Marchand de Biens : décision du 7 février 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 22/13973

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Marchand de Biens : décision du 7 février 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 22/13973
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRET DU 07 FEVRIER 2024

(n° ,15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13973 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGHL3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Mai 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 15/08549

APPELANTE :

S.A. ANCIENS ETS GEORGES [E] ET FILS

[Adresse 11]

[Localité 9]

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119, avocat postulant et Me Jean-Fabrice BRUN, avocat au barreau des HAUS-DE-SEINE et Me Armelle ABADIE-REYES, avocat au barreau des HAUS-DE-SEINE, avocats plaidants

INTIMES :

Monsieur [N] [V]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Thierry KUHN de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0090, avocat postulant et Me Laurent BUFFLER, avocat au barreau de COLMAR, avocat plaidant

S.A. MMA IARD

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Thierry KUHN de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0090, avocat postulant et Me Laurent BUFFLER, avocat au barreau de COLMAR, avocat plaidant

S.A.R.L. RCC

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Me Valérie GUILLEM, avocat au barreau de PARIS, toque : D0371

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Thierry KUHN de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0090, avocat postulant et Me Laurent BUFFLER, avocat au barreau de COLMAR, avocat plaidant

Société ROUXEL CHAPALAIN

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentée par Me Patricia ROY-THERMES MARTINHITA de la SCP CORDELIER & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0399

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport et Mme Estelle MOREAU, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 07 février 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

Propriétaire d’un ensemble immobilier situé à [Localité 10], exploité par deux de ses filiales en supermarché alimentaire et en supermarché de bricolage, la société anonyme Anciens ets Georges [E] et fils (la société [E]), holding, a mandaté la Sarl Rouxel Chapalain cession (la société RCC) afin de l’assister dans la cession de ces actifs par deux mandats exclusifs du 16 mai 2008.

Dans ce cadre, la société RCC a elle-même fait appel aux services de la Selarl d’avocats Rouxel Chapalain (la société RCA).

Trois promesses de vente sous seing privé, pour l’immeuble et les deux fonds de commerce, ont été signées le 2 juin 2009 au profit de la société Axis promotion, l’acte définitif de cession du bien immobilier étant régularisé le 30 juin 2009 par M. [N] [V], notaire, qui a également reçu en dépôt avec reconnaissance d’écriture et de signature les actes de cession des fonds de commerce.

Le même jour, la société Axis promotion a revendu l’ensemble au groupe Leclerc.

Estimant que l’interposition de la société Axis promotion faisait obstacle au bénéfice de la dispense de TVA prévue par l’article 257 bis du code général des impôts, régime fiscal visé par les actes de cession des fonds de commerce au profit de la société [E], l’administration fiscale a émis une proposition de rectification le 20 décembre 2012 pour un montant de 503 583 euros, outre 72 516 euros d’intérêts de retard.

Malgré les observations de la société [E] du 15 février 2013, l’administration fiscale a maintenu sa position le 6 juin 2013, un avis de mise en recouvrement étant établi le 8 juillet 2014.

C’est dans ce contexte, et après une vaine mise en demeure, que, par actes d’huissier signifiés les 1er, 2 et 3 juin 2015, la société [E] a fait assigner les sociétés RCC et RCA, M. [V] ainsi que ses assureurs devant le tribunal de grande instance de Paris, qui, par jugement rendu le 23 mai 2018, assorti de l’exécution provisoire, a :

– débouté la société [E] de sa demande de dommages et intérêts,

– condamné la société [E] aux dépens, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit des avocats en ayant fait la demande,

– condamné la société [E] à payer aux sociétés RCC et RCA la somme de 5 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société [E] à payer M. [V] et ses assureurs la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le 25 juillet 2018, la société [E] a interjeté appel de cette décision.

Saisi par la société [E], le conseiller de la mise en état, par ordonnance rendue le 5 mars 2019, a sursis à statuer sur les demandes des parties jusqu’à la décision définitive à intervenir dans le cadre du contentieux administratif initié tendant à la décharger des rappels de TVA réclamés au titre de l’opération de cession intervenue avec la société Axis promotion.

Par arrêt rendu le 31 mai 2022, le conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de la société [E] considérant que l’opération de cession ne peut être regardée comme un transfert entrant dans le champ d’application de la dispense de taxe sur la valeur ajoutée reprise au sens de l’article 257 bis du code général des impôts.

A la demande de la société [E] en date du 5 octobre 2022, l’instance a été reprise.

Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées les 10 et 24 août 2022, la SA Anciens ets Georges [E] et fils demande à la cour de :

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

– juger que la société RCC, la société RCA et M. [V] ont manqué à leur obligation de conseil, en conséquence,

– condamner in solidum les intimés à lui payer la somme de 570 051 euros en réparation du préjudice résultant pour elle des manquements de ces derniers à leur obligation de conseil,

– débouter les intimés de toutes leurs demandes,

– condamner in solidum les intimés à lui verser la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum les intimés aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la Selarlu Belgin Pelit-Jumet, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 27 octobre 2023, la Sarl Rouxel Chapalain cession demande à la cour de :

au principal,

– déclarer la société [E] recevable mais mal fondée en son appel,

en conséquence,

– confirmer le jugement dans l’ensemble de ces dispositions,

subsidiairement,

– constater qu’elle s’est substituée la société RCA, nommément désignée aux mandats, sur le volet juridique de l’opération et la question fiscale qui fait grief, en parfait accord avec la société [E],

– juger qu’elle a respecté les termes de ses mandats en ce que la partie de sa mission qui fait grief a fait l’objet d’une délégation parfaite à la société d’avocats RCA,

– juger que la société [E] n’articule aucune faute qui lui est imputable et opposable, en lien avec le fondement de son action, reposant exclusivement sur l’insertion aux actes d’une disposition fiscale inapplicable selon l’administration fiscale,

– juger qu’elle est étrangère à la cause poursuivie par la société [E] à son encontre,

– ordonner sa mise hors de cause,

plus subsidiairement,

– réduire dans de notables et adéquates proportions le montant de ses demandes indemnitaires, pour tenir compte notamment des circonstances particulières de l’espèce et de l’infime probabilité d’une éventualité favorable, de nature à justifier son droit à réparation sur le fondement de la perte d’une chance,

en tout état de cause,

– condamner la société RCA à la garantir et la relever indemne de toute condamnation principale et accessoire, qui pourrait être prononcée à son encontre, au profit de la société [E],

– condamner l’appelante à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de celle de 5 000 euros allouée par les premiers juges, ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 2 novembre 2023, la société d’avocats Rouxel Chapalain demande à la cour de :

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

subsidiairement,

– constater que la société [E], qui a traité l’aspect fiscal du dossier, sans sa participation, ainsi qu’en font preuve sa lettre du 17 novembre 2014 et les réunions tenues entre ses responsables et les représentants de l’administration, a cédé à leurs exigences et renoncé à former un recours devant le juge fiscal alors qu’elle était en mesure de démontrer que l’opération critiquée n’avait en rien lésé les intérêts de l’Etat, les activités de la société [E] ayant été poursuivies, sans discontinuité par le groupe Leclerc,

– dire que le paiement de la TVA est une obligation imposée par la loi, que la société concernée y était tenue dès lors qu’elle avait pris le parti de ne pas revendiquer le bénéfice de la dispense prévue par l’article 257 bis du code général des impôts,

– dire que l’exécution d’une obligation légale n’est pas constitutive d’un dommage indemnisable,

– dire qu’elle ne saurait être tenue au paiement de la TVA et des intérêts réclamés au contribuable par l’administration fiscale,

– débouter la société [E] de toutes ses demandes,

– débouter la Société RCC de son appel en garantie dirigé contre elle,

– débouter M. [V] de son appel en garantie dirigé contre elle,

à titre infiniment subsidiaire,

– dire que l’avocat, qui n’était pas le conseil du groupe Leclerc, n’est pas responsable du montage conçu par la société RCC qui a réalisé le rapprochement des parties, puis du choix du notaire, conseil du groupe Leclerc,

– condamner solidairement la société RCC et M. [V] à la garantir de toute condamnation en principal, intérêts et frais,

en tout état de cause,

– condamner la société [E], ou tout succombant, à lui payer 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Cordelier & associés – Patricia Roy – Thermes, conformément à la loi.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 19 avril 2023, M. [N] [V], la SA MMA Iard et la société MMA Iard assurances mutuelles, demandent à la cour de :

sur l’appel principal,

– juger l’appel de la société [E] recevable mais mal fondé,

en conséquence,

– débouter l’appelante de ses entiers fins, moyens et conclusions (sic),

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu’il a :

* débouté la société [E] de sa demande de dommages et intérêts,

* condamné la société [E] aux dépens, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit des avocats en ayant fait la demande,

* condamné la société [E] à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* ordonné l’exécution provisoire,

– condamner la société [E] aux entiers dépens de la procédure d’appel,

– condamner la société [E] à leur payer à une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire, en cas d’infirmation,

– condamner les sociétés RCC et RCA à les garantir et les relever indemnes de toutes condamnations en principal, intérêts et accessoires qui pourraient être prononcées à leur encontre au profit de la société [E],

– condamner les sociétés RCC et RCA aux entiers frais et dépens d’appel, en sus à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– juger l’appel en garantie formé par la société RCA à leur encontre mal fondé,

– débouter la société RCA de ses entiers fins, moyens et conclusions (sic) à leur encontre.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 7 novembre 2023.

SUR CE,

Sur la responsabilité des sociétés RCC et RCA et de M. [V]

Le tribunal a jugé que les sociétés RCC et RCA et M. [V], professionnels du droit, n’avaient pas commis de faute en ce que :

– l’interprétation restrictive de la notion de continuité d’exploitation retenue par l’administration fiscale, au soutien de sa proposition de rectification, n’était pas prévisible lors de la transmission intervenue en 2009, et ne découle pas explicitement de la lettre de cet article tel qu’il était applicable au moment de l’opération litigieuse,

– il ne se déduit pas de l’arrêt de la CJUE du 27 novembre 2003 (C-497/01) que la dispense de TVA soit exclue lorsque le bénéficiaire de la transmission cède aussitôt à un tiers l’universalité acquise, dès lors que l’activité est continuée par ce dernier, comme tel était le cas en l’espèce, cette hypothèse étant conforme à l’esprit du texte qui est de favoriser la transmission d’entreprise avec continuité de l’activité,

– c’est d’ailleurs ce qu’a postérieurement jugé le Conseil d’Etat dans deux décisions du 23 novembre 2015 (CE, 8e et 3e ss-sect., 23 novembre 2015, 375054 et 375055),

– la décision de rescrit numéro 2006/58 du 26 décembre 2006 n’est pas transposable aux faits de l’espèce et ne concerne pas le critère de continuité d’exploitation mais celui de transmission d’entreprise, lequel ne peut s’entendre d’une cession isolée d’un immeuble par un marchand de biens dans le cadre de l’exercice normal de son activité.

La société [E] soutient que les sociétés RCC et RCA et M. [V] ont manqué à leur obligation de conseil et engagé leur responsabilité, en ce que :

– la société RCC s’étant engagée aux termes des mandats exclusifs de cession du 16 mai 2008 à la conseiller et l’assister dans la cession de l’ensemble immobilier, il lui appartenait tant en sa qualité d’intermédiaire qu’en sa qualité de rédacteur affiché des actes de cession des fonds de commerce, de l’alerter sur les conséquences fiscales de l’opération envisagée et d’attirer son attention sur le fait que l’intention du cessionnaire de ne pas poursuivre l’exploitation de l’universalité de biens transmise, qu’elle ne pouvait ignorer au vu des termes de l’acte, était de nature à remettre en cause le bénéfice de la dispense de TVA de l’article 257 bis du code général des impôts,

– celle-ci a expressément analysé le régime fiscal applicable à cette opération comme relevant des dispositions de cet article et il lui appartenait de solliciter auprès d’elle toute information utile pour parfaire son analyse à cet égard, étant précisé que l’acte de vente rappelait notamment qu’elle avait fait construire l’ensemble immobilier en 2003-2004,

– la société RCA, mandatée par la société RCC, était tenue en sa qualité de rédacteur des actes de cession de fonds de commerce du 30 juin 2009 d’une obligation renforcée de conseil,

– elle avait ainsi la responsabilité d’analyser le régime fiscal de l’opération, d’identifier le fait que celle-ci puisse ne pas ouvrir droit à la dispense de TVA prévue par l’article 257 bis du code général des impôts, de sécuriser la cession sur le plan fiscal et de s’assurer de sa neutralité en matière de TVA pour toutes les parties,

– en fournissant une analyse juridique erronée, alors qu’elle avait connaissance de l’intention de la société Axis promotion de revendre sans délai l’immeuble et les fonds de commerce, elle a manqué à ses devoirs de compétence et de conseil, et ainsi engagé sa responsabilité délictuelle, sa faute étant directement à l’origine du redressement subi,

– M. [V], notaire, également tenu d’un devoir renforcé de conseil sur les conséquences fiscales des actes auxquels il prête son concours, a établi l’acte de vente de l’ensemble immobilier et authentifié les actes de cession des fonds de commerce exploités dans les lieux en recevant ceux-ci en dépôt avec reconnaissance d’écriture et de signature, de sorte qu’il lui appartenait également de l’informer sur le régime fiscal applicable à cette opération, dont il avait une connaissance globale,

– ce dernier ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en prétendant n’être pas intervenu à l’élaboration des actes de cession qu’il n’aurait fait qu’authentifier, en invoquant le concours des sociétés RCC et RCA ou en indiquant n’avoir jamais été informé du fait qu’elle avait bénéficié d’une réduction de TVA lors de la construction de l’ensemble dès lors qu’il devait se renseigner sur les conditions dans lesquelles l’immeuble avait été édifié,

– les sociétés RCC et RCA comme le notaire avaient connaissance de l’intention de la société Axis promotion de revendre sans délai l’immeuble et les fonds de commerce au regard des termes de l’acte de vente et de l’acte de cession, mais aussi des échanges avec elle-même faisant référence aux négociations engagées avec la société Leclerc et ils ne peuvent se retrancher derrière la qualité de professionnelle de leur cliente, celle-ci n’étant au demeurant pas une spécialiste de droit fiscal,

– le risque fiscal était prévisible, l’administration ayant indiqué dans un rescrit du 26 décembre 2006, publié et commenté, qui devait incontestablement être connu de ses conseils juridiques, que l’article 257 bis du code général des impôts ne s’appliquait pas dans le cas d’un achat-revente,

– l’arrêt du Conseil d’État du 31 mai 2022 a définitivement considéré que ‘la dispense de régularisation admise par voie doctrinale ne peut toutefois s’appliquer, ainsi que le précise l’instruction du 20 mars 2006, que lorsque le bénéficiaire du transfert a pour intention d’exercer lui-même l’activité économique transmise’,

– la direction de la législation fiscale avait apporté des précisions sur l’application de cet article dans une fiche du 3 mai 2007,

– le risque fiscal était prévisible puisqu’il résultait notamment de l’interprétation d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 27 novembre 2003 et des commentaires administratifs publiés de l’époque,

– le tribunal administratif de Dijon, seul compétent pour apprécier une question fiscale, a considéré l’exact contraire du tribunal de grande instance de Paris en jugeant que l’opération de cession entre elle et la société Axis promotion ne pouvait être regardée comme entrant dans le champ d’application de la dispense de TVA de l’article 257 bis du code général des impôts,

– ce risque aurait dû à tout le moins être anticipé par les intimés et son attention attirée, celui-ci s’évinçant nécessairement d’une discordance entre les appréciations résultant de la lettre et de l’esprit du texte,

– les sociétés RCC et RCA ne l’ont à aucun moment avertie de ce que la qualité de marchand de biens de la société Axis promotion constituait un obstacle à l’application de l’article 257 bis du code général des impôts.

La société RCC réplique qu’elle n’a commis aucune faute, en ce que :

– il ne ressort pas des termes du mandat, qui visait expressément et exclusivement un audit de la situation juridique et financière des biens à céder, qu’elle se soit engagée à effectuer un audit fiscal de la situation des biens à céder, cet audit ayant pour seul objectif d’évaluer l’attractivité économique et commerciale du produit à céder et de rechercher un repreneur, et non pas d’optimiser fiscalement l’opération de cession,

– elle a délégué, en accord avec l’appelante, la pleine direction des opérations de rédaction des actes de cessions à la société RCA qui était en lien direct avec son mandant, avec le concours de M. [V], intervenu à la fois comme rédacteur de l’acte de cession et conseil du cessionnaire,

– tout portait à croire, selon les juristes, que l’opération était susceptible de bénéficier du régime de dispense de TVA auquel les rédacteurs avaient entendu la soumettre,

– elle n’est jamais intervenue dans la rédaction des actes et la supervision des opérations, et comme non professionnelle du droit elle n’est pas à l’origine du choix de placer cette opération de cession sous le bénéfice des dispositions de l’article 257 bis du code général des impôts,

– surabondamment l’appelante ne paraît pas fondée à chercher querelle aux rédacteurs des actes de cession, les professionnels de droit ayant pu raisonnablement penser pouvoir soumettre l’opération au bénéfice des dispositions de l’article 257 bis du code général des impôts,

– bien que le contentieux fiscal soit désormais vidé sur l’applicabilité de cet article à l’opération de cession immobilière, les échanges entre l’administration fiscale et l’appelante concernant la proposition de rectification caractérisent l’imprévisibilité à l’époque de l’opération de l’interprétation restrictive de la notion de continuité d’exploitation, disculpant les rédacteurs des actes de cession, comme retenu par le tribunal,

– l’appelante elle-même justifie à travers sa démonstration qu’il était logique et cohérent de procéder ainsi, cette disposition fiscale étant en parfaite concordance avec les circonstances,

– à la date où les actes litigieux ont été passés, les juristes n’avaient pas le moindre recul législatif sur les conditions d’application du texte fiscal et aucune décision judiciaire n’avait été publiée sur la notion de continuité d’exploitation et les limites de l’applicabilité du texte eu égard à la qualité du cessionnaire.

La société RCA conteste toute faute de sa part et fait valoir que :

– il n’entrait pas dans sa mission de traiter les aspects fiscaux de l’opération dont étaient chargés les responsables de la société,

– elle n’a joué aucun rôle dans la recherche d’un acquéreur, dans la sélection d’Axis promotion et dans le montage conçu par la société RCC, son mandat se bornant à rédiger des actes conformément à l’accord conclu entre les parties,

– l’appelante est responsable du choix des intervenants et de la gestion des aspects fiscaux,

– ses conseils juridiques étaient en conformité avec la législation en vigueur au moment de l’opération immobilière, elle a respecté les directives légales pertinentes et a fourni des conseils en accord avec les lois et réglementations en place à ce moment-là, relevant qu’à l’époque de l’opération, il n’existait aucune jurisprudence ou décision administrative similaire qui aurait pu alerter sur un risque fiscal lié à cette transaction,

– M. [V], notaire, intervenu à la demande du groupe Leclerc, a eu un rôle déterminant dans la rédaction des actes finaux qui tenaient compte des exigences du groupe Leclerc.

M. [V] et ses assureurs répliquent que le notaire n’a commis aucune faute, en ce que :

– l’administration fiscale a adopté une position imprévisible en 2009, comme retenu par le tribunal de première instance,

– la société [E] était la seule à avoir connaissance de la déduction fiscale dont elle avait bénéficié en 2004 lors de la construction de l’immobilier, cette omission ayant empêché le notaire d’évaluer les conséquences fiscales potentielles de manière adéquate,

– le notaire est totalement étranger au choix fiscal fait en 2009 de soumettre l’opération aux dispositions de l’article 257 bis du code général des impôts, soulignant que seuls les actes de cession des fonds de commerce rédigés par les sociétés RCC et RCA, reçus par le notaire en dépôt avec reconnaissance d’écriture et de signature, intègrent la soumission expresse de la cession aux dispositions de l’article 257 bis, tel n’étant pas le cas de l’acte authentique de cession de l’ensemble immobilier qu’il a reçu, de sorte qu’il n’a pas à prendre position sur la ‘prévisibilité’ de la position de l’administration fiscale,

– mandaté par le groupe Leclerc agissant par le ‘truchement’ de la société Axis promotion dont il était le conseil, il n’avait pas à conseiller la société [E] sur une question fiscale sur laquelle il n’avait pas été consulté,

– ce sont les sociétés RCC et RCA qui ont placé la cession des fonds de commerce sous le régime de l’article 257 bis du code général des impôts au motif que la réalisation devait s’analyser en la transmission d’une universalité de biens entre deux redevables de la TVA, qui doivent assumer loyalement les conséquences de leur erreur d’appréciation,

– la société venderesse avait d’évidence connaissance des conséquences fiscales de la vente qu’elle avait décidée,

– la position fiscale adoptée était justifiée car elle permettait d’éviter une régularisation de TVA selon les dispositions de l’annexe II du code général des impôts,

– les actes de cession des fonds de commerce, à l’origine du rappel de TVA, ont été rédigés par les sociétés RCC et RCA et étaient complets avant d’être remis à M. [V], lequel n’avait qu’un rôle limité dans ces transactions se bornant à vérifier la teneur des compromis en tant que conseil de l’acquéreur.

* Les sociétés RCC et RCA

L’engagement de la responsabilité d’un professionnel ou d’un avocat nécessite la démonstration d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.

Tout professionnel, comme la société RCC, dès lors qu’il prête son ministère et perçoit une rémunération, pour faire bénéficier ses clients de ses connaissances techniques et de l’expérience qu’implique le métier qu’il exerce, a l’obligation de donner des conseils conformes aux données acquises à l’époque où il intervient.

En sa qualité de rédacteur effectif des actes, la société RCA est tenue à une obligation d’information et à un devoir de conseil de l’ensemble des parties aux actes, et à ce titre doit les informer sur la portée et les conséquences de leur engagement, notamment fiscales, et s’assurer de l’équilibre des intérêts en présence et de la validité des clauses contractuelles.

Selon l’article 257 bis du code général des impôts, dans sa version alors applicable, ‘Les livraisons de biens, les prestations de services et les opérations mentionnées aux 6° et 7° de l’article 257, réalisées entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, sont dispensées de celle-ci lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens.

Ces opérations ne sont pas prises en compte pour l’application du 2 du 7° de l’article 257.

Le bénéficiaire est réputé continuer la personne du cédant, notamment à raison des régularisations de la taxe déduite par ce dernier, ainsi que, s’il y a lieu, pour l’application des dispositions du e du 1 de l’article 266, de l’article 268 ou de l’article 297 A.’

La société [E] était propriétaire d’un ensemble immobilier qu’elle a fait construire en 2004, comprenant deux fonds de commerce mis en location.

Le 16 mai 2008, tant en son nom personnel que pour le compte de ses filiales, propriétaires des fonds de commerce, elle a donné mandat exclusif à la société RCC afin de l’assister dans la cession de ces biens, les actes prévoyant un audit complet de la situation juridique et financière des biens à céder ainsi qu’une mission d’assistance, de conseil, et de préparation de la cession, de la préparation du dossier d’offre à la relecture des projets de protocole d’accord et à la rédaction et la signature des actes de cession. Il y est précisé que la société RCC s’adjoindra les services de tout conseil de son choix et plus particulièrement d’avocats chargés notamment de la rédaction de l’acte de cession du fonds de commerce mais que la société RCC ‘demeure le maître d’oeuvre de l’opération et le seul interlocuteur’ de la société [E].

La société RCC exploite, selon l’extrait Kbis produit, une activité de conseil en transmission et acquisitions ou cessions d’entreprise. Selon sa plaquette de présentation ‘Hypers et supermarchés se préparer à la cession – Conseiller, accompagner, optimiser’, la société RCC se présente comme un ‘expert’ mettant son expérience au service des chefs d’entreprises qui souhaitent réaliser une opération de cession, expliquant avoir mis en place ‘une approche méthodologique fiable d’audit préalable à votre décision’ afin de connaître la valeur objective du projet, soulignant que ‘les paramètres fiscaux, patrimoniaux…nous donnent matière à conseiller et à agir bien en amont’ et listant plusieurs questions sur la fiscalité notamment ‘Quel est le montant exact de ma plus-value ‘ Quid en terme d’ISF ‘ Ai-je intérêt à vendre mon immobilier en même temps que mon point de vente ‘ Est-ce que mon imposition sera la même si je vends ma holding ou ma société d’exploitation ‘ Y a -t-il une période plus propice dans l’année pour vendre ”.

Bien qu’aucun écrit en ce sens ne soit produit, il n’est pas contesté que la société RCC a ensuite confié la formalisation de la cession à la société RCA, cabinet d’avocat spécialisé dans les opérations de cessions et d’acquisitions, notamment dans le secteur de la grande distribution comme l’indique son site internet qui précise ‘Dans chaque dossier, la situation fiscale, personnelle et patrimoniale de nos clients est intégrée à tous les stades de l’opération.’

L’acte de vente reçu le 30 juin 2009 par M. [V], notaire, de l’ensemble immobilier mentionne au paragraphe relatif aux déclarations fiscales que ‘L’acquéreur déclare vouloir bénéficier du régime spécial des achats effectués en vue de la revente en application des articles 1115 et 1020 du CGI. Il déclare à cet effet :

– que cette opération constitue pour lui une opération de la nature de celle définie à l’article 257-6° du code général des impôts et ne concourt pas à la production ni à la commercialisation d’un immeuble neuf ;

– qu’il s’engage à revendre le bien acquis dans le délai maximum de quatre ans de ce jour…’

Les actes de cession des fonds de commerce, datés du même jour, rédigés par la société RCA, indiquent au paragraphe ‘Transmission d’une universalité de biens – Conformément aux dispositions de l’article 257 bis du code général des impôts, la réalisation des présentes s’analysant en la transmission d’une universalité de biens entre deux redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, elle sera dispensée de ladite taxe. A cet égard, le cessionnaire prend l’engagement de soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée les cessions ultérieures et de procéder, le cas échéant, aux régularisations prévues aux articles 2010 et 215 de l’annexe II du code général des impôts, qui auraient été exigibles si le cédant avait continué à utiliser ces biens.’

Selon lettre datée du 17 avril 2014, la direction générale des finances publiques, après avoir reçu les observations de la société [E], a maintenu la rectification fiscale opérée le 20 décembre 2012, aux motifs que ‘Pour pouvoir bénéficier des dispositions de l’article 257 bis du CGI, le bénéficiaire de la transmission est réputé continuer la personne du cédant en poursuivant l’exploitation de l’université (sic) transmise. Or, le bénéficiaire de la transmission, à savoir la société Axis promotion, n’a pas poursuivi l’exploitation de l’activité puisqu’elle a cédé le jour même la totalité de l’immeuble, elle ne peut donc être considérée comme ‘continuer la personne du cédant’. En outre, dès l’origine en se plaçant sous le régime spécial prévu aux articles 1115 et 1020 du CGI, la société Axis promotion ne souhaitait pas exploiter l’universalité transmise, intention démontrée par la revente de l’immeuble le jour même.’

Contrairement à ce qui est soutenu par les sociétés RCC et RCA et qui a été retenu par le tribunal, cette interprétation restrictive de la notion de continuité d’exploitation par l’administration fiscale était prévisible en 2009 lorsque la transmission est intervenue.

En effet, d’une part, la Cour de justice de l’Union européenne avait, dans un arrêt antérieur du 27 novembre 2003 (C-497/01 Zita mode), interprété les dispositions de l’article 5, paragraphe 8 de la sixième directive communautaire ayant donné lieu à l’article 257 bis litigieux (77/388), en ce sens que ‘Le bénéficiaire du transfert doit cependant avoir pour intention d’exploiter le fonds de commerce ou la partie d’entreprise ainsi transmis et non simplement de liquider immédiatement l’activité concernée ainsi que, le cas échéant, de vendre le stock. En revanche, rien dans la disposition précitée n’exige que, antérieurement à la transmission, le bénéficiaire exerce le même type d’activité économique que le cédant.’ et ainsi précisé la notion de continuité d’exploitation.

D’autre part, par des rescrits des 12 septembre et 26 décembre 2006 (publié, n°2006/58), relatifs aux modalités d’application des dispositions de l’article 257 bis du code général des impôts dans le secteur immobilier, ‘l’administration a étendu la dispense de TVA aux ‘cessions d’immeubles attachés à une activité de location immobilière avec reprise ou renégociation des baux en cours (…) Dès lors que ces cessions s’inscrivent dans une logique de transmission d’entreprise ou de restructuration réalisée au profit d’une personne qui entend exploiter l’universalité transmise’ (Mme [T] [M] [S]).

Les commentaires faits par la doctrine (Instruction 20 mars 2006 3 A-6-06 ; Construction -Urbanisme Mars 2007 Mme [F] ; La Semaine juridique notariale et immobilière Mars 2008 M. [Z]) indiquaient ainsi que pour pouvoir bénéficier de la dispense de TVA le cessionnaire de l’universalité transmise doit continuer l’exploitation de celle-ci, la dispense s’appliquant non seulement aux ventes d’immeubles affectés durablement à une activité de location soumise à la TVA, mais également aux cessions de biens mobiliers d’investissement et de marchandises neuves, dans le cadre notamment de la cession d’un fonds de commerce.

Or en l’espèce, il était acquis et connu des parties que la société Axis promotion, intervenue en tant que marchand de biens immobiliers, n’avait pas l’intention d’exploiter elle-même l’ensemble transmis mais de le revendre au groupe Leclerc, puisqu’il était indiqué dans l’acte de cession immobilière qu’elle voulait bénéficier du régime spécial des achats effectués en vue de la revente, de sorte que les sociétés RCC et RCA auraient dû alerter la société [E] sur le risque fiscal que comportait l’opération.

Contrairement à ce que soutient la société RCC, il est établi que le mandat qui lui a été donné comportait mission d’assistance et de conseil pour tous les aspects de l’opération de cession, de l’audit préalable à la signature des actes définitifs et donc sur les incidences fiscales de celle-ci. Elle ne peut s’exonérer de sa responsabilité et prétendre être mise hors de cause aux motifs qu’elle n’aurait pas rédigé elle-même les actes et que les sociétés RCA et [E] auraient négocié directement puisqu’aux termes des mandats donnés elle était le maître d’oeuvre et le coordonnateur de l’opération, peu important également la qualité de professionnelle de sa cliente.

La société RCA ne peut utilement prétendre n’avoir joué qu’un rôle limité à la rédaction des actes dès lors qu’elle était tenue à ce titre d’une obligation d’information et d’un devoir de conseil et devait en conséquence informer la société [E] sur la portée et les conséquences fiscales de son engagement, peu important qu’elle n’ait pas concouru à la recherche d’un acquéreur et au montage conçu par la société RCC. Au demeurant, les mails échangés entre [C] [L], avocat, et le service juridique de la société [E], courant avril et mai 2009, en particulier celui du 24 avril 2009 qui indique que les commentaires du notaire sur ‘la caution et la durée du financement ne correspondent pas à l’accord pris avec son client et remettent en cause la faisabilité de l’opération…Il n’a pas émis de contestations sur le fonds. Il en est de même pour le paiement du prix : comptant le jour de l’acte.’ témoignent qu’elle a rempli son rôle d’assistance et de conseil pour différents aspects de l’opération.

En omettant d’informer complètement et d’attirer l’attention de la société [E] sur le risque fiscal que comportait l’opération, les sociétés RCC, professionnelle des cessions d’entreprises, et RCA, avocat, ont manqué à leur obligation d’information et à leur devoir de conseil à l’égard de leur cliente et ainsi commis une faute de nature à engager leur responsabilité, sans qu’il puisse être fait grief à la société [E], à le supposer établi, de ne pas les avoir informées du régime fiscal sous lequel l’acquisition de l’immobilier s’était réalisée dès lors qu’il leur appartenait, avant de rédiger les actes, de s’enquérir auprès de celle-ci de tout renseignement utile pour déterminer le régime fiscal applicable, l’acte comportant la date d’acquisition.

* M. [V]

Le notaire engage sa responsabilité délictuelle en qualité de rédacteur d’acte à charge pour celui qui l’invoque de démontrer une faute, un lien de causalité et un préjudice.

Le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties sur la portée, les effets et les risques, notamment quant à ses incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours, et, le cas échéant, de le leur déconseiller. La preuve du conseil donné incombe au notaire.

M. [V], rédacteur de l’acte de cession du bien immobilier, et ayant reçu les actes contenant dépôt avec reconnaissance d’écriture et de signature de cession des fonds de commerce, était parfaitement informé de la totalité de l’opération.

En n’informant pas non plus la société [E] du risque fiscal que comportait l’opération de cession à la société Axis promotion qui n’entendait pas exploiter elle-même l’universalité transmise, le notaire, tenu d’une obligation de conseil à l’égard de toutes les parties à l’acte et pas seulement envers la société Axis promotion et le groupe Leclerc, a manqué à ses obligations et ainsi engagé sa responsabilité.

Il ne peut pas plus faire grief à la société [E] de ne pas l’avoir informé de la déduction fiscale dont elle avait bénéficié en 2004 dès lors qu’il lui appartenait, avant de rédiger son acte, de s’informer auprès de celle-ci de tout renseignement utile pour déterminer le régime fiscal applicable et s’assurer que la cession remplissait les conditions de l’article 257 bis du code général des impôts, peu important qu’il n’ait pas rédigé lui-même les actes de cession des fonds de commerce reçus par son étude, dès lors que l’opération formait un ensemble indissociable et que l’acte qu’il a rédigé précisait que la société Axis promotion effectuait un achat en vue d’une revente, ce qu’elle a d’ailleurs fait le même jour.

Sur le lien de causalité et le préjudice

La société [E], qui prétend avoir subi un préjudice financier constitué par le paiement de l’imposition principale au titre de la régularisation de TVA (503 583 euros) et des intérêts de retard (66 468 euros) pour un total de 570 051 euros, soutient que :

– le préjudice résultant du paiement de l’impôt constitue un préjudice réparable et entièrement consommé en lien direct avec le manquement au devoir de conseil, et non une perte de chance, lorsqu’il est démontré qu’un montage alternatif était réalisable et que les parties, dûment informées, auraient certainement opté pour cette solution alternative,

– le fait que la société Axis promotion ait immédiatement revendu l’ensemble d’actifs au groupe Leclerc démontre qu’elle n’était pas le seul candidat,

– une approche différente aurait pu être adoptée pour permettre de réaliser l’opération de cession en toute neutralité sur le plan de la TVA, et sans aucun risque fiscal, notamment en cédant directement l’universalité de biens au groupe Leclerc qui souhaitait en poursuivre l’exploitation, la société Axis promotion demeurant un simple intermédiaire et percevant une commission à ce titre,

– dans l’hypothèse dans laquelle l’article 257 bis du code général des impôts n’aurait pas été appliquée, la cession de l’immeuble aurait généré un reversement de TVA antérieurement déduite qu’elle aurait été en mesure de répercuter au groupe Leclerc en application de l’article 207-III-3° de l’annexe II du même code, qui après l’avoir récupérée la lui aurait payée, en sorte que le reversement de TVA lui incombant, généré par la cession de l’actif immobilier aurait été neutralisé par le transfert de cette régularisation de TVA au groupe Leclerc,

– les intimés ne démontrent pas en quoi la réalisation de l’opération aurait été subordonnée à l’intervention de la société Axis promotion,

– si elle a accepté l’insertion dans les actes de cession de la clause relative à la dispense de TVA c’est bien parce qu’elle entendait bénéficier de ce régime ou tout du moins s’assurer que la cession serait neutre sur le plan de la TVA, de sorte que l’existence même de cette clause prouve qu’elle n’était pas prête à se ‘débarrasser à tout prix’ de ses actifs mais qu’elle entendait expressément bénéficier des dispositions de l’article 257 bis du code général des impôts,

– informée du risque, elle aurait donc pu soit se prémunir des conséquences dommageables en demandant à être garantie par son cocontractant soit céder directement au groupe Leclerc,

– les intérêts de retard, dont il convient de déduire l’avantage financier procuré par la conservation dans son patrimoine du montant des rappels d’imposition notifiés jusqu’à son recouvrement le 15 juillet 2014 calculés au taux légal, soit 6 048 euros, constituent également un préjudice indemnisable.

La société RCC réplique que :

– les conditions de la réparation ne sont pas réunies en ce que la charge d’un impôt ne ressort pas de la conséquence d’une faute mais de l’application de la loi fiscale dans le sens où l’a entendu l’administration fiscale et que le dommage de la société [E] n’a pas de caractère direct et certain,

– aucune disposition de l’acte de cession immobilière ne pouvait laisser croire à la société [E] qu’elle pourrait être dispensée de régulariser la TVA précédemment déduite sur l’immobilier, la référence à l’article 257 bis du code général des impôts n’étant mentionnée que sur les seuls actes de cession de fonds détenus par chacune de ses filiales,

– le redressement fiscal dont la société [E] a fait l’objet ne peut qu’être la conséquence d’une omission déclarative de sa part,

– la société [E] n’avait aucune chance d’escompter trouver un autre acquéreur que la société Axis promotion à bref délai ou à court ou moyen terme susceptible d’évincer l’application de la loi fiscale générale au profit garanti de l’exception,

– informée du risque fiscal, la société [E] n’aurait pas agi autrement car la société Axis promotion était le seul et unique candidat à la reprise de son unité économique déficitaire, la sauvegarde de l’avantage fiscal relatif à la dispense de TVA dont elle avait bénéficié à l’origine étant étrangère aux préoccupations du groupe [E] et à l’objectif poursuivi,

– les conséquences fiscales de l’opération étaient assumées par la société [E] qui n’a fait aucune référence à la fiscalité de l’opération de vente dans les mandats,

– la société [E] n’a pas qualité pour se plaindre des conséquences fiscales à défaut d’avoir été partie aux actes de cession des fonds qui contenaient cette disposition contestée dans son applicabilité mais qui n’a causé aucun dommage à ses filiales,

– si la société [E] avait entendu pérenniser l’avantage fiscal dont elle avait bénéficié en amont sur l’immobilier, elle n’aurait pas manqué d’en informer son mandataire et d’exiger qu’une stipulation expresse en ce sens soit portée aux actes de cession,

– si l’opération s’est réalisée sous ce montage à travers deux actes de cession simultanés dans un seul et même temps c’est parce que la société Axis promotion et le groupe Leclerc tenaient à ce qu’il en soit ainsi et la solution alternative consistant à substituer à la qualité de marchand de biens de la société Axis promotion celle d’intermédiaire est purement théorique.

La société RCA fait valoir que :

– le paiement d’une taxe n’est pas constitutif d’un préjudice et il en est de même du paiement d’intérêts qui sanctionne un retard imputable au contribuable,

– la procédure fiscale a été initiée et conduite par la responsable de la société [E] sans aucune participation de sa part,

– la situation du groupe [E] était déficitaire au point qu’elle n’avait pas d’autre choix que de traiter avec le groupe Leclerc, fût-ce par l’intermédiaire de la société Axis promotion, pour céder ses fonds déficitaires, et aux conditions de ces derniers, la société Axis promotion entendant intervenir en qualité de marchand de biens et non d’intermédiaire,

– le véritable maître de l’affaire était le notaire qui a rédigé les actes définitifs.

M. [V] et ses assureurs répliquent que :

– le règlement de l’impôt ne pouvant jamais être constitutif d’un préjudice, mais uniquement la conséquence de l’application de la loi fiscale à une opération considérée, il ne s’agit pas d’un préjudice indemnisable,

– la société [E] n’avait pas d’autre choix que d’accepter l’intermédiation de la société Axis promotion pour conclure la transaction et la rédaction des actes en fonction des exigences de la société Leclerc au regard de ses pertes financières sans commune mesure avec le coût de la régularisation éventuelle de la TVA, la question du reversement éventuel de la TVA n’étant pas alors l’une de ses préoccupations,

– la société [E] ne rapporte pas la preuve d’une perte de chance d’avoir pu éluder le reversement de la TVA, qu’elle avait précédemment déduite en 2004 lors de la construction de l’ensemble immobilier,

– elle est seule responsable du montant des intérêts pour ne pas avoir procédé en temps utile à la régularisation de la TVA,

– elle a pris un risque et ne peut qu’en supporter les conséquences,

– il est de jurisprudence constante que le préjudice réparable, lié à l’application d’intérêts de retard, doit être évalué en prenant en compte l’avantage procuré par la conservation dans le patrimoine du contribuable, jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, du montant des rappels d’imposition notifiés, lequel peut-être évalué à 24 341 euros en tenant compte d’un taux de rémunération moyen de 1,5%.

Les cessions ont été réalisées moyennant les prix de 4 000 000 euros pour le bien immobilier et de 500 000 euros pour les deux fonds de commerce.

La proposition de rectification émise par l’administration fiscale a donné lieu à un avis de mise en recouvrement daté du 8 juillet 2014 d’un montant de 576 989 euros, soit 504 416 euros au titre des droits de TVA et de 72 573 euros au titre des intérêts de retard, qui a été payé par la société [E] le 11 juillet suivant.

La procédure contentieuse initiée par l’appelante, auquel l’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 31 mai 2022 a mis fin, ne lui a pas permis d’obtenir la décharge de cette imposition et des intérêts de retard correspondants.

Ce préjudice est en lien de causalité directe avec les fautes retenues à l’encontre tant des sociétés RCC et RCA que du notaire puisqu’il résulte de l’interprétation faite par l’administration fiscale de l’opération de cession telle qu’elle a été conçue dans son ensemble et réalisée par ces professionnels, les références à l’article 257 bis du code général des impôts dans les actes de cession de fonds et au régime spécial des achats en vue de la revente dans l’acte de cession de l’immeuble étant de nature, contrairement à ce que soutient la société RCC, à laisser croire à la société [E] qu’elle pourrait être dispensée de régulariser la TVA déduite lors de l’acquisition.

Si le préjudice du créancier de l’obligation de conseil en matière fiscale peut être entièrement consommé lorsque le lien causal entre la faute et le dommage né de l’imposition ne présentait aucune incertitude, il ne peut s’analyser qu’en une perte de chance dès lors qu’il n’est pas certain que mieux informé, le créancier de l’obligation de conseil se serait trouvé dans une situation différente et plus avantageuse.

Dans tous les cas, la preuve de l’étendue de son préjudice incombe à celui qui l’invoque.

La société [E] soutient que mieux informée et conseillée, elle aurait demandé à être garantie par son cocontractant ou aurait cédé directement l’ensemble au groupe Leclerc.

Cependant tant les déclarations sur le chiffre d’affaires et les résultats figurant dans les actes de cession des fonds de commerce, qui font état pour les deux fonds de commerce de pertes sur les trois derniers exercices, que les échanges de mails entre la société RCA, l’étude notariale et la société [E] courant mai et juin 2009, dont un daté du 20 mai indiquant que les compromis ont été rédigés en fonction des exigences de la société Leclerc, montrent que la société [E], pressée de vendre, n’était pas en mesure d’imposer ses conditions à la société Axis promotion sur sa qualité à intervenir ou au groupe Leclerc avec lequel elle n’avait pas d’échanges directs.

Dès lors, il n’est pas certain que si elle avait été informée avant la cession du risque que l’administration considère que les conditions pour bénéficier de la dispense de TVA n’étaient pas réunies et qu’elle risquait par conséquent d’être amenée à régler un rappel de TVA, elle aurait renoncé à la vente projetée ou pu contracter à des conditions différentes.

Son préjudice n’est donc pas entièrement consommé et la société [E] ne peut obtenir réparation que d’une perte de chance de renoncer à la vente de l’immeuble ou de contracter dans des conditions différentes.

La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

La société [E] ne démontre pas qu’elle aurait pu trouver un autre acquéreur que la société Axis promotion et le groupe Leclerc à qui elle aurait pu céder directement l’universalité des biens dans des conditions lui permettant de bénéficier des conditions de l’article 257 bis du code général des impôts.

Compte tenu de l’enjeu pour pour la société [E] de conclure les cessions au regard de la situation financière et en l’absence de certitude sur la possibilité pour celle-ci de vendre directement l’ensemble des biens au groupe Leclerc, la société Axis promotion intervenant en qualité d’intermédiaire, et donc d’éviter de reverser la TVA précédemment déduite, la réparation de cette perte de chance doit être fixée à 20 % du montant effectivement payé, soit 115 397,80 euros, sans qu’il y ait lieu, s’agissant d’une indemnisation au titre d’une perte de chance, de distinguer entre le rappel des droits et les intérêts de retard.

Il convient par conséquent de condamner in solidum les sociétés RCC et RCA, M. [V] et ses assureurs, qui ont concouru au dommage de M. [E], à payer la somme de 115 397,80 euros à la société [E], en infirmation du jugement.

Sur les appels en garantie

La société RCC demande à ce que la société RCA soit condamnée à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre aux motifs que :

– elle lui a délégué la formalisation de la rencontre des consentements,

– la société RCA est intervenue en toute transparence et contrairement aux mandats, mais en plein accord des parties, elle est devenue dans la phase de formalisation des actes de cession, l’unique interlocuteur de la société [E],

– ayant ainsi délégué l’aspect juridique de l’opération de cession, elle est totalement étrangère à la disposition fiscale faisant grief qui ressort du choix et de la responsabilité des rédacteurs d’acte.

Elle conteste en revanche les demandes en garantie formées à son encontre par la société RCA et M. [V] pour les mêmes raisons.

La société RCA sollicite la condamnation de la société RCC et de M. [V] à la garantir de toute condamnation en ce qu’ils sont responsables du montage traduit par les actes signés le 30 juin 2009.

M. [V] et ses assureurs sollicitent la condamnation des sociétés RCC et RCA à les garantir au motif que les négociations, le montage et la rédaction des compromis de vente, quand bien même ces derniers ont été soumis au notaire en sa qualité de conseiller du groupe Leclerc et de la société Axis promotion, sont le fait de ces sociétés et que le manquement de celles-ci à leurs obligations contractuelles constitue à l’égard du notaire une faute de nature à justifier sur un plan quasi délictuel ce recours. Ils ajoutent que le fait que la société RCC ait confié la rédaction des conventions à un cabinet d’avocat ne l’exonère en rien de sa responsabilité, celle-ci restant maître d’oeuvre de l’opération et seul interlocuteur de la société [E].

Le manquement aux obligations d’information et de conseil reproché à la société RCC, professionnel spécialisé dans la cession d’entreprise, ainsi qu’à la société RCA et à M. [V], professionnels du droit, étant le même et chacun ayant contribué soit à la conception de l’opération soit à sa réalisation par la rédaction d’actes, ils se doivent garantie chacun pour un tiers.

Par ces motifs,

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne in solidum la Sarl Rouxel Chapalain cession, la Selarl Rouxel Chapalain société d’avocats, M. [N] [V], la SA MMA Iard et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à la SA Anciens ets Georges [E] et fils la somme de 115 397,80 euros,

Condamne la Sarl Rouxel Chapalain cession, la Selarl Rouxel Chapalain société d’avocats, M. [N] [V], la SA MMA Iard et la société MMA Iard assurances mutuelles à se garantir à hauteur d’un tiers chacun,

Condamne in solidum la Sarl Rouxel Chapalain cession, la Selarl Rouxel Chapalain société d’avocats, M. [N] [V], la SA MMA Iard et la société MMA Iard assurances mutuelles aux dépens avec droit de recouvrement au profit de la Selarlu Belgin Pelit-Jumel, avocat, pour les frais dont elle aurait fait l’avance, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la Sarl Rouxel Chapalain cession, la Selarl Rouxel Chapalain société d’avocats, M. [N] [V], la SA MMA Iard et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à la SA Anciens ets Georges [E] et fils la somme de 12 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [N] [V], la SA MMA Iard et la société MMA Iard assurances mutuelles de leur demande d’indemnité procédurale formée à l’encontre de la Sarl Rouxel Chapalain cession et de la Selarl Rouxel Chapalain société d’avocats.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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