Merchandising : 30 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00498

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Merchandising : 30 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00498
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2022

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00498 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBIUH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F18/07372

APPELANTE

Madame [M] [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Mustapha ADOUANE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0702

INTIMÉE

SASU CLAUDIE PIERLOT

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Maryline BUHL, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 5 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Stéphane MEYER, président, chargé du rapport, et Mme Valérie BLANCHET, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Stéphane MEYER, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Madame [M] [E] a été engagée par la société Claudie Pierlot, pour une durée indéterminée à compter du 1er juillet 2013, en qualité de responsable adjointe de boutique; Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable de point de vente, affectée au magasin de La Vallée Village.

La relation de travail est régie par la convention collective nationale de l’industrie de l’habillement.

Madame [E] a fait l’objet d’arrêts de travail et le 28 juin 2017, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste.

Par lettre du 21 juillet 2017, Madame [E] était convoquée pour le 9 août à un entretien préalable à son licenciement, lequel lui a été notifié le 25 août suivant pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 26 septembre 2018, Madame [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à l’exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 17 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté Madame [E] de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.

A l’encontre de ce jugement notifié le 19 décembre 2019, Madame [E] a interjeté appel en visant expressément les dispositions critiquées, par déclaration du 13 janvier 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 mars 2020, Madame [E] demande l’infirmation du jugement et la condamnation de la société Claudie Pierlot à lui payer les sommes suivantes :

– dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail : 13 110 € ;

– dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité : 13 110 € ;

– dommages et intérêts pour harcèlement moral : 26 220 € ;

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 26 220 € ;

– indemnité compensatrice de préavis : 8 740 € ;

– indemnité de congés payés afférente : 874 € ;

– indemnité pour frais de procédure : 5 000 €.

– les intérêts au taux légal ;

– Madame [E] demande également que soit ordonnée la remise des documents légaux conformes sous astreinte de 500 € par jour de retard, ainsi qu’une mesure de publication de l’arrêt à intervenir dans le local de l’entreprise sous la même astreinte et avec réserve de liquidation de ces astreintes.

Au soutien de ses demandes, Madame [E] expose que :

– elle a été victime d’un traitement discriminatoire dans l’évolution de sa carrière en raison de la couleur de sa peau, puisqu’elle n’a pas été recrutée en interne au poste d’animateur relais, alors qu’elle avait toutes les compétences requises, faits qu’elle a vainement dénoncés et qui sont à l’origine d’une dégradation de son état de santé ; la société Claudie Pierlot ne produit aucun élément objectif contraire ;

– à compter de sa dénonciation de ces faits, elle a été victime de faits de harcèlement moral, constitués par des brimades et sanctions injustifiées ; l’employeur a réintégré dans l’entreprise une salariée incompétente, dont elle avait à juste titre interrompu la période d’essai ; ces faits ont porté atteinte à sa santé mentale et physique ;

– l’employeur a manqué à ses obligations de prévention du harcèlement moral ;

– il a également exécuté le contrat de travail de façon fautive ;

– son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car, d’une part, l’employeur a manqué à ses obligations relatives au reclassement et d’autre part, son inaptitude a pour origine une attitude fautive de l’employeur.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 avril 2020, la société Claudie Pierlot demande la confirmation du jugement, le rejet des demandes de Madame [E] et sa condamnation à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 3 500 €. Elle fait valoir que :

– Madame [E] n’a pas été recrutée au poste au poste d’animateur relais car elle n’avait pas encore toutes les compétences requises. L’allégation de discrimination n’est pas fondée;

– les faits de harcèlement moral ne sont pas davantage établis, les sanctions disciplinaires étant justifiées par les manquements de Madame [E] ;

– Madame [E] ne rapporte pas la preuve d’un lien entre son état de santé et les relations de travail ;

– elle a respecté ses obligations au titre du reclassement en adressant à Madame [E] des propositions, qu’elle a refusées ;

– les demandes de Madame [E] sont erronées en leurs montants.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS

Sur l’allégation de discrimination

Aux termes de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison, notamment, de son origine, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race.

L’article L. 1134-1 du même code dispose que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l’espèce, Madame [E] argue de l’existence d’une discrimination dans l’évolution de sa carrière qui aurait pour origine la couleur noire de sa peau.

Elle expose avoir, dès son arrivée au sein de l’entreprise, obtenu d’excellents résultats malgré la désorganisation de celle-ci, ayant été promue responsable de groupe seulement après un an d’ancienneté, encadrant alors neuf collaborateurs

Elle établit que les résultats des ventes du magasin dont elle était responsable, étaient en tête en décembre 2014 et septembre 2016 et produit plusieurs courriels de félicitations de la part de la direction.

Elle établit avoir assumé des fonctions d’animatrice relais à compter de mars 2016 et expose que Monsieur [U], directeur régional lui a annoncé en quittant l’entreprise qu’elle avait toutes les qualités pour reprendre ses fonctions et en a informé le directeur commercial, lequel n’a pas réagi, mais qu’en août 2016, le nouveau directeur régional, Madame [W], lui a annoncé qu’elle ne pouvait évoluer sur le poste d’animatrice relais car elle devait améliorer certains points, sans pour autant lui préciser lesquels.

Elle ajoute avoir alors appris l’existence d’un recrutement en interne d’animateurs relais en novembre 2015 et qu’en octobre 2016, le directeur commercial n’a pas été en mesure de lui expliquer pourquoi certains collègues ayant la même ancienneté qu’elle mais avec des résultats moins bons avaient évolué vers ce poste, qu’elle-même n’a pu obtenir et a donc fini par s’interroger légitimement sur le lien entre cette situation et la couleur de sa peau.

Madame [E] s’est plainte de cette situation par lettre du 25 octobre 2016, rappelant que le poste de “back up DR”, synonyme, selon elle, d’animateur relais, lui avait été promis et qu’elle occupait d’ailleurs cette fonction, mais sans contrat ni augmentation de salaire correspondants. Le directeur commercial lui a répondu le 9 novembre suivant, en expliquant que sa candidature n’avait pas été retenue, malgré ses compétences et performances reconnues, au motif que des “axes de progrès” avaient été “clairement identifiés” par plusieurs de ses managers, notamment dans les domaines du visuel merchandising, du taux de rattachement/création CRM, de la gestion des remises. Cette lettre concluait en expliquant que Monsieur [U], sans ancien manager, avait clairement confirmé qu’aucune “mission de back up DR” ne lui avait jamais été confiée et qu’elle n’avait jamais exercé de mission dépassant celles de responsable de point de vente.

Madame [E] produit l’attestation de Madame [K], son ancienne adjointe, qui déclare qu’en mars 2016, elle s’est vu attribuer la tâche d’assistante du directeur régional, monsieur [U], témoignage étayé par des copies de courriels échangés entre ce dernier et Madame [E].

Madame [E] en conclut que le refus de formaliser les fonctions d’animatrice relais qu’elle occupait depuis mars 2016 caractérise un second traitement discriminatoire.

Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination.

De son côté, la société Claudie Pierlot expose que la performance commerciale n’est pas le seul critère de recrutement des animateurs relais et qu’en l’espèce, elle ne conteste pas que Madame [E] obtenait d’excellents résultats commerciaux, mais ajoute qu’elle avait “encore des progrès à faire, notamment en termes de gestion administrative (caisse, stocks, démarque inconnue …)”.

Elle ajoute qu’en novembre 2015, un recrutement a eu lieu en interne, dans le cadre d’une promotion de responsables de boutiques déjà en poste, sans formalisme particulier et produit en ce sens une attestation de Madame [A], Drh, qui explique que, malgré ses talents, Madame [E] n’a pas été promue, contrairement à deux autres responsables de boutique “au-dessus du niveau de leurs collègues”.

Ce témoignage est étayé par le compte-rendu d’évaluation du 19 décembre 2014, mentionnant le souhait de Madame [E] d’évoluer vers un magasin pilote outlet ou vers un poste de directrice régionale et le commentaire de sa responsable, la félicitant pour son travail mais exposant qu’elle devait encore travailler sur son poste pour pouvoir évoluer vers de nouvelles missions et lui fixant à cet effet des objectifs. La comparaison des compte-rendus d’évaluation des trois salariées concernées, établis en janvier 2016 par Monsieur [U], mentionnent de meilleurs résultats pour les deux salariées promues. Sur le sien, Madame [E], a mentionné qu’elle était déçue de ne pas avoir de suivi et aucune perspective sur son avenir professionnel, mais ajoutait, en conclusion : “[…] l’évaluation me permet de prendre conscience que je dois me perfectionner dans des axes de gestion pour prendre de la hauteur pour l’année 2016”.

La société Claudie Pierlot précise également que la fonction de “back up DR”, que Madame [E] a occupée, correspond en réalité à celle d’un responsable de magasin identifié comme relais ponctuel du directeur régional pendant son absence temporaire, principalement ses congés.

Ces éléments objectifs permettent d’écarter l’existence d’un lien entre l’évolution professionnelle de Madame [E] et la couleur de sa peau et c’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes l’a déboutée de ses demandes relatives à la discrimination.

Sur l’allégation de harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Conformément aux dispositions de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable au litige, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il juge utiles.

En l’espèce, Madame [E] fait valoir qu’elle a été victime, à compter de sa dénonciation de faits de discrimination, de brimades et de sanctions injustifiées, dans le but d’obtenir son départ de l’entreprise, sciemment organisés par Madame [W], directrice régionale, ainsi que par le directeur commercial.

Elle produit des courriels échangés les 28 et 31 octobre 2016, aux termes desquels Madame [W], déclarait à propos du compte-rendu hebdomadaire qui lui avait été transmis à la demande de Madame [E] “vous êtes sérieux ‘ C’est quoi ce CR ‘”.

Elle produit également un courriel du 31 octobre, aux termes duquel Madame [W] informait les salariés du magasin Sévigné, qu’à la suite de la fermeture de leur magasin pour travaux, les personnes n’ayant pas été reclassées à [Localité 5] viendraient en renfort au magasin de la Vallée et leur proposait de faire le point pour définir les détails de ce projet, mais ne s’adressait pas à Madame [E], pourtant responsable du point de vente de La Vallée.

Par lettre du 6 novembre 2016, Madame [E] dénonçait des faits de harcèlement moral, exposant subir quotidiennement, depuis le lendemain de l’envoi de sa lettre du 25 octobre précédent, des pressions, des remarques désobligeantes, des propos dévalorisants et des demandes contradictoires de la part de ces deux personnes.

Madame [E] expose également que, le 18 octobre 2016, la direction a embauché Madame [O] en qualité de responsable adjointe mais que celle-ci étant totalement incompétente, elle a mis fin à sa période d’essai.

Par une lettre collective datée du 30 octobre 2016, sept salariés de la boutique de La Vallée, s’étaient en effet plaint du comportement insupportable et de l’incompétence totale de Madame [O]. Madame [P], autre salariée de la boutique, adressait une lettre dans le même sens le 6 décembre 2016.

Le 18 novembre, la direction notifiait à Madame [E] un avertissement, lui reprochant d’avoir mis fin à la période d’essai de cette personne, sans avoir fait préalablement valider cette décision par sa responsable régionale.

Par lettre du 2 décembre, Madame [E] contestait la sanction, faisant valoir qu’elle et ses adjoints avaient précédemment mis fin à des périodes d’essai à de nombreuses reprises sans en aviser la direction et sans pour autant encourir de reproches.

Le 23 décembre 2016, la direction lui répondait en contestant ses allégations et par une autre lettre datée du même jour et signée par Madame [W], lui adressait un nouvel avertissement, lui reprochant un mauvais climat social au sein du magasin et des dysfonctionnements dans sa gestion, consistant à signaler faussement sa présence ou celle de collaboratrices dans le planning.

Parallèlement, la Direction décidait de réintégrer Madame [O] au sein du magasin.

Madame [E] produit l’attestation de Madame [K], son ancienne adjointe, qui déclare qu’à partir du moment où elle s’est plainte de sa situation auprès de la Direction, des rapports conflictuels avec le siège ont commencé : appels incessants pour justifier des remises, email répétés menaçant d’avertissements ou mettant en doute leur honnêteté sur la gestion des stocks, qu’elle-même a été menacée d’avertissement pour une carte de collaborateur dès qu’elle a commencé à soutenir sa responsable, que Madame [E] subissait des décisions humiliantes, n’ayant plus le droit de faire des recrutements et ses plannings, que Madame [O] s’est montrée totalement incompétente mais exerçait des pressions sur Madame [E] et elle-même, surveillant leurs faits et gestes pour les colporter à la direction et que Madame [W] a annoncé à toute l’équipe la réintégration de cette personne, ce qui a porté atteinte à sa crédibilité. Elle ajoute que plusieurs salariés s’étant plaints du comportement de Madame [O], la Direction a finalement rompu son contrat.

En ce qui concerne Madame [O], Madame [E] produit également les attestations dans le même sens de Mesdames [H] et [Z] et de Monsieur [D], anciens vendeurs.

Madame [E] a fait l’objet d’arrêts de travail du 2 au 16 juillet 2016, 19 au 26 octobre 2016, 23 novembre au 9 décembre 2016, 29 décembre 2016 au 31 mars 2017, 24 avril au 28 juillet 2017 et 5 au 14 janvier 2018, les avis mentionnant des douleurs lombaires et des états anxio-dépressifs. Madame [E] produit à cet égard des ordonnances médicales de janvier et mars 2017 lui prescrivant des anxiolytiques.

Le 28 juin 2017, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste de responsable de boutique, précisant qu’elle pourrait occuper une activité similaire “dans un autre contexte organisationnel et technique”.

Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

De son côté, la société Claudie Pierlot fait valoir que le premier avertissement était justifié, exposant que le responsable de boutique n’a pas de délégation de pouvoir en matière de gestion du personnel, que s’il peut donner son avis éclairé sur un recrutement, toute décision doit être prise avec l’accord du directeur régional et qu’en l’espèce, s’il s’est avéré que la salariée réintégrée ne donnait pas satisfaction, il n’en reste pas moins qu’en agissant ainsi,”derrière le dos” de sa supérieure, Madame [E] n’a pas respecté ses obligations contractuelles, que souhaitant s’affranchir de l’autorité de sa directrice régionale qu’elle avait prise en grippe, elle avait agi sans son aval.

La société Claudie Pierlot produit à cet égard l’attestation de Madame [W], qui expose que, dès son arrivée, Madame [E] s’est montrée réticente à son égard et frustée de ne pas avoir bénéficié de la promotion souhaitée, que leurs relations se sont ensuite détériorées, que, concernant l’arrivée de Madame [O], celle-ci, pourtant compétente, a été très mal accueillie au sein du magasin, que Madame [E] a mis fin à sa période d’essai sans l’en avertir, que, parmi son équipe, Madame [E] a fait d’elle-même “la personne à abattre”.

Il convient toutefois de relever en premier lieu que ce témoignage émane de la personne même que Madame [E] accuse de harcèlement moral à son encontre.

Par ailleurs, la société Claudie Pierlot ne conteste pas les allégations de Madame [E], selon lesquelles, malgré les stipulations de son contrat de travail, elle avait précédemment rompu des périodes d’essai sans accord préalable de la Direction et sans encourir de reproches sur ce point.

La société Claudie Pierlot ne fournit pas davantage d’explications sur l’effet de la réintégration de Madame [O] sur la crédibilité de Madame [E] à l’égard de son équipe, tout en reconnaissant l’incompétence de cette salariée dont le contrat de travail a d’ailleurs finalement été rompu, contredisant en cela les déclarations de Madame [W].

S’agissant du second avertissement, la société Claudie Pierlot expose que Madame [E] a contraint les salariés de son équipe à prendre partie dans son conflit l’opposant à Madame [W], générant des clivages au sein de la boutique, avec des traitements de faveur au profit de ceux qui la soutenaient et des propos humiliants à l’égard des autres.

La société Claudie Pierlot produit en ce sens une attestation de Madame [V], qui déclare que, dès son arrivée dans la société, Madame [E] s’est comportée à son égard en l’exploitant, qu’elle faisait tout pour nuire à son évolution au sein de l’entreprise que, lorsqu’elle a appris la nomination de Madame [W] en qualité de directrice régionale, elle a détourné l’équipe dans le seul but de nuire au siège et à ceux qui l’accompagnaient dans “son combat”, qu’elle s’est comportée comme un “vrai tyran” à son encontre, qu’elle a même tenté de la piéger pour l’accuser de vol.

Cependant, ce témoignage n’est étayé par aucun élément matériel, alors que les compte-rendus d’évaluation de Madame [E] ne signalent aucune difficulté relative à son management.

Par ailleurs, les compte-rendus d’entretiens de décembre 2016 produits par la société Claudie Pierlot font surtout ressortir l’insatisfaction des salariés du magasin de la Vallée à l’égard de Madame [O] et la réalité du grief relatif aux présences faussement mentionnées dans les plannings n’est étayée par aucun élément.

En somme, si les éléments produits par la société Claudie Pierlot font ressortir une frustration de Madame [E] concernant son évolution de carrière, le grief injustifié d’être victime de discrimination et une mésentente avec Madame [W], nouvelle directrice régionale, ils ne permettent néanmoins pas de contredire utilement ses griefs relatifs à des pressions, une mise à l’écart et une déstabilisation vis à vis des membres de son équipe, qui, quant à eux, sont étayés par des éléments concordants et qui ont entraîné une dégradation de son état de santé.

Le jugement doit donc être infirmé en ce qu’il a débouté Madame [E] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et il convient de fixer son préjudice à 8 000 euros.

Sur le manquement allégué à l’obligation de sécurité

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur a l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et aux termes de l’article L 4121-2, il met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Aux termes de l’article L. 1152-4 du même code, l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

En l’espèce, malgré la dénonciation par Madame [E] de faits de harcèlement moral, la société Claudie Pierlot ne justifie avoir pris aucune mesure de prévention ou de nature à faire cesser de tels agissements, lui causant un préjudice qu’il convient d’évaluer à 2 000 €, infirmant le jugement sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

Madame [E] ne rapportant pas la preuve d’un préjudice distinct de celui réparé par les dommages et intérêts précités, le jugement doit être confirmé en ce qu’i l’a déboutée de cette demande.

Sur le licenciement

Il résulte des dispositions des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail qu’est nul le licenciement prononcé au motif que le salarié a subi ou a refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.

En conséquence, le licenciement prononcé pour inaptitude est nul lorsque cette inaptitude est la conséquence d’agissements de harcèlement moral.

En l’espèce, il résulte des développements qui précèdent que les arrêts de travail de Madame [E] ont coïncidé avec les faits constitutifs de harcèlement moral, lesquels sont à l’origine de son inaptitude.

Le licenciement, prononcé pour inaptitude encourt donc la nullité.

Cependant, il convient de ne statuer que dans les termes de la demande, puisque Madame [E] ne conclut qu’a l’absence de caractère réel et sérieux du licenciement.

A la date de la rupture, Madame [E] avait plus de deux années d’ancienneté et est donc fondée à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire sur le fondement des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail. En étalant sur 12 mois les primes versées en 2016, le salaire de référence permettant de calculer cette indemnité, s’élève à 3 574,33 euros. L’indemnité s’élève donc à 7 148,66 euros, outre l’indemnité de congés payés afférente de 714,86 euros.

L’entreprise comptant plus de dix salariés, Madame [E], qui avait plus de deux ans d’ancienneté, a droit à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable au litige, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Au moment de la rupture, Madame [E], âgée de 31 ans, comptait plus de 4 ans d’ancienneté. Elle ne produit aucun élément relatif à sa situation à la suite de la rupture du contrat de travail.

En dernier lieu, elle percevait un salaire mensuel brut de 3 574,33 euros.

Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d’évaluer son préjudice à 21 500 euros.

Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.

Sur les autres demandes

Il convient d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle Emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte apparaisse nécessaire.

La demande de publication demandée n’est pas adaptée à la réparation des préjudices de Madame [E].

Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Claudie Pierlot à payer à Madame [E] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu’il y a lieu de fixer à 2 500 euros.

Il convient de dire, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2018, date de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du même code.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté Madame [M] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés ;

Condamne la société Claudie Pierlot à payer à Madame [M] [E] les sommes suivantes :

– dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité : 2 000 € ;

– dommages et intérêts pour harcèlement moral : 8 000 € ;

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 21 500 € ;

– indemnité compensatrice de préavis : 7 148,66 € ;

– indemnité de congés payés afférente : 714,86 € ;

– indemnité pour frais de procédure : 2 500 €.

Dit que les condamnations au paiement, de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts et de l’indemnité pour frais de procédure porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les autre condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2018 ;

Ordonne la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à Pôle Emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai de 30 jours à compter de sa signification ;

Ordonne le remboursement par la société Claudie Pierlot des indemnités de chômage versées à Madame [M] [E] dans la limite de six mois d’indemnités ;

Rappelle qu’une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi ;

Déboute Madame [M] [E] du surplus de ses demandes ;

Déboute la société Claudie Pierlot de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel ;

Condamne la société Claudie Pierlot aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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