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VS/GB
COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT N° 196 DU VINGT CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS
AFFAIRE N° RG 22/01276 – N° Portalis DBV7-V-B7G-DQLW
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal Judiciaire de POINTE A PITRE du 27 septembre 2022 – Pôle Social –
APPELANTE
Madame [R] [XM]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Maître Jules teddy FRANCISOT, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉES
CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA GUADELOUPE
[Adresse 10]
[Localité 3]
Représentée par Mme [F] [S] (dûment munie d’un pouvoir de représentation)
S.A.R.L. [5]
[Adresse 13]
[Localité 4]
Représentée par Maître Pascale BERTE de la SELARL BERTE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARTINIQUE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 juin 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Gaëlle Buseine, conseillère, chargée d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Rozenn Le Goff, conseillère, présidente,
Madame Gaëlle Buseine, conseillère,
Madame Annabelle Clédat, conseillère,
Les parties ont été avisées à l’issue des débats de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 25 septembre 2023.
GREFFIER Lors des débats : Mme Valérie Souriant, greffier.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 al 2 du CPC.
Signé par Mme Rozenn Le Goff, conseillère, présidente, et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
******
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 11 mars 2020, Mme [XM] [R], salariée de la SARL [5] en qualité de chargée de recherche/chargée de recrutement, a déclaré être atteinte d’une maladie professionnelle décrite comme suit : ‘syndrome anxio-dépressif’.
Le certificat médical établi le même jour par le Docteur [FF]-[NW] mentionne un ‘état anxio-dépressif, trouble du sommeil, de l’appétit, secondaire aux conditions de travail’.
Par décision du 1er avril 2021, après avis favorable du [8] (CRRMP), la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe (CGSS) a pris en charge la maladie de Mme [XM] au titre de la législation professionnelle.
A la suite d’une demande en ce sens de Mme [XM], la CGSS de la Guadeloupe l’a, par courrier du 20 juillet 2021, informée qu’elle n’entendait pas procéder à une réunion de conciliation, son état n’étant pas consolidé, et l’a invitée à saisir la juridiction compétente.
Mme [XM] saisissait le 6 août 2021 le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [5] dans la survenance de sa maladie déclarée le 11 mars 2020.
Par jugement rendu contradictoirement le 27 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, Pôle social a :
– débouté Mme [XM] [R] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5],
– déclaré irrecevable la demande de la société [5] tendant à vouloir lui déclarer inopposable la décision de la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe du 1er avril 2021 de prise en charge de la maladie professionnelle de Mme [XM] [R],
– condamné Mme [XM] [R] aux dépens de l’instance,
– débouté les parties de leurs demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par décision du 10 novembre 2022, Mme [XM] bénéficiait de l’aide juridictionnelle totale.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 7 décembre 2022, Mme [XM] formait appel dudit jugement, qui lui était notifié le 20 octobre 2022, en ces termes : ‘Mme [XM] fait grief au Pôle social du Tribunal judiciaire :
– de l’avoir déboutée de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5], et, subséquemment, de ses demandes d’expertise et provision,
– de l’avoir condamnée aux dépens de l’instance,
– de l’avoir déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile’.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Selon ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 18 janvier 2023 à la SARL [5] et le 12 janvier 2023 à la CGSS, auxquelles il a été fait référence lors de l’audience des débats, Mme [XM] demande à la cour de:
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur et l’a subséquemment déboutée de ses demandes d’expertise et de provision,
– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré la SARL [5] irrecevable à demander que la décision du 1er avril 2021 de reconnaissance de sa maladie professionnelle par la CGSS de Guadeloupe lui soit inopposable,
Statuant à nouveau :
– donner acte de l’échec de la tentative de conciliation, à la suite du courrier de la CGSS de Guadeloupe,
– déclarer que la société [5] a commis une faute inexcusable et a manqué à son obligation de sécurité de résultat,
En conséquence,
– désigner tel médecin expert en évaluation du préjudice corporel inscrit ès qualités près la cour d’appel de Basse-Terre, sinon auprès de la cour d’appel de Montpellier, lequel désignera un sapiteur expert psychiatre dans le ressort de la même cour, en vue d’évaluer son préjudice,
– ordonner le paiement par la SARL [5] des frais d’expertise,
– ordonner le paiement par la SARL [5] des sommes suivantes :
* 20000 euros à titre de provision sur l’indemnisation de ses préjudices,
* 3782,04 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sans préjudice de son montant définitif dans cette instance,
– surseoir à statuer sur le quantum d’indemnisation dans l’attente du rapport d’expertise,
– rejeter les demandes de la SARL [5].
Mme [XM] soutient que :
– elle a été victime de faits de harcèlement au travail,
– elle n’a pas tardé dans l’alerte donnée à l’employeur,
– l’employeur n’a pas pris de mesures immédiates et les démarches accomplies sont discutables,
– elle justifie des différents préjudices dont elle se prévaut,
Selon ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 24 mars 2023 à Mme [XM] et signifiées par acte d’huissier du 24 mars 2023 à la CGSS, auxquelles il a été fait référence lors de l’audience des débats, la SARL [5] demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :
* débouté Mme [XM] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur,
* condamné Mme [XM] aux dépens de l’instance,
– l’infirmer pour le surplus,
Statuant à nouveau :
– constater le non-respect de la procédure de reconnaissance et de notification de la maladie professionnelle à la société [5],
– déclarer inopposable la reconnaissance de la maladie professionnelle à la société [5],
– ordonner le remboursement à la société [5] des cotisations maladies professionnelles indûment versées,
– condamner Mme [XM] au paiement de la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société expose que :
– la faute inexcusable n’est pas constituée dès lors qu’elle n’a jamais été informée de l’affection dont Mme [XM] se prévaut,
– cette affection ne présente pas de lien avec le travail,
– la société a tout mis en oeuvre pour préserver la santé de Mme [XM],
– la décision de la CGSS ne lui est pas opposable, à défaut de respect du caractère contradictoire de la procédure.
Selon ses dernières conclusions, régulièrement notifiées aux autres parties le 13 juin 2023, la CGSS demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré,
En cas de reconnaissance de la faute inexcusable,
– condamner la société [5] au paiement des sommes qu’elle serait amenée à avancer au profit de Mme [XM].
La CGSS fait valoir que :
– la preuve de la faute inexcusable de l’employeur n’est pas suffisamment rapportée,
– en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, elle dispose d’une action récursoire à l’encontre de la société,
– elle a bien notifié à l’employeur la décision du 1er avril 2021 relative à la prise en charge de la maladie professionnelle, mais n’est pas en mesure d’en apporter la preuve,
– elle a bien procédé aux investigations nécessaires auprès de l’assurée et de l’employeur en soumettant des questionnaires,
– l’inopposabilité pour non respect du contradictoire est sans incidence sur son action récursoire en cas de reconnaissance de la faute inexcusable.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur :
Le manquement à l’obligation de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La faute inexcusable de l’employeur ne peut être retenue que pour autant que l’affection déclarée par la victime revêt le caractère d’une maladie professionnelle.
En ce qui concerne l’origine professionnelle de la maladie de Mme [XM] :
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En outre, aux termes de l’article susvisé et de l’article L 1154-1 du code du travail lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’article L. 1153-1 du code du travail prohibe les faits de harcèlement sexuel ou assimilés à du harcèlement sexuel.
Il convient d’examiner les éléments allégués par Mme [XM] à l’appui du harcèlement au travail dont elle s’estime victime.
Mme [XM] se prévaut d’un harcèlement moral et sexuel de la part de son supérieur hiérarchique, M. [Y] [T], de ses conditions de travail indignes et de l’enquête interne menée par la société, qu’elle estime être bâclée et mensongère.
A l’appui de ses allégations, elle produit :
– une lettre qu’elle a adressée le 3 juin 2019 à M. [G] [U] et à la DIECCTE, dénonçant les faits suivants :
* le 12 septembre 2018, des propos de M. [Y], son supérieur hiérarchique, à la suite du souhait de Mme [XM] d’échanger avec son conjoint préalablement à toute confirmation de déplacement à un salon sur [Localité 11] début octobre, en vue de faciliter l’organisation de séjour. Mme [XM] précise que M. [Y] se serait énervé en indiquant : ‘Rien ne doit se mettre entre [5] et toi. Préviens-le que c’est pas la dernière fois que cela arrive [le déplacement hors département]. Ton copain doit s’y habituer’.
* des propos déplacés de M. [Y] lors du salon précité qui se déroulait les 4 et 5 octobre 2018, relatifs à sa tenue vestimentaire et son maquillage, l’ayant mise mal à l’aise.
* une obligation formulée par M. [Y] de le tutoyer.
* le 25 octobre 2018, un ordre de M. [Y] adressé à Mme [XM] d’interrompre la conversation téléphonique qu’elle avait en cours, la déstabilisant, et des propos tels que ‘Tu vois comment tu parles là ‘ Tu rigoles, tu es joyeuse, tu fais des blagues ‘ Et bien c’est comme ça que je veux que tu me parles. Je veux que tu rigoles aussi comme ça avec moi. Tu as compris ‘ Je te laisse y réfléchir. Ce n’est pas un ultimatum mais moi je veux que tu me parles comme ça et que tu rigoles avec moi comme ça’.
* le 5 décembre 2018, des propos de M. [Y] lors d’une visio ‘Kick off’ : ‘tu auras la chance de profiter d’un mafé que je fais pour vendredi, tu pourras t’empiffrer, je l’ai fait avec amour’, la mettant mal à l’aise. Des propos similaires lors d’une autre réunion Kick Off en vue d’un déplacement en Martinique le 15 janvier 2019.
* une réponse désagréable à la suite d’un courriel consécutive à son message déclinant une participation à une réunion du 15 janvier 2019 prévue en Martinique.
* des propos agressifs tenus par M. [Y] à la suite d’un courriel que Mme [XM] lui a adressé le 23 janvier 2019 au sujet de la commande de ventilateurs.
* des appels téléphoniques de M. [Y] alors qu’elle se trouvait en congés le 7 février 2019, en vue de la faire venir en Martinique le 23 février 2019 pour l’anniversaire du groupe [9].
* une difficulté à exprimer son malaise et la dégradation de ses conditions de travail, lors d’un rendez-vous le 4 mars 2019 avec Mme [MI] [K], responsable des ressources humaines, M. [Y] se positionnant à proximité de la vitre de son bureau et Mme [XM] craignant qu’il entende la teneur de ses propos.
* à partir du 25 mars 2019, des pressions de M. [Y] pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle dont il souhaitait qu’elle prenne l’initiative.
* à compter du 13 mai 2019, le constat d’un défaut de réponse de la part des nouvelles consultantes de Martinique et d’une absence de placements à son niveau, alors que les deux autres chargées de recrutement en Martinique en réalisaient, impliquant un sentiment de mise à l’écart.
– des échanges de messages whatsapp du 25 octobre 2018 avec un collègue, M. [VZ], au sujet de l’incident du même jour. Ces échanges, qui débutent à 16h15, mettent en évidence que ce collègue a été témoin de l’incident et qualifie M. [Y] de ‘fou’.
– des échanges de messages whatsapp du 25 octobre 2018, avec Mme [I], l’interlocutrice qu’elle avait au téléphone lors de l’incident précité, lui précisant que M. [Y] ‘ne parle à personne de la journée’.
– des échanges whatsapp des mois de février à avril 2019 avec M. [Y] relatifs à la rupture conventionnelle.
– un courriel de Mme [XM] du 26 mars 2019 adressé à M. [Y], la salariée lui demandant de lui faire parvenir par écrit sa demande de rupture conventionnelle.
– les attestations suivantes :
* de M. [VZ] [KV], ancien collègue, en date du 10 juillet 2019 indiquant : ‘J’ai été consultant au sein de l’agence [5] de juillet 2017 à mai 2019. J’ai pu assister pendant mes fonctions à des comportements anormaux de la part de M. [T] [Y] envers Mme [XM]. En amont, je confirme les conditions de travail de Mme [XM] qui avait son bureau adjacent au mien. Début 2018, sa climatisation est tombée en panne, elle a réclamé une intervention à l’ancienne directrice Mme [UL] [O] puis à M. [T] [Y] son successeur sans succès. Il est à noter que le bureau ne comporte aucune fenêtre sur l’extérieur et que la baie informatique pour l’intendance dégage une forte chaleur et du bruit est située dans le bureau de Mme [XM], j’entendais les bruits de mon bureau et la chaleur était difficilement supportable.
Pour en revenir au directeur, [R] m’avait déjà fait part de remarques diverses concernant l’attitude de [T] à son égard. Cela a commencé dès son arrivée, courant septembre 2018. Je dois avouer ne pas avoir pris au sérieux son attitude au début.
Cependant, les événements ont commencé à prendre une toute autre tournure fin septembre, quand [T] a demandé à [R] de l’accompagner à un salon à [Localité 11].
[E] [I] consultante en Martinique participait également à ce salon. [R] ne voulant pas partir pour ce voyage, s’est vu dans l’obligation d’accepter pour ne pas paraître ‘récalcitrante’. Mme [O] le lui avait déjà reproché lors de ses demandes pour la climatisation notamment. Lors de l’événement du salon de l’emploi à [Localité 11], [R] m’a rapporté des commentaires que [T] lui aurait fait sur sa tenue vestimentaire et son absence de maquillage qu’il aimait bien. Elle m’avait également confié se sentir extrêmement mal à l’aise face à ces propos.
En complément de ce voyage à [Localité 11], [T] a proposé à [R] le poste de Consultante sur la Guadeloupe alors que les chiffres ne le justifiaient pas. Elle a refusé cette promotion faute de visibilité et d’accompagnement sur le terrain.
Quelques semaines après le salon de [Localité 11], j’ai pu assister à une scène surprenante de mon bureau entre [T] et [R] ; alors qu’elle était au téléphone avec [E] [I], j’ai entendu [T] bondir précipitamment de sa chaise et accourir dans le bureau d'[R] afin de lui dire : ‘Pourquoi tu ne rigoles pas comme ça avec moi ‘ Pourquoi tu n’es pas comme ça avec moi ‘ J’aimerais que tu agisses avec moi comme avec elle…’ de mon bureau ce sont les phrases que j’ai entendues. J’ai trouvé cela si surprenant que je me suis précipité afin de lui envoyer un message Whatsapp pour dire à [R] qu’il était ‘fou’. Je me souviens que cet épisode avait fortement marqué [R] qui ne comprenait pas pourquoi il s’excitait autant. Un autre épisode l’a fortement marquée. Un jour, alors que j’échangeais avec [A] [Z] (Consultante à l’agence de Guadeloupe), [R] est venue nous demander si l’on avait entendu sa conversation. C’est alors qu’elle nous a expliqué qu’elle venait de raccrocher le téléphone car M. [Y] l’avait appelée. Elle était assez choquée car elle nous a raconté qu’il était furieux et qu’il lui avait raccroché dessus à cause d’une relance pour les ventilateurs. Désemparé par leur échange, je me souviens être sorti à l’extérieur avec elle pour parler et prendre l’air (…) Un jour, le lundi 25 mars, [T] est arrivé en Guadeloupe, on ne s’attendait pas à le voir, il nous a dit bonjour puis il est entré de force dans le bureau d'[R]. Puis il est ressorti quelques secondes pour y entrer une nouvelle fois quelques minutes après. Il s’est enfermé avec [R] dans son bureau. Je me souviens l’avoir vue complètement abattue à la suite de l’entrevue ne comprenant pas pourquoi il voulait se débarrasser d’elle (pour reprendre ses termes). Le lendemain après-midi, [R] n’ayant toujours pas donné de réponse et ayant été prendre conseil auprès de représentants juridiques, [T] est venu me voir dans mon bureau afin de me dire : ‘Je sais que tu es proche d'[R], on vient de lui faire une proposition pour partir du groupe, j’aimerais que tu puisses échanger avec elle, afin de la convaincre que c’est la meilleure solution pour elle’.
* de M. [HG] [CE], compagnon de la salariée, en date du 10 juillet 2019 précisant : ‘Le lundi 25 mars, j’ai reçu un message Whatsapp de ma compagne m’indiquant que M. [Y] était venu en Guadeloupe sans prévenir personne et qu’il avait fait intrusion dans son bureau alors qu’elle était en entretien. Elle m’a dit qu’il lui proposait une rupture conventionnelle et que si elle n’acceptait pas, on la licencierait. Vu l’urgence et devant son incompréhension et la mienne, je lui ai conseillé d’aller voir la permanence juridique de la [7]. Je sentais bien à travers ses messages qu’elle paniquait à l’idée de perdre son travail aussi soudainement et semblerait-il, sans motifs valables. Elle était complètement perdue et angoissée par la situation. Le Mardi 26 mars à son retour au travail, elle m’a envoyé un message disant que M. [Y] lui avait remis la pression pour qu’elle accepte cette rupture conventionnelle. Nous sommes allés à la permanence juridique le même jour à 15h et elle a exposé la situation. Ils lui ont répondu que ce n’était certainement pas comme cela que se passait une rupture conventionnelle et que ce n’était pas normal qu’il lui force la main de la sorte. Ils ont bien vu qu’elle ne se sentait pas bien. En effet, elle avait les larmes aux yeux. [R] a alors demandé si c’était possible qu’elle envoie un mail à M. [Y] afin de lui demander de faire sa demande par écrit tout en précisant ‘je sais bien qu’il ne répondra pas au mail et tentera de m’appeler’. Effectivement, juste après l’envoi du mail, elle a reçu deux appels de sa part. Puis un message via whatsapp lui demandant de le rappeler. Puis un autre disant qu’il ne donnait pas suite. Aucun de nous quatre n’a compris ce que voulait dire son message. Elle a commencé à pleurer car elle avait l’impression que c’était une menace. Les conseillers lui ont dit d’ignorer son message mais cela la touchait beaucoup trop. Donc elle a demandé aux conseillers s’il était possible d’appeler le directeur en mettant l’appel en haut-parleur afin qu’ils puissent voir la manière avec laquelle il se comportait avec elle. La conversation était en haut-parleur avec [R], les deux conseillers juridiques et moi. M. [Y] au téléphone était très énervé et agacé par la situation parce que cela ne se déroulait pas comme il le souhaitait. Dans le ton de sa voix, je sentais qu’il était menaçant et qu’il voulait imposer sa solution. Moi qui écoutais cette conversation étais très énervé par la façon dont M. [Y] parlait à [R] et ai eu envie d’intervenir pour stopper tout cela. Parce que ce n’était absolument pas un échange ou une discussion professionnelle. J’ai vraiment eu l’impression que M. [Y] l’a plus menacée en lui mettant la pression pour qu’elle prenne la décision qui l’arrangeait lui, plutôt que d’expliquer les raisons de la rupture et de comprendre son désarroi. Il n’a éprouvé aucune empathie par rapport à la situation et l’état dans lequel il a mis [R]. De plus, après les multiples questions que posait [R] pour savoir pourquoi lui imposait-on une rupture conventionnelle qu’elle n’avait jamais souhaitée, M. [Y] a fortement haussé le ton et fait part de son agacement. Je me souviens qu’il a dit que le temps n’était plus aux discussions et cela sonnait vraiment comme une menace. Suite à cet appel, l’état d'[R] s’est aggravé à tel point que les conseillers juridiques nous ont dit qu’elle devait absolument se mettre en arrêt pour pouvoir prendre du temps et se reposer. A la fin de la journée elle était totalement vidée et angoissée par la possible perte totale de son travail mais surtout, à cause de l’attitude de son directeur’
* de Mme [N] [C], soeur de la salarié en date du 22 décembre 2019 indiquant : ‘Depuis un an maintenant, [R] [XM] m’a informée de certains échanges et comportements eus avec son responsable M. [T]. La première fois a été pour un salon à [Localité 11]. Suite à cet échange je lui ai dit que je ne comprenais pas son comportement, mais peut-être était-ce qu’il avait besoin qu’elle y vienne. Elle a quand même (illisible). Mais quelque temps (illisible), elle me téléphone pour me faire part d’une réaction virulente qu’il a eue à son égard, suite à un appel qu’elle avait eu de sa collègue. Il lui a intimé l’ordre d’échanger avec lui sur le même ton jovial qu’elle avait avec sa collègue. Mais en me racontant ça, sa voix tremblait. J’ai eu l’impression que l’échange qu’ils avaient l’avait perturbée. Plus le temps a passé, plus ma soeur m’a appelée pour échanger avec moi sur ce qu’il se passait, mais surtout j’avais vraiment l’impression que ça jouait sur son moral et son psychologique, jusqu’au mois de mars 2019 où un échange téléphonique avec son responsable de trop et j’ai eu ma soeur en larmes au téléphone, j’ai ressenti sa peur, son malaise et très perturbée. Les conditions de travail n’ont fait que se détériorer et à ce jour même après le départ de M. [T], [R] [XM] qui a été atteinte au plus profond d’elle n’est pas remise. Je ne reconnais plus la femme joyeuse qu’elle était avant tout cela’
*un document dactylographié de M. [D] [M] membre de la commission juridique de la [7], daté du 3 décembre 2019, dépourvu de pièce d’identité, attestant de la consultation du 25 mars 2019 de Mme [XM] au sujet de multiples problèmes au sein de l’entreprise où elle est salariée. Il précise qu’au cours de l’entretien, elle s’est plainte : des comportements déplacés du directeur à son égard, du dictat de ce dernier qui voulait l’obliger à tout prix à faire une demande de rupture conventionnelle, des mauvaises conditions de travail se traduisant par un climatiseur en panne depuis des mois et un bruit insupportable émanant de l’appareillage informatique, d’incessants appels téléphoniques durant ses congés maladie et congés payés. Il précise que Mme [XM] dit se sentir harcelée, ce qui a pour conséquence la détérioration de sa santé, d’où ses arrêts de travail
* une seconde attestation de M. [HG] [CE], en date du 31 décembre 2021 relatant notamment la baisse d’énergie de Mme [XM], son manque de motivation et sa fatigue généralisée, caractérisée par de grandes difficultés à se lever de son lit alors qu’elle est réveillée depuis 2-3 heures, sa difficulté à se nourrir convenablement
* une attestation de Mme [XM] [IU], mère de la salariée, en date du 31 décembre 2019 précisant : ‘en début d’année, au mois de mars 2019, ma fille [R] [XM] me téléphone comme souvent. Je la sens mal à l’aise, déstabilisée, perturbée. Elle m’informe de certains problèmes qu’elle rencontre au sein de son entreprise ‘[5]’ et surtout ceux en rapport avec son directeur Monsieur [Y]. Le lendemain, étant en congé de deux jours, je décide d’aller la voir. Bateau à 6h du matin, location de voiture pour aller de [Localité 1] à [Localité 12].
Je passe la voir un petit moment à son bureau. C’était la première fois que j’y venais. De là, je suis interloquée : murs aveugles, lumières artificielles, pas de climatisation, juste son ventilateur personnel qui brasse un air chaud et confiné, la chaleur et le bruit de l’unité centrale qui se trouve juste dans son dos, et même pas la possibilité d’avoir une fenêtre pour aérer ; il n’y en a pas. Il faut beaucoup de courage et aimer son travail pour le faire dans de telles conditions. Pendant le court moment de ma visite, elle me parle du comportement vis à vis d’elle de son directeur. Voyant dans quel état psychologique elle se trouve, je reste le soir même en Guadeloupe et passe la soirée avec elle. Là, elle me parle de tout :
– le salon à [Localité 11], l’insistance avec laquelle il a obtenu sa venue. La façon dont elle était habillée qui lui plaisait, son manque de maquillage qu’il appréciait
– son attitude et sa réaction lors de l’appel téléphonique avec sa collègue de Martinique :
* je veux que tu raccroches, qu’importe la personne avec qui tu es. Tu vois comme tu parles là ‘ Tu rigoles, tu es joyeuse, tu fais des blagues. Eh bien c’est comme ça que je veux que tu me parles. Je veux que tu rigoles aussi comme ça avec moi. Tu as compris ‘ Ce ne sont pas les paroles d’un directeur à sa subordonnée
– l’insistance pour le voyage en Martinique
A chaque fois que la venue de M. [Y] était annoncée, elle était à la limite de la terreur. Lorsqu’elle me raconte tous ces faits, sa voix tremble. Je la sens très perturbée et déstabilisée. Elle perd le sommeil et redoute chaque jour de travail que M. [Y] n’arrive sans être annoncé.
Au fur et à mesure des semaines, [R] me parle des visites de M. [Y], de ses paroles à double sens, de son ton virulent et impérieux, de ses démarches auprès de la direction, de la RRH, qui restent sans résultat.
Le 25 mars 2019, elle m’appelle catastrophée en me disant que Monsieur [Y] s’est présenté dans son bureau en lui proposant une rupture conventionnelle. Elle tombe des nues et moi aussi, surtout que, malgré toutes les demandes de ma fille verbales ou écrites, aucune raison ne lui est donnée, et qu’en plus c’est elle qui doit en faire la demande.
D’après Monsieur [Y], elle sait pourquoi.
J’ai beaucoup de mal à la rassurer et à lui faire entendre que cela ne se pose pas ainsi.
Elle est en panique, se demande ce qu’elle a fait, puisque aucune raison, ni motif ne lui sont donnés et surtout, elle se demande ce qui va se passer pour son emploi. Je vais la voir à plusieurs reprises en Guadeloupe. (…) d’enquête intérieure ne donne rien. [R] n’a aucune information à ce sujet.
Apparemment personne ne prend ce qu’elle dénonce au sérieux. Ni ses conditions de travail ni l’attitude et la façon de manager [R], de Monsieur [Y]. [R] ne comprend pas et elle s’enfonce un peu plus dans la dépression ; perte de sommeil, peur d’aller travailler, perte de confiance en elle, larmes, son mal être est évident.
Arrêts de maladie, psychologue, généraliste, médecine du travail. Dans l’hypothèse de sa perte d’emploi, elle et son conjoint déménagent. Au lieu de 10 min de trajet, ils auront 1 heure. Je n’ai pas de diplôme de psychologie, mais dans le cadre de mon emploi c’est une matière que l’on nous enseigne. Le manque de réaction et le manque de prise au sérieux des problèmes rencontrés avec Monsieur [Y] par [R] de la part de la direction ont joué un grand rôle dans son état psychologique actuel (…)’
– des pièces médicales, notamment :
* des attestations en date du 7 décembre 2019 et du 23 janvier 2021 de Mme [H] [ZN], psychologue clinicienne, relative à une prise charge de soins thérapeutiques
* une attestation du Dr [FF] [V] du 5 juillet 2019 relative aux consultations de la salariée qui exprimait des éléments dépressifs importants
* une attestation du Dr [FF] [V] relative aux doléances de la salariée et un arrêt de travail du 25 au 27 novembre 2019, ainsi que des prescriptions médicales du même médecin
* une attestation médicale en date du 2 décembre 2019 du Dr [J] [DS], psychiatre, au sujet de l’état anxio-dépressif de la salariée
* des prescriptions médicales de médicaments du Dr [W] [B], psychiatre et un arrêt de travail du même médecin pour raison professionnelle à compter du 2 février 2022 et ceci pour une durée indéterminée
– des échanges de courriels du mois de septembre 2018 avec Mme [O] [UL] relatifs au changement du climatiseur
– un courriel de Mme [XM] du 26 décembre 2018 interrogeant M. [Y] dans son objet sur la prévision d’un changement de climatiseur pour le mois de janvier
– un courriel de Mme [XM] du 23 janvier 2019 interrogeant M. [Y] dans son objet sur la commande de ventilateurs
– des échanges de courriels du 23 et janvier 2019 entre Mme [XM] et Mme [X] sur l’absence de réponse au sujet des ventilateurs et des courriels du 14 février 2019 entre M. [Y] et Mme [Z] sur ce même sujet
– un CD Rom sur lequel est enregistré un bruit présenté par la salariée comme étant celui du poste de travail et une conversation comme étant celle entre la salariée et M. [Y].
Il résulte des éléments repris ci-dessus que Mme [XM] établit la matérialité, par des déclarations précises, constantes et concordantes de témoins directs et personnes auxquelles elle s’est confiée de plusieurs tensions managériales avec son supérieur hiérarchique, M. [Y] [T].
Toutefois, seront exclues les réponses désagréables attribuées à M. [Y] à la suite de ses demandes relatives au climatiseur et au ventilateur, en l’absence d’éléments tangibles produits au sujet desdites réponses.
Elle ne produit pas davantage d’éléments relatifs à ses allégations d’une mise à l’écart par défaut de réponse à ses sollicitations, alléguée à compter du mois de mai 2019, ni concernant les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’enquête interne qu’elle qualifie de bâclée et mensongère, la seule circonstance que l’employeur l’ait informée par lettre du 16 septembre 2019 de l’absence de confirmation des faits à la suite de l’enquête interne, n’étant pas de nature à caractériser les insuffisances évoquées par Mme [XM].
S’agissant de ses conditions matérielles de travail, elle rapporte également la matérialité d’éléments précis et concordants relatifs à une insuffisance de moyens relatifs au confort de température au sein de son bureau et de nuisances sonores à son poste de travail.
Dans ces conditions, Mme [XM] produit des éléments, qui pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.
La société verse aux débats :
– les comptes rendus d’entretiens menés au mois de juin 2019 et datés du 5 juillet 2019 pour celui mené avec Mme [I] [E], le compte rendu d’entretien de M. [Y] [T], celui de M. [VZ] [KV] signé le 3 juillet 2019, celui de Mme [Z] [A] signé le 15 juillet 2019 et celui de Mme [XM] signé le 29 juillet 2019, à la suite de son alerte du 3 juin 2019, ainsi qu’un courriel du 1er juillet 2019 de la responsable des ressources humaines communiquant à Mme [XM] l’enquête retranscrite.
*Mme [I] [E] précise notamment qu’elle estime que, depuis le retour d’arrêt maladie de la salariée, le 1er juillet 2019, il est nécessaire de repasser derrière les comptes-rendus établis par Mme [XM], étant observé qu’il n’y a rien à lui reprocher. Pour avoir une idée, elle indique qu’elle a réalisé 2 placements avec la salariée contre une dizaine pour Mme [L] [TY]. S’agissant du stand de [Localité 11] auquel elle se trouvait, elle indique que Mme [XM] a évoqué son ras le bol d'[5] conseil. Elle ajoute que la salariée lui avait rapporté le commentaire que [T] avait fait sur sa tenue qu’il ne jugeait pas forcément adaptée à l’événement le premier jour, mais qu’il avait vu un effort le second jour. Mme [I] précise que Mme [XM] n’a pas fait plus de commentaire sur cet événement. Concernant la conversation signalée par Mme [XM] au cours de laquelle M. [Y] lui aurait demandé de raccrocher, Mme [I] précise qu’elle n’a pas entendu [T] à l’autre bout du fil et que la salariée lui a rapporté que [T] n’avait pas été content qu’elle rigole au téléphone.
* M. [Y], dans son entretien à la suite des dénonciations de Mme [XM], précise qu’à son arrivée, il avait constaté que la salariée était très démotivée et qu’il s’était efforcé de la valoriser, précisant qu’elle avait du potentiel mais qu’elle se trouvait en insuffisance de production. Il indiquait que, s’agissant de ses assertions au sujet de la conversation téléphonique du mois de septembre, il avait dit ‘l’activité et le business ne peut dépendre de ton copain’, ajoutant que le ton n’était pas virulent. S’agissant du salon de [Localité 11], il avait fait une remarque sur sa tenue sans qu’elle soit mal intentionnée. Concernant le kick off, la remarque au sujet du mafé réalisé avec amour est une tournure humoristique, qui n’était pas destinée à Mme [XM] personnellement, alors que la discussion était en public. Quant à la demande de tutoiement, elle concerne tous les collaborateurs et il n’avait pas le souvenir d’un agacement de sa part. Concernant l’interruption d’une conversation au téléphone, il explique que, juste avant, il se trouvait à l’accueil, qu’elle lui avait fait une remarque sur un ton sec et froid et qu’il avait ensuite demandé qu’elle emploie le même ton que celui de la conversation en cours, précisant que la discussion qu’il avait eue avec la salariée s’était déroulée de manière souriante. Il réfute avoir écouté la conversation de la salariée du 4 mars 2019, précisant avoir cassé la machine à café dans le local situé à proximité, ce qui expliquerait qu’il s’y trouvait. Il ajoute, au sujet de la rupture conventionnelle, avoir seulement indiqué à la salariée le fait qu’elle ne produisait pas assez, ce qui entraînait cette éventualité d’une telle rupture, précisant que Mme [XM] lui aurait ensuite indiqué que le directeur général, M. [P] [YA] la prenait pour cible. Il reconnaît avoir haussé le ton lors de la conversation téléphonique durant laquelle il était sur haut-parleur.
* M. [VZ] [KV], confirmant le ton virulent de M. [Y] lors son interruption de la conversation en cours de Mme [XM] alors qu’elle était au téléphone. Il précise qu’il a vu M. [Y] ‘bondir’ de son siège pour venir dans l’encart de la porte du bureau de Mme [XM] en lui disant ‘j’aimerais que tu agisses comme ça avec moi, avec moi, tu n’es pas pareil’. Il indique également que M. [Y] est venu le voir pour lui demander qu’il suggère à Mme [XM] d’accepter la rupture conventionnelle, car cela serait plus compliqué par la suite, précisant qu’il a été insistant. Il ajoute que M. [Y] souhaitait que Mme [XM] occupe le poste de consultante malgré les chiffres décevants de l’agence et le partage de portefeuille restreint de clients de la Guadeloupe. Il précise avoir le sentiment que M. [Y] cherchait à créer un contact uniquement avec la salariée, pas avec les autres collaborateurs.
* Mme [Z], qui s’est présentée à l’entretien comme n’étant pas proche de la salariée, indique que M. [Y] avait déjà par le passé montré un agacement à son égard car elle faisait perdre de l’argent à Mme [XM] en ne travaillant pas avec elle. Elle avait eu le sentiment qu’il portait à Mme [XM] un intérêt ‘particulier’ et qui n’était pas professionnel, ajoutant qu’il avait des regards particuliers avec elle. Elle précise toutefois ne pas avoir été témoin d’échanges avec Mme [XM] manquant de professionnalisme.
* Mme [XM], lors de son entretien a été amenée à reprendre un par un les faits dénoncés. Elle indique que celui du 12 septembre 2018 avait été minimisé par sa collègue et ses proches et qu’elle avait été amenée à refuser le poste de consultante en l’absence de précisions sur les aspects financiers.
– un courriel de Mme [O] en date du 31 janvier 2020 relatif à son déplacement en présence du médecin du travail au sein du bureau de Mme [XM], ainsi que des photographies prises et adressées par courriel du 3 février 2020
– un avis d’aptitude médicale de la salariée du 30 mai 2017
– une attestation de suivi du médecin du travail du 18 septembre 2019 dans le cadre d’une visite de reprise, mentionnant ‘Peut occuper son poste de travail mais dans des conditions calmes et sereines et dans des conditions matérielles optimales (ex : climatisation fonctionnant)’
– un courriel de Mme [MI] du vendredi 16 août 2019 relatif à la climatisation et l’information de la salariée de la réalisation de la prestation le lundi 18 août 2019
– l’entretien professionnel de la salariée du 4 mars 2019
– une attestation de Mme [MI] [K], responsable RH, en date du 3 mai 2021, précisant : ‘Le 04 mars 2019, dans le cadre d’un entretien professionnel, j’ai reçu 3 salariés d'[5] dont [R] [XM]. Durant une heure, nous avons déroulé le questionnaire et avons échangé longuement sur l’une des problématiques processionnelles qu'[R] rencontrait : son épanouissement professionnel.
J’ai alors demandé à [R] de m’expliquer son parcours afin de mieux comprendre d’où venait la problématique. Elle a fini par dire que le poste qu’elle occupait ne correspondait pas à ses aspirations professionnelles, qu’elle n’était pas rentrée en Guadeloupe pour occuper un poste de chargée de recherches. Elle envisageait alors une reconversion dans la communication.
J’ai ainsi évoqué la difficulté de changer de poste compte tenu de la taille de l’entreprise et qu'[R] devait sortir de cet état d’attentisme pour son bien et celui de l’entreprise. J’ai ainsi précisé qu’un salarié passe suffisamment de temps au bureau pour ne pas être épanouie et que pour fonctionner l’entreprise a besoin de collaborateurs investis et qui aiment leur métier. Elle a ainsi répondu qu’elle y réfléchirait. La seule tâche qu'[R] a dit aimer est celle de pouvoir contacter des candidats. Or cela représente seulement 1/3 de son poste.
Ne voyant pas de possibilité d’accompagnement sur un autre poste, j’ai demandé à [R] est-ce qu’elle avait envisagé de quitter [5], ce à quoi elle a répondu oui. Elle a complété en indiquant avoir eu des pistes mais qui n’ont pas abouti. En abordant le sujet de la sortie, j’ai précisé à [R] que la rupture conventionnelle n’était pas dans la politique du groupe, néanmoins, qu’il m’était possible, si et seulement si elle le désirait, de soumettre à l’étude une demande de sa part. Le sujet de la rupture conventionnelle n’est plus revenu.
Nous avons parlé succinctement du nouveau manager où [R] m’a informée qu’elle n’adhérait pas aux décisions managériales prises par Monsieur [Y], qu’il y avait peu de communication avec les équipes (elle y compris) et qu’elle n’était pas confiante quant aux résultats d'[5]. En synthèse, le courant ne passait pas. Elle n’a pas voulu aller plus loin dans l’échange lorsque je lui demandais des éléments factuels. Je lui ai ainsi proposé de me recontacter par téléphone ultérieurement si elle voulait à nouveau reprendre le sujet. [R] n’a jamais rappelé.
J’ai demandé à [R] si elle souhaitait que la teneur de nos échanges apparaisse sur le compte rendu, ce à quoi elle a répondu négativement. Seule ma mention ‘[R] doit faire le point sur ses besoins et attentes professionnels afin d’être en phase avec ses ambitions. L’entretien a permis à [R] d’exprimer ses besoins et de se poser les bonnes questions quant à son avenir professionnel’ apparaît. Le compte rendu a été envoyé par mail le 14 juin 2019. [R] m’a confirmé l’avoir bien reçu.
L’entretien était effectivement agréable et détendu. J’avais cependant ressenti une grande frustration de la part d'[R] de ne pas occuper une fonction qu’elle aurait souhaitée. Ayant eu une expérience à l’international, elle aurait voulu prétendre à un poste à plus forte valeur ajoutée, plus de responsabilité. Compte tenu de la taille du marché en Guadeloupe, elle s’est vue contrainte de prendre le poste dans l’attente de mieux’
– le questionnaire employeur CGSS
Au vu des éléments produits par l’employeur, s’il appert que Mme [XM] avait marqué son insatisfaction quant au poste qu’elle occupait et qu’elle avait des résultats d’activité discutables, il n’est pas apporté d’éléments objectifs relatifs aux incidents du 12 septembre 2018, la seule circonstance que Mme [XM] était tenue contractuellement à des déplacements professionnels ne pouvant expliquer ceux-ci, à l’incident du salon à [Localité 11] des 4 et 5 octobre 2018, à celui du 25 octobre 2018, ni aux pressions évoquées par la salariée au sujet de la rupture conventionnelle depuis le mois de mars 2019. Il résulte des entretiens de deux salariés dans le cadre de l’enquête menée par la société que M. [Y] avait une attention particulière à l’égard de celle-ci, décrite comme étant peu professionnelle, point sur lequel la société se contente d’affirmer, sans le justifier que cette situation était imputable à la salariée qui avait une attitude distante, voire désagréable, à l’égard de M. [Y].
S’agissant du malaise ressenti par la salariée lors de l’entretien du 4 mars 2019 avec la responsable des ressources humaines du fait de la présence à proximité de M. [Y] et des difficultés à formuler son mal être au travail, l’explication fournie par celui-ci afférente à la machine à café n’est pas utilement contredite par Mme [XM], qui, au demeurant, n’a pas donné suite à la possibilité de s’entretenir ultérieurement avec son interlocutrice. Les propos tenus lors des réunions dites Kick off ne peuvent, ainsi que le souligne l’employeur, être considérés comme ayant été adressés personnellement à Mme [XM]. De même, la société explique de manière objective que les deux appels professionnels adressés à la salariée durant ses congés relevaient d’une démarche automatique s’inscrivant dans le cadre de l’anniversaire du groupe auquel appartient [5]. Dans ces conditions, ces incidents ne sauraient être retenus.
Concernant les conditions matérielles d’exercice de ses fonctions, il ressort des pièces du dossier que Mme [XM] a sollicité dès le 26 décembre 2018 à M. [Y] une intervention sur le climatiseur du bureau, que ses demandes relatives à la mise à disposition de ventilateurs sont demeurées sans suite et que la prestation relative aux climatiseurs n’a été programmée qu’au mois d’août 2019. La société ne s’explique pas sur le délai mis pour assurer cette intervention, alors que la salariée en avait fait la demande et avait signalé les difficultés pour travailler dans ces conditions, notamment dans son courrier de dénonciation adressé le 3 juin 2019. Il en est de même des désagréments sonores émanant de son ordinateur.
S’agissant de la luminosité insuffisante du bureau alléguée par la salariée, il résulte des photographies versées aux débats par l’employeur, que celui-ci comportait plusieurs fenêtres, certes en hauteur, mais qui permettaient de faciliter le passage de toute lumière
L’analyse de l’ensemble de ces éléments met en évidence l’existence de faits de harcèlement au travail dont la salariée a été victime, caractérisés par plusieurs incidents au cours desquels son responsable hiérarchique a fait montre d’une attitude agressive, de pression, voire de remarques déplacées à connotation sexiste, instaurant une situation intimidante et offensante chez la salariée.
Les différentes pièces médicales mettent en exergue la dégradation de son état de santé, caractérisée par un état anxio-dépressif majeur, des troubles du sommeil et des crises d’angoisse, en lien avec la détérioration de ses conditions de travail.
Il ressort des pièces versées aux débats que la dégradation de l’état de santé de l’intéressée ayant conduit à l’avis d’inaptitude du médecin du travail est la conséquence de la souffrance au travail dont Mme [XM] avait été victime.
Dans ces conditions, Mme [XM] est fondée à se prévaloir de l’origine professionnelle de son affection.
En ce qui concerne la conscience du danger et les mesures prises par l’employeur :
Il résulte de l’article L. 421-1 du code du travail que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Il résulte des pièces du dossier que, suite au signalement de faits de harcèlement par Mme [XM] le 3 juin 2019, l’employeur a diligenté une enquête ce même mois en entendant plusieurs collaborateurs individuellement, y compris la salariée et son supérieur hiérarchique en cause. Ces entretiens ont fait objet de comptes-rendus écrits et l’analyse de ceux-ci a été portée à la connaissance de Mme [XM] par courrier de la responsable RH du 16 septembre 2019.
Il n’est pas établi que l’employeur ait eu conscience de la situation dénoncée par Mme [XM] avant le 3 juin 2019, la grille d’évaluation professionnelle du 4 mars 2019 ne mentionnant aucune observation de sa part et il ne résulte pas des pièces du dossier qu’elle ait contacté la responsable des ressources humaines ultérieurement alors que celle-ci l’avait invitée à réaliser cette démarche.
L’employeur soutient également sans être utilement contredit que M. [Y] a été éloigné à titre conservatoire dès le 1er juillet 2019.
Si Mme [XM] se prévaut d’une inertie de l’employeur ayant consisté à avoir laissé son état de santé s’aggraver de jour en jour et à ne pas avoir mis en place des mesures préventives ni visant à faire cesser la situation de harcèlement au travail, elle ne l’établit pas, alors, ainsi qu’il vient d’être souligné, que la société a immédiatement diligenté une enquête interne.
Il ressort également des termes de la lettre en date du 16 septembre 2019 qu’il n’était pas envisagé une adaptation spécifique de son poste, eu égard au départ de M. [Y] depuis le 23 juillet 2019, mais qu’un rendez-vous était pris au mois de septembre auprès de la médecine du travail, ce qui est corroboré par l’attestation de suivi délivrée par le médecin du travail le 18 septembre 2019.
Si Mme [XM] allègue le défaut de sanction ou de médiation, il appert que, d’une part, M. [Y], supérieur hiérarchique en cause, avait quitté dès le mois de juillet 2019 l’entreprise et que la médiation demeure une faculté.
Dans ces conditions, les éléments repris ci-dessus mettent en évidence que l’employeur a pris les mesures visant à prévenir et faire cesser les actes de harcèlement au travail subis par Mme [XM], dès qu’il en a eu connaissance, le 3 juin 2019 .
Par suite, Mme [XM] ne peut se prévaloir d’un manquement de l’employeur ayant consisté à ne pas prendre toutes les mesures préventives ou destinées à faire cesser la situation de harcèlement au travail et, par voie de conséquence, se prévaloir d’une faute inexcusable de l’employeur.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [XM] de sa demande formulée à ce titre et de celles subséquentes de réalisation d’une expertise et de versement d’une provision.
Sur l’opposabilité de la décision de la CGSS du 1er avril 2021 :
Il résulte des articles R. 142-1, alinéas 1er et 2, et R. 142-18, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, que le juge du contentieux de la sécurité sociale ne peut être saisi d’un recours qu’après que le litige a fait l’objet d’une réclamation soumise à la commission de recours amiable de l’organisme de sécurité sociale compétent.
C’est à juste titre que les premiers juges ont relevé que le recours de la société était irrecevable à défaut d’avoir saisi préalablement la commission de recours amiable, étant observé que la société précise dans ses écriture avoir eu une connaissance de la décision en cause dans le cadre de la procédure prud’homale.
Par suite, il convient de confirmer le jugement sur ce point.
Sur les autres demandes :
L’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile et de débouter les parties de leurs demandes présentées sur ce fondement.
Les dépens de l’instance d’appel seront mis à la charge de Mme [XM] [R].
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, Pôle social, entre Mme [XM] [R], la SARL [5] et la Caisse générale de Sécurité sociale de la Guadeloupe,
Déboute les parties de leurs demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [XM] [R] aux dépens de l’appel.
Le greffier, La présidente,