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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 19 OCTOBRE 2022
(n° 189 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/13607 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEC74
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21Janvier 2019 rendue par le Tribunal de Commerce de PARIS, RG n° 2016049703
APPELANTE
SOCIÉTÉ CARMO BRANCO LDA agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
Société de droit portugais, immatriculée sous le numéro 502 227 320
[Adresse 5],
[Adresse 5],
PORTUGAL
Représentée par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque C2440.
Assistée de Me William TROUVÉ, avocat au barreau de PARIS, toque A138.
INTIMEES
S.A.S. COTY FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 552 019 291
[Adresse 3]
[Localité 4]
Société HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND SARLSociété de droit suisse, venant aux droits de la Société COTY GENEVA SARL VERSOIX
immatriculée sous le numéro CHE 142 536 956
[Adresse 1]
[Localité 2] (SUISSE)
Représentées par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque L0018, avocat postulant
Assistées de Me François PONTHIEU, de la SELARL PONTHIEU AVO CATS, avocat au barreau de MARSEILLE
INTERVENANT VOLONTAIRE
Monsieur [P] [O] [I] [T] [G] es-qualités d’ « administrador da insolvencia » (administrateur d’insolvabilité) de la Société CARMO BRANCO LDA au sens des articles 55 et 81.4 du Codigo da Insolvencia et da recuperacao de Empresas (CIRE), nommé en cette qualité par jugement du Tribunal Judiciaire de la circonscription de la région Ouest de Lisbonne, Tribunal de Commerce de Sintra en date du 27 avril 2021, demeurant Rua Rui Teles Palhinha, 8, 1°E, 2740-287 Porto Salvo (Portugal)
Représentée par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque C2440.
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 29 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre,
Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère
Madame Camille LIGNIERES, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre et par Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
******
FAITS ET PROCEDURE
La société Carmo Branco, de droit portugais, a pour activité la distribution de produits cosmétiques et de parfumerie.
La société Bourjois, aux droits de laquelle vient la société Coty France depuis son rachat en avril 2015 par le groupe Coty, a pour activité la fabrication et le commerce de gros de parfumerie et de produits de beauté. Depuis 2015, les distributeurs de chaque pays sont livrés en produits Bourjois par la société Coty Geneva SA versoix devenue HFC Prestige International Operations Switzerland ( ci-après ‘les sociétés Coty’).
Les sociétés Carmo Branco et Bourjois ont signé le 12 mai 1982 un contrat ayant pour objet ‘ la concession exclusive des produits de parfumerie, cosmétiques et savonnerie de toilettes de marque ‘Bourjois’ par la société Carmo Brance sur le territoire portugais.
Un nouveau contrat a été signé entre les parties le 30 juin 1986, puis complété par plusieurs avenants. Le contrat est tacitement reconduit d’année en année, du 1er janvier au 31 décembre.
Entre juillet et novembre 2015, la société Carmo Branco a cessé de passer des commandes à la société Coty, puis une nouvelle commande en décembre 2015 pour un montant de 150 000 euros.
Le 4 mars 2016, la société Coty France a mis en demeure la société Carmo Branco de lui payer la somme de 156 934 euros correspondant aux commandes livrées de mai à juillet 2015 ainsi que la somme de 198 584,19 euros dues dans le cadre de son plan de redressement (ci-après ‘PER’).
Par lettre du 18 avril 2016, le conseil de la société Coty Geneva SA Versoix et de la société Coty France, a notifié à la société Carmo Branco la fin immédiate du contrat et la reprise en direct de la distribution des produits au Portugal, arguant de fautes de son distributeur.
Par actes des 25 mai et 31 mai 2016, la société Carmo Branco a assigné les sociétés Coty France et Coty Geneva SA Versoix devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de se voir indemniser, sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce et de l’article 1382 du code civil, de la rupture brutale de la relation commerciale établie entretenue avec la société Bourjois.
Par jugement du 21 janvier 2019, le tribunal de commerce de Paris a :
Débouté la société de droit portugais Carmo Brancco de l’ensemble de ses demandes,
Condamné la société de droit portugais Carmo Branco à payer aux défendeurs la somme de 156 934,16 euros au titre des factures émises et restant impayées et débouté les défendeurs du surplus de leur demande à ce titre,
Débouté les défendeurs de leurs demandes au titre de perte de chiffre d’affaires, de la réparation du préjudice économique et du préjudice moral,
Condamné la société de droit portugais Carmo branco à payer aux défendeurs la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et débouté les défendeurs du surplus de leur demande à ce titre,
Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement et en déboute respectivement les parties,
Ordonné d’office l’exécution provisoire du présent dispositif,
Condamné la société de droit portugais Carmo Branco aux dépens
Par déclaration reçue au greffe le 25 janvier 2019, la société Carmo Branco a interjeté appel du jugement.
A la suite d’une radiation par ordonnance du 10 mars 2020, l’affaire a été remise au rôle de la Cour.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 avril 2022, la société Carmo Branco et Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], es-qualités de d’ “administrador da insolvencia” (administrateur d’insolvabilité) , demandent à la Cour de :
Vus notamment l’article L.442-6 I 5° du Code du commerce et l’article 1382 du Code civil ainsi que l’article 554 du code de procédure civile
DECLARER Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], es-qualités de
d’ “administrador da insolvencia” (administrateur d’insolvabilité) de la Société CARMO BRANCO, recevable et bien fondé en son intervention volontaire,
Y faisant droit,
Infirmer le jugement rendu le 21 janvier 2019 par le Tribunal de Commerce de PARIS en ce qu’il a :
– débouté la Société CARMO BRANCO LDA de l’ensemble de ses demandes,
Et statuant à nouveau,
Juger que la relation commerciale entre la Société CARMO BRANCO LDA et les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL, OPERATIONS SWITZERLAND, venant aux droits de la Société BOURJOIS, est établie depuis 1982 au sens de l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce,
Juger que le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale par les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND, venant aux droits de la Société BOURJOIS, est établi.
Juger que le préavis qui aurait dû être respecté par les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND, venant aux droits de la Société BOURJOIS, ne peut pas être inférieur à 36 mois.
En conséquence,
Condamner conjointement et solidairement les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND, venant aux droits de la Société BOURJOIS, à payer à Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], es-qualités de d’ ” administrador da insolvencia ” (administrateur d’insolvabilité) de la Société CARMO BRANCO la somme de 3.911.351 € au titre de l’indemnisation du préjudice économique résultant de la perte de marge commerciale brute calculée sur la base d’un préavis de 36 mois,
Condamner conjointement et solidairement les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND, venant aux droits de la Société BOURJOIS, à payer à Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], es-qualités d’ ” administrador da insolvencia ” (administrateur d’insolvabilité) de la Société CARMO BRANCO la somme de 1.352.097 € au titre du préjudice résultant des investissements réalisés pour l’exécution du Contrat n’étant plus nécessaires suite à la rupture brutale de la relation commerciale établie,
Condamner conjointement et solidairement les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND, venant aux droits de la Société BOURJOIS, à payer à Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], es-qualités d’ ” administrador da insolvencia ” (administrateur d’insolvabilité) de la Société CARMO BRANCO la somme de 459.646 € au titre du préjudice résultant du coût des licenciements rendus nécessaires suite à la rupture de la relation commerciale établie,
Condamner conjointement et solidairement les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND, venant aux droits de la Société BOURJOIS, à payer à Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], es-qualités d’ “administrador da insolvencia” (administrateur d’insolvabilité de la Société CARMO BRANCO la somme de 50.000 € au titre du préjudice moral résultant de leur comportement déloyal,
Confirmer le jugement de 1ère instance en ce qu’il a débouté les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND de leurs demandes tendant à voir condamner la Société CARMO BRANCO LDA à leur verser :
– une somme de 500.000 € au titre de ” la réparation du préjudice économique subi par COTY du fait de la perte de chiffre d’affaires directement liée à l’inexécution fautive du contrat par CARMO BRANCO “,
-une somme de 200.000 € au titre de ” la réparation du préjudice économique et du préjudice moral subis par COTY du fait de la dégradation de la valeur de la marque BOURJOIS “,
Juger en toute hypothèse irrecevables, compte tenue de la procédure collective de la société CARMO BRANCO et sur le fondement notamment de l’article 90 du Codigo da Insolvencia et da recuperacao de Empresas (CIRE) les demandes des intimées tendant à :
-voir confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné la Société CARMO BRANCO LDA à régler aux Sociétés COTY France et COTY GENEVA SA VERSOIX une somme de 156.934,16 € au titre des factures émises et restant impayées, outre la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
-voir condamner la société CARMO BRANCO à leur verser une somme de 500.000 € au titre de ” la réparation du préjudice économique subi par COTY du fait de la perte de chiffre d’affaires directement liée à l’inexécution fautive du contrat par CARMO BRANCO “,
– une somme de 200.000 € au titre de la réparation du préjudice économique et du préjudice moral subis par COTY du fait de la dégradation de la valeur de la marque BOURJOIS
Débouter les Sociétés COTY de leurs plus amples demandes.
Condamner conjointement et solidairement les Sociétés COTY France et HFC PRESTIGE INTERNATIONAL OPERATIONS SWITZERLAND, venant aux droits de la Société BOURJOIS, à payer à Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], es-qualités d’ ” administrador da insolvencia ” (administrateur d’insolvabilité) de la Société CARMO BRANCO la somme de 50.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 25 mai 2022, les sociétés Coty France et HFC prestige International Opérations Swizerland, demandent à la Cour de :
– prendre acte du fait que CARMO BRANCO fonde son action sur une prétendue rupture par COTY, à la date du 18 avril 2016, de la relation commerciale qui existait entre les parties,
– constater que, à cette date, CARMO BRANCO n’avait plus aucune activité,
– constater que CARMO BRANCO a stoppé ses commandes de produits à l’été 2015,
– constater la rupture de la relation commerciale par CARMO BRANCO,
– dire et juger, en conséquence, que COTY n’a pas pu rompre au 18 avril 2016 une relation commerciale qui n’existait plus, et qu’elle n’a fait en réalité que constater la terminaison de ladite relation en conséquence des fautes de CARMO BRANCO,
– dire et juger que les différents manquements contractuels de CARMO BRANCO (notamment le non-paiement des produits achetés et l’absence de commandes de sa part) constituent des fautes d’une gravité suffisante autorisant COTY à résilier la relation entre les parties dans les conditions contractuelles,
– constater que COTY a résilié le CONTRAT entre les parties dans les conditions contractuelles,
-constater, en tout état de cause, que la rupture ne peut être qualifiée de brutale, puisqu’elle n’est que la conséquence des difficultés économiques de CARMO BRANCO, actées au Plan de Redressement soumis le 18 juillet 2014 au tribunal de Lisbonne, et reconnues par les parties lors de leurs nombreux échanges,
-rejeter, en conséquence, l’ensemble des demandes, fins et prétentions de CARMO BRANCO
En conséquence,
confirmer le jugement de première instance en tous points, sauf en ce qu’il déboute COTY :
– du surplus de ses demandes au titre des factures émises et restant impayées,
-de ses demandes au titre de perte de chiffre d’affaires, de la réparation du préjudice économique et du préjudice moral, soit :
*la somme de 500.000 euros au titre de la réparation du préjudice économique subi par COTY du fait de la perte de chiffres d’affaires directement liée à l’inexécution fautive du CONTRAT par CARMO BRANCO,
*la somme de 200.000 euros au titre de la réparation du préjudice économique et du préjudice moral subi(s) par COTY du fait de la dégradation de la valeur de la marque BOURJOIS au Portugal
A TITRE SUBSIDIAIRE, et si la cour de céans devait considérer que la relation a été rompue de manière brutale par COTY,
Avant dire droit, ordonner à CARMO BRANCO de communiquer les éléments qui permettraient de calculer sa marge brute de façon incontestable, soit :
– une copie de 5 factures de vente des PRODUITS, pour des quantités significatives, établies par CARMO BRANCO aux enseignes, pour les mois de juin 2013, juin 2014 et juin 2015,
– pour les enseignes suivantes : Barreiros Faria, Sephora, Douglas, Marionnaud, El Corte Ingles.
Avant dire droit, ordonner à CARMO BRANCO de communiquer l’intégralité des éléments relatifs aux ventes qu’elle a effectuées en dehors du territoire portugais (notamment en Angola), ainsi que les comptes détaillés de la société VISION ROUGE, sur toutes les années où elle a été active,
Puis, sur le fond :
-dire et juger que CARMO BRANCO ne saurait se prévaloir en l’espèce d’un préavis supérieur à une durée de 18 mois, à minorer du fait des fautes de CARMO BRANCO,
-dire et juger que le calcul du préjudice de CARMO BRANCO doit être effectué en prenant pour base une marge brute de 16,46% et un chiffre d’affaires moyen sur les trois dernières années contractuelles de 1.020.607 euros,
-dire et juger que l’ensemble des postes de préjudices invoqués par CARMO BRANCO ne sont pas prouvés,
-dire et juger que les préjudices liés aux investissements prétendument réalisés par CARMO BRANCO et aux prétendus coûts des licenciements économiques, ainsi que son préjudice moral, ne sauraient être réparés en l’espèce,
-dire et juger que le comportement fautif de CARMO BRANCO l’empêche d’obtenir réparation de tout ou partie du préjudice qu’elle invoque et apprécier, le cas échéant la proportion de la responsabilité de CARMO BRANCO dans la survenance du dommage qu’elle invoque afin d’évaluer l’éventuel quantum de réparation,
-rejeter, pour l’éventuel surplus, l’ensemble des demandes, fins et prétentions de CARMO BRANCO
EN TOUT ETAT DE CAUSE
condamner, à titre reconventionnel, CARMO BRANCO à payer à COTY :
-la somme complémentaire de 7.136,46 euros au titre des factures émises et restant impayées,
-la somme de 500.000 euros au titre de la réparation du préjudice économique subi par COTY du fait de la perte de chiffres d’affaires directement liée à l’inexécution fautive du Contrat par CARMO BRANCO,
-la somme de 200.000 euros au titre de la réparation du préjudice économique et du préjudice moral subi(s) par COTY du fait de la dégradation de la valeur de la marque BOURJOIS,
– condamner CARMO BRANCO à payer à COTY la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à celui des entiers dépens. Sous toutes réserves “.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 juin 2022.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur l’intervention volontaire de l’administrateur d’insolvabilité de la société Carmo Branco
Par jugement du 27 avril 2021(pièce n°91Carmo Branco), le tribunal judiciaire de la circonscription de la région ouest de Lisbonne, tribunal de commerce de Sintra au Portugal a prononcé la faillite de la société Carmo branco LDA et désigné Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], ès-qualités de d’”administrador da insolvencia” (administrateur d’insolvabilité) de la Société Carmo Branco.
Il y a lieu de déclarer recevable l’intervention volontaire de M.[P] [O] [I] [T] [G], ès-qualités de d’”administrador da insolvencia” (administrateur d’insolvabilité) de la Société Carmo Branco.
Sur les demandes au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie
La société Carmo Branco et l’administrateur d’insolvabilité font valoir pour l’essentiel que la relation commerciale établie a duré plus de 34 ans et que la société Carmo Branco ne pouvait prévoir une telle rupture à l’initiative des sociétés Coty qui n’ont cessé d’affirmer qu’elles entendaient poursuivre la relation commerciale. Ils font observer que si la société Carmo Branco n’a pas passé de commandes entre juillet 2015 et décembre 2015, c’est en raison d’une part de stocks permettant la vente de produits chez les revendeurs sans nouvelles livraisons et d’autre part, dans l’attente d’une clarification de la position de Coty par l’envoi d’une lettre de confort destinée à rassurer le marché portugais mis à mal par des rumeurs colportées par des préposés Bourjois/Coty, selon lesquelles Carmo Branco allait bientôt perdre le marché. Ils précisent que la société Carmo Branco a néanmoins passé 4 commandes le 2 décembre 2015 pour un total de 150 000 euros lesquelles n’ont été honorées par la société Coty qu’à hauteur d’un montant de 6248,65 euros, réglées le 26 avril 2016, puis de nouvelles livraisons ont été effectuées après la rupture en adressant le 9 mai 2016 une facture de 12 895,75 euros. Ils soutiennent que la dette résiduelle de 156 934 euros a constitué un prétexte pour la société Coty de ne pas honorer les commandes passées, mettant ainsi la société Carmo Branco dans l’impossiblité de régler sa dette ne disposant plus de marchandises pour alimenter son activité. En laissant la société Carmo Branco sans interlocuteur pendant de nombreux mois et dans l’incertitude de la pérennité de la relation, il est avancé que la société Coty a ainsi asphyxié la société Carmo Branco et permis d’aboutir à une rupture contractuelle sans bourse délier afin de poursuivre sa stratégie globale de rupture des contrats de distribution au 31 décembre 2015.
Les sociétés Coty répliquent pour l’essentiel que c’est exclusivement l’inexécution fautive de ses obligations contractuelles par la société Carmo Branco, et l’arrêt des commandes de sa part, qui ont contraint Coty à résilier le contrat liant les parties, alors même qu’elle a toujours affirmé, de façon non équivoque et répétée, sa volonté de poursuivre la relation commerciale et de bénéficier d’un distributeur au Portugal. Elles insistent sur le fait que la société Carmo Branco est la seule responsable de la rupture
brutale des relations commerciales, par le défaut de paiement des factures et l’arrêt de son activité au moment de la résiliation en avril 2016, et soulignant que les difficultés économiques de l’entreprise sont anciennes et le résultat de ses propres fautes de gestion.
Réponse de la Cour,
Les parties ne contestent pas qu’elles ont noué une relation commerciale établie depuis 34 années dans le cadre d’un contrat de distribution exclusive des produits de la marque Bourgeois par la société Carmo Branco sur le territoire Portugais, mais s’opposent sur l’imputabilité de la rupture formalisée par lettre du 18 avril 2016, la société Coty notifiant à la société Carmo Branco la résiliation du contrat de distribution du 30 juin 1986 à effet immédiat.
Il ressort de l’exposé de la situation économique et financière de la société Carmo Branco dans le cadre de la procédure ayant conduit au plan de redressement de l’entreprise adopté le 25 novembre 2014 (pièces Carmo Branco n°22 et 23), les éléments suivants :
Les difficultés économiques et financières de la société Carmo Branco remontent à la période 2005 et 2007 où le marché sélectif de la parfumerie sur lequel était positionné la société Carmo Branco s’est ouvert aux grandes chaînes de distribution (Sephora,…), lesquelles, à partir de 2007, ont commencé à favoriser la vente de leurs propres marques exclusives, ce qui a eu un impact négatif sur l’activité de la société Carmo Branco obligeant celle-ci à accroître l’étendue de son marché traditionnel vers les ventes sur trois nouvelles chaînes de distribution avec d’importants investissements corrélatifs. Cette stratégie d’accroissement de l’activité de la société Carmo Branco, grâce à un certain endettement, s’est traduite en 2010 par une augmentation de près de 36% du chiffre d’affaires par rapport à l’année 2007, mais en 2011, la crise financière nationale a provoqué la fermeture de nombreux points de vente dans la chaîne de distribution, la chute des ventes de plus de 50% et corrélativement du chiffre d’affaires de la société Carmo Branco entre 2011 et 2013. N’ayant pas réussi à renégocier les échéances d’emprunt de ses investissements, la société Carmo Branco a été contrainte de prendre diverses mesures de gestion, dans un contexte où les grandes surfaces étaient devenues plus exigeantes quant aux conditions d’achat des produits distribués. Il est précisé que pour tenir compte de la situation dans laquelle se trouvait la société Carmo Branco, la société Bourjois a également contribué, à titre gratuit, à l’amélioration de l’activité de la société par l’apport de 560 000 euros en produits de la marque.
Il ressort des propres pièces de la société Carmo Branco ( notamment pièces 20 à 24, 33 ) que la société Bourjois a soutenu son distributeur par diverses actions ( produits gratuits, délais de paiement, acceptation du plan de redressement…) et ce depuis 2012. Par ailleurs, les échanges entre les parties courant 2015, notamment à compter de septembre 2015 produits par chacune des parties, révèlent que les sociétés Coty ont toujours clairement affirmé leur intention de poursuivre la relation commerciale avec leur distributeur portugais dans le cadre du contrat de distribution se renouvelant chaque année depuis 1982, tout en refusant de s’engager dans une lettre de ‘confort’ jusqu’en 2025, au delà de leurs obligations contractuelles et compte tenu de la situation économique et financière de la société Carmo Branco.
Bien que bénéficiant dans ce contexte d’un plan de redressement ayant débuté en janvier 2015, la société Carmo Branco n’a cependant plus opéré de commande auprès de la société Bourjois devenue Coty entre juillet et décembre 2015. Cet arrêt des commandes était, non pas lié à une situation d’écoulement des stocks, de négociation ou d’obstruction de la part des sociétés Coty, comme le soutient la société Carmo Branco sans le démontrer sérieusement, mais le révélateur de l’arrêt progressif de son activité de distribution. Comme le démontre les sociétés Coty, sans être utilement contredites par les appelants, cet arrêt de l’activité de distribution de Carmo Branco s’est révélé par l’analyse de ses déclarations de TVA de janvier 2015 à mars 2016 et le licenciement de ses 10 employés entre juin 2015 et mai 2016 (Pièces Coty n°30 à 32), outre le délaissement des unités de merchandising courant 2016 ( pièces Coty n° 17 à 19 et pièces Carmo Branco n°47 et 48).
Le 2 décembre 2015, la société Carmo Branco a passé des commandes pour un montant de 150 000 euros. Il ressort des pièces versées aux débats qu’il a été suggéré par la société Coty de la réduire à 100 000 euros compte tenu des difficultés de paiement non sérieusement contestées par la société Carmo Branco.
Il s’ensuit que les appelants échouent à démontrer toute faute ou comportement des sociétés Coty qui serait à l’origine de sa déconfiture et de la cessation progressive de son activité courant 2015 – 2016.
De l’ensemble de ces éléments, il ressort qu’au moment de la notification de la rupture en avril 2016, les sociétés Coty ne faisaient que prendre acte de la cessation d’activité de la société Carmo Branco et de la cessation de la relation commerciale établie qui s’en est suivie imputable à cette dernière.
Les appelants échouant à démontrer une rupture brutale de la relation commerciale imputable aux sociétés Coty, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Carmo Branco de l’ensemble de ses demandes de dommages-intérêts.
Sur les demandes de dommages-intérêts des sociétés Coty
Les sociétés intimées font valoir que les manquements contractuels et le comportement de la société Carmo Branco ont lourdement porté atteinte à l’image et au prestige des produits Bourjois, leur causant :
– un préjudice économique lié à la perte de chiffre d’affaires : 500 000 euros montant issu d’une comparaison des pertes entre mai 2015 et avril 2016 par rapport aux chiffres réalisés les années précédentes sur la même période,
– un préjudice économique et moral liée à la dégradation de la valeur de la marque Bourjois évalué à la somme de 200 000 euros, soit envron1/5ème du chiffre d’affaires moyen de Carmo Branco sur les trois dernières années contractuelles,
Les appelantes soutiennent que ces demandes sont irrecevables en application de l’article 90 du code portugais régissant les procédures collectives et en tout état de cause dépourvues de tout fondement.
Réponse de la Cour
L’article 90 du Codigo da Insolvencia et da recuperacao de Empresas (CIRE) invoqué par les appelants, en ce qu’il dispose que les créanciers de l’insolvabilité ne peuvent exercer leurs droits que conformément aux préceptes du présent code tant que la procédure d’insolvabilité est pendante, ne s’oppose pas à ce que les sociétés intimées formulent des demandes dans la présente instance introduite par la société Carmo Branco au titre de la reconnaissance en son principe d’une créance envers la société Carmo Branco assistée de son administrateur d’insolvabilité.
Sur le fond, les sociétés intimées n’apportent aucun élément sérieux justifiant de la réalité et de l’ampleur des préjudices allégués, ainsi que du lien de causalité avec les fautes reprochées à la société Carmo Branco dans un contexte de retournement de marché et de crise financière précédemment observé.
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur le demande en paiement de factures des sociétés Coty
Les sociétés Coty demandent la condamnation de la société Carmo Branco à payer la somme complémentaires de 7 136,46 euros au titre des factures émises et restant impyées, demande qui n’est pas davantage justifié à hauteur d’appel.
L’article 90 précité ne justifie pas davantage la fin de non-recevoir soulevée par les appelants concernant la demande de confirmation du jugement en ce qu’il a condamné la société Carmo Branco au paiement d’une somme de 156 934,16 euros au titre des factures émises et restant impayées.
Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Carmo Branco aux dépens de première instance et à payer aux sociétés Coty la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Carmo Branco et M. [P] [O] [I] [T] [G], ès-qualités de d’ “administrador da insolvencia”, parties perdantes, seront condamnés aux dépens d’appel.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Carmo Branco et M. [P] [O] [I] [T] [G], ès-qualités d’ ” administrador da insolvencia “seront déboutés de leur demande et condamnés à payer aux sociétés Coty la somme de 10 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable l’intervention volontaire Monsieur [P] [O] [I] [T] [G], ès-qualités de “administrador da insolvencia” (administrateur d’insolvabilité) de la société Carmo Branco LDA ;
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour,
Y ajoutant,
Condamne la société Carmo Branco et M. [P] [O] [I] [T] [G], ès-qualités de “administrador da insolvencia” aux dépens d’appel,
Condamne la société Carmo Branco et M. [P] [O] [I] [T] [G], ès-qualités de “administrador da insolvencia” à payer aux sociétés Coty France et HFC Prestige International opération Switzerland la somme globale de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE