acte de la démission de M. [T] en même temps qu’elle l’a informé de son refus de réduire la période de préavis, par un courrier du 11 septembre 2017.
Par courriel du 27 novembre 2017, M. [T] s’est enquis du paiement la contrepartie financière à la clause de non concurrence.
Par réponse du 29 novembre 2017, la société Cabinet Dupouy & Associés a informé M. [T] qu’elle n’entendait pas la lui régler compte-tenu de son entrée dans un cabinet d’expertise comptable concurrent.
Le 29 mai 2018, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux de diverses demandes dirigées contre la société Cabinet Dupouy & Associés et la société Révisions Expertises Conseils, dont il a été entièrement débouté par un jugement du 18 décembre 2020 qui l’a par ailleurs condamné à payer 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Par déclaration du 18 janvier 2021, M. [T] a relevé appel du jugement dans ses dispositions qui le déboutent de l’ensemble de ses demandes et le condamnent à des frais irrépétibles et aux dépens.
La procédure de mise en état a été clôturée par une ordonnance du 23 août 2022.
L’affaire a été fixée à l’audience du 21 septembre 2022, pour être plaidée.
Suivant ses dernières conclusions, transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 3 mai 2022, M. [T] demande à la Cour de :
– infirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté les intimées de leurs demandes reconventionnelles,
– débouter les intimées de toutes leurs demandes, fins et conclusions et statuant de nouveau des chefs infirmés:
– rejeter le moyen tiré de la prescription
– prononcer la résiliation judiciaire des relations contractuelles avec les deux sociétés
– prononcer la nullité de la convention de forfait jours
– condamner la sas Dupouy à payer 45.000 euros de sommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– condamner in solidum la sas Dupouy et la sarl Révisions Expertises Conseils ou à défaut l’une ou l’autre à payer
– 75.000 euros de dommages intérêts au titre du prêt de main d’oeuvre illicite ou du marchandage
– 36.659,03 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, outre 3265,90 euros de congés y afférents
– 3891 euros de rappel de contre partie en repos obligatoire, outre 389,10 euros de congés y afférents
– 6074,91 euros de rappel de primes d’apports pour l’année 2017, soit 4310,65 euros pour la sarl Révisions Expertises Conseils et 1764,26 euros pour la sas Dupouy
– 5000 euros pour violation des durées maximales de travail et minimales de repos
– condamner chacune des intimées à payer 34.465,38 euros d’indemnité de travail dissimulé
– condamner la sarl Révisions Expertises Conseils à payer 25.000 euros de dommages intérêts au titre de la résiliation judicaire et à lui remettre sous astreinte de 50 euros par jour les documents de rupture
– condamner chacune des intimées à payer 2500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel
– frapper les condamnations des intérêts au taux légal depuis la date de saisine du conseil de prud’hommes, outre la capitalisation.
Aux termes de leurs dernières conclusions, transmises par la réseau privé virtuel des avocats le 25 juillet 2022, la sas Cabinet Dupouy & Associés ( CDA en suivant) et la sarl Révisions Expertises Conseils ( REC en suivant) demandent à la Cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, en conséquence de :
– déclarer les demandes au titre du marchandage, de la convention forfait en jours et des heures supplémentaires au-delà du 6 juin 2015 prescrites
– déclarer que les demandes relatives à l’intéressement et à la participation ont été satisfaites
– déclarer que la demande relative à la prime d’apport est infondée et non due
– déclarer en tout état de cause qu’il n’y a pas de délit de marchandage ni prêt de main d’oeuvre illicite
– débouter M. [T] de ses demandes de résiliation judiciaire
– si par extraordinaire la relation contractuelle avec la société REC était retenue, juger qu’il n’y a pas de manquement grave imposant une résiliation judiciaire et requalifier son départ en démission
– condamner M.[T] au paiement de 3 mois de préavis outre les congés payés y afférents
– déclarer le forfait en jours contractuel légal
– débouter M. [T] de ses demandes relatives aux heures supplémentaires
– si la Cour invalidait le forfait en jours, appliquer la convention collective, condamner M. [T] à rembourser les 15% de supplément salaire perçus depuis 2015, soit la somme brute de 16. 497,23 euros outre 1 649,72 euros de congés payés y afférents et ramener la somme des heures supplémentaires à 8 269 euros
– déclarer la démission de M. [T] de la société CDA claire et non équivoque
– condamner M. [T] à payer 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le prêt illicite de main d’oeuvre ou le marchandage
M. [T] fait valoir en substance qu’il a fait, comme deux autres salariés, respectivement cadre administratif et assistant administratif, l’objet d’un prêt de main d’oeuvre illicite entre la société CDA et sa filiale la société REC, dans les locaux de laquelle il se rendait chaque semaine et aux réunions de laquelle il participait, aucune des quatre conditions cumultaives de l’article L.8241-1 du code du travail n’ayant été remplies; qu’outre le fait que les dispositions de l’article L.449-9 du code de commerce dont elles se prévalent ne lui sont pas applicables n’étant pas commerçant, les intimées ne justifient d’aucun contrat de sous traitance; qu’il a été privé des primes attribuées à trois de ses collègues; que le préjudice qui est résulté de cette mise à disposition est aggravé par l’application d’une convention de forfaits en jours illicite à l’occasion de laquelle il a en réalité effectué de nombreuses heures supplémentaires.
Lesintimées font valoir que M. [T] est irrevevable en sa demande car forclos en application des dispositions de l’article L.1471-1 du code du travail s’agissant d’une demande relative aux conditions d’exécution de son contrat de travail, connues de lui depuis 2010; que le marchandage prévu à l’article L.8231-1 du code du travail interdit toute opération à but lucratif ayant pour effet de causer un préjudice au salarié, dont M. [T] ne rapporte pas la preuve; que les prestations fournies par M. [T] s’inscrivent en réalité dans le cadre de la sous traitance .
Suivant les dispositions de l’article L.1471-1 alinéa 1 code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit pas deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
En l’espèce, pour déclarer M. [T] forclos en son action, il suffira de relever que l’action en reconnaissance d’un prêt illicite de main d’oeuvre ou d’une situation de marchandage porte sur l’exécution du contrat de travail, qu’il résulte des éléments du dossier que M. [T] a effectué les prestations querellées pour la société REC dès son embauche par la société CDA, que les intimées indiquent sans être contredites que M. [T] a été sensibilisé aux conditions juridiques relatives au prêt de main d’oeuvre et aux prestations de services interentreprises au mois d’avril 2011, qu’il s’en déduit que M. [T], ce que l’intéressé qui se contente de se prévaloir de la notion pénale de délit continu ne discute d’ailleurs pas, a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer ses droits depuis le mois d’avril 2011 au moins, que le délai de deux ans était expiré lorsque M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes, le risque de représailles allégué, nullement étayé, n’étant pas de nature à l’exonérer.
M. [T] étant forclos dans son action, sa demande en dommages intérêts pour prêt de main d’oeuvre illlicite et/ou marchandage est irrecevable. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes dirigées contre la société REC
Il convient de rappeler que le contrat de travail est un contrat par lequel une personne physique (le salarié) s’engage à exécuter un travail sous la subordination d’une personne physique ou morale (l’employeur) en échange d’une rémunération.
Il est constant que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements.
La qualification de contrat de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
Selon les dispositions de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. C’est donc à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence.
Il ne ressort d’aucun des éléments du dossier l’exercice par la société REC d’un contrôle sur le travail réalisé par M.[T], pas plus le versement d’une rémunération.
La preuve de l’existence d’une relation de travail entre les parties n’étant pas rapportée, M. [T] sera débouté de ses demandes en résiliation judiciaire et en paiement d’un rappel de salaire, de repos compensateurs, de la prime d’apport, d’une indemnité de travail dissimulé, de dommages intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, formées à l’encontre de la société REC et le jugement déféré confirmé.
Sur la validité de la convention individuelle en forfait jours
M. [T] fait valoir en substance que la convention de forfait en jours n’est pas valide, faute pour l’employeur de lui avoir soumis, une fois les stipulations de l’article 8.1-2-5 de la convention collective applicable jugées nulles par la Cour de cassation et alors que l’avenant du 18 février 2015 est antérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, une nouvelle convention; que les réclamations qu’il a formulées lors de l’entretien d’évaluation et de progrès 2015 relativement à sa charge de travail n’ont pas été prises en compte.
La société CDA et la société REC répondent que M. [T], qui reconnaît avoir dénoncé l’irrégularité entachant la convention de forfait dès 2015, était forclos lorsqu’il a saisi le conseil de prud’hommes s’agissant d’une demande afférente à l’exécution du contrat de travail; que la profession s’est mise en conformité dès le mois de février 2015; que les décomptes sont en défaveur de M. [T] dont le temps de travail a toujours été suivi.
Il est constant que le salarié, dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n’est comme en l’espèce pour la période postérieure au 29 mai 2015 pas prescrite, est recevable à contester la validité de la convention de forfait en jours stipulée dans son contrat de travail.
Une convention de forfait en jours pour être valable doit être prévue par un accord collectif de branche étendu ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement lequel doit définir les catégories de cadres concernés, fixer le volume des forfaits (nombre normal, dépassements maximum), les principales caractéristiques du forfait. Ces stipulations doivent assurer la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. Le juge doit vérifier, au besoin d’office, si les accords de branche et/ou d’entreprise offrent les garanties exigées, l’un pouvant suppléer la carence de l’autre.
Si l’accord collectif est invalidé, il entraîne la nullité de la convention individuelle de forfait en jours.
Si l’employeur ne respecte pas les clauses précisément destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, la convention individuelle de forfait en jours est privée d’effet.
En cas d’annulation de la convention de forfaits jours, le paiement des jours de RTT accordés en exécution de celle-ci deviennent indus, fondant l’employeur à en demander le remboursement.
L’article 4 du contrat de travail de M. [T] mentionne : ‘ Conformément à l’article 8.1-2-5 de la convention collective, M. [L] [T] bénéficie d’une convention de forfait de 2018 jours. Commpte tenu des caractéristiques de son emploi, M. [L] [T] relève de la catégorie cadres autonomes bénéficiant d’une convention individuelles de forfait en jours prévue à l’article 8.1-2-5 de la convention collective (reprise par la note d’information sur la réduction du temps de travail affichée dans l’entreprise. M.[L] [T] reconnait en effet que ses horaires ne peuvent pas être déterminées du fait de la nature de ses fonctions, du niveau de responsabilité qui est le sien et du degré d’autonomie dont il dispose dans l’organistaion de son emploi du temps. Par conséquence, la gestion du temps de travail de M.[L] [T] sera effectuée en nombre de jours, ce nombre étant fixé par la convention collective à 217 jours auxquels s’ajoute la journée de solidarité soit 218 jours’ .
La convention collective applicable est la convention collective nationale du personnel des cabinets d’experts comptables et des commissaires aux comptes .
L’article 8.1-2-5 qui organise la convention individuelle de forfait en jours sur l’année a été invalidé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 14 mai 2014, en raison des garanties insuffisantes qu’il comportait sur la répartition du temps de travail des salariés.
Ainsi, la convention de forfait en jours de M. [T] doit nécessairement être annulée par l’effet de l’invalidation par la Cour de Cassation des accords collectifs sur lesquels elle se fonde.
Un nouvel accord a été trouvé par les partenaires sociaux et un avenant numéro 24 bis a été signé le 18 février 2015, étendu par arrêté du 7 avril 2016.
Les intimées ne sont pas fondées à se prévaloir de ces nouvelles dispositions dès lors que la convention de forfait en jours de M. [T] avait été précédemment annulée et qu’aucune autre convention de forfait en jours ne lui a été soumise, de sorte que M. [T] est en droit de se prévaloir de l’irrégularité de la clause figurant dans son contrat de travail, dans la limite toutefois de la prescription de l’article L.3245-1 du code du travail.
Enfin il n’est nullement démontré par les intimées que des entretiens spécifiques ont été organisés de nature à permettre le contrôle et le suivi de l’application des dispositions conventionnelles.
Il s’ensuit que la convention de forfait en jours mentionnée dans le contrat de travail de M. [T] est nulle.
Il s’en déduit que M. [T] peut légitimement prétendre au paiement d’heures supplémentaires, le temps de travail devant être évalué conformément aux règles de droit commun, à savoir un temps de travail hebdomadaire de 35 heures. Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
Sur les heures supplémentaires
M. [T] fait valoir en substance que la gestion des dossiers de la société REC qu’il a du reprendre à compter de 2013, la permanence qu’il tenait chaque jeudi au siège social sis à [Localité 5], les déplacements qu’il effectuait en sus deux à quatre jours par semaine, sa participation aux réunions mensuelles et régulières aux côtés des autres collaborateurs sont à l’origine de très nombreuses de travail supplémentaires; que la circonstance que lesdites heures n’aient pas été expressément été demandées par l’employeur est indifférente dès lors qu’elles ont été rendues nécessaires pour la réalisation des tâches confiées.
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Aux termes de l’article L.3171- 4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies pour permettre à l’employeur, qui doit assurer le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en fournissant ses propres éléments.
Au soutien de sa demande M. [T] produit, outre le suivi annuel 2017 de la société REC, une évolution du porte feuilles clients en secrétariat de la société REC, le compte rendu de l’entretien d’évaluation et de progrès 2015, le mail qu’il a adressé le 16 juillet 2015 à M. [V] et des mails échangés par le biais de la procédure d’accès à la messagerie professionnelle à distance, un décompte des heures effectuées chaque semaine dont il résulte qu’il a effectué 64,44 heures supplémentaires en 2014 (semaines 43 à 52), 268,21 heures supplémentaires en 2015, 262,64 heures supplémentaires en 2016, 228,1 heures supplémentaires en 2017. Ce faisant M. [T] produit des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en fournissant ses propres éléments, la circonstance que les tableaux récapitulatifs ne soient pas des documents internes à l’entreprise étant indifférente.
Pour s’opposer à la demande de M. [T], la société CDA fait valoir qu’elle dispose d’outils pointus et précis pour calculer le temps de travail, que les bulletins de salaire établis au nom de M. [T] confirment qu’il est cadre au forfait en jours, que M. [T] ne rapporte pas la preuve d’avoir été autorisé à accéder à sa messagerie en dehors du temps de travail ni celle qu’il lui répondait lorsqu’il a rédigé les courriels dont il se prévaut, que le compte rendu de l’entretien d’évaluation et de progrès 2015 relève d’un ajustement de cause, que les temps de travail étant saisis à la journée et et non à l’heure, la journée fixée à 7 heures et les 36ième, 37ième,38ième et 39ième heures majorées de 10 %, M. [T] commet une erreur en prenant 8 heures comme base de calcul et en appliquant systématiquement une majoration de 25 %, que les calculs de M. [T] sont erronés en ce qu’ils ne tiennent pas compter de la modulation du temps de travail en vigueur dans l’entreprise, des heures d’enseignement qu’il dispensait par ailleurs à l’extérieur de la société et de l’ensemble des RTT et des congés payés qu’il a pu prendre, ce qui est manifestement insuffisant à remplir l’obligation faite à l’employeur, compte-tenu des éléments fournis par le salarié, de justifier des horaires effectivement réalisés par ce dernier, sachant qu’aucun accord de modulation n’est produit.
En l’état des éléments fournis par les parties, dans les limites de la prescription, sur la base des 150 heures supplémentaires en 2015, de 286,52 heures supplémentaires en 2016 et de 238,38 heures supplémentaires en 2017, il convient de fixer le rappel de salaire à la somme de 26.166,49 euros, majorée de la somme de 2016,64 euros pour les congés payés y afférents et de condamner la société CDA au paiement.
Le versement d’un salaire supérieur au minimum conventionnel ne pouvant pas tenir lieu de règlement des heures supplémentaires, les développements de la société CDA à ce titre sont inopérants.
Le jugement déféré sera infirmé.
Sur le repos compensateur
Les collaborateurs autonomes n’ayant pas signé de convention de forfait en jours sont soumis à l’ensemble des dispositions relatives à la durée du travail.
Suivant les dispositions de l’article L.3121-30 du code du travail, chaque heure supplémentaire effectuée au-delà du contingent annuel ouvre droit en plus des majorations de salaire habituelles à une contrepartie obligatoire en repos.
Le salarié dont le contrat a pris fin sans qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire de repos, comme en l’espèce, a droit à une indemnité dont le montant correspond à ses droits acquis.
En l’espèce, au regard des pièces respectivement produites par les parties, M. [T] peut prétendre à la somme de 2519 euros, au paiement de laquelle la société CDA sera condamnée.
Le jugement déféré sera infirmé.
Sur les durées maximales de travail et les durées minimales de repos
Les collaborateurs autonomes n’ayant pas signé de convention de forfait en jours sont soumis à l’ensemble des dispositions relatives à la durée du travail.
Le non respect par l’employeur, comme en l’espèce à l’examen des décomptes produits et des courriels échangés, des dispositions relatives à la durée hebdomadaire de travail maximale et au repos hebdomadaire ouvre droit à réparation. La société CDA sera condamnée au paiement de la somme de 1000 euros. Le jugement déféré sera infirmé
Sur les primes d’apports 2017
M. [T] fait valoir qu’il n’a pas pour 2017, par l’effet de la rupture de la relation de travail, perçu les primes d’apports qu’il percevait antérieurement.
Les intimées répondent que M. [T] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu’il a apporté les dossiers et/ou missions sur lesquels il fonde ses calculs; que M. [T] n’a d’ailleurs jamais perçu de prime d’apports; que le versement d’une prime exceptionnelle au mois de juillet 2012 ne confère aucun droit à M. [T].
Le paiement d’une prime, dès lors qu’elle n’est ni contractuelle ni conventionnelle, est obligatoire pour l’employeur lorsque son versement résulte d’un usage répondant à des caractères de généralité, constance et fixité.
C’est à celui qui se prévaut d’un tel usage de rapporter la preuve de son contenu, mais également qu’il présente les caractères précités.
En l’espèce, le contrat de travail conclu entre la société CDA et M. [T] ne prévoit pas le versement d’une prime d’apports, pas plus la convention collective applicable; les intimées indiquent sans être utilement contredites
qu’elle est versée aux apporteurs d’affaires; M. [T] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu’il a apporté les dossiers sur lesquels il fonde sa demande ; l’examen de ses bulletins de salaire établit que M. [T] n’a jamais perçu de prime d’apports durant la relation de travail; il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que la prime exceptionnelle versée en 2012 a les caractéristiques de généralité, de constance et de fixité pour en faire un usage et la rendre obligatoire. M. [T] ne peut qu’être débouté de sa demande. Le jugement déféré sera confirmé.
Sur le travail dissimulé
L’article L. 8221-2 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé par dissimulation d’activité, telle que définie par l’article L. 8221-3 dudit code, ou par dissimulation d’emploi salarié dans les conditions de l’article L. 8221-5.
Aux termes de l’article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
La dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est toutefois caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
Au soutien de sa demande, M. [T] se prévaut de l’absence de déclaration préalable à l’embauche et de la non délivrance de bulletins de salaire pour la période antérieure au 4 octobre 2010, de l’omission délibérée sur ses bulletins de salaire des heures supplémentaires, de sa mise à disposition de la société REC sans convention préalable ni avenant à son contrat de travail, de l’absence de diligence une fois les dispositions de la convention collective annulées.
Il convient de rappeler que le contrat de travail est un contrat par lequel une personne physique (le salarié) s’engage à exécuter un travail sous la subordination d’une personne physique ou morale (l’employeur) en échange d’une rémunération.
Il est constant que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements.
La qualification de contrat de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
Selon les dispositions de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. C’est donc à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence.
Il ne ressort d’aucun des courriels échangés entre le 22 juillet 2010 et le 28 septembre 2010 que la société CDA exerçait alors un contrôle sur le travail réalisé par M. [T], pas plus le versement d’une rémunération.
La preuve de l’existence d’une relation de travail entre les parties pour la période correspondante n’étant dans ces conditions pas rapportée, les développements de M. [T] tenant à l’absence de déclaration préalable à l’embauche et de bulletins de salaire sont inopérants.
Le prêt illicite de main d’oeuvre entre deux entreprises et/ou le marchandage n’ouvrent pas droit à l’indemnité pour travail dissimulé.
Le non établissement par la société CDA d’une nouvelle convention de forfait en jours procède d’une négligence de sa part ne pouvant être assimilée à une intention délibérée de dissimulation Le caractère intentionnel ne pouvant se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite, M. [T] sera débouté de sa demande. Le jugement déféré sera confirmé.
Sur la rupture du contrat de travail
M. [T] fait valoir en substance que les manquements de l’employeur tenant au marchandage, au prêt de main oeuvre illicite, à l’absence de rémunération des heures supplémentaires, au non paiement des primes d’apports, à la mise en place d’une convention de forfait en jours illicite et à l’absence de régularisation ultérieure caractérisent des manquements graves de l’employeur à ses obligations, de plus fort s’agissant d’une entreprise dont les associés possédent la qualité d’experts comptables et de commissaires aux comptes, devant conduire à la requalification de la démission en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les intimées font valoir en substance que la démission de M. [T] est à la lecture de son courrier claire et non équivoque; que M. [T], lequel ambitionnait en 2014 déjà de devenir avocat, l’a lui a en réalité donnée pour rejoindre une société concurrente ; qu’il n’a d’ailleurs pas profité du préavis pour la mettre en demeure de cesser les manquements allégués.
Lorsque le salarié sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, cette démission doit être analysée comme une prise d’acte s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque.
En l’espèce force est de constater tout d’abord que la lettre adressée le 1er août 2017 par M. [T] à son employeur est claire, qu’elle mentionne pour objet ‘démission’ et que le salarié informe son employeur de sa ‘ décision de quitter mon poste de reponsable juridique au sein du cabinet Dupouy & Associés’ et qu’ il n’y est fait aucunement état, ni dans aucun document produit aux débats, de manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle. Il en résulte que la rupture de la relation contractuelle résulte de la démission de M. [T] et que celui-ci doit être débouté de sa demande en dommages intérêts sur le fondement des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail. Le jugement déféré sera confirmé.
Sur le caractère abusif de la procédure
L’issue du litige exclut le caractère abusif de la procédure engagée par M. [T]. Les intimées seront déboutées de leur demande en dommages intérêts et le jugement déféré confirmé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société CDA, qui succombe au principal, doit supporter les dépens de première instance et les dépens d’appel, au paiement desquels elle sera condamnée, le jugement déféré étant infirmé de ce chef.
Il n’est pas contraire à l’équité de laisser aux parties la charge des frais irrépétibles qu’elles ont exposés. Elles seront déboutées des demandes qu’elles ont formées à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
INFIRME la décision déférée dans ses dispositions qui jugent la demande en nullité de la convention de forfait en jours prescrite, qui déboutent M. [T] de ses demandes en nullité de la convention de forfait en jours et en paiement au titre des heures supplémentaires, des repos compensateurs, de la durée maximale de travail et de la durées minimale de repos, qui condamnent M. [T] au paiement des frais irrépétibles et aux dépens
CONFIRME la décision déférée pour le surplus, sous la réserve qu’il convient de dire la demande en dommages intérêts pour prêt de main d’oeuvre illicite et/ou marchandage irrecevable
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant
DIT que la convention de forfait en jours mentionnée dans le contrat de travail de M. [T] est nulle
CONDAMNE la sas Cabinet Dupouy & Associés à payer à M. [T]:
– 26.166,49 euros au titre des heures supplémentaires, outre 2016,64 euros pour les congés payés y afférents
– 2519 euros au titre du repos compensateur
– 1000 euros de dommages intérêts au titre des durées de travail et des temps de repos
CONDAMNE la sas Cabinet Dupouy & Associés aux dépens de première instance et d’appel
DEBOUTE les parties des demandes qu’elles ont formées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
DIT que les créances de dommages intérêts porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision et les créances nées d’une obligation à compter du 12 juin 2018, date de la première mise en demeure
DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts.
Signé par madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu