Avocat en Propriété intellectuelle : nouvelle intervention remarquable de Maître Mojica

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République française

Au nom du peuple français

ARRÊT N°

AJ/CM

26 août 2014

RG :13/00474

Association CIRCA LA CHARTREUSE

C/

F.

COUR D’APPEL DE NÎMES

LA CHARTREUSE 58 Rue de la République

Représentée par Me Roland LIENHARDT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. André JACQUOT, Président

GREFFIER :

Mme Carole MAILLET, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;

– – –

Des pourparlers sur une indemnisation amiable de M. Joan F. n’ayant pu aboutir, ce dernier obtenait en référé la désignation de l’expert Baudoin L. qui a déposé le 28 juin 2012 un rapport arrêtant à la somme de 120’000 € les 35 ‘uvres dérobées.

Sur assignation en paiement de M. Joan F., le tribunal de grande instance de Nîmes selon jugement contradictoire du 26 août 2014 a :

‘ rejeté la demande de nullité du rapport d’expertise soutenue par l’association Circa La Chartreuse ;

‘ condamné cette dernière à payer à M. Joan F. la somme de 85’000 €, déduction faite du paiement d’une provision antérieure de 35’000 €, avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2011 au titre de la restitution en équivalent de la valeur contractuellement convenue des 35 photographies originales de la série « Miracles & Co », celle de 9000 € au titre de la perte définitive par M. Joan F. d’exposer les photographies volées et celle de 3000 € au titre de son préjudice moral ;

‘ condamné l’association Circa La Chartreuse aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 3000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ ordonné l’exécution provisoire du jugement.

L’association Circa La Chartreuse a relevé appel de ce jugement et soutient dans ses dernières écritures en date du 26 février 2016 auxquelles il est fait expressément référence pour plus ample exposé des demandes et moyens que :

‘ il convient de retirer de la page 4 des conclusions de l’intimé les propos « pour ne pas dire insultants » qui portent une appréciation diffamatoire sur les écritures de l’appelante ;

‘ le contrat souscrit entre les parties prévoyait en son paragraphe 5 une procédure de résiliation que n’a pas mise en ‘uvre M. Joan F. qui est ainsi irrecevable à réclamer des mesures de sécurité ou de gardiennage ;

‘ il ne rapporte pas la preuve d’un contrat de prêt, ayant exercé les fonctions de commissaire de l’exposition qu’il a lui même organisée et gérée ; à tout le moins il y a utilisation commune de la chose et l’association n’a commis aucune faute ;

‘ le préjudice n’est pas justifié, les photographies ayant été réalisées à partir de fichiers numériques sur du papier encore disponible dans le commerce, autorisant ainsi toute reproduction; d’ailleurs il est admis que les ‘uvres dérobées sont des retirages, la preuve d’une limitation à 5 du tirage de chaque photographie n’étant pas rapportée ;

‘ M. Joan F. est le seul auteur de son préjudice moral ; il n’a déposé aucune plainte en suite du vol ;

‘ il n’y a jamais eu d’accord préalable entre les parties sur la valeur des ‘uvres exposées, M. Joan F. ne pouvant s’emparer de la valeur déclarée au contrat d’assurance.

L’association Circa La Chartreuse conclut à l’infirmation du jugement déféré, au paiement par M. Joan F. d’une indemnité de 1000 € pour diffamation, au rejet de l’intégralité de ses demandes et à sa condamnation au paiement de la somme de 25’000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

M. Joan F., par conclusions récapitulatives et en réplique du 9 mars 2016 auxquelles il est fait ici expressément référence pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, fait valoir que :

‘ après avoir admis qu’elle devait supporter sur son budget propre l’intégralité de

l’indemnisation suite au refus de garantie opposé par l’assureur Axa, l’association Circa La Chartreuse a cherché à marchander la valeur des ‘uvres dérobées, a fait une proposition à 80’000 € puis à 30’000 €

pour finalement contester toute réparation ;

‘ le prêt à usage est caractérisé par la remise à l’appelante d”uvres en vue d’une exposition temporaire organisée par elle quand bien même il a été rémunéré pour sa collaboration artistique, l’association s’étant d’ailleurs déclarée en qualité d’exposant au contrat d’assurance, qualité retenue par l’expert Baudoin L. galeriste professionnel ;

‘ elle a manqué aux obligations prévues à l’article 1881 du code civil et à son obligation de restitution des ‘uvres sous sa garde ;

‘ l’absence d’un dépôt de plainte pour vol par le propriétaire est indifférente et ce d’autant que l’association Circa La Chartreuse n’a pas plus porté plainte pour un vol dans ses locaux ;

‘ le contrat du 27 mai 2010 dont l’objet est la résidence ne concerne pas l’exposition proprement dite ;

‘ il est faux de soutenir que M. Joan F. aurait accepté en connaissance de cause les risques de cambriolage et de vol de ses ‘uvres en l’absence de portes de certaines salles alors que celles qui en étaient pourvues ont été tout autant pillées ;

‘ les ‘uvres dérobées constituent des originaux dont le tirage est limité pour chacune d’elles à cinq exemplaires ; aucun d’entre eux n’a été retrouvé à ce jour ;

‘ l’atteinte portée à son travail d’artiste est aggravée par la situation de conflit et de blocage entretenue de manière déloyale depuis cinq ans par l’appelante.

M. Joan F. conclut à la confirmation du jugement déféré au visa des articles 1875, 1881 et 1883 et suivants du code civil et L 121-1 et L 122-1 du code de la propriété intellectuelle, sauf à condamner l’association appelante au paiement des sommes complémentaires de 50’000 € au titre du préjudice matériel et de 30’000 € au titre du préjudice moral et à ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux nationaux et trois journaux régionaux de son choix et aux frais de l’association ; M. Joan F. sollicite enfin paiement par cette dernière d’une indemnité de 25’000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

L’association Circa La Chartreuse ne soutient plus en cause d’appel la nullité du rapport d’expertise judiciaire. La cour en prend acte et confirme le rejet de la demande soutenue à ce titre devant le premier juge.

Les termes « pour ne pas dire insultants » sortis de leur contexte dans lequel M. Joan F. regrette un « ton inutilement agressif » des écritures de l’association sont à mettre en rapport avec l’échange très amical des courriers et courriels ayant précédé le sinistre que l’association s’était engagée à réparer et du dépit, sinon de l’amertume que son revirement ont causés.

Ils ne relèvent pas dès lors de la diffamation et il n’y a lieu en conséquence ni à suppression ni à paiement de dommages intérêts.

– – –

Il est certain que la « convention de résidence » n’a pas vocation à régler l’ensemble des relations contractuelles intervenues entre les parties à l’occasion de l’exposition litigieuse; d’ailleurs souscrite pour une durée d’un mois et un séjour du 20 mai au 5 juin 2010, les relations contractuelles ont largement excédé ce cadre puisque le vol objet du litige est intervenu dans la nuit du 25 au 26 septembre 2010. Quelque peu convaincue de cette évidence, l’association admet que cette convention ne contient aucune disposition relative à l’organisation de l’exposition elle même et en conséquence il importe de définir sous quel statut juridique étaient entreposées les ‘uvres photographiques dans les locaux de l’association au moment de leur vol.

Les pièces produites par les parties enseignent qu’elles ont été remises le 12 mai 2010 au lieu de leur entrepôt à La Roca d. (Espagne) à Mme Cécile B. agissant pour le compte de l’association accompagnées d’une liste descriptive et selon une demande de « prêt » formulée le 13 janvier 2009 par Mme Nadine G., agissant pour le compte de la même, en vue d’une exposition temporaire, que leur réception a fait l’objet d’un constat le 29 juin 2010 où M. Joan F. y est mentionné en qualité de « prêteur », que l’association a elle même contracté avec l’assureur Axa en qualité d’exposant. C’est donc à bon droit que M. Joan F. soutient que ses ‘uvres ont été remises à l’association Circa La Chartreuse dans le cadre d’un prêt à usage relevant de l’article 1875 du code civil ; il est indifférent qu’il ait été rémunéré au titre du droit d’auteur pour la réalisation d’une vidéo des lieux, prestation de nature distincte, remboursé de frais tenant à sa participation artistique à l’exposition en qualité de commissaire ou encore de dépenses supportées à titre personnel (encadrements, frais de montage vidéo) toutes circonstances caractérisant le rôle d’organisateur de l’association appelante sans pour autant conférer au prêt un caractère onéreux.

L’article 1875 précité impose au preneur de rendre la chose après s’en être servi ; l’article 1881 du code civil l’oblige à veiller en bon père de famille à la garde et à la conservation de la chose prêtée, de s’en servir selon l’usage déterminé par la convention, le tout à peine de dommages intérêts s’il y a lieu. Le refus de garantie opposée par l’assureur Axa met en évidence une insuffisance de protection des lieux dont aucun élément ne permet de dire qu’elle aurait été acceptée par l’intimé ; bien au contraire ce dernier avait recommandé dans un courriel du 26 octobre 2009 « un accrochage sécuritaire » en l’absence de gardien de salle ou proposé des tirages faits spécialement à la traceuse numérique selon un budget à déterminer ; or le vol a été commis sans effraction en présence de deux caméras factices ( cf courriel du 18 juin 2010 de Mme Cécile B.) et c’est avec quelque audace que l’association appelante conclut à l’absence de faute dans la garde et la conservation des ‘uvres prêtées. Quoi qu’il en soit son manquement à l’obligation de restitution est incontestable et consacre sa responsabilité pleine et entière, dont le principe a été reconnu qui plus est dès qu’elle a eu connaissance du refus de garantie de l’assureur Axa ( cf courriel du 26 novembre 2010).

S’agissant de la valeur des ‘uvres, l’expert L. a pu examiner deux photographies non dérobées sur les 37 composant la série « Miracles & Cov» ; il en retient le caractère original au visa de la signature figurant au dos des photographies et de la mention du tirage, en l’espèce 5/5; l’expert explique en pages trois de son rapport que le nombre d’originaux limités à cinq se retrouve sur la fiche technique de chaque ‘uvre avec la situation de chacun d’elles ( vendu à, disponible à la vente, en dépôt à l’atelier, etc…). Au demeurant, l’association Circa La Chartreuse n’a pas contesté le caractère original des ‘uvres réceptionnées, un courriel du 19 avril 2010 suivi d’une lettre du 22 avril 2010 du directeur adjoint de l’association M. Max F. puis de la déclaration à l’assureur attestant d’une valeur admise à concurrence de 156’500 € pour la collection « Miracles & Co » et de 44’710 € pour la collection « Sputnik », cette dernière non concernée par le vol. C’est donc avec une particulière mauvaise foi et au

Pour le surplus, il n’est pas contesté que M. Joan F. est un artiste reconnu dont les ‘uvres sont exposées dans les grands musées de renommée internationale tels le Moma de New York, l’institut de l’art de Chicago, le musée d’art contemporain de Barcelone, le centre national d’art et de culture Georges P.d.. Une attestation de la galerie Pariente sur le prix de vente de plusieurs ‘uvres de l’intimé renseigne utilement sur leur cote sur le marché de l’art; l’expert y fait d’ailleurs expressément référence dans son rapport précité en rappelant qu’en cas de vol, les prix pratiqués en galerie font référence. Rien en revanche ne justifie la remise forfaitaire en cas d’acquisition de la série par un collectionneur ou une galerie reposant sur une éventualité hautement hypothétique. La valeur de 120’000 € correspond enfin à celle débattue entre les parties ( cf supra ) dans leurs différents échanges antérieurs à l’exposition et immédiatement postérieurs au sinistre ce qui conduit à confirmer la condamnation au paiement de 85’000 € prononcée par le tribunal en l’état du règlement antérieur d’une provision de 35’000€.

Le tribunal a également justement apprécié le préjudice issu de l’impossibilité pour M. Joan F. d’organiser désormais une exposition similaire sauf à emprunter les exemplaires originaux acquis dans le cadre de collections publiques internationales au prix de multiples démarches au succès non garanti et de frais considérables. Il considère en page 30 de ses écritures qu’il s’agit d’un élément de son préjudice moral dont le principe n’est pas contestable au regard également de l’atteinte évidente à sa création artistique. Le préjudice moral qui serait issu de la procédure n’est pas objectivé. Aussi les montants respectifs de 9000€ et 3000 € alloués par les premiers juges méritent confirmation.

Rien ne justifie la publication de la présente décision dans des journaux régionaux et nationaux, cette demande apparaissant au dispositif des écritures de l’intimé en l’absence de tout argumentaire en fait ou en droit, l’association Circa La Chartreuse faisant par ailleurs observer sa totale discrétion quant à la révélation du sinistre.

– – –

En poursuivant la procédure, l’association Circa La Chartreuse a contraint M. Joan F. à exposer de nouveaux frais de conseil et de représentation que l’équité conduit à mettre à sa charge dans les proportions figurant ci après.

Déboutée de son appel, l’association en supportera les dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Condamne l’association Circa La Chartreuse à payer à M. Joan F. la somme de 8000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

La condamne aux dépens.

Arrêt signé par M. JACQUOT, Président et par Mme MAILLET, Greffier.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 

 

LA CHARTREUSE 58 Rue de la République


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