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MR/SL
COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile – Première section
Arrêt du Mardi 05 Décembre 2023
N° RG 23/00213 – N° Portalis DBVY-V-B7H-HFUC
Décision attaquée : Ordonnance du Juge de la mise en état de CHAMBERY en date du 10 Janvier 2023
Appelant
M. [F] [M]
né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 5], demeurant [Adresse 3]
Représenté par la SELARL CABINET ALCALEX, avocats au barreau de CHAMBERY
Intimées
S.C.P. GUILLAUME DEVRED, MAGALI EZANNO, EVA SIX ET MAXIME BRUNET, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Compagnie d’assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, dont le siège social est situé [Adresse 4]
Représentées par la SCP VISIER PHILIPPE – OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY
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Date de l’ordonnance de clôture : 03 Juillet 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 octobre 2023
Date de mise à disposition : 05 décembre 2023
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Composition de la cour :
Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l’assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
– Mme Hélène PIRAT, Présidente,
– Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
– Mme Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire,
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Faits et procédure
La société JCD (Sarl) a une activité de marchand de biens et a pour gérant M. [F] [M]. Ce dernier possède 80% des parts et Mme [A] [U] en possède 20%.
Par acte authentique du 23 février 2015, la société JCD a acheté un bien immobilier auprès de Mmes [G] et [E] [H]. Par acte authentique du 12 mars 2015, M. [T] [I], notaire, a établi un acte descriptif de division du bien, divisant ainsi le bien immobilier en 4 lots distincts.
Par acte authentique du 12 mars 2015, la société JCD a vendu à M. [M], les lots n° 3 et 4.
Par acte authentique du 30 juillet 2015, la société JCD a vendu à M. [M], le lot n° 2.
Par acte authentique du 18 juillet 2016, la société JCD a vendu à M. [M], le lot n° 1.
Les trois ventes ont été réalisées avec exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA ci-après) pour la société JCD, M. [M] ayant été soumis au paiement de droits de mutation à titre onéreux.
Par acte d’huissier du 7 juin 2021, M. [M] a fait assigner la SCP Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet et la compagnie d’assurances MMA devant le tribunal judiciaire de Chambéry, notamment aux fins afin d’obtenir des dommages-intérêts au titre de la perte de chance de conclure des conventions plus avantageuses.
Par ordonnance du 10 janvier 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Chambéry, avec le bénéfice de l’exécution provisoire, a :
– Déclaré irrecevable comme étant prescrite, l’action intentée par M. [M] à l’encontre de la SCP Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet et de la Compagnie d’assurance MMA sur le fondement des actes des 12 mars 2015 et 30 juillet 2015 ;
– Débouté M. [M] de sa demande d’indemnité formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné M. [M] aux entiers dépens de l’incident, dont distraction au profit de la SCP Visier-Philippe Ollagnon-Delroise & Associés, avocat, sous sa due affirmation de droit ;
– Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire,
– Rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.
Au visa principalement des motifs suivants :
M. [M] avait, dès la vente de chaque lot, l’ensemble des informations fiscales qui s’appliquaient aux ventes et disposait ainsi à cette date de toutes les pièces nécessaires pour faire des vérifications sur le plan fiscal ;
M. [M], ayant à la fois participé à la vente en tant qu’acheteur et en tant que vendeur, avait nécessairement toutes les informations relatives à la vente pour pouvoir s’informer auprès de l’administration fiscale sur les conséquences et incidences financières des actes conclus et il appartenait de se renseigner, dans le délai de 5 ans à compter de la date des actes litigieux, auprès des services des impôts ;
M. [M] a agi en qualité de professionnel de l’immobilier averti et non de simple profane et ses connaissances lui permettaient ainsi de déterminer qu’il pouvait exister une erreur de taxation et de se renseigner plus avant.
Par déclaration au greffe du 7 février 2023, M. [M] a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures en date du 3 juillet 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [M], sollicite l’infirmation de la décision et demande à la cour de :
– Juger que M. [M] n’a eu connaissance des faits lui permettant d’engager la responsabilité de la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet, solidairement avec sa Compagnie d’assurances MMA, qu’à compter de la procédure de vérification de comptabilité de la société JCD, qui a été engagée par avis du 21 septembre 2017, de telle sorte que la prescription quinquennale a commencé à courir à cette date ;
– Juger qu’en toutes hypothèses le délai de prescription a commencé à courir au plus tôt le 16 Juillet 2016, date du dernier acte contenant l’irrégularité dénoncée par M. [M] ;
En conséquence,
– Juger que l’action en responsabilité intentée par M. [M] à l’encontre de la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet, solidairement avec sa Compagnie d’assurances MMA, parfaitement recevable, puisqu’intervenue dans le délai de prescription quinquennale ;
– Rejeter le moyen soulevé au titre de la prescription par la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet et sa Compagnie d’assurances MMA, lequel est infondé ;
– Débouter la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet, solidairement avec sa Compagnie d’assurances MMA de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
– Condamner la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet, solidairement avec sa Compagnie d’assurances MMA, à payer à M. [M] une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Les condamner enfin aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de Mme Véronique Lorelli, avocat de la selarl Alcalex, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société Hôtel la Maison des Savoie fait valoir notamment que:
La jurisprudence fixe le point de départ du délai de prescription au jour où la victime a eu connaissance des faits ;
La prescription de l’action en responsabilité pour manquement à un devoir de conseil trouve son point de départ à compter de la connaissance du dommage créé par le défaut de conseil et non au jour de la rédaction de l’acte ou du contrat ;
Le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les risques et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours, qu’il est tenu également d’indiquer aux parties l’opération la moins onéreuse et la plus sûre pour sauvegarder leurs droits et leurs intérêts ;
M. [M] a découvert la faute du notaire au moment du contrôle fiscal de la société JCD au cours duquel des éléments lui ont été communiqués concernant l’opération réalisée et les incidences fiscales qui auraient dû être évitées ;
M. [M] n’a pas agi en qualité de professionnel de l’immobilier mais comme simple particulier.
Par dernières écritures en date du 3 juillet 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet et la Compagnie d’assurances MMA sollicitent de la cour de :
– En tant que de besoin rabattre l’ordonnance de clôture et la reporter au jour des plaidoiries ;
– Confirmer l’ordonnance rendue le 10 janvier 2023 par le Juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Chambéry en ce qu’il a :
– déclaré irrecevable comme étant prescrite, l’action intentée par M. [M] à l’encontre de la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Éva Six et Maxime Brunet et de la Compagnie d’assurance MMA, sur le fondement des actes des 12 mars 2015 et 30 juillet 2015,
– débouté M. [M] de sa demande d’indemnité formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [M] aux entiers dépens de l’incident, dont distraction au profit de la SCP Visier-Philippe Ollagnon-Delroise & Associés, avocat,
– dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire ;
Y ajoutant,
– Condamner M. [M] à payer à la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Éva Six et Maxime Brunet et de la Compagnie d’assurance MMA la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner M. [M] aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel, lesquels seront distraits au profit de la sociétéVisier-Philippe Ollagnon-Delroise & Associés.
Au soutien de leurs prétentions, la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet et la Compagnie d’assurances MMA font valoir notamment que :
Il n’y a pas de dommage constitué postérieurement à la signature des actes de vente et caractérisé, au sens de la jurisprudence cité par l’appelant, par l’intervention d’un tiers (juge ou administration fiscale’) venant supprimer un aléa ;
Au contraire le régime fiscal de chacune des cessions, désigné comme constitutif du dommage, est très clairement énoncé dans chacun des actes, dans un article intitulé « impôt sur la mutation » ;
Cette vérification fiscale n’a ni généré, ni constitué, ni même révélé le dommage et n’a pas même abouti à quelconque redressement, cet élément extérieur ne peut être regardé comme venu repousser le point de départ du délai de prescription ;
L’assignation a été délivrée le 7 juin 2021, soit après l’expiration du délai de prescription pour les actes du 12 mars 2015 et du 30 juillet 2015 et M. [M] ne justifie d’aucun acte ou fait susceptible d’avoir interrompu la prescription quinquennale ;
Ces ventes ont certes les mêmes vendeurs et acquéreurs, ont été réalisées aux mêmes conditions de droit, mais elles portent sur des lots de copropriétés distincts, soit sur des biens distincts, dès lors, il n’y a pas d’indivisibilité des trois ventes, qui sont totalement indépendantes les unes des autres puisque ne portant pas sur le même objet.
Une ordonnance en date du 3 juillet 2023 a clôturé l’instruction de la procédure. L’affaire a été plaidée à l’audience du 26 septembre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience ainsi qu’à la décision entreprise.
MOTIFS ET DECISION
L’article 2224 du code civil énonce que ‘les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.’ La prescription constitue une fin de non-recevoir permettant à une partie de voir déclarer son adversaire irrecevable sans examen du fond.
M. [F] [M] a acquis le 12 mars 2015 par acte notarié de Me [I] les lots n°3 et n°4, deux appartements en duplex, avec les millièmes de parties communes attachées à ces lots dans la copropriété ‘[Adresse 6]’ sur la commune de [Localité 7], de la société JCD, marchand de biens, dont il est également le gérant. Cette copropriété s’est constituée le jour même, suivant règlement de copropriété du même jour, établi par Me [I].
M. [F] [M] a également acquis le 30 juillet 2015, par acte authentique de Me [I], le lot n°2, un appartement en duplex avec les millièmes de parties communes attachées à ce lot, dans la même copropriété, du même vendeur.
Les deux actes de vente précités mentionnaient en page 5 ‘impôts sur la mutation : pour la perception des droits, le vendeur déclare :
– être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre de son activité économique et agir en tant que tel,
– que le bien vendu est achevé depuis plus de cinq ans.
En conséquence, la mutation est exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée conformément aux dispositions de l’article 261, 5-2° du code général des impôts et est soumise à la taxe de publicité foncière au taux de droit commun prévu par l’article 1594D du code général des impôts, qui est due par l’acquéreur.’
Il ressort manifestement de cette mention que M. [M], acquéreur, ne bénéficiait pas d’un choix dans les droits de mutation à payer, mais que ceux-ci résultaient directement de la déclaration du vendeur, la société JCD. Ainsi :
– soit M. [M] persiste à soutenir qu’il intervient seulement en tant que particulier, et il ne peut reprocher au notaire d’avoir appliqué les droits de mutation découlant des informations communiquées par le vendeur, la société JCD,
– soit M. [M] admet intervenir également en qualité de gérant de la société JCD, et il lui appartient alors de démontrer un défaut de devoir du conseil du notaire portant à la fois sur la taxation du vendeur et celle de l’acquéreur, ce qu’il se refuse à faire dans la procédure.
A ce sujet, il y a lieu d’observer que le paiement de la TVA par le vendeur aboutissait à une taxation globale au moins équivalente à celle payée par M. [M], et que l’application du taux de TVA réduit après exécution de travaux de grande ampleur qui pouvaient permettre de considérer l’immeuble comme neuf aurait peut-être conduit à différer les ventes, puisqu’après avoir acquis le 23 février 2015 le bien immobilier sis [Adresse 6], la société JCD ne pouvait prétendre en revendre les lots neufs le 12 mars 2015 et le 30 juillet 2015.
C’est enfin à l’issue d’une analyse pertinente, exhaustive et exempte d’insuffisance que le juge de la mise en état a considéré qu’il n’était pas démontré que le contrôle de la comptabilité de la société JCD diligenté à compter du 21 septembre 2017 ait abouti à une rectification, ou ait permis de mettre en évidence une erreur de taxation. A ce sujet, il convient d’ajouter que l’attestation due M. [Z], expert-comptable du cabinet Jean Neyret, qui indique : ‘à cette occation (du contrôle fiscal diligenté auprès de la société JCD), il a été relevé que plusieurs opérations de vente de biens immobiliers de même nature, réalisées au profit de Mr [F] [M], n’avaient pas été soumises au même régime de taxation, notamment en matière de droits de mutation’, ne vise manifestement pas les ventes des quatre lots constituant la copropriété [Adresse 6], puisque la vente du 18 juillet 2016 reprend exactement les mêmes stipulations sur les droits de mutation que les deux premières ventes réalisées entre la société JCD et M. [F] [M].
Il ne peut donc être retenu que le contrôle de comptabilité de la société JCD soit le point de départ du délai de prescription de l’action de M. [M], qui lui aurait permis de connaître l’existence d’une option de taxation, qui, de surcroit ne lui appartenait pas.
Sur les demandes accessoires
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd sont procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
M. [F] [M] succombant en son appel supportera les dépens de l’instance. Il ne paraît enfin pas inéquitable de le condamner à payer à la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet et la société MMA la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Enfin, il n’est pas inéquitable de rejeter demandes formulées sur ce fondement par M. [M].
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [F] [M] aux dépens de l’instance d’appel, avec distraction au profit de la SCP Christine Visier-Philippe, Carole Ollagnon-Delroise & associés, en application de l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. [F] [M] à payer à la société Guillaume Devred, Magali Ezanno, Eva Six et Maxime Brunet et la société MMA la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 05 décembre 2023
à
la SELARL CABINET ALCALEX
la SCP VISIER PHILIPPE – OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée le 05 décembre 2023
à
la SCP VISIER PHILIPPE – OLLAGNON DELROISE & ASSOCIES