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MINUTE N° 180/2022
Copie exécutoire à
– Me Joëlle LITOU-WOLFF
– SCP CAHN/BORGHI
– Me CROVISIER
Le 28 avril 2022
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 28 Avril 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 19/02250 – N° Portalis DBVW-V-B7D-HCVM
Décision déférée à la cour : 24 Avril 2019 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG
APPELANT sous le n° 19/2250 et INTIME sous le n° 19/2412:
Maître [K] [L] es qualité de mandataire liquidateur de la SARL ART’TERRE CONCEPT, ayant son siège [Adresse 3]
demeurant [Adresse 5].
représenté par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la cour.
plaidant : Me Sarah ZIMMERMANN, avocat à Strasbourg.
APPELANTE sous le n° 19/2412 et INTIMÉE sous le N° 19/2250 :
La SOCIÉTÉ CIVILE DE CONSTRUCTION VENTE PETITS ILETS, prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1].
représentée par la SCP CAHN/BORGHI, avocats à la cour.
plaidant : Me Hélène DOTT, avocat à Strasbourg.
INTIMÉE sous les n° 19/2412 et 19/2250 :
La SARL […] ARCHITECTES, représentée par son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 4]
représentée par Maître Anne CROVISIER, avocat à la cour.
plaidant : Me HAHN, avocats à Strasbourg.
INTIMÉE sous le n° 19/2412 :
La SARL ART’TERRE CONCEPT, en liquidation judiciaire, prise en la personne de son liquidateur Me [K] [L],
ayant son siège social [Adresse 2]
représentée par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la cour.
plaidant : Me Sarah ZIMMERMANN, avocat à Strasbourg.
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 25 Novembre 2021, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre,
Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller
Madame Myriam DENORT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN, Greffier
ARRET contradictoire
– prononcé publiquement après prorogation du 27 janvier 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES
Selon contrat du 20 mars 2012, la SARL Art’Terre concept, agissant en qualité de maître d’oeuvre planificateur représentant le maître de l’ouvrage, a confié à la SARL […] architectes une mission de maîtrise d’oeuvre de conception portant sur la construction d’un quartier résidentiel dénommé ‘les [Adresse 8]’ dans la commune du [Localité 9] (Martinique).
Ce projet de promotion immobilière devait être porté par la société de construction vente Petits îlets (ci-après SCCV Petits îlets) ayant pour associés d’une part la société Art’Terre concept ayant une activité d’opérations et transactions immobilières, de marchand de biens et de maîtrise d’oeuvre, dirigée par M. [I] [E], architecte, d’autre part la société MS Conseils ayant une activité de gestion de biens, de marchand de biens et de conseil en gestion de patrimoine, dirigée par M. [W] [Z].
Par exploits du 2 mai 2013, la société […] architectes a assigné la SCCV Petits îlets et la société Art’Terre concept devant le tribunal de grande instance de Strasbourg en paiement d’un montant de 1 030 750 euros au titre de ses honoraires.
La société Art’Terre concept a été placée en liquidation judiciaire selon jugement de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg du 3 octobre 2016. Son liquidateur, Me [L], est intervenu volontairement à la procédure et a formé une demande incidente dirigée contre la SCCV Petits îlets en paiement de la somme de 2 760 240 euros au titre de la rémunération due à la société Art’Terre concept en règlement de ses prestations de maître d’oeuvre planificateur.
Par jugement du 24 avril 2019, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal a condamné la SCCV Petits îlets à payer à la société […] architectes la somme de 1 030 750 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2013, avec capitalisation, débouté les parties de leurs demandes pour le surplus et a condamné in solidum la SCCV Petits îlets et Me [L], ès qualités, à payer à la société […] architectes la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la SCCV Petits îlets aux dépens.
Le tribunal a retenu l’existence d’un mandat apparent donné à la société Art’Terre concept par la SCCV Petits îlets en relevant que, préalablement à la signature du contrat d’architecte, la société Art’Terre concept qui était l’un des associés de la SCI Petits îlets devenue ultérieurement une SCCV, avait informé la société […] architectes de ce qu’elle négociait le montant des honoraires avec la SCI, cette croyance légitime de la société […] architectes dans les pouvoirs de la société Art’Terre concept ayant été ultérieurement confortée par la signature par M. [Z], gérant de la SCCV Petits îlets, de la demande de permis de construire sur laquelle figurait son nom, ainsi que par l’envoi d’instructions.
Le tribunal a considéré que la société […] architectes ayant légitimement pu croire que la société Art’Terre concept était investie d’un mandat par la SCCV Petits îlets, cette dernière était tenue au paiement des honoraires fixés pour la phase de sa mission jusqu’au dépôt du permis de construire (soit 950 000 euros HT), la demande dirigée contre le mandataire apparent devant être rejetée.
Le tribunal a considéré que le maître de l’ouvrage ne pouvait invoquer une exception d’inexécution contractuelle tirée du rejet de la demande de permis de construire à raison du caractère incomplet du dossier, ce rejet étant exclusivement imputable au gérant de la SCCV Petits îlets qui n’avait pas fait procéder à l’immatriculation de la SARL [Adresse 7] au nom de laquelle avaient été déposées les demandes de permis de construire, ce qui n’avait notamment pas permis le traitement de la demande d’autorisation d’aménagement de terrains communaux qui était nécessaire.
Pour rejeter la demande de la société Art’Terre concept, le tribunal a considéré que la rémunération de cette société devait résulter de la détention de parts sociales de la SCCV Petits îlets et que ce n’est qu’en raison de l’échec du projet qu’elle a décidé de facturer des honoraires, contrairement à ce qui avait été prévu par les parties à l’origine.
Me [L], ès qualités, a interjeté appel de ce jugement le 10 mai 2019, en ce qu’il a débouté la société Art’Terre concept représentée par son liquidateur de ses demandes et en ce qu’il l’a condamnée au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La SCCV Petits îlets a interjeté appel du jugement le 24 mai 2019, en ce qu’il a prononcé des condamnations contre elle et l’a déboutée de ses demandes.
Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 6 octobre 2020.
Par ordonnance du 30 octobre 2019, le président de chambre délégué de la première présidente a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire présentée par la SCCV Petits îlets.
Par conclusions transmises respectivement par voie électronique les 29 juillet 2019 et 8 novembre 2019 dans chacun des deux dossiers avant leur jonction, la SCCV Petits îlets demande à la cour de :
– déclarer l’appel de Me [L] mal fondé et de confirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes,
– infirmer le jugement en ce qu’il :
* l’a condamnée au paiement de la somme de 1 030 750 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2013,
* a ordonné la capitalisation des intérêts,
* a ordonné l’exécution provisoire,
* l’a condamnée au paiement d’une indemnité de procédure à la société […] architectes et aux dépens,
statuant à nouveau de :
– débouter la société […] architectes et la société Art’Terre concept de l’ensemble de leurs demandes,
– les condamner au paiement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens d’appel et de première instance.
La SCCV Petits îlets expose qu’elle a été créée par les sociétés MS Conseils et Art’Terre concept pour porter le projet de promotion immobilière en Martinique, deux autres projets ayant été menés antérieurement par ces deux sociétés selon le même schéma, et que l’opération était destinée à permettre aux investisseurs qui y souscrivaient de bénéficier d’avantages fiscaux en contrepartie de la mise à disposition des logements construits à des locataires ou acquéreurs répondant à des critères sociaux.
Elle indique que, dans ce schéma, la société porteuse du projet ne dispose pas de liquidités jusqu’à la phase de recherche d’investisseurs qui souscrivent à son capital, et que les sociétés MS Conseil et Art’Terre concept n’ont vocation à être réglées des prestations qu’elles ont respectivement réalisées dans le domaine financier pour la première, technique pour la seconde, que si le projet aboutit.
En l’espèce, la société Art’Terre concept ayant demandé à percevoir une avance de 300 000 euros sur ses honoraires, la société MS Conseil a fait cette avance sur ses fonds propres et en contrepartie les associés ont accepté une répartition inégalitaire du capital social de la SCCV Petits îlets à concurrence de 62 % pour la société MS conseils et de 38 % pour la société Art’Terre concept.
La SCCV Petits îlets soutient que la société Art’Terre concept au lieu de réaliser elle-même les prestations lui incombant dans le cadre de ce partenariat, a, sans l’aviser, fait appel à la société […] architectes avec qui elle a conclu un contrat de maîtrise d’oeuvre.
Elle fait valoir qu’elle n’a aucun lien contractuel avec la société […] architectes, et conteste tout mandat apparent, tant au regard des faits de la cause que des conditions exigées pour caractériser un tel mandat lesquelles ne sont pas remplies, en l’absence notamment de tout élément en faveur d’une croyance légitime de la société […] architectes dans les pouvoirs de la société Art’Terre concept, le tribunal s’étant essentiellement fondé à cet égard sur des éléments postérieurs à la conclusion du contrat. Elle ajoute que les circonstances de conclusion du contrat et son importance auraient dû amener la société […] architectes, qui savait par un courrier de la société Art’Terre concept du 17 février 2012 que les honoraires ne pourraient être réglés avant obtention de l’agrément fiscal auquel était soumise l’opération qui seul permettait de débloquer les fonds, à s’interroger sur les pouvoirs de la société Art’Terre concept, et que d’ailleurs elle n’a jamais considéré être liée directement à la SCCV Petits îlets, avec laquelle elle n’a eu aucun contact avant le dépôt du dossier de permis de construire, tous les échanges intervenant avec la société Art’Terre concept qui a été destinataire des notes d’honoraires.
Elle conteste pareillement tout contrat de sous-traitance, soulignant que la société Art’Terre concept n’étant pas elle-même architecte, seul son gérant, M. [E], étant inscrit à l’ordre des architectes, ne pouvait sous-traiter une mission d’architecture, alors qu’au surplus les articles 33 et 37 du code de déontologie interdisent le recours à la sous-traitance, sauf pour certaines missions avec l’accord du maître de l’ouvrage qui doit accepter le sous-traitant et agréer ses conditions de paiement ; or la SCCV Petits îlets n’en a pas été informée. Il n’y a pas non plus de novation du contrat, ni de gestion d’affaires.
Subsidiairement, elle conteste tant la qualité que le tarif de la prestation fournie, et considère que le défaut d’obtention du permis de construire est imputable à la société […] architectes qui n’a pas correctement exécuté sa mission, le dossier étant incomplet, soulignant que le moyen tiré de l’absence d’inscription au RCS de la société pétitionnaire n’est pas opérant puisque l’administration n’effectue pas de contrôle sur ce point. Elle invoque également un manquement de la société […] architectes à son devoir de conseil quant à la faisabilité du projet, l’absence de chiffrage correct permettant d’apprécier sa rentabilité, et soutient que le dossier était mal étudié et en l’état irréalisable, de sorte que le permis de construire ne pouvait être accordé. Elle conteste enfin le montant des honoraires réclamés.
S’agissant de la demande de Me [L], en qualité de liquidateur de la société Art’Terre concept, elle fait valoir qu’il n’y a aucun lien contractuel mais seulement des relations de partenariat entre les associés, qu’en réalité, M. [E] qui était confronté à des difficultés financières ignorées de la SCCV Petits îlets, ayant conduit à sa suspension puis à sa radiation par le conseil de l’ordre des architectes pour défaut d’assurance, a conclu le contrat litigieux dans son intérêt exclusif. Elle précise qu’étant dépourvue de fonds propres, chacun des associés n’avait vocation à être payé de ses prestations que lors de la levée des fonds auprès des investisseurs, au moment du démarrage de l’opération, et souligne que la société Art’Terre concept n’a jamais réclamé d’honoraires pour d’autres projets n’ayant pas abouti.
*
Par conclusions transmises par voie électronique les 29 octobre 2019 et 30 janvier 2020, dans chacune des deux procédures, Me [L], en qualité de liquidateur de la société Art’Terre concept, sollicite la réformation du jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes et condamné au paiement d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et demande à la cour, statuant à nouveau de :
– condamner la SCCV Petits îlets à lui payer 1 729 990 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2013 au titre des prestations d’architecte réalisées dans le cadre du projet,
subsidiairement si la thèse du mandat était retenue de :
– condamner la SCCV Petits îlets à lui payer le même montant à titre de rémunération du mandataire, le cas échéant fixer cette rémunération, au besoin après expertise,
– en tout état de cause, de manière alternative ou complémentaire :
– condamner la SCCV Petits îlets à payer à Me [L], en sa qualité de liquidateur de la société Art’Terre, la somme de 1 729 990 euros pour perte d’honoraires et la somme de 2 964 000 euros pour perte de dividendes à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis,
– limiter la condamnation au second montant si la SCCV Petits îlets est condamnée à payer le premier à la société […] architectes,
– débouter la SCCV Petits îlets et la société […] architectes de toutes autres demandes,
– confirmer le jugement pour le surplus,
– rejeter l’appel incident de la SCCV Petits îlets,
– la débouter de ses demandes,
– en tout état de cause, condamner tout succombant aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– ordonner la capitalisation des intérêts.
Me [L], en sa qualité de liquidateur de la société Art’Terre, fait siens les motifs du jugement qui a condamné la SCCV Petits îlets au paiement des honoraires dus à la société […] architectes.
Au soutien de son appel, il fait valoir que la SCCV Petits îlets a confié à la société Art’Terre concept une mission de maîtrise d’oeuvre complète pour le projet incluant le dépôt du permis de construire et qu’elle a, à tout le moins, admis lui avoir confié une mission d’études préliminaires qui a été réalisée et facturée à hauteur de 300 000 euros. Il soutient que la société Art’Terre concept a exécuté le reste de sa mission mais n’a pas été rémunérée et invoque l’existence d’un contrat verbal dont la preuve ressort notamment du fait que les plans de permis de construire ont été signés par la société Art’Terre concept et par la SCCV Petits îlets, du paiement de la provision de 300 000 euros ainsi que du dossier prévisionnel de présentation aux banques prévoyant le règlement d’honoraires à hauteur de 3,6 % du montant des travaux, et d’une lettre de la société MS conseil du 30 juin 2009 évoquant le paiement d’honoraires pour un montant avoisinant 1 000 000 euros, outre une lettre recommandée avec accusé de réception du 19 septembre 2012 portant reconnaissance de la mission dévolue à la société Art’Terre concept. Il ajoute que le fait même d’invoquer une mauvaise exécution du contrat implique la reconnaissance de l’existence d’une convention, et soutient que l’inexécution alléguée n’est pas démontrée, la SCCV Petits îlets qui disposait de tous les éléments nécessaires ayant préféré lancer un projet légèrement différent en évinçant la société Art’Terre concept. Il réfute tous les griefs soulevés et soutient que si le projet n’a pas abouti c’est en raison de la carence du maître de l’ouvrage à justifier de la maîtrise foncière.
Pour justifier sa demande d’honoraires, Me [L], ès qualités, fait valoir qu’un contrat de maîtrise d’oeuvre a été envoyé à la SCCV Petits îlets le 21 mai 2013 prévoyant un taux de rémunération de 3,6 % du montant des travaux pour la mission de base et que seule la mission permis de construire a été sous-traitée. Le cas échéant, il sollicite l’organisation d’une expertise.
Subsidiairement, si l’existence d’un mandat devait être admise, la société Art’Terre concept pourrait alors prétendre en qualité de mandataire à sa propre rémunération ainsi qu’au remboursement de ses frais.
Me [L], en sa qualité de liquidateur de la société Art’Terre, invoque en outre une créance indemnitaire en réparation du préjudice causé par les fautes de la SCCV Petits îlets dont la carence a conduit au rejet du permis de construire, celle-ci n’ayant pas justifié de la maîtrise foncière, outre la création d’une nouvelle société excluant la société Art’Terre concept, la SCCV les [Adresse 8], qui a bénéficié du travail de la société Art’Terre concept et de la société […] architectes.
Le préjudice subi par la société Art’Terre concept correspond à la perte de rémunération de ses travaux et à la perte des dividendes.
*
Par conclusions transmises par voie électronique le 15 janvier 2020, dans chacune des deux procédures, la société […] architectes demande à la cour de rejeter l’appel de la SCCV Petits îlets et de constater que l’appel de Me [L], ès qualités de liquidateur de la société Art’Terre, n’est pas dirigée contre elle. À titre principal, elle demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter la SCCV Petits îlets de ses demandes, à titre subsidiaire, d’ordonner une expertise judiciaire afin de déterminer la contre-valeur de ses travaux et en tout état de cause, de condamner solidairement, au besoin in solidum, la SCCV Petits îlets et Me [L], ès qualités de liquidateur de la société Art’Terre concept au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’appel principal et de la même somme au titre de l’appel incident, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en sus des dépens nés de l’appel principal et de l’appel incident et d’ordonner l’anatocisme.
Elle soutient que la société Art’Terre concept avait été investie par la SCCV Petits îlets d’un mandat dont la preuve résulte des statuts mêmes de cette société, la société Art’Terre concept, en sa qualité d’associée, étant en effet en charge de la partie technique du projet qui comportait nécessairement une mission d’architecte qu’elle n’était pas en mesure de remplir ne disposant pas du titre d’architecte, de sorte qu’elle s’est nécessairement vu donner mandat aux fins de confier la mission d’obtention du permis de construire à un architecte tiers. L’existence du mandat résulte également du contrat d’architecte lui-même, la société Art’Terre concept y étant partie en qualité de ‘maître d’oeuvre-planificateur représentant le maître de l’ouvrage’, ainsi que d’un courrier adressé le 19 décembre 2012 par la SCCV Petits îlets à la société Art’Terre concept confirmant que celle-ci était chargée des démarches administratives liées à l’obtention du permis de construire.
Elle considère que le mandant est engagé par les actes de son mandataire, et relève qu’au surplus, à supposer qu’il y ait eu dépassement de pouvoirs, la SCCV Petits îlets a ratifié l’ensemble des diligences effectuées par la société […] architectes.
Subsidiairement, elle considère avoir été maintenue dans l’illusion de l’existence d’un tel mandat et en déduit que le contrat d’architecte est pleinement opposable au maître de l’ouvrage.
La société […] architectes soutient avoir accompli sa mission et que l’absence de délivrance du permis de construire est sans incidence, le contrat ne comportant aucune condition suspensive à cet égard. En outre, la non-obtention du permis de construire est exclusivement imputable à la SCCV Petits îlets, qui ne lui a pas répercuté les demandes de pièces complémentaires du service instructeur, et qui, au surplus, s’est appropriée ses prestations et a obtenu un permis de construire sur un projet modifié, après s’être rendu compte que le projet initial n’était pas suffisamment rentable.
Subsidiairement, la société […] architectes demande la confirmation du jugement par substitution de motifs en retenant l’existence d’un contrat de sous-traitance, l’absence d’acceptation du sous-traitant ne faisant pas obstacle au recours du sous traitant sur le fondement de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre1975, l’illégalité de la sous-traitance au regard des règles ordinales n’entraînant pas la suppression du mécanisme de cette loi protectrice du sous-traitant. La responsabilité de la SCCV Petits îlets, qui ne peut opposer une faute du sous-traitant, est donc susceptible d’être engagée sur ce fondement car elle avait connaissance de l’intervention d’un sous-traitant et devait mettre en demeure la société Art’Terre concept de respecter ses obligations à cet égard.
Le préjudice subi correspond à la privation des sommes dues et de la garantie de paiement, de sorte que le maître de l’ouvrage doit payer toutes les sommes restant dues par l’entreprise principale.
Plus subsidiairement, elle invoque l’existence d’un contrat verbal avec la SCCV Petits îlets, et enfin la gestion d’affaires.
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 7 septembre 2021.
MOTIFS
A titre liminaire la cour constate qu’elle n’est pas saisie d’un appel concernant la disposition du jugement ayant rejeté la demande de la société […] architectes de fixation de sa créance au passif de la société Art’Terre concept.
1 – la demande en paiement de la société […] architectes
Sur l’existence d’un mandat exprès donné par la SCCV Petits îlets à la société Art’Terre concept
À hauteur de cour, la société […] architectes se prévaut d’un mandat exprès donné par la SCCV Petits îlets à la société Art’Terre concept pour la conclusion du contrat d’architecte dont la preuve résulterait d’une part des statuts de la SCCV Petits îlets, puisque la société Art’Terre concept, en sa qualité d’associée, était en charge de la partie technique du projet qui comportait nécessairement une mission d’architecte qu’elle ne pouvait elle-même remplir n’étant pas inscrite à l’ordre des architectes, d’autre part du contrat d’architecte auquel la société Art’Terre concept est intervenue en qualité de ‘maître d’oeuvre – planificateur représentant le maître de l’ouvrage’, et enfin d’un courrier de la SCCV Petits îlets du 19 décembre 2012 adressé à la société Art’Terre concept confirmant que cette dernière s’occupait des démarches administratives liées à l’obtention du permis de construire.
Contrairement à ce que soutient la société […] architectes, aucune mention des statuts de la SCCV Petits îlets ne permet de considérer que les associés auraient donné expressément mandat à la société Art’Terre concept, de conclure, au nom de la SCCV, un contrat d’architecte. L’exposé préalable desdits statuts, auquel renvoie la société […] architectes, fait seulement mention de l’existence d’une société créée de fait le 20 décembre 2007 par les sociétés MS Conseils et Art’Terre concept en vue de l’acquisition d’un terrain sis au [Localité 9] (Martinique), lieudit [Localité 10], ainsi que des apports financiers faits à la société Art’Terre concept en tant qu’associée par M. [E], et par la société MS Conseils en vue de cette acquisition, et enfin du projet initial de création d’une société civile immobilière pour la réalisation et la commercialisation du projet, et suite à un changement de législation, de la décision de transformer la société de fait en une société de droit prenant la forme d’une société civile de construction vente. Aucune autre mention des statuts ne confère expressément de mandat à la société Art’Terre concept pour la gestion des aspects techniques du projet, ou de mission de maîtrise d’ouvrage déléguée, l’article 14 desdits statuts disposant au contraire que ‘la gérance a seule la signature sociale’ et soumettant la conclusion de tous marchés d’entreprise et de tous ordres de service en vue de l’engagement des travaux du programme à l’approbation par la collectivité des associés des principaux éléments du plan financier prévisionnel du programme.
De la même manière, le seul fait qu’en page 3 du contrat d’architecte signé le 20 mars 2012 entre d’une part la société Art’Terre concept, ‘maître d’oeuvre -planificateur’, d’autre part la société […] architectes, architecte, il soit précisé que la société Art’Terre concept, représentée par M. [I] [E], est désignée ‘maître d’oeuvre-planificateur’ représentant le maître de l’ouvrage, n’est pas suffisant pour établir l’existence d’un mandat exprès, la notion de maître d’oeuvre-planificateur n’étant pas définie et aucune indication n’étant fournie quant à l’identité du maître de l’ouvrage. Il importe d’ailleurs de souligner, à cet égard, qu’il ressort de courriers électroniques échangés entre la société […] architectes et M. [E], le 30 mai 2012, qu’à cette date la première ignorait toujours quelle était l’identité du maître de l’ouvrage et qu’elle interrogeait M. [E] aux fins de savoir quel nom faire figurer dans les cartouches des plans, ce dernier lui répondant, le 31 mai 2012, qu’il s’agissait de la SARL [Adresse 7], au nom de laquelle devait être déposée la demande de permis de construire, société qui ne sera jamais immatriculée au registre du commerce et des sociétés.
Enfin, si dans le courrier qu’il a adressé le 19 décembre 2012 à M. [E], et non à la société Art’Terre concept, M. [Z], agissant en qualité de gérant de la SCCV Petits îlets, évoquait une nouvelle collaboration entre les associés dans les mêmes conditions que pour les projets [Adresse 11] et [Adresse 12], ainsi qu’un partage du travail entre la société MS Conseil pour tout ce qui concerne le juridique, le financier, le partenariat ainsi que les contrats, et ‘vous’ (M. [E]) pour les plans et les démarches administratives liées à l’obtention du permis de construire, ce courrier ne conforte aucunement l’hypothèse d’un mandat exprès donné par la SCCV Petits îlets à la société Art’Terre concept, M. [Z] reprochant au contraire à son correspondant d’avoir jugé utile de sous-traiter son travail et d’avoir pris des engagements financiers sans jamais l’avoir consulté. Il ressort par ailleurs des productions que dans le cadre des opérations [Adresse 12] et [Adresse 11], la mission d’architecte avait été réalisée par M. [E].
Par voie de conséquence, il ne résulte d’aucun de ces éléments la preuve de l’existence d’un mandat exprès confié par la SCCV Petits îlets à son associée, la société Art’Terre concept, en vue de la conclusion d’un contrat d’architecte avec un tiers.
Sur l’existence d’un mandat apparent
La société […] architectes soutient qu’elle était à tout le moins dans l’illusion de l’existence d’un mandat donné à la société Art’Terre concept.
Si une personne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent, c’est à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes desdits pouvoirs.
En l’occurrence, force est de constater que la société […] architectes est un professionnel, et que le contrat dont s’agit prévoyait une rémunération à hauteur de 1 200 000 euros hors taxes, excédant son chiffre d’affaires annuel. Or, ainsi que cela a été évoqué précédemment, non seulement la société […] architectes ignorait l’identité du maître de l’ouvrage, au jour de la signature du contrat d’architecte, mais en outre elle avait été préalablement avertie par M. [E], dans un courrier électronique du 17 février 2012, de l’existence de réticences de la SCI quant au montant de ses honoraires, ainsi que du fait que leur paiement était subordonné à ‘l’agrément fiscal qui débloque tous les fonds d’un seul coup’. M. [E] précisait en outre dans ce courriel ‘Je te signe, évidemment un contrat d’archi en bon et dû forme, avec cette date butoir pour le règlement intégral de tes honoraires. Si dans le laps de temps, l’agrément est délivré, je m’oblige à te régler immédiatement les fonds en question.’
L’importance du contrat, les réserves préalablement émises par M. [E] et son engagement personnel, outre le fait que la société Art’Terre concept intervienne au contrat en qualité de ‘maître d’oeuvre-planificateur’, notion dépourvue de tout contenu précis, étaient de nature à susciter un doute quant à la réalité du mandat donné par le maître de l’ouvrage et devaient inciter la société […] architectes, en professionnel avisé, qui avait connaissance du fait que M. [E], gérant de la société Art’Terre concept était lui-même architecte, à faire preuve de vigilance et à vérifier les pouvoirs de son cocontractant, alors même qu’elle était dans l’ignorance de l’identité exacte du maître de l’ouvrage et que les règles impératives régissant la profession d’architecte lui imposaient de contracter directement avec celui-ci.
La société […] architectes ne peut, dans ces conditions, se prévaloir d’une croyance légitime dans les pouvoirs de la société Art’Terre concept, et invoquer l’existence d’un mandat apparent donné à cette dernière qui a d’ailleurs toujours contesté être investie d’un quelconque mandat, qu’il soit exprès ou tacite, évoquant, dans ses rapports avec la SCCV Petits îlets, l’existence d’une relation de sous-traitance avec la société […] architectes.
Cette dernière ne peut pas davantage se prévaloir d’une ratification a posteriori par le maître de l’ouvrage du contrat conclu par la société Art’Terre concept qui résulterait selon elle de la signature de la demande de permis de construire et du fait que le gérant de la SCCV, M. [Z], qui est le même que celui de la société MS Conseils, ait été destinataire en copie de certains de ses échanges électroniques avec M. [E] et ne se soit pas opposé aux diligences accomplies, ou encore du fait qu’elle ait répondu à des demandes de M. [Z] transmises par M. [E]. Cette attitude ne peut en effet valoir preuve d’une volonté certaine et non équivoque de la SCCV Petits îlets de ratifier, en connaissance de cause, les engagements pris par la société Art’Terre concept à l’égard de la société […] architectes, alors d’une part qu’à l’exception des deux courriels de MS conseils datés des 17 juillet et du 9 août 2012 visés par le tribunal ayant pour objet des demandes de communication de plans, M. [E] a toujours été le seul interlocuteur du cabinet d’architecture à qui il relayait les demandes du maître de l’ouvrage, et d’autre part qu’il affirmait à ce dernier que la société […] architectes était son ‘sous-traitant’ et que la SCCV Petits îlets n’était pas liée par le contrat conclu avec cette dernière lequel ne concernait que lui (cf courrier électronique du 17 octobre 2012).
La demande en paiement de la société […] architectes ne peut donc pas prospérer sur ce fondement.
Sur la sous-traitance
La société […] architectes fait valoir que la société Art’Terre concept qui avait été chargée par la SCCV Petits îlets d’une mission d’obtention d’un permis de construire lui a sous-traité la réalisation de cette prestation et invoque les dispositions de l’article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance qui est d’ordre public.
La SCCV Petits îlets oppose toutefois à bon droit d’une part que la société Art’Terre concept qui, bien qu’exerçant une activité de maître d’oeuvre, n’est pas architecte, seul son gérant M. [E] étant inscrit à l’ordre des architectes, ne pouvait sous-traiter une mission d’architecte qu’elle ne pouvait exercer, d’autre part que le contrat conclu, quelle que soit la qualification qu’ait pu ultérieurement lui donner la société Art’Terre concept, n’est pas un contrat de sous-traitance mais bien un contrat d’architecte, de sorte que la société […] architectes ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.
Sur les autres fondements
La société […] architectes ne peut, au vu de ce qui précède, considérer être directement liée à la SCCV Petits îlets par un contrat d’architecte non écrit, alors qu’un contrat écrit a été dûment régularisé avec la société Art’Terre concept.
La société […] architectes se prévaut en dernier lieu des dispositions de l’article 1375 ancien du code civil relatives à la gestion d’affaires.
La gestion d’affaires suppose qu’une personne, le gérant, intervienne de façon spontanée et opportune dans les affaires d’une autre, le maître de l’affaire, pour les gérer dans l’intérêt de cette autre personne, la condition de spontanéité impliquant que le gérant ne doit pas intervenir sur le fondement d’une quelconque obligation, que celle-ci soit légale, contractuelle ou autre.
Cette condition n’est pas remplie en l’espèce, puisque le contrat d’architecte a été conclu par la société Art’Terre concept dans le cadre d’une convention de partenariat liant les associés de la SCCV Petits îlets en vue de la réalisation d’une opération de promotion immobilière menée de manière commune, la société Art’Terre concept respectivement son gérant, M. [E] devant assurer la partie technique du projet, et le contrat n’ayant manifestement été conclu que du fait que ce dernier, qui avait assuré personnellement les prestations d’architecte dans le cadre des autres opérations menées en commun, n’était pas en mesure de mener à bien cette mission n’étant plus assuré.
La demande de la société […] architectes ne peut donc pas davantage prospérer sur ce fondement. Le jugement doit donc être infirmé en tant qu’il a fait droit à sa demande en paiement des honoraires prévus au contrat et la demande rejetée.
2 – la demande en paiement formée par Me [L], en sa qualité de liquidateur de la société Art’Terre concept
Sur la demande en paiement d’une rémunération
Il est constant qu’aucune convention de maîtrise d’oeuvre n’a été régularisée entre la société Art’Terre concept et la SCCV Petits îlets, la première ayant adressé à la seconde, le 21 mai 2013, après rejet de la demande de permis de construire, un projet de convention qui n’a pas été régularisé par cette dernière.
Me [L], ès qualités, ne peut dès lors exciper de cette convention pour demander paiement de la rémunération prévue.
L’inobservation des dispositions de l’article 11 du code de déontologie des architectes, imposant la rédaction d’un contrat écrit, qui relève de la juridiction disciplinaire de l’ordre des architectes, est sans incidence sur la validité du contrat lui-même qui reste un contrat consensuel dont la preuve peut être rapportée dans les termes du droit commun.
En l’occurrence, s’il est constant que M. [Z], gérant de la SCCV Petits îlets, a signé la demande de permis de construire ainsi que les plans et que la société Art’Terre concept a facturé le 3 août 2010 un acompte sur honoraires à hauteur de 300 000 euros hors taxes, qui a été réglé, ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour caractériser l’existence d’une convention de maîtrise d’oeuvre passée entre la société Art’Terre concept et la SCCV Petits îlets, alors que la première est associée de la seconde, qu’il résulte des statuts de la SCCV qu’elle a été constituée afin de formaliser les apports de chacun des associés sous forme de participation au capital et qu’il n’est pas contesté que l’avance sur honoraires a été réglée par la société MS Conseils sous la forme d’un apport en numéraire dans le cadre d’une augmentation de capital dont il a été tenu compte dans l’attribution des parts sociales, l’ensemble de ces éléments confortant l’existence d’une convention de partenariat entre les associés, chacun d’eux oeuvrant à la réalisation du projet commun en fonction de son domaine de compétence propre.
Le courrier de la société MS conseil du 30 juin 2009, qui ne concerne pas le même projet, est sans emport. Le courrier adressé par la SCCV Petits îlets à M. [E] le 19 décembre 2012 susvisé, qui évoque ‘un partage du travail’ entre ce dernier et MS conseils, ainsi qu’une collaboration dans les mêmes conditions que pour les projets [Adresse 12] et [Adresse 11] et indique ‘D’ailleurs, il est a remarqué qu’aucun contrat ne vous lis avec notre SCCV’ ne saurait valoir reconnaissance de l’existence d’une convention de maîtrise d’oeuvre et du principe d’une rémunération de la société Art’Terre concept quelle que soit l’issue du projet, pas plus que les termes du contrat de mission conclu, le 1er août 2012, par la SCCV avec la société N+P² ingénierie portant sur une mission d’assistance au maître de l’ouvrage, en réalité de maîtrise d’oeuvre hors phase permis de construire, qui évoque la transmission de plans ‘PERMIS’ retravaillés en plans ‘EXE’ par le cabinet d’architecture […], lui-même mandaté par la société Art’Terre concept, partenaire du maître de l’ouvrage pour la phase ‘permis’, la conclusion dudit contrat de mission étant en outre en contradiction avec la mission de maîtrise d’oeuvre complète revendiquée par la société Art’Terre concept qui met en compte des honoraires à hauteur de 3,6% du montant prévisionnel des travaux ce qui correspond à la rémunération d’une mission complète de base selon le contrat qu’elle a transmis à la SCCV Petits îlets le 21 mai 2013.
Il sera par ailleurs observé que si le dossier prévisionnel établi pour les organismes bancaires fait bien référence à des honoraires de maîtrise d’oeuvre, il est toutefois mentionné ‘architecte [E]’ – et non pas Art’Terre concept -, comme cela était également le cas dans les projets [Adresse 11] et [Adresse 12] précédemment réalisés par les sociétés Art’terre concept et MS conseils.
En outre, si la SCCV Petits îlets a reconnu dans ses écritures que la société Art’Terre concept avait vocation à être rémunérée pour les prestations effectuées, elle a toutefois toujours indiqué que cette rémunération était conditionnée à l’aboutissement du projet, puisque la société était dépourvue de fonds propres et que seule la levée de fonds auprès d’investisseurs permettait de régler les honoraires, ce que la société Art’Terre concept admettait d’ailleurs dans le courrier précité du 17 février 2012 qu’elle adressait à la société […] architectes. Enfin, le seul fait de discuter la qualité des prestations n’implique pas non plus reconnaissance du bien fondé du droit à rémunération de la société Art’Terre Concept.
La preuve de l’existence d’une convention de maîtrise d’oeuvre ouvrant droit à rémunération au profit de la société Art’Terre concept en l’absence de tout aboutissement du projet n’est donc pas rapportée.
L’existence d’un mandat donné par la SCCV Petits îlets à la société Art’Terre concept n’ayant pas été retenue, cette dernière ne peut pas davantage prétendre obtenir la rémunération de ses prestations en tant que mandataire.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en tant qu’il a rejeté la demande de Me [L], ès qualités, à ce titre.
Sur la demande indemnitaire
Me [L], ès qualités, reproche à la SCCV Petits îlets d’être à l’origine du refus du permis de construire et d’avoir créé une nouvelle société, la SCCV de [Adresse 6], pour réaliser un projet différent mais pour lequel elle a bénéficié du travail de la société Art’Terre concept qui a été exclue.
Sur ce dernier point, il est relevé, sans que cela soit contesté, que la SCCV de [Adresse 6] a été constituée par la société MS Conseils et non par la SCCV Petits îlets, de sorte qu’aucune faute ne peut être imputée à cette dernière à ce titre.
S’agissant du refus du permis de construire, le service de l’urbanisme de la Ville du [Localité 9] adressait, le 29 juin 2012, un courrier au maître de l’ouvrage lui demandant de compléter son dossier de demande de permis de construire et réclamait différents documents ou éléments d’information.
Le 4 septembre 2012, le service instructeur demandait au maître de l’ouvrage d’inscrire le numéro Siret de la société pétitionnaire, de mettre en concordance la déclaration fiscale avec le cadre ‘densité’ et de revoir le tableau des surfaces de plancher en conséquence, de fournir l’autorisation concernant l’aménagement des terrains communaux (délibération du conseil municipal), l’étude d’impact ou la décision de dispense d’une telle étude ainsi que la copie de la lettre du préfet faisant savoir que la demande d’autorisation de défricher est complète, l’intégralité des pièces demandées devant être déposées avant le 28 septembre 2012.
Le 19 novembre 2012, l’adjoint délégué au maire de la commune du [Localité 9] constatait l’absence de production des pièces demandées dans le délai imparti et rejetait la demande de permis de construire.
Ainsi que l’a relevé le tribunal le dossier a été complété, s’agissant de l’étude d’impact et de la demande d’autorisation de défrichement. Par courrier du 12 septembre 2012 la société Art’Terre concept a en effet transmis à la mairie du [Localité 9] les documents nécessaires et indiquait que la société pétitionnaire étant en cours d’immatriculation le numéro Siret de la SCCV Petits îlets, à laquelle devait être transféré le permis de construire, pouvait être indiqué.
En revanche, il n’est pas justifié de ce que le tableau des surfaces révisé tel que demandé par la commune a effectivement été fourni, la seule mention d’un tableau joint audit courrier étant insuffisante à l’établir.
Il n’est pas non plus établi que l’autorisation concernant l’aménagement des terrains communaux ait été fournie. Me [L], ès qualités, affirme que l’absence de ce document est imputable à la SCCV Petits îlets qui n’avait pas la maîtrise du foncier. Il n’est toutefois pas démontré que l’absence de régularisation d’une promesse de vente soit imputable à la SCCV Petits îlets, aucun accord explicite de la commune sur les conditions de la cession des parcelles communales ne ressortant du compte-rendu de réunion du 11 avril 2012 produit en annexe 46 par la SCCV, et la seule délibération du conseil
municipal relative à la cession des parcelles produite étant datée du 5 août 2013. En outre, la société Art’Terre concept ne démontre pas s’être inquiétée de la question avant le 12 novembre 2012, soit après expiration du délai imparti pour compléter le dossier, alors qu’étant associée de la SCCV Petits îlets elle avait le plus grand intérêt à la régularisation de cet acte.
Il n’est dès lors pas démontré que le refus du permis de construire soit exclusivement imputable à la carence de la SCCV Petits îlets. Au surplus, il n’est pas certain que le permis aurait été accordé quand bien même les documents manquants auraient-ils été produits, ni que le projet aurait pu être réalisé tel que prévu initialement, alors qu’il apparaît que le terrain projeté était situé en bordure d’une ravine, que le contrôle topographique réalisé en octobre 2013 révélait des écarts importants et qu’en définitive, le projet a dû être remanié avec une réduction importante de l’emprise foncière.
La preuve d’une faute de la SCCV Petits îlets ayant privé la société Art’Terre concept de la possibilité de percevoir sa rémunération et des dividendes n’est donc pas rapportée. Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de Me [L], ès qualités.
3- Sur les dépens et frais exclus des dépens
En considération de la solution du litige, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles. La société […] architectes et Me [L], ès qualités, supporteront chacun les dépens de première instance et d’appel afférents à leurs demandes respectives et seront condamnés in solidum à payer à la SCCV Petits îlets la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, leurs propres demandes de ce chef étant rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME, dans les limites de l’appel, le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 24 avril 2019, sauf en ce qu’il a débouté Me [L], ès qualités, de sa demande en paiement dirigée contre la SCCV Petits îlets ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant au jugement,
DEBOUTE la SARL […] architectes de sa demande en paiement dirigée contre la SCCV Petits îlets ;
CONDAMNE la SARL […] architectes, d’une part et Me [L], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art’Terre concept, d’autre part, à supporter les dépens de première instance et d’appel afférents à leurs demandes respectives ;
CONDAMNE la SARL […] architectes, et Me [L], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Art’Terre concept, in solidum, à payer à la SCCV Petits îlets la somme de 5 000 € (cinq mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE les autres demandes sur ce fondement.
Le greffier, La présidente de chambre,