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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 10
ARRÊT DU 23 MAI 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/18370 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCZ7G
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juin 2020 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 18/07898
APPELANTS
Madame [E] [C] épouse [R]
Domiciliée 11 Bis Chemin de la Mare Close
78240 CHAMBOURCY
née le 05 Juin 1963 à ROMILLY SUR SEINE
Monsieur [Y] [R]
Domicilié 11 Bis Chemin de la Mare Close
78240 CHAMBOURCY
né le 22 Mai 1962 à SURESNES
Représenté par Me Antoine MOIZAN de la SELARL FEUGERE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A. FINANCIERE DES VOILES
Ayant son siège social 66 avenue des Champs-Elysées
75008 PARIS
N° SIRET : 379 043 797
Régulièrement assignée, non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Edouard LOOS, Président, et Mme Sylvie CASTERMANS, Conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
Monsieur Stanislas de CHERGÉ, Conseiller
qui en ont délibéré,
Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
ARRÊT :
– réputé contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M. Edouard LOOS, Président et par Mme Sylvie MOLLE, Greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Groupe Alain Crenn, devenue Financière des Voiles en 2013, a pour activité la promotion immobilière, l’activité de marchand de biens, l’ingénierie financière et patrimoniale.
En 2007, Mme [E] [R] et M. [Y] [R] (les époux [R]) ont procédé, par l’intermédiaire de la société Groupe Alain Crenn à l’acquisition de biens immobiliers dans le cadre d’un programme d’investissement locatif et de défiscalisation « loi Malraux », portant sur des biens immobiliers de construction ancienne et destinés à être rénovés à l’aide de subventions de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).
Ils ont acquis le 7 décembre 2007 deux appartements situés à Sedan pour un prix total de 156.500 euros. Les acquéreurs du programme d’investissement se sont constitués au sein de l’association foncière urbaine libre Sainte Barbe (AFUL Sainte Barbe). La maîtrise d’ouvrage a été déléguée à la société Gestaful, chargée du suivi des demandes de subvention, l’ANAH ayant accordé une subvention de 122.326 euros. La société Ati Gestion, devenue Cogedim Gestion & Services, a assuré la gestion locative des deux appartements mis en location à compter des 17 février et 15 juillet 2011 jusqu’en juillet 2013. Le 16 mai 2016, les époux [R] ont résilié les mandats de gestion confiés à la société Ati Gestion. Le 17 décembre 2016, l’assemblée générale des copropriétaires a voté la cessation des fonctions de syndic de la société Ati Gestion. Par courrier du 29 novembre 2016, l’ANAH, constatant le défaut de location des appartements entre 2011 et 2016, a introduit une procédure de retrait des subventions allouées aux époux [R]. Par courrier du 9 mars 2017, les époux [R] ont mis en demeure la société Ati Gestion de justifier de ses démarches pour exécuter les mandats.
Les époux [R] ont également acquis deux appartements situés à Dieppe. Le 6 avril 2017, la communauté d’agglomération Dieppe Maritime a notifié aux époux [R] une décision de retrait de la subvention en raison du dépassement du délai fixé pour la réalisation des travaux de rénovation. Le 21 décembre 2017, l’ANAH a rejeté le recours formé par la société Gestaful.
Les époux [R] ont également acquis un appartement situé à Saint-Germain-en-Laye dont la gestion a été confiée à la société Ati Gestion. Cet appartement a été loué partir du 1er février 2009. Suite à des impayés, une procédure d’expulsion a entraîné le départ des locataires le 31 mars 2014. Un état des lieux a relevé un défaut d’entretien et des détériorations imputables aux locataires. Les époux [R] ont fait réaliser des travaux de réparation pour un coût de 18.098 euros.
Par exploits d’huissier en date des 28 mai et 5 juin 2018, les époux [R] ont fait assigner les sociétés Financière des Voiles et Cogedim Gestion & Services devant le tribunal judiciaire de Paris en réparation de leurs préjudices.
Par jugement réputé contradictoire du 9 juin 2020, rectifié le 13 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :
-Déboute M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] de leur demande de condamnation de la société Financière des Voiles à les indemniser de leur préjudice matériel,
-Condamne la société Cogedim Gestion & Services, en qualité d’ayant droit de la société Ati Gestion, à verser à M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] la somme de 23.486,15 euros à titre de dommages et intérêts pour la gestion des deux appartements situés à Sedan,
-Condamne la société Cogedim Gestion & Services, en qualité d’ayant droit de la société Ati Gestion, à verser à M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] la somme de 3.907,36 euros à titre de dommages et intérêts pour la gestion de l’appartement situé à Saint-Germain-en-Laye,
-Condamne in solidum la société Cogedim Gestion & Services, en qualité d’ayant droit de la société Ati Gestion, et la société Financière des Voiles à verser à M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour leur préjudice moral,
-Dit que la société Cogedim Gestion & Services et la société Financière des Voiles seront tenues pour moitié chacune au titre de la contribution à la dette relative au préjudice moral,
-Condamne in solidum la société Cogedim Gestion & Services et la société Financière des Voiles aux dépens,
-Condamne la société Cogedim Gestion & Services à verser à M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-Condamne la société Financière des Voiles à verser à M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-Déboute la société Cogedim Gestion & Services de son appel en garantie formé à l’encontre de la société Financière des Voiles,
-Prononce l’exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration du 15 décembre 2020, Mme [E] [C] et M. [Y] [R] ont interjeté appel du jugement uniquement à l’encontre de la société Financière des Voiles, seule intimée.
Les époux [R] ont signifié la déclaration d’appel à la société Financière des Voiles par exploit d’huissier en date du 29 janvier 2021, le domicile étant certain. Les conclusions d’appel ont été signifiées à la société Financière des Voiles par exploit d’huissier en date du 8 avril 2021.
La société Financière des Voiles n’a pas constitué avocat.
Par conclusions signifiées le 8 avril 2021 par exploit d’huissier, les époux [R] demandent à la cour de :
Vu les articles 1 de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970, 1241 et 1991 du code civil,
-Déclarer recevable et bien fondé l’appel partiel interjeté par les époux [R] ;
-Juger que la société Financière des Voiles n’a pas exécuté son devoir d’information et de conseil à l’égard des époux [R] ;
-Infirmer le jugement du 9 juin 2020 en ce qu’il : « déboute M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] de leur demande de condamnation de la société Financière des Voiles à les indemniser de leur préjudice matériel » ;
– Confirmer le jugement du 9 juin 2020 dans toutes ses autres dispositions.
Et, statuant à nouveau,
A titre principal,
-Condamner la société Financière des Voiles à verser aux époux [R] la somme de 284.322,60 euros au titre de la perte d’une chance d’effectuer un investissement rentable ;
A titre subsidiaire,
-Condamner la société Financière des Voiles à verser aux époux [R] la somme de 207.199,81 euros au titre de la perte d’une chance de ne pas contracter ;
En tout état de cause,
-Condamner la société Financière des Voiles à verser aux époux [R] la somme de 7.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés directement par la Selarl Feugere Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Les époux [R] font valoir que le groupe Alain Crenn est tenu à un devoir d’information et de conseil en sa qualité d’agent immobilier et aurait dû avertir l’acquéreur du bien immobilier sur les risques inhérents à cette opération. Aucune information ou conseil n’a été donné aux époux [R], profanes de l’immobilier, sur les risques de non-perception de loyers, ce qui engage la responsabilité du groupe Alain Crenn qui a établi des prévisionnels extrêmement positifs et intenables. La ville de Sedan présentait en 2007 un contexte économique et social tendu. Le préjudice matériel subi par les époux [R] est à titre principal l’indemnisation de leur perte de chance d’effectuer un investissement rentable, à titre subsidiaire a minima leur perte de chance de ne pas contracter.
Ceci étant exposé,
Les époux [R] ont limité leurs prétentions à l’investissement qu’ils ont effectué à Sedan le 7 décembre 2007 dans deux appartements situés 33, rue Sainte Barbe et 12, rue des Francs Bourgeois (lots B1 et C1) pour un prix total de 156.500 euros, grâce à deux emprunts souscrits le 26 novembre 2007 auprès de la société Banque populaire Val de France pour un montant total de 179.350 euros. Ils ont également souscrit le 27 décembre 2007 deux autres emprunts, en vue de leur rénovation, pour un montant total de 418.016 euros. Les deux appartements ont été mis en location respectivement à compter des 17 février et 15 juillet 2011. Ces locations ayant été interrompues, l’ANAH a introduit le 29 novembre 2016 une procédure de retrait et de reversement des subventions allouées aux époux [R] pour la rénovation de ces appartements. Le 13 janvier 2017, un huissier de justice a constaté des désordres affectant les parties communes et privatives de l’immeuble. Les époux [R] ont fait réaliser des travaux de réparation et d’entretien des deux appartements qui ont été remis en location les 27 janvier et 9 février 2017.
Les époux [R] font valoir que les fonds investis en 2007 à Sedan auraient pu être utilisés pour un investissement plus rentable, soit une valeur prudente totale estimée à la somme de 315 914 euros, avec un coefficient de probabilité de 90%, et qui constitue un préjudice à la charge du groupe Alain Crenn.
Mais, d’une part, les époux [R] doivent établir que le groupe Alain Crenn se serait abstenu de leur fournir une information loyale, complète et personnalisée afin de permettre leur engagement éclairé sur les avantages et les risques de l’opération immobilière projetée. De ce point de vue, les époux [R] ne précisent pas les éléments qui leur auraient été défavorables dans la documentation remise initialement.
S’ils allèguent succinctement qu’aucune information ni conseil ne leur ont été donnés, ils ont toutefois produit des plaquettes commerciales, un document de présentation, des tableaux de rentabilité et un courrier du 16 octobre 2007 du groupe Alain Crenn, intermédiaire. Ce dernier a recueilli préalablement l’ensemble de leurs revenus et de leur patrimoine sur une fiche de « présentation client » (pièce 4) pour élaborer une étude « non contractuelle » le 19 septembre 2007. Cette étude mentionne un « cumul » négatif de -888 euros entre les ressources et les emplois entre 2007 et 2026. Un autre document mentionne que « le propriétaire doit s’engager à mettre le bien en location nue pendant 6 ans à usage d’habitation principale. La location doit être effective dans les 12 mois suivant l’achèvement des travaux » (pièce 3). Les époux [R] n’étayent aucune mention sur des perspectives optimistes exagérées qui auraient accrédité l’idée d’une rentabilité certaine, voire une présentation tronquée constitutive de man’uvres dolosives, d’autant que les travaux de rénovation ont été achevés, la subvention a été versée et les appartements ouverts à la location dans des conditions qu’ils ne contestent pas.
De plus, la mise en cause de la responsabilité de l’intermédiaire est contredite dans la mesure où l’économie fiscale constituait l’objectif du programme immobilier commercialisé à Sedan par le groupe Alain Crenn. Les époux [R] ne contestent pas avoir ainsi bénéficié d’un gain fiscal pour un montant total de 282 000 euros, selon une attestation de leur expert-comptable. Ce gain fiscal, avantage escompté et réalisé, correspond à la projection financière contestée (qualifiée d’« intenable »), calculant non seulement le montant des loyers annuels potentiels, mais aussi le versement de la subvention et le montant de « l’économie fiscale » (pièce 5). La jurisprudence citée par les appelants, datant de 2020 et 2021, près de 14 ans après leur investissement, n’est pas adaptée au cas d’espèce puisque l’une des décisions s’applique à un manquement concernant le dispositif de défiscalisation dont ils ne contestent pas la réalisation effective.
D’autre part, les époux [R] font valoir un « contexte économique et social particulièrement tendu » de la ville de Sedan en 2007 qui leur aurait été occulté par le groupe Alain Crenn. Mais il s’agit d’éléments conjoncturels dont ils auraient pu avoir eux-mêmes connaissance en tant qu’investisseurs puisqu’ils produisent un document accessible au public, en réalité consacré à la région Champagne-Ardenne (« Flash Info Insee octobre 2006 », pièce 35). Les deux autres documents datant de 2009 sont postérieurs à leur engagement et les époux [R] ne justifient pas de leur caractère d’investisseur profane, en ayant notamment souscrit volontairement d’autres programmes de même type. Quoi qu’il en soit, l’ANAH a procédé à la validation de l’opération en 2007 et leur a versé une subvention de 122 326 euros, comme le prévoyait le montage de l’opération par le groupe Alain Crenn.
Les époux [R] n’étayent pas le lien entre la situation de la ville de Sedan en 2007 et l’absence de loyers encaissés. Les époux [R] ont accepté les contrats de location et pu apprécier la solvabilité de leurs locataires. De ce point de vue, la responsabilité du syndic a été reconnue par les premiers juges sans être contestée par les appelants : la société Cogedim Gestion & Services, venant aux droits de la société Ati Gestion, a en effet été condamnée à leur verser des dommages et intérêts pour la gestion des deux appartements situés à Sedan sur une période postérieure à l’année 2007.
Par ailleurs, s’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, les époux [R] n’étayent aucun grief qui serait lié à l’équilibre de l’investissement réalisé et à sa rentabilité depuis 2007. S’ils font valoir une valeur vénale en diminution, soit 50 000 euros pour chacun des deux appartements, les estimations d’agence mentionnent alternativement les montants de 57 500 euros, 60 000 euros, 63 000 euros et 75 000 euros « compte-tenu du marché immobilier du secteur », et relèvent que Sedan, sous-préfecture, classée Ville d’Art et d’Histoire, est à la croisée des grands axes autoroutiers du nord-est. De ce point de vue, les époux [R] omettent le principe initial de l’opération basée sur la défiscalisation et l’amortissement des charges sur le long terme, comme le confirment leurs placements en assurance-vie (pièce 44). En outre, les époux [R] limitent leurs justifications aux charges liées à l’investissement : amortissements d’emprunts, retrait de subvention en 2016, taxes foncières, appels de charges, frais de travaux et d’assurances, frais de notaire. Mais ils n’ont pas fourni le montant total des revenus locatifs encaissés entre 2011 et 2021, dont ils ont accepté le principe d’une baisse en 2014. Ils échouent ainsi à étayer une perte de chance qui serait liée à la souscription d’un autre investissement plus rentable.
L’investissement considéré comme déceptif par les époux [R], pour le seul fait que les deux appartements n’auraient pas procuré les revenus locatifs attendus, ne ressortit pas de la responsabilité du groupe Alain Crenn en ce qu’il aurait fourni une information ou un conseil insuffisants. Simple intermédiaire, comme l’ont relevé à juste titre les premiers juges, le groupe Alain Crenn qui n’était pas tenu de la gestion locative des deux appartements, n’est aucunement le responsable des incidents ou des défaillances qui ont occasionné la vacance.
Il en résulte que les époux [R] ne justifient ni d’une perte de chance d’effectuer un investissement rentable, ni, à titre subsidiaire, d’une perte de chance de ne pas contracter.
Il se déduit de ce qui précède que les demandes des époux [R] visant à condamner la société Financière des Voiles à leur verser les sommes de 284.322,60 euros et 207.199,81 euros au titre de la perte d’une chance d’effectuer un investissement rentable de ne pas contracter doivent être rejetées.
C’est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont débouté M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] de leur demande de condamnation de la société Financière des Voiles à les indemniser de leur préjudice matériel.
Le jugement déféré sera confirmé sur ces chefs.
La solution du litige conduira à rejeter toutes les autres demandes.
PAR CES MOTIFS
la cour,
Statuant dans les limites de l’appel,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
REJETTE toute autre demande ;
CONDAMNE solidairement M. [Y] [R] et Mme [E] [C] épouse [R] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
S.MOLLÉ E.LOOS