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COUR D’APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°507
DU : 22 Novembre 2023
N° RG 22/01204 – N° Portalis DBVU-V-B7G-F2NI
VTD
Arrêt rendu le vingt-deux Novembre deux mille vingt trois
Sur APPEL d’une décision rendue le 26 Avril 2022 par le Tribunal Judiciaire de CUSSET (RG n°20/00624)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
Société ANDREW BALTIMORE LLC
Société de droit américain sans capital, non immatriculée au RCS, immatriculée sous le n° EIN 26-3921129, ayant son siège social à [Adresse 6], prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [J] [O] domicilié en cette qualité au dit siège
[Adresse 6]
ETATS UNIS
Représentant : Me Géraud MANEIN, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
Mme [H] [Y]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentant : Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LEXAVOUE RIOM-CLERMONT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉE
DEBATS : A l’audience publique du 04 Octobre 2023 Madame THEUIL-DIF a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 22 Novembre 2023.
ARRET :
Prononcé publiquement le 22 Novembre 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 25 novembre 2019 signé par devant Me [H] [Y], notaire à [Localité 7], la société Andrew Baltimore LLC, société étrangère ayant son siège social à [Localité 8] (Etats-Unis), vendeur, et la SCI Vichy Capital, acquéreur, ont signé un compromis de vente portant sur les lots n°3, 6, 7, 8, 9 et 11 dépendant d’un immeuble sis [Localité 3], au prix de 80 000 euros.
Chaque partie a donné une procuration à destination d’un collaborateur de l’étude notariale de Me [Y] pour signer l’acte de vente, respectivement les 13 et 21 mars 2020. La vente a été régularisée le 7 avril 2020.
Par courriel du 16 avril 2020, la société Andrew Baltimore LLC a demandé à Me [Y] le versement du prix de vente, ce à quoi il lui a été répondu le 17 avril 2020 que le prix avait été remis au Trésor Public en vertu d’une inscription d’hypothèque légale effectuée à son profit le 23 août 2019.
Par acte d’huissier en date du 8 juillet 2020, la société Andrew Baltimore LLC a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Cusset Me [Y] et la SCI Vichy Capital aux fins de voir :
à titre principal :
– ordonner l’annulation du contrat de vente du 7 avril 2020 ;
– condamner Me [Y] à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de la SCI Vichy Capital, tenant notamment au prix de vente ainsi qu’à tous les frais engagés par la SCI Vichy Capital auprès du notaire ou dans le cadre de la procédure;
– condamner Me [Y] à l’indemniser de sa perte de revenus locatifs du 7 avril 2020 jusqu’à la date du jugement, soit au 30 juin 2020, un montant de 2 980,20 euros à parfaire ;
à titre subsidiaire :
– condamner Me [Y] à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de la SCI Vichy Capital, tenant notamment au prix de vente ainsi qu’à tous les frais engagés par la SCI Vichy Capital auprès du notaire ou dans le cadre de la procédure;
– condamner Me [Y] à l’indemniser de sa perte de revenus locatifs à hauteur de 80 000 euros;
– à défaut, condamner Me [Y] à l’indemniser de sa perte de chance de percevoir des revenus locatifs, à hauteur de 76 000 euros ;
– en tout état de cause, voir condamner Me [Y] à lui payer les frais irrépétibles et les dépens.
Par jugement du 26 avril 2022, le tribunal a :
– débouté la société Andrew Baltimore LLC de sa demande :
de nullité du contrat de vente conclu avec la SCI Vichy Capital ;
de condamnation de Me [Y] à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au profit de la SCI Vichy Capital à hauteur de 29 360 euros augmentée des frais engagés par Vichy Capital tant auprès du notaire dans le cadre de la procédure ;
de condamnation de Me [Y] à l’indemniser de sa perte de revenus locatifs du 7 avril 2020 jusqu’au jugement ;
de condamnation de Me [Y] à l’indemniser de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros;
de condamnation de Me [Y] à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au profit de la SCI Vichy Capital tenant compte des frais engagés par Vichy Capital tant auprès du notaire que dans le cadre de la procédure;
de condamnation de Me [Y] à l’indemniser de sa perte de revenus locatifs à hauteur de 80 000 euros ;
de condamnation de Me [Y] à l’indemniser de sa perte de chance de percevoir des revenus locatifs à hauteur de 76 000 euros ;
de condamnation de Me [Y] à lui rembourser les sommes versées à tort au Trésor Public à hauteur de 29 360 euros ;
de condamnation de Me [Y] à l’indemniser de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros ;
– constaté n’y avoir lieu à statuer sur la demande reconventionnelle de la SCI Vichy Capital de condamnation de la société Andrew Baltimore LLC à lui payer la somme de 9 395,95 euros ;
– débouté Me [Y] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts à l’encontre de la société Andrew Baltimore LLC ;
– condamné la société Andrew Baltimore LLC à payer à Me [Y] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté la société Andrew Baltimore LLC au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamné la société Andrew Baltimore LLC aux dépens ;
– débouté la société Andrew Baltimore LLC de sa demande a titre des dépens.
La société Andrew Baltimore LLC a interjeté appel du jugement le 13 juin 2022.
Me [H] Achard a interjeté appel du jugement le 28 juin 2022.
Par ordonnance du 29 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des deux procédures.
Par conclusions déposées et notifiées le 24 septembre 2022, la société Andrew Baltimore LLC, société de droit américain, demande à la cour, au visa de la loi du 25 ventôse an XI et du décret n°71-941 du 26 novembre 1971, des articles 1130 et suivants, 1240 et suivants, 1984 et suivants du code civil, 244 bis A du code général des impôts, de réformer le jugement en ce qu’il a :
– débouté la société Andrew Baltimore LLC de sa demande :
de condamnation de Me [Y] à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au profit de la SCI Vichy Capital tenant compte notamment des frais engagés par Vichy Capital tant auprès du notaire que dans le cadre de la procédure ;
de condamnation de Me [Y] à l’indemniser de sa perte de revenus locatifs à hauteur de 80 000 euros ;
de condamnation de Me [Y] à l’indemniser de sa perte de chance de percevoir des revenus locatifs à hauteur de 76 000 euros ;
de condamnation de Me [Y] à lui rembourser les sommes versées à tort au Trésor Public à hauteur de 29 360 euros ;
de condamnation de Me [Y] à l’indemniser de son préjudice moral à hauteur de 10 000 euros ;
– condamné la société Andrew Baltimore LLC à payer à Me [Y] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté la société Andrew Baltimore LLC au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamné la société Andrew Baltimore LLC aux dépens ;
– débouté la société Andrew Baltimore LLC de sa demande a titre des dépens.
Elle demande en conséquence de :
– condamner Me [Y] à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de la SCI Vichy Capital, tenant notamment au prix de vente ainsi qu’à tous les frais engagés par la SCI Vichy Capital auprès du notaire ou dans le cadre de la procédure;
– condamner Me [Y] à l’indemniser de sa perte de revenus locatifs à hauteur de 80 000 euros;
– à défaut, condamner Me [Y] à l’indemniser de sa perte de chance de percevoir des revenus locatifs à hauteur 76 000 euros;
– condamner Me [Y] à lui payer la somme de 28 028 euros au titre des sommes réglées au-delà du mandat qui lui était confié ;
– condamner Me [Y] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral;
condamner Me [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision ;
– condamner Me [Y] aux dépens, dont distraction au profit de Me Manein sur ses affirmations de droit.
Elle reproche au notaire de ne pas l’avoir informée ni de l’existence de l’hypothèque légale, ni des frais et taxes générés par la vente à hauteur de 29 360 euros, soit 37 % du produit de la vente, ni des frais engagés pour l’intervention du représentant accrédité : l’ensemble de ces circonstances caractérisent la faute du notaire.
Outre son préjudice moral, elle soutient que son préjudice relève de la perte des revenus locatifs de l’immeuble car si elle avait eu connaissance des conséquences fiscales de la vente, elle n’aurait pas contracté pour continuer à bénéficier des revenus. Il s’agit d’une perte certaine. Subsidiairement, il conviendra d’appliquer au montant de 80 000 euros une perte de chance de percevoir les loyers qu’elle évalue à 95 %.
Elle ajoute que le calcul du notaire pour parvenir à une imposition de 24 428 euros sur la plus value est incohérent et elle ne sait toujours pas à quel titre cette somme a été versée au Trésor Public.
Subsidiairement, elle fait valoir que la procuration du 13 mars 2020 a été rédigée en termes généraux, qu’elle ne couvre que les actes d’administration et que le règlement de la taxe et de l’honoraire du représentant accrédité soit 28 028 euros, n’était couvert ni par la procuration du 13 mars 2020, ni par le mandat général confié au notaire.
Par conclusions déposées et notifiées le 23 mars 2022, Me [H] [Y] demande de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Andrew Baltimore de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions tant à titre principal qu’à titre subsidiaire ;
– débouter la société Andrew Baltimore de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples et contraires présentées tant à titre principal qu’à titre subsidiaire devant la cour ;
– réformer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts à l’encontre de la société Andrew Baltimore ;
– en conséquence, condamner la société Andrew Baltimore à lui payer un euro à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral ;
– condamner la société Andrew Baltimore à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, et aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Riom Clermont prise en la personne de Me [G].
Elle estime que l’appelante était parfaitement avisée de l’importante créance du Trésor Public et de l’inscription d’hypothèque en date du 23 août 2019, non seulement sur cet immeuble, mais aussi sur d’autres immeubles, et au moins depuis une lettre qui lui a été adressée par la Direction Générale des Finances Publiques le 24 février 2020. Le tribunal a donc retenu à tort un défaut d’information sur ce point.
Elle expose par ailleurs le mode de calcul de la taxe et relève l’incohérence des demandes de l’appelante dans la mesure où elle ne sollicite plus devant la cour l’annulation de la vente mais sa condamnation à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées au profit de la SCI Vichy Capital à l’encontre de laquelle elle n’a pas interjeté appel.
Enfin, elle fait valoir que les dispositions fiscales prévoient l’obligation de désigner un représentant accrédité sous la responsabilité duquel est calculée la taxe sur les plus-values immobilières, d’où l’intervention de SARF dont les frais et honoraires se sont élevés à 1 200 euros. La plus-value s’est élevée à 24 428 euros calculée par SARF, société accréditée par l’Etat, à partir des données figurant dans les actes notariés de 2002, 2013 et 2020.
Enfin, elle soutient que la procuration donnée est une procuration pour vendre, et elle était suffisamment explicite pour ne pas remettre en cause sa portée alors même qu’elle est signée par un professionnel de l’immobilier doté d’un statut fiscal spécifique.
Il sera renvoyé pour l’exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
La procédure a été clôturée le 22 juin 2023.
MOTIFS :
A titre liminaire, il sera constaté que la société Andrew Baltimore LLC n’a pas fait appel de la disposition du jugement l’ayant déboutée de sa demande en nullité du contrat de vente conclu le 7 avril 2020 avec la SCI Vichy Capital, et n’a pas intimé la SCI Vichy Capital.
Dans ces conditions, la demande de la société Andrew Baltimore LLC visant à infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de condamnation de Me [Y] à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre au profit de la SCI Vichy Capital, tenant notamment aux frais engagés par la SCI Vichy Capital tant auprès du notaire que dans le cadre de la procédure, et la demande visant à voir prononcer cette condamnation sont sans objet.
Le jugement est définitif vis-à-vis de la SCI Vichy Capital : la nullité de la vente n’a été pas prononcée et aucune condamnation n’est intervenue au profit de cette société. Me [Y] ne peut donc être condamnée à garantir la société Andrew Baltimore LLC de condamnations qui n’existent pas.
– Sur la responsabilité du notaire sur le fondement de l’article 1240 du code civil
Le notaire rédacteur d’un acte est tenu d’assurer sa régularité et son efficacité juridique.
Il engage sa responsabilité délictuelle lorsqu’il lui est reproché un manquement à ses obligations professionnelles en tant que rédacteur d’un acte authentique. Trois conditions sont nécessaires pour mettre en oeuvre sa responsabilité : une faute, un préjudice et un lien de causalité.
Il doit avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l’utilité et l’efficacité de ces actes.
Par ailleurs, il est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique.
En l’espèce, la société Andrew Baltimore LLC reproche à Me [Y], de ne pas l’avoir informée ni de l’existence de l’hypothèque légale, ni des frais et taxes générés par la vente à hauteur de 29 360 euros, ni des frais engagés pour l’intervention du représentant accrédité.
sur l’hypothèque légale
L’appelante estime qu’il appartenait au notaire d’une part, de s’assurer de l’information du vendeur comme de l’acquéreur quant à l’existence et aux conséquences de l’inscription du 23 août 2019, et d’autre part, de recueillir l’accord du vendeur pour purger amiablement cette inscription, ainsi que celui du créancier pour donner mainlevée.
Selon le compromis de vente signé le 25 novembre 2019, la société Andrew Baltimore LLC et la SCI Vichy Capital ont requis Me [Y], notaire, aux fins d’effectuer les formalités préalables à la vente, dont la demande de situation hypothécaire, et de rédiger l’acte authentique de vente. Le compromis prévoyait au titre de la garantie hypothécaire que ‘le vendeur s’obligera, s’il existe un ou plusieurs créanciers hypothécaires inscrits, à régler l’intégralité des sommes pouvant leur être encore dues, à rapporter à ses frais les certificats de radiation des inscriptions, et à en justifier auprès de l’acquéreur’.
Il est établi que la Direction Générale des Finances Publiques (DGFP) avait procédé à une inscription d’hypothèque légale sur le patrimoine immobilier de la société Andrew Baltimore LLC le 23 août 2019 (dont les biens immobiliers objets du compromis), pour un montant de 711 401 euros au titre de divers impôts impayés par la société sur plusieurs années (impôts sur les sociétés, taxe immeubles détenus en France, TVA).
Me [Y] a été informée de l’existence de l’inscription de cette hypothèque légale lorsqu’elle a procédé à la levée de l’état hypothécaire le 5 février 2020, information confirmée par la réponse de l’administration fiscale qu’elle lui a adressée par courriel du 24 février 2020.
Ainsi que l’a énoncé le tribunal, dès lors que cette inscription d’hypothèque avait une incidence sur la perception du prix de vente pour le vendeur (le prix étant totalement absorbé par la créance de l’administration fiscale), il appartenait au notaire d’informer la société Andrew Baltimore LLC de son existence et de son montant préalablement à la vente.
Me [Y] soutient que la société Andrew Baltimore LLC était informée de la créance fiscale au moins depuis une lettre adressée par la DGFP le 24 février 2020 à ladite société représentée par M. [F] domicilié [Adresse 4]. Elle fait valoir qu’il existe des liens directs entre M. [F] et la société Andrew Baltimore LLC depuis l’acte du 14 février 2002 au cours duquel M. et Mme [F] se sont portés acquéreurs de l’immeuble situé [Adresse 2] jusqu’à l’acte du 27 mars 2013 portant transmission universelle de patrimoine entre les huit sociétés civiles immobilières appartenant à M. [F] et à sa famille, et la société Andrew Baltimore LLC, jusqu’à la requête présentée le 11 mars 2020 par M. [F] au nom de la société Andrew Baltimore LLC auprès du tribunal administratif de Clermont-Ferrand par laquelle celui-ci a prétendu avoir eu la surprise de trouver dans son boîte aux lettres un document émanant de l’INSEE intitulé ‘certificat d’inscription pour le compte de la SA PMDE Andrew Baltimore à la date du 14 août 2019″.
Elle en déduit que la société Andrew Baltimore LLC était parfaitement informée depuis de nombreux mois, et antérieurement à la vente et même au compromis, de l’inscription d’une telle créance sur l’ensemble de ses huit biens immobiliers.
Toutefois, l’ensemble des courriers concernant cette dette fiscale a été adressé à M. [F] en qualité de représentant de la société Andrew Baltimore LLC.
Or, celui-ci a contesté sa qualité de représentant de la société par requête en date du 11 mars 2020 devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand.
Si M. [F] a en effet été gérant de ladite société au moment de la transmission universelle de patrimoine en 2013, cela ne suffit pas à considérer qu’il était resté représentant de fait de la société ou qu’il ait informé le représentant légal de la société Andrew Baltimore LLC, M. [J] [O], de l’existence et du montant de l’inscription hypothécaire avant la vente.
Aucune pièce ne permet d’établir que M. [O] ait été informé de ce point, celui-ci ayant notamment écrit au notaire le 17 avril 2021 : ‘ Je suis à mon tour très surpris de cette hypothèque dont je n’étais absolument pas au courant. Pourquoi nous ne m’avez pas informé au préalable ‘ Pouvez-vous me faire une copie de l’état hypothécaire et de la vente”.
L’importance de la dette fiscale ne suffit à caractériser la connaissance de l’inscription de l’hypothèque légale prise le 23 août 2019 par la DGFP, précision faite que cette administration a rappelé dans ces courriers qu’elle n’avait aucunement l’obligation d’en informer le débiteur.
Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu’il a énoncé que Me [Y] ne rapportait pas la preuve de l’information donnée à M. [O], représentant de la société Andrew Baltimore LLC, quant à l’existence de cette sûreté, alors qu’elle était en possession de ces renseignements dès la levée de l’état hypothécaire, confirmée par la réponse de la DGFP du 24 février 2020 ; qu’eu égard, aux effets de cette inscription hypothécaire qui privait la société Andrew Baltimore LLC de toute perception du prix, il appartenait au notaire à tout le moins, de vérifier qu’elle en était informée ; qu’en conséquence, il y avait lieu de retenir à l’encontre du notaire un manquement à son obligation d’information.
Le tribunal a toutefois, à juste titre, considéré que la société Andrew Baltimore LLC ne pouvait pas reprocher à Me [Y] d’avoir purgé cette hypothèque, le notaire ayant pour mission de sécuriser la transaction et la société Andrew Baltimore LLC lui ayant donné mandat d’effectuer cette formalité dans sa procuration signée le 13 mars 2020.
Il s’avère néanmoins que les avis de mise en recouvrement émis à l’encontre de la société Andrew Baltimore LLC le 20 août 2019 en matière de TVA, d’impôt sur les sociétés et de taxe de 3% pour un montant de 711 401 euros ont fait l’objet d’une décision de dégrèvement en date du 12 août 2020 pour ce même montant, décision ayant donné lieu à une exécution comptable le 31 août 2020. Il ressort du courriel de la DGFP du 19 mars 2021 que ce dégrèvement a eu pour conséquence la restitution du prix de vente à la société Andrew Baltimore LLC le 22 septembre 2020, le remboursement ayant été effectué sur le compte CARPA de Me Benazdia, avocat, conformément à leur demande. La somme de 50 640 euros a été restituée, le surplus correspondant à des frais et taxes dus en vertu de la vente objet du litige, et sans lien avec l’hypothèque légale. Dans ces conditions, le défaut d’information sur l’existence et le montant de l’hypothèque légale de la DGFP n’a entraîné aucun préjudice, et se trouve sans lien avec les préjudices invoqués. Le jugement sera confirmé sur ce point.
sur les frais et taxes générés par la vente
La société Andrew Baltimore LLC reproche ensuite au notaire de ne pas avoir satisfait à son obligation d’information quant aux frais extrêmement importants générés par la vente à hauteur de 29 360 euros, soit 37 % du produit de la vente. Son attention n’a pas été attirée sur ces frais, notamment la taxe sur plus value. Elle soutient qu’il apparaît impensable que ces frais puissent représenter plus du tiers du produit de la vente et qu’à ce jour, elle ignore tout du calcul de la plus value. Elle estime que son consentement a été vicié, ne pensant pas être soumise à la taxe sur la plus value : l’erreur doit être considérée comme portant sur la substance de la chose puisqu’elle est de telle nature que sans elle, elle n’aurait pas contracté. Elle explique avoir ainsi renoncé par erreur à des revenus locatifs de 11 920,80 euros annuels pour un produit final de 50 640 euros. Si elle avait eu connaissance de ces frais et taxes, elle aurait conservé le bien pour continuer à jouir de ses revenus locatifs, et n’aurait pas vendu. Elle considère être en droit de ne pas solliciter l’annulation de la vente, et de demander l’indemnisation du préjudice résultant de l’erreur, contre un tiers au contrat dès lors que ce tiers a causé par sa faute, le vice du consentement.
De surcroît, elle soutient que Me [Y] ne l’a jamais informée de la nécessité de l’intervention d’un représentant accrédité et des frais liés à cette intervention.
La société Andrew Baltimore LLC est une société de droit américain, ayant une activité de marchand de biens. Elle est propriétaire de plusieurs biens immobiliers dont elle assure la gestion suite à la transmission universelle de patrimoine dont elle a bénéficie, intervenue le 27 mars 2013, avec effet rétroactif au 18 avril 2011. C’est une professionnelle de l’immobilier et de la gestion immobilière.
Selon l’acte de transmission universelle de patrimoine du 27 mars 2013, la société Andrew Baltimore LLC est devenue propriétaire, notamment des lots n°3, 6, 7, 8, 9 et 11 correspondant à trois caves (lots 3, 6, 7), deux locaux commerciaux (lots 8 et 9) et une cour (lot 11) au sein de l’immeuble en copropriété sis [Adresse 2], par l’acquisition des parts de la SCI [Adresse 1] qui détenait cet actif immobilier. Lesdits biens ont été évalués à 80 000 euros (page 29). Une clause figure dans l’acte concernant les déclarations fiscales engendrées par cette transmission.
Il est versé aux débats l’acte authentique en date du 14 février 2002 par lequel la SCI [Adresse 1] avait acquis l’ensemble immobilier situé [Adresse 2] au prix de 88 420,43 euros, mais qui portait sur 13 lots ( 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 14, 15, 16), à savoir au rez-de-chaussée deux locaux commerciaux, au 1er étage un appartement à usage professionnel, au 2ème étage un appartement, au 3ème étage un grenier et deux appartements, une courette, une petite dépendance au fond de la cour, un garage.
La SCI [Adresse 1] n’a donc pas transmis à la société américaine les lots 2, 4, 5, 12, 14, 15 et 16.
Etant une professionnelle de l’immobilier, la société Andrew Baltimore LLC, société étrangère, ne pouvait ignorer le système fiscal applicable en cas de vente, et notamment l’existence de plus value à acquitter à l’occasion de la vente.
Par ailleurs, il ressort de la requête déposée par M. [F] devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand produite par la société Andrew Baltimore LLC en pièce n°8, que celle-ci a déjà désigné un représentant fiscal accrédité ‘dans le cadre d’une vente d’un bien immobilier par un non résident à travers la société Tévéa International dont le siège social est à Paris, à charge d’être le représentant fiscal conformément aux articles 244 bis A et 244 bis B du code général des impôts’ (la lettre de mission de novembre 2018 était annexée à la requête).
Aussi, aucun manquement ne peut être reproché à Me [Y] quant à son obligation d’information sur le système fiscal applicable, la société Andrew Baltimore LLC ayant déjà effectué une opération identique : elle connaissait le principe de la plus value immobilière et de l’intervention d’un organisme accrédité par l’administration fiscale lorsque le vendeur est résident fiscal étranger hors UE et EEE.
Par ailleurs, la société Andrew Baltimore LLC a signé une ‘procuration pour vendre’ au profit de Me [Y] prévoyant qu’elle lui donnait pouvoir de vendre en son nom les biens litigieux à la SCI Vichy Capital et notamment de :
‘- faire toutes délégations et indications de paiement aux créanciers inscrits sur les immeubles, consentir toutes subrogations ;
– régler et arrêter tous comptes et prorata de charges, en payer ou recevoir le montant;
– de toutes sommes reçues ou payées, donner ou retirer quittances ; consentir mentions et subrogations, totales ou partielles, avec ou sans garantie ; consentir toutes restrictions de privilèges et toutes antériorités au profit de tous créanciers et cessionnaires ; stipuler toutes concurrences ; faire mainlevée avec désistement de tous droits de privilège, hypothèque, action résolutoire et autres et consentir la radiation de toutes inscriptions de privilèges ou autres, le tout avec ou sans constatations de paiement;…’.
Elle avait ainsi déchargé Me [Y] de son obligation de l’informer de toutes les formalités à accomplir ou de solliciter son autorisation préalable pour les accomplir. Elle ne peut donc lui reprocher d’avoir manqué à son obligation d’information quant aux formalités fiscales à effectuer, et notamment quant à l’intervention de l’organisme accrédité, la SARF (Société Accréditée de Représentation Fiscale), pour calculer le montant de la plus value immobilière à acquitter, sans son autorisation expresse.
Il convient de détailler ces frais et taxes générés par la vente.
Me [Y] a produit un relevé de compte en date du 29 août 2020 détaillant les différents frais, et les pièces justificatives de ces frais :
– 1 170,11 euros au titre des charges de copropriété ;
– 2 400 euros au titre de la taxe annuelle de 3 % ;
– 24 428 euros au titre de la plus value immobilière ;
– 1 200 euros au titre des frais et honoraires de l’organisme accrédité la SARF.
Après déduction de l’ensemble des frais et taxes, la société Andrew Baltimore LLC a perçu un prix de vente net de 50 640 euros.
La société Andrew Baltimore LLC ne conteste pas que la vente litigieuse était soumise l’article 244 bis A du code général des impôts, prévoyant l’obligation pour les personnes morales dont le siège social est situé hors de l’espace Schengen, de désigner un représentant accrédité sous la responsabilité duquel est acquittée la taxe sur les plus values immobilières.
Ce représentant dépose en lieu et place du non résident cédant et sous sa responsabilité personnelle, un imprimé de déclaration lors de l’enregistrement de l’acte de cession à la publicité foncière.
Si la société Andrew Baltimore LLC entend remettre en cause le montant de la taxe sur la plus value, il lui appartient de le faire auprès de la DGFP et du tribunal compétent, ou alors d’engager la responsabilité professionnelle de la SARF. Aucun manquement ne peut être reproché au notaire quant au calcul de cette taxe.
Il est produit en pièce n°14 (pièces de l’intimée), la déclaration de plus value sur les cessions d’immeubles ou de droits immobiliers autres que des terrains à bâtir qui été établie par la SARF, qui a fixé la date d’acquisition du bien cédé au 14 février 2002, correspondant à la date d’acquisition de l’ensemble immobilier situé [Adresse 2] par la SCI [Adresse 1]. Ainsi que l’a expliqué Me [Y], l’acte de transmission universelle de patrimoine de 2013 a constitué une opération neutre fiscalement.
Le seul manquement pouvant être reproché au notaire tient en ce qu’il n’a pas informé la société Andrew Baltimore LLC avant la vente, du montant des frais et taxes qu’elle devrait supporter et qui s’imputeraient sur le prix de vente.
La société Andrew Baltimore LLC soutient que si elle avait eu connaissance du montant de ces frais et charges engendrés par la vente, elle n’aurait finalement pas vendu, et que son préjudice consiste donc en la perte des revenus locatifs.
Or, il n’est nullement établi qu’elle aurait renoncé à l’opération si elle avait été dûment informée du montant desdits frais et taxes.
Le compromis qui vaut vente, avait déjà été signé en novembre 2019.
Par ailleurs, le prix finalement perçu par la société Andrew Baltimore LLC n’est nullement déraisonnable par rapport au prix d’acquisition en 2002 par la SCI [Adresse 1] de l’ensemble de l’immeuble, la vente litigieuse n’ayant porté que sur deux locaux commerciaux, une cour et trois caves.
La société Andrew Baltimore LLC sera ainsi déboutée de sa demande au titre de la perte des revenus locatifs que ce soit au titre de gains manqués, ou à titre de perte de chance.
S’agissant de la demande visant à condamner le notaire à lui payer la somme de 28 028 euros à titre de dommages et intérêts, justifiée selon la société Andrew Baltimore LLC par le manquement du notaire à son devoir d’information et son absence de vérification des calculs, elle sera également rejetée. Il a été énoncé qu’il ne pouvait être reproché aucun manquement à Me [Y] dans le calcul des frais et taxes. En outre, la faute consistant à ne pas avoir informé le vendeur du montant des frais et taxes ne présente pas de lien de causalité avec le préjudice invoqué (les frais et taxes étaient dûs).
Enfin s’agissant de sa demande au titre d’indemnisation d’un préjudice moral, celui-ci n’est nullement caractérisé, le simple fait de ‘ne pas pu avoir pu anticiper un paiement qu’elle a eu la désagréable surprise d’avoir à assumer’ ne suffisant à déterminer l’existence d’un préjudice.
Le jugement sera donc confirmé.
– Sur la responsabilité du notaire en qualité de mandataire
A titre subsidiaire, la société Andrew Baltimore LLC soutient que la procuration du 13 mars 2020 a été rédigée en termes généraux, qu’elle ne couvre que les actes d’administration ; que le règlement par le notaire, sans l’en informer et sans vérifier l’exactitude de la somme, de la taxe sur la plus-value de 24 428 euros, d’une taxe sur la valeur vénale de l’immeuble de 2 400 euros, et de l’honoraire du représentant accrédité pour 1 200 euros, soit un total de 28 028 euros, ne saurait être assimilé à un acte d’administration ; que le règlement de cette somme n’était pas couvert par la procuration ; que le notaire a agi au-delà du mandat qui lui avait été confié ; qu’il a ainsi engagé sa responsabilité contractuelle.
La procuration signée par la société Andrew Baltimore LLC est une procuration pour vendre dont la teneur a été rappelée dans le paragraphe précédent. Elle n’est pas rédigée en termes généraux contrairement à ce que soutient l’appelante, celle-ci ayant donné mandat à Me [Y] pour effectuer toutes les formalités fiscales. Me [Y] a réglé les sommes qui étaient dues à la DGFP et n’a nullement dépassé ses prérogatives.
A titre subsidiaire, l’appelante prétend qu’en s’abstenant malgré ses demandes répétées, de l’informer des modalités de calcul de la taxe sur la plus value, le notaire ne respecte pas ses obligations, tout comme en s’abstenant de vérifier le travail de la SARF.
Me [Y] a produit le décompte et les pièces justificatives relatives aux différents frais et taxes qui ont été payés. Le calcul de la plus value est effectué par le représentant fiscal accrédité comme cela a été rappelé dans le paragraphe précédent, et ne relève pas de la responsabilité du notaire. Aucune faute ne sera retenue et l’appelante sera déboutée de ses demandes subsidiaires.
– Sur la demande reconventionnelle de Me Achard
Me [Y] sollicite la condamnation de la société Andrew Baltimore LLC à lui verser un euro symbolique à titre de préjudice moral, estimant avoir été particulièrement meurtrie par les accusations et l’action engagée à son encontre.
Dès lors que la cour a retenu un manquement au devoir d’information, même si elle n’a pas fait droit aux demandes de dommages et intérêts de l’appelante, il ne peut être considéré que l’action de la société Andrew Baltimore LLC a causé un préjudice à Me [Y]. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande.
– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Succombant à l’instance, la société Andrew Baltimore LLC sera condamnée aux dépens d’appel.
La distraction des dépens sera ordonnée au profit de la SELARL Lexavoué Riom Clermont prise en la personne de Me [G].
Par ailleurs, elle sera condamnée à verser une indemnité de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute la société Andrew Baltimore LLC de toutes ses demandes ;
Condamne la société Andrew Baltimore LLC à payer à Me [H] [Y] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Andrew Baltimore LLC aux dépens d’appel ;
Ordonne la distraction des dépens d’appel au profit de la SELARL Lexavoué Riom Clermont prise en la personne de Me [G].
Le Greffier La Présidente