Nuisances sonores : décision du 12 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/02520

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Nuisances sonores : décision du 12 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/02520
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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 12 OCTOBRE 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02520 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFFMM

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 31 Décembre 2021 – TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 20/58561

APPELANTES

S.C.I. CHRIALJEAN inscrite au RCS de Nanterre sous le n° 440 780 161, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 9]

S.A.R.L. LE BOEUF AU COMPTOIR inscrite au RCS de Paris, sous le n° 442 254 892,agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 8]

Représentées par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, Toque : L0034

Assistées par Me Alfred FINK substitué par Me SEFRAOUI Samira de la SELAS VALSAMIDIS, AMSALLEM, JONATH, FLAICHER & ASSOCIES – TAYLOR WESSING, avocats au barreau de PARIS, toque : J010

INTIMEE

S.A.S. TURN KEY PROPERTY

La Société TURN KEY PROPERTY, Société par action simplifiée au capital de 10 000 euros, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 824 302 426, dont le siège social est situé [Adresse 4], agissant poursuites et diligences de ses Représentants légaux domiciliés es qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 8]

N° SIRET : 824 302 426

Représentée par Me Alexandra JAILLANT CORCOS, avocat au barreau de PARIS, toque : P524

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Monsieur Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre

Monsieur Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre

Madame Edmée BONGRAND, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Vanessa ALCINDOR

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*******

La SCI Chrialjean est propriétaire des lots n°33 et 46 de l’ensemble immobilier sis au [Adresse 6]), lesquels sont exploités à usage de restauration par la société Le Boeuf Au Comptoir sous l’enseigne « Shirvan Café Metisse ». L’ensemble immobilier est soumis au régime de la copropriété.

Aux motifs qu’une gaine d’extraction installée par la SCI Chrialjean sur le toit de l’immeuble, sans autorisation de la copropriété, est à l’origine de nuisances acoustiques et vibratoires importantes qui affectent la tranquillité des habitants de l’immeuble, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 6]) et M. [H], occupant de l’appartement du 6e et dernier étage de cet immeuble, ont assigné la SCI Chialjean devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de faire cesser ce trouble manifestement illicite.

Par ordonnance du 18 juin 2018, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

condamné la SCI Chrialjean à prendre toute mesure permettant de faire cesser les nuisances acoustiques et vibratoires associées au dispositif d’extraction situé en toiture de l’immeuble sis au [Adresse 6], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, pendant une durée de 90 jours, renouvelable le cas échéant, passé le délai de 2 mois à compter de la signification de l’ordonnance et s’est réservé la liquidation de l’astreinte ;

condamné la SCI Chrialjean à payer au syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis au [Adresse 6]), représenté par son syndic, la société Cabinet [Y] et M. [H] la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.

Par ordonnance en date du 10 janvier 2020, le juge des référés, saisi par assignation du 15 novembre 2019, a notamment :

liquidé l’astreinte prononcée par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris le 18 juin 2018 à la somme de 9.000 euros et condamné la SCI Chrialjean à payer au syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 6]) et à M. [H] la somme globale de 9.000 euros au titre de la liquidation de l’astreinte ;

enjoint à la SCI Chrialjean d’exécuter la condamnation prononcée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris en date du 18 juin 2018 lui ordonnant de prendre toute mesure permettant de faire cesser les nuisances acoustiques et vibratoires associées au dispositif d’extraction situé en toiture de l’immeuble sis au [Adresse 6]) ;

assorti cette injonction d’une nouvelle astreinte de 200 euros par jour de retard, pendant une durée de 120 jours, passé le délai d’un mois à compter de la signification de la présente ordonnance ;

et s’est réservé la liquidation de l’astreinte.

Par actes des 02 et 13 novembre 2020, le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble mitoyen situé [Adresse 3]) a fait assigner les sociétés Chrialjean et Le Boeuf Au Comptoir et le Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis au [Adresse 6]) devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir essentiellement condamner in solidum la SCI Chrialjean et la SARL Le Boeuf Au Comptoir à procéder à la dépose de la gaine d’extraction mise en place en toiture, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir.

La médiation proposée par le juge des référés n’a pas abouti.

Par ordonnance contradictoire du 31 décembre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

déclaré recevable les interventions volontaires de M. [H] et de la société Turn Key Property ;

déclaré irrecevables les demandes du syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 3]) à l’encontre de la SCI Chrialjean et de la SARL Le Boeuf Au Comptoir ;

dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de la société Turn Key Property tendant à voir ordonner la dépose de l’ensemble des gaines qui ont été mises en place à savoir la gaine centrale de chauffage, ventilation, climatisation, la gaine centrale de traitement de l’air, la tourelle d’extraction de cuisine et le caisson d’insufflation d’air neuf en cuisine ;

condamné in solidum la SCI Chrialjean et la SARL Le Boeuf Au Comptoir à payer à titre provisionnel à la société Turn Key Property la somme de 10.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice de jouissance ;

condamné la SCI Chrialjean à payer au syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis au [Adresse 6]) et à M. [H] la somme de 12.000 euros représentant la liquidation de l’astreinte provisoire fixée par l’ordonnance de référé du 10 janvier 2021 ;

ordonné une mesure d’expertise ;

désigné en qualité d’expert :

M. [E] [U]

[Adresse 5], à [Localité 11]

Tél. : [XXXXXXXX01] ; [XXXXXXXX02]

Mèl : [Courriel 10]

qui pourra prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne, avec mission, les parties régulièrement convoquées, après avoir pris connaissance du dossier, s’être fait remettre tous documents utiles, et avoir entendu les parties ainsi que tout sachant, de :

se rendre sur les lieux des désordres après y avoir convoqué les parties ;

examiner les désordres de nature visuelle, olfactive, sonore et vibratoire affectant les 5e et 6e étages de l’immeuble situé au [Adresse 3] et, le cas échéant, sans nécessité d’extension de mission, tous désordres connexes ayant d’évidence la même cause mais révélés postérieurement à l’assignation, sans préjudice des dispositions de l’article 238 alinéa 2 du code de procédure civile ; le cas échéant, se faire assister d’un sapiteur acousticien ou huissier de justice pour procéder à des relevés d’émergences sonores ;

les décrire, en indiquer la nature, l’importance, la date d’apparition; en rechercher la ou les causes ;

examiner la conformité de l’installation d’extraction en toiture de l’immeuble situé au [Adresse 6], à Paris (8e) avec les règles de l’art et les dispositions du règlement sanitaire du département de Paris en 2017 et en 2020 ; dire, le cas échéant, si les malfaçons ou défauts de conformité sont à l’origine des nuisances constatées ;

fournir tout renseignement de fait permettant au tribunal de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues et sur les comptes entre les parties ;

après avoir exposé ses observations sur la nature des travaux propres à remédier aux désordres, et leurs délais d’exécution, chiffrer, à partir des devis fournis par les parties, éventuellement assistées d’un maître d”uvre, le coût de ces travaux ; dire si les travaux effectués en 2020 par la société Chrialjean et la société Le Boeuf Au Comptoir ont mis fin aux nuisances alléguées, ou sont susceptibles de mettre fin aux nuisances alléguées après modification ;

fournir tous éléments de nature à permettre ultérieurement à la juridiction saisie d’évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels résultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;

dire si des travaux urgents sont nécessaires soit pour empêcher l’aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte, soit pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ; dans l’affirmative, à la demande d’une partie ou en cas de litige sur les travaux de sauvegarde nécessaires, décrire ces travaux et en faire une estimation sommaire dans un rapport intermédiaire qui devra être déposé aussitôt que possible ;

faire toutes observations utiles au règlement du litige ;

dit que pour procéder à sa mission l’expert devra :

convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise ;

se faire remettre toutes pièces utiles à l’accomplissement de sa mission, notamment, s’il le juge utile, les pièces définissant le marché, les plans d’exécution, le dossier des ouvrages exécutés ;

se rendre sur les lieux et si nécessaire en faire la description, au besoin en constituant un album photographique et en dressant des croquis ;

à l’issue de la première réunion d’expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations ; l’actualiser ensuite dans le meilleur délai :

en faisant définir un enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations ;

en les informant de l’évolution de l’estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s’en déduisent, sur le fondement de l’article 280 du code de procédure civile, et dont l’affectation aux parties relève du pouvoir discrétionnaire de ce dernier au sens de l’article 269 du même code ;

en fixant aux parties un délai impératif pour procéder aux interventions forcées ;

en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse ;

au terme de ses opérations, adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s’expliquera dans son rapport (par ex : réunion de synthèse, communication d’un projet de rapport), et y arrêter le calendrier impératif de la phase conclusive de ses opérations, compte-tenu des délais octroyés devant rester raisonnable ;

fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse ;

rappelant aux parties, au visa de l’article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu’il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au delà de ce délai ;

fixé à la somme de 4.500 euros le montant de la provision à valoir sur les frais d’expertise qui devra être consignée par la société Turn Key Property à la régie du tribunal judiciaire de Paris au plus tard le 28 février 2022 ;

dit que, faute de consignation de la présente provision initiale dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l’expert sera aussitôt caduque et de nul effet, sans autre formalité requise, conformément aux dispositions de l’article 271 du code de procédure civile ;

dit que l’exécution de la mesure d’instruction sera suivie par le juge du contrôle des expertises, spécialement désigné à cette fin en application des articles 155 et 155-1 du même code ;

dit que le terme du délai fixé par l’expert pour le dépôt des dernières observations marquera la fin de l’instruction technique et interdira, à compter de la date à laquelle il est fixé, le dépôt de nouvelles observations, sauf les exceptions visées à l’article 276 du code de procédure civile ;

dit que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 255, 263 à 284-1 du code de procédure civile et qu’il déposera l’original de son rapport au greffe du tribunal judiciaire de Paris (contrôle des expertises) avant le 31 août 2022, sauf prorogation de ces délais dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du juge du contrôle ;

dit que, dans le but de favoriser l’instauration d’échanges dématérialisés et de limiter la durée et le coût de l’expertise, le technicien devra privilégier l’usage de la plateforme Opalexe et qu’il proposera en ce cas à chacune des parties, au plus tard lors de la première réunion d’expertise, de recourir à ce procédé pour communiquer tous documents et notes par la voie dématérialisée dans les conditions de l’article 748-1 du code de procédure civile et de l’arrêté du 14 juin 2017 validant de tels échanges ;

condamné in solidum la société Chrialjean et la société Le Boeuf Au Comptoir à payer à la société Turn Key Property la somme de 2.000 euros, ainsi qu’à payer au syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis au [Adresse 6]) et à M. [H] la somme de 1.000 euros, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

rejeté les demandes du syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis au [Adresse 3]) et de la SCI Chrialjean et la SARL Le Boeuf Au Comptoir au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamné in solidum la SCI Chrialjean et la SARL Le Boeuf Au Comptoir aux dépens ;

rappelé que l’exécution provisoire est de droit ;

dit n’y avoir lieu à référé sur toute autre demande.

Par déclaration du 31 janvier 2022, les sociétés Chrialjean et Le Boeuf Au Comptoir ont relevé appel de cette décision en ce qu’elle :

les a condamés in solidum à payer à titre provisionnel à la société Turn Key Property la somme de 10.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice de jouissance ;

les a condamné in solidum à payer à la société Turn Key Property la somme de 2.000 euros et aux entiers dépens ;

ordonné une expertise, dont tant le principe que l’étendue de la mission sont contestés et en particulier en ce qu’il a été confié à l’expert la mission de :

« examiner les désordres de nature visuelle, olfactive, sonore et vibratoire affectant les 5e et 6e étages de l’immeuble situé au [Adresse 3] et, le cas échéant, sans nécessité d’extension de mission, tous désordres connexes ayant d’évidence la même cause mais révélés postérieurement à l’assignation, sans préjudice des dispositions de l’article 238 alinéa 2 du code de procédure civile ; le cas échéant, se faire assister d’un sapiteur acousticien ou huissier de justice pour procéder à des relevés d’émergences sonores ;

les décrire, en indiquer la nature, l’importance, la date d’apparition; en rechercher la ou les causes ;

après avoir exposé ses observations sur la nature des travaux propres à remédier aux désordres, et leurs délais d’exécution, chiffrer, à partir des devis fournis par les parties, éventuellement assistées d’un maître d”uvre, le coût de ces travaux; dire si les travaux qu’elles ont effectués en 2020 ont mis fin aux nuisances alléguées, ou sont susceptibles de mettre fin aux nuisances alléguées après modification ;

fournir tous éléments de nature à permettre ultérieurement à la juridiction saisie d’évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels résultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;

dire si des travaux urgents sont nécessaires soit pour empêcher l’aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte, soit pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ; dans l’affirmative, à la demande d’une partie ou en cas de litige sur les travaux de sauvegarde nécessaires, décrire ces travaux et en faire une estimation sommaire dans un rapport intermédiaire qui devra être déposé aussitôt que possible ;

faire toutes observations utiles au règlement du litige ».

Elles demandent à la cour, par leurs dernières conclusions remises et notifiées le 22 juin 2022, et au visa de l’ordonnance du 31 décembre 2021 rendue par le président du tribunal de Paris, les articles 145, 561 et 835 du code de procédure civile, 544 et 1240 du code civil, et de la théorie du trouble anormal du voisinage, de :

les recevoir en leur appel et conclusions, y faisant droit ;

infirmer l’ordonnance déférée de tous les chefs du dispositif qu’elles critiquent ;

juger que la demande de paiement par provision de la société Turn Key Property au titre de prétendus préjudices de jouissance, se heurte à des contestations sérieuses ;

juger que la mesure d’expertise judiciaire n’est pas fondée, eu égard aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ;

statuant à nouveau :

juger n’y avoir lieu à référé ;

débouter la société Turn Key Property de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

ordonner le remboursement de la somme de 12.000 euros payée le 25 avril 2022 entre les mains de la société Turn Key Property, via la CARPA, en exécution de l’ordonnance de référé querellée, à la demande de l’intimée ;

subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour confirmerait la mesure d’expertise qui a été ordonnée en première instance :

modifier la mission de l’expert de la manière suivante :

examiner les nuisances de nature visuelle, olfactive, sonore et vibratoire allégués par la société Turn Key Property affectant les 5e et 6e étages de l’immeuble situé au [Adresse 3]) conformément aux dispositions de l’article 238 alinéa 2 du code de procédure civile ; le cas échéant, se faire assister d’un sapiteur acousticien ou huissier de justice pour procéder à des relevés d’émergences sonores ;

les décrire, en indiquer la nature, l’importance, la date d’apparition ; en rechercher la ou les causes ;

après avoir exposé ses observations sur la nature des travaux propres à remédier aux désordres, et leurs délais d’exécution, chiffrer, à partir des devis fournis par les parties, éventuellement assistées d’un maître d”uvre, le coût de ces travaux ; dire si les travaux qu’elles ont effectués en 2020 ont mis fin aux nuisances sonores alléguées, ou sont susceptibles de mettre fin aux nuisances alléguées après modification ;

fournir tous éléments de nature à permettre ultérieurement à la juridiction saisie d’évaluer les préjudices notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;

dire si des travaux urgents sont nécessaires soit pour empêcher l’aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte, soit pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ; dans l’affirmative, à la demande d’une partie ou en cas de litige sur les travaux de sauvegarde nécessaires, décrire ces travaux et en faire une estimation sommaire dans un rapport intermédiaire qui devra être déposé aussitôt que possible ;

faire toutes observations utiles au règlement du litige ».

en tout état de cause :

condamner la SAS Turn Key Property à payer à chacune, la somme de 10.000 euros, par application de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de la présente procédure d’appel et de première instance, et la condamner aux entiers dépens d’appel dont le recouvrement sera poursuivi par me Baechlin, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La SAS Turn Key Property demande à la cour, par ses dernières conclusions remises et notifiées le 23 juin 2022, et au visa de l’ordonnance de référé du 31 décembre 2021, des articles 145, 699, 700 835 du code de procédure civile, 544, 1240 et 1241 du code civil, R.1336-5 à R.1336-8, R.1337-6 et R.1337-7 du code de la santé publique, 63-1 du règlement sanitaire du département de Paris, L.112-16 du code de la construction et de l’habitation, L.131-1 à L.131-4 du code des procédures civiles d’exécution, des pièces versées aux débats et de la note de l’expert judiciaire M. [U], de :

confirmer l’ordonnance du 31 décembre 2021 en toutes ses dispositions ;

confirmer la mission de l’expert judiciaire telle que définie par l’ordonnance de référé du 31 décembre 2021 ;

rejeter l’ensemble des demandes de la SCI Chrialjean et la SARL Le Boeuf Au Comptoir ;

condamner in solidum la SCI Chrialjean et la SARL Le Boeuf Au Comptoir à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 juin 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE,

1- Sur la mesure d’expertise

En vertu de l’article 145 du code civil, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond.

La SCI Chrialjean et la Sarl Le Boeuf au Comptoir estiment que l’intimé ne démontre pas un trouble anormal de voisinage ni au titre de nuisances olfactives ni au titre de nuisances visuelles. En outre, il n’y avait pas lieu d’ordonner une expertise judiciaire dès que l’exigence liée à un éventuel futur procès n’est pas remplie et en l’absence d’intérêt légitime de l’intimé qui ne justifie pas d’un dommage ni d’un trouble anormal de voisinage. Ce dernier n’était d’ailleurs pas propriétaire des lots considérés lors de l’installation des gaines d’extraction du restaurant.

La SAS Turn Key Property considère pour sa part que le juge de première instance a suffisamment démontré l’existence d’un trouble manifestement illicite résultant des nuisances olfactives, sonores et visuelles émanant des installations d’extraction mises en place par le restaurant Shirvan. Ces constatations sont confirmées par ailleurs par deux constats d’huissiers, deux comptes-rendus de réunions de la part de l’expert judiciaire désigné et par une attestation d’un autre copropriétaire de l’immeuble situé [Adresse 3]

Il ressort des pièces produites aux débats et notamment de deux constats d’huissiers des 11 janvier 2019 et du mois de décembre 2021, accompagnés de plusieurs clichés photographiques, que des bruits continus de moteur de gaine d’extraction et des bruits de soufflerie sont constatés dans la journée en provenance des gaines d’extraction du restaurant ‘Shirvan’. Ces gaines passent à proximité et à moins de 8 mètres des fenêtres de l’appartement dont est propriétaire la SAS Turn Key Property. Une attestation de M. [B] [J], copropriétaire de l’immeuble sis [Adresse 3] fait état de ‘très fortes nuisances phoniques et des vibrations provenant du système d’extraction de ce restaurant’. Les deux comptes-rendus de réunion de l’expert judiciaire désigné, M. [E] [U], en date des 14 mars et 15 avril 2022 mentionnent le constat d’odeurs de cuisson au sein des lots du 6e étage du 1, avenue Georges V, l’envergure des installations d’extraction qui se situent à proximité immédiate des fenêtres et de l’appartement et ce à moins de 8 mètres de ces dernières, en contradiction avec la législation applicable à la matière et des bruits de fonctionnement importants provenant des installations d’extraction. Plusieurs photographies viennent étayer la présence d’installation d’envergure à proximité immédiate des lots appartenant à la SAS Turn Key Property.

C’est ainsi que la SAS Turn Key Property démontre donc suffisamment l’existence d’un litige plausible, crédible, bien qu’éventuel et futur, dont le contenu et le fondement sont cernés, de sorte que le motif légitime est constitué. Le fait que l’intimé ait introduit depuis la déclaration d’appel une procédure au fond contre lesappelants ne fait pas disparaître le caractère éventuel du litige qui s’apprécie au jour de la décision de première instance. L’ordonnance sera confirmée en ce qu’une expertise judiciaire a été ordonnée en application des dispositions de l’article 145 du code de proécédure civile.

2- Sur la mission d’expertise

Les appelantes affirment que la mission ordonnée par la juridiction de première instance est incomplète et sollicitent une modification de celle-ci en prévoyant notamment de dire si les travaux effectués en 2020 par la SCI Chrialjean et la société Le Boeuf au Comptoir ont mis fin aux nuisances alléguées , de dire si des travaux urgents sont nécessaires pour empêcher l’aggravation des désordres. Ils en déduisent que la mission apparait contestable et ne peut être acceptée en l’état.

L’intimé indique que la mission est tout à fait adaptée à la nature des nuisances olfactives, visuelles et sonores constatées et que l’expert judiciaire a déjà débuté sa mission. Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer en tous points les termes de la mission de l’expert judiciaire tels que précisés par le juge de première instance.

Le juge des référés est libre de choisir la mission donnée à l’expert et n’est pas tenu par les propositions des parties. De même, les juges ne sont pas tenus d’utiliser les trames ou missions types qu’ils ont pu établir par le passé, s’agissant de simples outils d’aide à la décision et à la rédaction.

En outre, la mission ordonnée par le juge de première instance prévoit notamment que ‘l’expert devra vérifier la conformité de l’installation d’extraction avec les régles de l’art. Le cas échéant et sans nécessité d’extension de la mission, il sera possible de constater tout désordre connexe. Le cas échéant l’expert pourra se faire assister d’un sapiteur acousticien ou d’un huissier de justice pour procéder à des relevés d’émegence sonore.’

C’est ainsi que la mission ordonnée paraît de nature à pouvoir apprécier les nuisances olfactives, sonores, visuelles et vibratoires invoquées par l’intimé.

Enfin, il résulte de l’article 246 du code de procédure civile que le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien, de sorte que le juge du fond éventuellement saisi ne sera pas lié par les conclusions de l’expert, quels que soient les termes de la mission.

La demande sera donc rejetée et l’ordonnance confirmée de ce chef.

3- Sur la demande de paiement de dommages et intérêts par provision,

Selon les dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, ‘ le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminant, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’ obligation n’est pas sérieusment contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire.’

Les appelants considèrent qu’il n’y a pas lieu d’allouer une provision d’un montant de 10 000 euros à la société intimée dans la mesure où cette dernière n’est devenue propriétaire des appartements situés aux 5e et 6e étages qu’en 2020 alors que la procédure a été initiée en 2018 et qu’elle ne peut donc se plaindre d’un préjudice ancien qui se serait aggravé. Ainsi les installations en toiture litigieuses prééxistaient à cette acquisition et que depuis cette dernière, les lots sont inoccupés en raison de travaux d’aménagement entrepris. Dans ces conditions, la société ne peut prétendre être victime de troubles de jouissance.

La SAS Turn Key Property sollicite la confirmation de l’ordonnance entreprise également sur ce point dans la mesure où elle est subrogée dans les droits du précédent propriétaire des lieux et que leur préjudice se poursuit depuis leur acquisition des lots considérés.

Il y a lieu de constater que la SAS Turn Key Property a acquis de la société 1VG le 5 mai 2021 plusieurs lots situés aux 2e, 5e et 6e étages de l’immeuble sis [Adresse 3] qui est contigu à celui situé [Adresse 6].

Dans le cadre de cette acquisition, la convention prévoit que la SAS Turn Key Property est subrogée dans tous les droits de la société 1VG et peut donc se prévaloir de son préjudice.

Il est produit aux débats deux constats d’huissier et une attestation de M. [J], celle de M. [L] ne sera pas retenue dès lors qu’il est le dirigeant de la SAS Turn Key Property, qui font état de nuisance sonores, olfactives et vibratoires depuis 2018 et qui persistent malgré les travaux engagés par les appelants en 2020, comme cela est confirmé par les deux comptes-rendus établis par l’expert judiciaire désigné, M. [U].

Dans ces conditions, il n’est pas sérieusement contestatble que la SAS Turn Key Property subit un trouble de jouissance actuel dans les lots situés au 5e et au 6e étage de l’immeuble sis [Adresse 3] du fait des installation d’extraction mis en place par les deux sociétés appelantes.

En prévision de la réparation de ce trouble de jouissance qui se poursuit dans le temps, il y a lieu de lui allouer une indemnité provisionnelle d’un montant de 10 000 euros.

La décision entreprise sera donc confirmée sur ces points.

4- Sur les autres demandes

L’ordonnance entreprise sera confirmée quant à la charge des dépens et à l’indemnisation des frais supplémentaires fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. En cause d’appel les appelants seront tenus in solidum aux dépens et au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne in solidum la SCChrialjean et la SARL Le Boeuf a Comptoir à payer à la SAS Turn Key Property la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en cause d’appel ;

Condamne in solidum la SCChrialjean et la SARL Le Boeuf a Comptoir aux dépens d’appel

Rejette les demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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