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COUR DE CASSATION VB
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 17 novembre 2023
Rejet
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 672 B+R
Pourvoi n° J 21-20.723
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 17 NOVEMBRE 2023
L’Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (l’AGRIF), dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 21-20.723 contre l’arrêt, rendu sur renvoi après cassation, le 16 juin 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l’opposant à l’association Fonds régional d’art contemporain de Lorraine (le FRAC de Lorraine), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Par ordonnance en date du 8 février 2023, le premier président de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l’examen du pourvoi devant l’assemblée plénière.
La demanderesse au pourvoi invoque, devant l’assemblée plénière, le moyen de cassation formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Le Griel, avocat de l’AGRIF.
Un mémoire en défense au pourvoi a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat du FRAC de Lorraine.
Des observations complémentaires en demande ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Le Griel, avocat de l’AGRIF.
Des observations 1015 ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat du FRAC de Lorraine.
Le rapport écrit de M. Chevalier, conseiller, et l’avis écrit de Mme Mallet-Bricout, avocat général, ont été mis à disposition des parties.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, assisté de Mme Couvez, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Le Griel, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, et l’avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, auquel, parmi les parties invitées à le faire, la SCP Thouin-Palat et Boucard a répliqué, après débats en l’audience publique du 20 octobre 2023, où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Sommer, Mme Teiller, M. Bonnal, Mmes Champalaune, Martinel, présidents, Mme Darbois, doyen faisant fonction de président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Echappé, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, doyens de chambre, Mmes Leroy-Gissinger, Guillou, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, Mme Bouvier, M. Dary, Mme Bacache, M. Bosse-Platière, Mme Caillard, conseillers, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2021), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 26 septembre 2018, pourvoi n° 17-16.089), l’association Fonds régional d’art contemporain de Lorraine (le FRAC) a organisé, dans ses locaux, une exposition intitulée « You are my mirror 1 ; L’infamille », à l’occasion de laquelle ont été présentés des écrits rédigés par un artiste, en ces termes :
« Les enfants, nous allons vous enfermer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard Papa et Maman.
Les enfants, nous allons faire de vous nos esclaves, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous faire bouffer votre merde, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous sodomiser, et vous crucifier, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous arracher les yeux, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous couper la tête, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous vous observons, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous tuer par surprise, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous empoisonner, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, vous crèverez d’étouffement, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons égorger vos chiens, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous découper et vous bouffer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons faire de vous nos putes, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous violer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous arracher les dents, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous défoncer le crâne à coups de marteau, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous coudre le sexe, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous pisser sur la gueule, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Les enfants, nous allons vous enterrer vivants, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman.
Nous allons baiser vos enfants et les exterminer, nous introduire chez vous, vous séquestrer, vous arracher la langue, vous chier dans la bouche, vous dépouiller, vous brûler vos maisons, tuer toute votre famille, vous égorger, filmer notre mort. »
2. Soutenant que la présentation de ces écrits, dans une exposition accessible à tous, était constitutive de l’infraction prévue et réprimée par l’article 227-24 du code pénal, l’Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (l’AGRIF) a saisi le procureur de la République près le tribunal de grande instance, qui a décidé d’un classement sans suite.
3. Invoquant, sur le fondement de l’article 16 du code civil, une atteinte portée à la dignité de la personne humaine, elle a assigné le FRAC en réparation du préjudice causé aux intérêts collectifs qu’elle a pour objet de défendre.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
5. L’AGRIF fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires, alors :
« 1°/ que la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ; que le principe du respect de cette dignité, qui a valeur constitutionnelle, est absolu car il résulte du primat de la personne ; qu’axiomatique, inviolable et insusceptible d’abus, il est l’essence de tous les droits fondamentaux ; qu’il s’ensuit que si un conflit peut intervenir entre de tels droits, qui ont même valeur normative, à raison d’un possible abus dans leur exercice que le juge réglera en recherchant un “juste équilibre” entre eux au regard d’un critère extérieur tiré des exigences d’une société démocratique, le principe susvisé, qui est absolu et n’a sa mesure qu’en lui-même, ne peut être mis en balance avec aucun droit fondamental, puisqu’il en est la substance et le fondement ; qu’ainsi, rien ne peut entrer en conflit avec ce principe qui n’en soit simplement la négation ; que tel était objectivement le cas des messages litigieux publiquement exposés par le FRAC de Lorraine, qui faisaient état de traitements particulièrement violents et abjects, attribués à des parents à l’égard de leurs enfants [esclavage, sodomie, mutilations, viols, assassinat], et accessibles à la vue de tout enfant que, pour rejeter les demandes de réparation présentées de ce chef par l’AGRIF, ès qualités, la cour a retenu que “lorsque la dignité est appréhendée dans le contexte de la confrontation de la liberté d’expression et d’autres droits en concurrence […], le droit au respect de la dignité ne constitue pas en soi une restriction autonome à la liberté d’expression, dont seul l’abus peut être sanctionné au terme d’un contrôle de proportionnalité avec lesdits droits en concurrence”, et qu’en dépit de sa valeur constitutionnelle, ce principe n’est pas à lui seul, sans atteinte à un droit concurrent à la liberté d’expression, “un fondement autonome de restrictions de la liberté d’expression lui conférant la nature de droit concurrent et justifiant que soit effectué un contrôle de proportionnalité à ce titre” (p. 12, § 4) ; qu’en soumettant ainsi l’application du principe du respect de la dignité de la personne humaine, absolu et insusceptible d’abus, à la condition qu’il puisse avoir, à l’égard de l’exercice d’un droit fondamental susceptible d’abus, tel que le droit à la liberté d’expression, la nature d’un droit concurrent ayant même valeur normative, la cour a violé le principe susvisé et l’article 16 du code civil, ensemble l’article 10 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par fausse application ;
2°/ que la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ; que le principe du respect de cette dignité, résultant du primat de la personne, est absolu ; qu’ayant de surcroît valeur constitutionnelle, il est nécessairement normatif ; que, prenant acte de la cassation prononcée dans la présente procédure, le 26 septembre 2018, de l’arrêt de la cour de Metz qui avait dénié à l’article 16 du code civil toute valeur normative, la cour de Paris a retenu que la Cour de cassation avait alors jugé que ledit principe “est un principe à valeur constitutionnelle dont il incombe au juge de faire application pour trancher le litige qui lui est soumis” (arrêt, p. 10, § 1) ; qu’en rejetant dès lors les demandes de l’AGRIF, ès qualités, tirées de la violation par le FRAC de Lorraine du principe susvisé, au motif qu’elle se fondait uniquement sur “l’atteinte à la dignité au sens de l’article 16 du code civil”, sans avoir fait aucune application du principe solennellement énoncé par ce texte, la cour a violé ce principe par refus d’application, ainsi que l’article susvisé ;
3°/ que le juge est le gardien naturel du principe à valeur constitutionnelle selon lequel, à raison de la primauté de la personne, toute atteinte à la dignité de celle-ci est interdite ; qu’en l’espèce, la cour a explicitement admis qu’il s’agissait là d’un “principe à valeur constitutionnelle dont il incombe au juge de faire application pour trancher le litige qui lui est soumis” (arrêt, p. 10, § 1) ; que, dès lors que ce principe est normatif, il était impossible à la cour de trancher le litige sans rechercher, comme elle y était invitée, si les messages mis en cause, publiés par le FRAC de Lorraine, n’étaient pas gravement attentatoires à la dignité de la personne humaine ; qu’elle ne pouvait pas, en particulier, se borner à renvoyer l’AGRIF à sa propre appréciation subjective des messages litigieux, en retenant, comme elle l’a fait, que “quand bien même [elle] estimerait l’exposition des oeuvres litigieuses attentatoires à la dignité humaine” sa demande de réparation ne pourrait pas être satisfaite (arrêt, p. 12, § 6) ; qu’en se dispensant de tout examen de cette nature, après avoir pourtant constaté qu’elle était saisie sur le fondement de la violation du principe susvisé, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l’article 16 du code civil ;
4°/ que pour rejeter les demandes de réparation de l’AGRIF, dont l’objet est en particulier, statutairement (art. 2), de lutter contre “tout ce qui porte notamment atteinte à la dignité de la femme et au respect de l’enfant”, la cour a fondé sa décision sur un arrêt d’assemblée plénière du 25 octobre 2019 (pourvoi n° 17-86.605, publié), en le jugeant “transposable au cas d’espèce”, au motif qu’il avait “retenu que le principe érigé à l’article 16 du code civil constituait un principe à valeur constitutionnel” (arrêt, p. 11, § 4) ; que, cependant, l’arrêt ainsi visé n’avait fait aucune référence à l’article 16 du code civil, ni à la constitutionnalité du principe qu’il énonce ; qu’en outre, les circonstances du litige ayant donné lieu à cet arrêt n’avaient aucun rapport avec le présent litige, dès lors qu’était invoqué un abus du droit à la liberté d’expression lié à une injure personnelle subie, c’est-à-dire la confrontation de deux droits concurrents, tandis que la demande ici présentée par l’AGRIF, ès qualités, n’a aucun caractère personnel et vise la réparation d’une atteinte publique à la dignité de la personne humaine, droit absolu et à valeur constitutionnelle, sur le fondement exclusif de l’article 16 susvisé ; qu’il s’ensuit que cet arrêt, tant en droit qu’en fait, n’était pas transposable au cas d’espèce ; qu’en se fondant néanmoins sur cette décision pour rejeter les demandes de l’AGRIF, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l’article 16 du code civil, ensemble de l’article 10 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
6°/ en toute hypothèse, que le principe de dignité de la personne humaine, inviolable et absolu, est l’essence même de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’étant ainsi le fondement et la substance de tous les droits fondamentaux garantis par cette dernière, l’exercice d’aucun de ces droits ne peut l’enfreindre sans contradiction ; qu’il s’ensuit que ce principe constitue une composante nécessaire et suffisante de protection de la morale et de la défense de l’ordre dans une société démocratique au sens des dispositions de l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatives à la liberté d’expression, encore qu’il n’y soit pas explicitement visé ; qu’en cohérence avec ces dispositions, l’article 16 du code civil, en interdisant de manière absolue et universelle “toute atteinte à la dignité” de la personne humaine, a édicté une restriction, nécessaire dans une société démocratique, au sens de l’article 10 susvisé, à l’exercice même de la liberté d’expression ; qu’en jugeant dès lors qu’il n’était pas établi que “la dignité humaine serait une composante nécessaire et suffisante de la protection de la morale et de la défense de l’ordre au sens des dispositions de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme”, la cour d’appel a violé l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, par fausse application, ensemble l’article 16 du code civil par refus d’application ;
7°/ en toute hypothèse, que si les formes d’expression artistique volontairement provocantes sont protégées par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le droit à la liberté d’expression qui en résulte ne permet pas tout et quiconque s’en prévaut assume, selon les termes du paragraphe 2 de l’article susvisé, des “devoirs et des responsabilités” ; que, quelle que soit l’intention supposément artistique de leur auteur, la mise en exposition, dans un espace public de messages portant atteinte à la dignité de la personne humaine, avilissant pour des enfants comme pour leurs parents, supposés les soumettre à des traitements criminels [esclavage, sodomie, mutilations, viols, assassinat], constitue un usage de la liberté d’expression radicalement incompatible avec les devoirs et les responsabilités nécessairement attachés à l’exercice du droit à la liberté d’expression, que ne justifie aucun débat d’intérêt général et que n’excuse ni le goût prononcé de son auteur pour la provocation, ni son sens obsessionnel du mauvais goût et de la dégradation ; qu’en jugeant dès lors, pour rejeter les demandes de l’AGRIF, que la dignité de la personne humaine n’est pas une composante nécessaire et suffisante de la protection de la morale et de la défense de l’ordre au sens de l’article susvisé, et qu’à supposer caractérisée une atteinte à cette dignité par l’exposition des oeuvres litigieuses, cette atteinte ne constituerait pas “une limite admissible à la liberté d’expression justifiant une mesure de réparation”, la cour a violé l’article 10 § 2 susvisé, ensemble l’article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Selon l’article 10, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention), toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.
7. La Cour européenne des droits de l’homme affirme que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun (CEDH, arrêt du 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume-Uni, n° 5493/72, § 49).
8. La liberté d’expression englobe la liberté d’expression artistique, qui constitue une valeur en soi (CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33) et qui protège ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une oeuvre d’art (CEDH, arrêt du 3 mai 2007, Ulusoy e.a. c. Turquie, n° 34797/02, § 42).
9. Toutefois, l’article 10, paragraphe 2, de la Convention prévoit que la liberté d’expression peut être soumise à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
10. Il en résulte que toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit prévue par la loi, d’autre part, qu’elle poursuive un des buts légitimes ainsi énumérés.
11. Si l’essence de la Convention est le respect de la dignité et de la liberté humaines (CEDH, arrêt du 22 novembre 1995, S.W. c. Royaume-Uni, n° 20166/92, § 44), la dignité humaine ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention.
12. La Cour de cassation en a déduit que la dignité de la personne humaine ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression (Ass. plén., 25 octobre 2019, pourvoi n° 17-86.605, publié).
13. Au surplus, l’article 16 du code civil, créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et invoqué par la requérante, ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention, permettant de restreindre la liberté d’expression.
14. Ayant relevé que l’AGRIF poursuit l’exposition des oeuvres en cause sur le seul fondement de l’atteinte à la dignité au sens de l’article 16 du code civil, la cour d’appel a exactement retenu que le principe du respect de la dignité humaine ne constitue pas à lui seul un fondement autonome de restriction à la liberté d’expression.
15. Le moyen, inopérant en sa troisième branche, n’est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l’Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l’Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne et la condamne à payer à l’association Fonds régional d’art contemporain de Lorraine la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-trois.