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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 16 NOVEMBRE 2022
(n° 2022/ , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04025 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB7Q4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Février 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/09002
APPELANT
Monsieur [H] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me David KOUBBI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0246
INTIMÉE
S.A.S. [F] INTERNATIONAL
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Pierre BONNEAU, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : NAN701
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 04 octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Nadège BOSSARD, Conseillère, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
M. [H] [J] a été engagé par la société [F] selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 4 novembre 2013, en qualité de directeur de réseau avec une rémunération annuelle brute de base de 92 160 euros (soit 7 680 euros bruts par mois) outre une rémunération variable pouvant atteindre 50 000 euros.
Par un avenant en date du 3 mai 2017, le montant maximum de la rémunération variable a été réduit à 30 000 € bruts par an, avec application au bonus de l’année 2017.
La société [F] emploie plus de dix salariés et compte 8 établissements en France.
La convention collective applicable est la convention collective du commerce de détail de l’horlogerie-bijouterie du 5 juin 1970.
M. [J] a été investi de plusieurs mandats sociaux au sein de la société [F] et du groupe AMS Industries. Il exerçait ainsi les mandats de directeur général de la société [F] International, directeur général de la société AMS Design, directeur général de la société Tecla, directeur général de la société Tecla Participations et gérant de la société Atelier [F].
Par un courrier du 6 mars 2018, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 16 mars 2018, la société [F] a notifié à M. [J] son licenciement pour insuffisances professionnelles et écarts de comportement altérant le lien de confiance.
Par courriers du 23 mars 2018, chacune des sociétés du groupe a notifié à M.[H] [J] la révocation du mandat social qui lui avait été attribué.
M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes le 28 novembre 2018 en contestation de son licenciement.
Par un jugement du 26 février 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– débouté M. [J] de la totalité de ses demandes ;
– débouté la société [F] de sa demande reconventionnelle ;
– condamné M. [J] au paiement des entiers dépens.
M. [J] a interjeté appel le 6 juillet 2020.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 8 avril 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [J] demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris et de
Condamner la société [F] à verser à M. [H] [J] les sommes suivantes :
Au titre de 1’exécution du contrat de travail
– Rappel de bonus (2015-2016) = 100.000,00 euros
– Indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de bonus : 10.000,00€;
Au titre de la rupture du contrat de travail :
Dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse (12 mois de salaire) : 126.609,00 € ;
En tout état de cause :
Article 700 du code de procédure civile: 10.000,00 €, outre les entiers dépens
Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 2 juin 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société [F] demande de :
– Confirmer le jugement du 26 février 2020 du conseil de prud’hommes de Paris en toutes ses dispositions ;
En conséquence :
– Débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause :
– Condamner M. [J] à verser à la société [F] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner M. [J] aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 14 juin 2022.
MOTIFS :
Sur le licenciement :
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’inaptitude du salarié à exécuter son travail de manière satisfaisante, au regard de son statut, de ses responsabilités et des compétences requises pour l’exercice de ses fonctions.
Caractérisée par le manque de compétences du salarié pour exécuter les tâches qui lui sont confiées, elle doit donc reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur la seule appréciation purement subjective de l’employeur.
Pour considérer que M. [J] a fait preuve d’une insuffisance professionnelle, la société [F] invoque :
– un manque de rigueur et d’implication dans la gestion des boutiques et des équipes de ventes notamment :
*l’absence de mesures correctives à la suite d’alerte sur la gestion du merchandising, la tenue et l’entretien en magasin
* l’absence de présentation des rapports sur les forces de vente et de propositions de réorganisation des équipes
* l’absence de réponse à la demande de présentation d’un modèle de stock avec préconisation d’assortiments produits par boutique
– une communication déficiente de sa part lors de l’instauration de la nouvelle politique de rémunération variable au titre de l’exercice 2018
– un manque de rigueur dans la gestion des « confiés» (produits de valeur remis à des tiers à des fins promotionnelles)
– l’organisation par M. [J] d’une soirée en l’absence d ‘autorisation préalable de la direction.
L’article 3.3 de son contrat de travail stipulait que en qualité de directeur de réseau, il était notamment chargé des tâches suivantes :
– encadrer, recruter et former la force de vente,
– assurer la bonne tenue, le bon fonctionnement des magasins et la gestion des niveaux de stocks,
– veiller au respect des procédures internes.
– sur l’absence de mesures correctives à la suite d’alerte sur la gestion du merchandising, la tenue et l’entretien en magasin
L’employeur produit un courriel adressé le 24 janvier 2017 par Mme [G] [I], présidente de la société AMS, actionnaire principale de la société [F], à M. [J] présentant un plan d’action en 4 points pour les boutiques et plusieurs échanges ultérieurs de mars à octobre 2017 révélant que la présentation des vendeuses, leur connaissance des produits, la présentation des produits n’ont pas connu les améliorations sollicitées dès janvier 2017.
Si les missions relevant du merchandising, de la tenue et de l’entretien des boutiques incombaient à des équipes dédiées auxquelles la représentante du Président, Mme [I], s’adressait directement et qui n’étaient pas sous la direction exclusive de M. [J], ce dernier se devait de superviser le bon déroulement de leur travail.
S’il a permis la bonne réalisation des travaux d’entretien, il n’a pas créé les conditions pour que le merchandising et la tenue des boutiques dont ses équipes avaient la charge soit portés au niveau requis par l’actionnaire. En sa qualité de directeur de réseau, il a été défaillant à créer les conditions de mise en oeuvre du plan d’action défini par l’actionnaire.
– sur l’absence de présentation des rapports sur les forces de vente et de propositions de réorganisation des équipes
Outre que la présentation de rapports sur les forces de vente et de propositions de réorganisation des équipes en fonction des besoins de chaque point de vente relevait de la responsabilité du directeur commercial, si M. [J], en sa qualité de directeur du réseau, était tenu de superviser cette réorganisation, aucune date précise n’avait été définie par l’actionnaire pour présenter de tels éléments. Ce grief est donc insuffisamment caractérisé.
– sur l’absence de réponse à la demande de présentation d’un modèle de stock avec préconisation d’assortiments produits par boutique
La société établit que cette demande a été formulée par Mme [G] [I] le 27 septembre 2017 puis réitérée le 30 octobre 2017. En mars 2018, le sujet a effectivement été traité par M. [J] et ses équipes. Il n’est toutefois pas démontré que ce délai de six mois soit excessif. Ce grief n’est donc pas établi.
– sur la communication et la gestion déficientes de l’instauration de la nouvelle politique de rémunération variable au titre de l’exercice 2018
L’employeur établit par les pièces produites que les éléments de rémunération de l’ensemble des salariés concernés, y compris des non-signataires de l’avenant, ont été modifiés dès le mois de janvier 2018 sur décision de M. [J] ce qui a conduit les salariés non-signataires de l’avenant, privés illicitement de certains éléments de leur rémunération, à se manifester auprès des équipes de la Direction des Ressources humaines de la société [F], pour obtenir une régularisation de leur situation.
Si la réforme de la structure des rémunérations était une décision des actionnaires du groupe, à laquelle M. [J] avait exprimé une réticence, il a exécuté la décision de l’actionnaire et l’a mise en oeuvre. Pour autant la décision plus ponctuelle d’appliquer ce nouveau régime dès janvier 2018 à tous les salariés y compris ceux n’ayant pas signé l’avenant lui incombe. Les courriels produits révèlent qu’il espérait qu’entre le traitement de la paie et son versement, les salariés n’ayant pas signé leur avenant auraient accepté de le faire. Or, tel n’a pas été le cas. Une régularisation sur la paie de février a dû être mise en place et un courrier d’explication joint au bulletin de paie.
Il est ainsi établi que M. [J] a pris une décision préjudiciable aux intérêts des salariés et de l’entreprise au delà même d’une défaillance de communication.
– sur le manque de rigueur dans la gestion des « confiés» (produits de valeur remis à des tiers à des fins promotionnelles)
Le manque de rigueur reproché M.[J] l’étant au titre d’une insuffisance professionnelle et non d’une faute, le moyen tiré d’une prescription des faits est inopérant.
L’employeur verse aux débats des échanges de courriels entre Mme [G], présidente de AMS, actionnaire principal de [F], et M. [J] dont il résulte que Mme [G] lui a demandé de solliciter la restitution des confiés auprès des anciens partenaires de la marque par un premier courriel du 3 novembre 2017, que M. [J] lui a indiqué avoir adressé les courriers de demandes de restitution aux personnes concernées et ils ont convenu de fixer la date du 31 janvier 2018 comme objectif pour le retour de ces confiés. La société [F] ne produit pas de document établissant que ces confiés n’auraient pas été restitués. Ce grief n’est pas établi.
– sur l’organisation d’une soirée en l’absence d ‘autorisation préalable de la direction le 22 février 2018, dans les locaux de l’entreprise à une heure tardive
En sa qualité de directeur général de la société [F], M. [J] avait l’habilitation pour organiser ou autoriser une soirée au sein des locaux de la société. Si l’employeur lui reproche un manque de discernement au motif que cette soirée aurait mis en péril la sécurité des participants et des produits de luxe stockés sur place, aucune pièce n’est produite de nature à démontrer qu’un réel risque ait été encouru. En revanche, il établit que la moquette du bureau du directeur commercial a été tâchée et que les voisins se sont plaints du bruit lié à la musique très forte entendue depuis les bureaux du 4ème étage. Ces troubles du voisinage ont nui à l’image de la société auprès de son voisinage. C’est dès lors à raison que l’employeur fait grief à M. [J] de ne pas avoir agi avec le discernement attendu d’un directeur général en autorisant cette fête.
M. [J] produit certes des attestations de salariés qui témoignent de sa rigueur dans le cadre de leurs relations professionnelles et de son souci de créer de la cohésion d’équipe avec des moments conviviaux.
Pour autant, il résulte des éléments sus- énoncés que M. [J] n’a pas agi à compter de 2017 avec la rigueur et la diligence qui était attendues de sa part en qualité de directeur du réseau de la société [F] International. Son licenciement pour insuffisance professionnelle est ainsi justifié. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la rémunération variable :
L’article 6.2 du contrat de travail de M. [H] [J] stipule que ‘en sus de sa rémunération fixe, il est convenu qu’un bonus annuel pourra être attribué au salarié.
Le montant attribué au salarié sera apprécié en fonction de la réalisation de ses objectifs annuels, lesquels seront fixés chaque année dans le courant du premier trimestre de l’année civile par le comité stratégique de la société.
Le montant du bonus pourra atteindre un montant brut maximum de 50.000 euros (ci-après le ‘bonus maximum’). Savoir :
– jusqu’à 40% du bonus maximum en cas d’atteinte des objectifs assignés en termes de chiffre d’affaires de la société ;
– jusqu’à 40% du bonus maximum en cas d’atteinte des objectifs assignés en termes d’Ebitda de la société ;
– jusqu’à 20% du bonus maximum en fonction d’éléments qualitatifs tels qu’appréciés par le Président de la société ou toute autre personne qu’il désignerait à cet effet, évalués dans le cadre d’un entretien annuel au cours du premier trimestre civil de chaque année.
Cette rémunération lui sera versée en une fois, dès qu’elle sera déterminable et postérieurement à l’approbation des comptes de la société, après déduction de la part salariale des cotisations sociales.’
Le salarié soutient avoir été privé des primes contractuelles correspondant à la part variable de sa rémunération au titre des exercices 2015 à 2018, sans la moindre explication et en l’absence d’entretien annuel d’évaluation.
Si l’employeur verse aux débats des échanges de courriels avec M. [J] établissant que des discussions ont eu lieu sur l’assiette de la prime et les critères retenus tant pour l’année 2015 que pour l’année 2016, l’issue de ces échanges n’est pas communiquée. Aucune notification écrite des objectifs n’est démontrée tant pour l’année 2015 que pour l’année 2016.
En revanche, s’agissant de l’année 2017, les modalités de la calcul de la rémunération variable de M. [J] lui ont été notifiées par courrier du 4 mai 2017.
La société [F] fait valoir que le chiffre d’affaires a diminué de 2015 à 2017 passant de 12 336 376 euros en 2015 à 10 450 423 euros en 2016 et à 9 495 327 euros en 2017.
Elle ne démontre pas de contre performance entre 2014 et 2105. Or, en 2015, M. [J] a perçu 35 000 euros de rémunération variable comme établi par son bulletin de paie de janvier 2015. L’employeur n’ayant pas notifié à son salarié d’objectifs chiffrés pour l’année 2015, celui-ci a droit pour l’année 2015 à une rémunération variable laquelle sera fixée à 35 000 euros, somme équivalente à celle perçue l’année précédente.
Concernant l’année 2016, la baisse tant du chiffre d’affaires que de l’Ebidat par rapport à l’année 2017 est établie de sorte que M. [J] ne peut valablement prétendre à une rémunération variable dont 80% dépendait des résultats économiques de la société, comme prévue par son contrat de travail. Quant aux 20% laissés à l’appréciation de l’employeur, ils devaient être appréciés au cours d’un entretien annuel qui n’a pas eu lieu; cette carence de l’employeur qui a privé le salarié de la possibilité d’exposer la qualité de son travail justifie d’allouer une rémunération variable à ce titre à M. [J] laquelle est fixée à 10 000 euros.
Concernant l’année 2017, l’un des objectifs qui avait été fixé à M. [J] était d’atteindre 11 680 000 euros de chiffre d’affaires ce qui lui aurait permis de percevoir 7 500 euros de prime en cas d’atteinte. Celui- ci ne l’a pas été, le chiffre d’affaires réalisé étant de 9 495 327 euros.
L’objectif d’Ebidat était de – 1,7 M€ pour l’exercice 2017 ce qui lui aurait permis de percevoir 7 500 euros de prime en cas d’atteinte. Or, celui-ci a atteint -3,6 M€.
Le troisième objectif consistant dans le redressement de la situation financière avec un objectif d’équilibre des comptes, de mise en oeuvre d’un plan concernant [F] Japon, de bonne tenue du réseau des boutiques et amélioration de l’expérience client, négociation du contrat de royalties concernant la collection Ma Préférence, fermeture et cession de la boutique [F] au Luxembourg, avances des négociations concernant le droit au bail de la [Adresse 4]. Aucun de ces objectifs cumulatif n’a été atteint.
Enfin, le solde de la rémunération variable représentant 20% de celle-ci était laissée à l’appréciation par le président de la société de l’implication et des performances personnelles de M. [J]. La carence de l’employeur à organiser un entretien annuel a privé le salarié de la possibilité d’exposer la qualité de son travail. Au regard des éléments versés aux débats et à l’insuffisance professionnelle retenue, il y a lieu d’allouer une rémunération variable à ce titre à M. [J] limitée à 2 000 euros.
La société [F] International est en conséquence condamnée à payer à M.[F] la somme de 35 000 euros au titre de la rémunération variable de l’année 2015, 10 000 euros au titre de l’année 2016 et 2 000 euros au titre de l’année 2017 soit la somme de 47 000 euros outre 4 700 euros de congés payés.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La société [F] International est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté la demande de rappels de rémunération variable et a condamné M. [J] aux dépens,
L’INFIRME de ces chefs,
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la société [F] International à payer à M. [H] [J] la somme de 47 000 euros de rappel de rémunération variable et la somme de 4 700 euros de congés payés y afférents,
CONDAMNE la société [F] International à payer à M. [H] [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société [F] International aux dépens.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT