Marchand de Biens : décision du 19 septembre 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00781

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Marchand de Biens : décision du 19 septembre 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/00781
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MR/SL

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile – Première section

Arrêt du Mardi 19 Septembre 2023

N° RG 21/00781 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GVQQ

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ANNECY en date du 11 Février 2021

Appelants

M. [Y] [G] [Z] [R]

né le 10 Février 1960 à [Localité 10], demeurant [Adresse 11]

Mme [C] [I] [V] veuve [R]

née le 18 Août 1934 à [Localité 13] (69), demeurant [Adresse 3]

Représentés par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentés par la SELARL CABINET O. BELINGA, avocats plaidants au barreau de LYON

S.A.S. SOCAVIM, dont le siège social est situé [Adresse 5]

Représentée par la SAS SR CONSEIL, avocats au barreau de CHAMBERY

Intimés

Me [H] [T], demeurant [Adresse 1]

Représenté par la SELARL VAILLY BECKER & ASSOCIES, avocats au barreau d’ANNECY

S.A.R.L. HT IMMO, dont le siège social est situé [Adresse 6]

Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELARL RAYNAUD AVOCAT, avocats plaidants au barreau de LYON

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Date de l’ordonnance de clôture : 03 Avril 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 mai 2023

Date de mise à disposition : 19 septembre 2023

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Composition de la cour :

Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l’assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

– Mme Hélène PIRAT, Présidente,

– Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseillère,

– Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

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Faits et Procédure

Selon compromis du 11 septembre 2012, M. [F] [S] s’est porté acquéreur avec faculté de substitution auprès de Mme [C] [V] veuve [R], usufruitière, et de M. [Y] [R], nu-propriétaire, d’un pavillon en bordure de lac situé à [Localité 14] comprenant port et hangar à bateaux par l’intermédiaire de la société Socavim (SAS), agence immobilière exploitant sous l’enseigne ‘Vallat Immobilier’.

La réitération par acte authentique au prix de 1 590 000 euros est intervenue au profit de la société HT Immo (SARL) par acte du 13 décembre 2012 reçu par Me [H] [T], notaire associé au sein de la SCP Lejeune-[R]-Follin-Arbelet-[T]-Morati, étude située à [Localité 9].

Conformément à l’engagement fiscal pris dans cet acte, la société HT Immo a souhaité revendre ce bien à partir de mai 2015.

Le 18 décembre 2015, l’unité lacs de la direction départementale des territoires de la préfecture de Haute-Savoie lui notifiait que l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public fluvial AOT n°176-012 pour un mouillage et un abri à bateaux de 100 m² venait à expiration le 31 décembre 2015.

Par courrier du 12 avril 2016, le préfet de Haute Savoie, considérant que le bâtiment avait été transformé illégalement d’abri à bateaux en maison d’habitation, estimait que toute revente était interdite en raison de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du domaine public sur lequel il empiète.

Par actes d’huissier des 25 juillet et 9 août 2016, la société HT Immo a assigné Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R] en nullité de la vente ainsi que la société Socavim et Me [H] [T] aux fins de condamnation solidaire à restitution du prix de vente, dommages et intérêts et frais accessoires.

Par jugement en date du 11 février 2021, le tribunal judiciaire d’Annecy a :

– déclaré recevable l’action de la société HT Immo ;

– dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer dans l’attente du jugement du tribunal administratif de Grenoble ;

– débouté la société HT Immo de ses demandes contre Me [H] [T] ;

– débouté Mme [C] [V] et M. [Y] [R] de leurs demandes contre Me [H] [T] ;

– prononcé la nullité de la vente le 13 décembre 2012 par Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R] d’un pavillon et terrain attenant situé [Adresse 7] le tout cadastré section AH n°[Cadastre 4] ;

– condamné in solidum Mme [C] [V] veuve [R], M. [Y] [R] et la société Socavim Vallat Immobilier à restituer à la société HT Immo la somme de 1 590 000 euros, outre intérêts légaux à compter du présent jugement avec capitalisation annuelle ;

– condamné Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R] à relever et garantir la société Socavim Vallat immobilier de la condamnation qui précède ;

– débouté Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R] de leurs recours en garantie et demande de dommages et intérêts contre la société Socavim Vallat Immobilier ;

– condamné la société Socavim Vallat Immobilier seule à rembourser à la société HT Immo la somme de 80 000 euros au titre de la commission d’agence ;

– débouté la société HT immo du surplus de ses demandes de dommages et intérêts ;

– condamné la société HT immo à verser à Me [H] [T] la somme de 3 600 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté la société Socavim Vallat immobilier et les consorts [R] de leurs demandes par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné in solidum Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R] et la société Socavim Vallat immobilier à verser à la société HT immo la somme de 6 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

– condamné in solidum Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R] et la sociétéSocavim Vallat immobilier aux dépens, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Pascal Burdet.

Le tribunal a retenu que :

‘ l’assignation a été publiée aux services de la publicité foncière, l’action est donc recevable ;

‘ une contravention de grande voirie a été dressée le 22 septembre 2016, constatant que l’autorisation temporaire d’occupation du domaine public AOT n’avait pas été renouvelée au 31 décembre 2015 et que le hangar abritait trois bateaux sans autorisation, et que son maintien par jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 février 2019, malgré l’annulation pour motif de pure forme de l’arrêté préfectoral du 8 juillet 2016 portant délimitation du domaine public fluvial, rendait inutile le sursis à statuer ;

‘ en taisant l’existence d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public fluvial, les vendeurs se sont rendus auteurs d’un dol par réticence sur un élément essentiel du consentement de l’acheteur, justifiant l’annulation du contrat de vente et la restitution du prix ;

‘ l’agence Socavim s’est rendue sur place et a pu constater que les trois quarts de la partie habitable se situaient au-dessus du lac et en surélévation du garage permettant le mouillage des bateaux, elle a donc manqué à son devoir de conseil envers la société HT immo, mais doit bénéficier du rejet de la demande de garantie des consorts [R], qui ne pouvaient ignorer la situation du fait des autorisations triennales d’occupation qu’ils devaient renouveler ;

‘ la société HT immo, bien que professionnelle de l’immobilier, n’était pas spécialiste de l’achat de propriétés en bordure de lac ;

‘ Me [T] a recherché l’origine de propriété, et ni le plan cadastral, ni le plan d’évacuation des eaux annexés à l’acte de vente ne permettaient de se rendre compte que le bien pouvait être en partie construit sur le lac, de sorte qu’il n’a pas commis de faute.

Par déclaration au Greffe en date du 9 avril 2021, la société Socavim interjetait appel de cette décision en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a rejeté la demande de sursis à statuer, rejeté les demandes de la société HT immo et des consorts [R] à l’encontre de Me [T], rejeté les demandes de garantie des consorts [R] à son encontre.

Le dossier a été enregistré sous le numéro 21-781.

Par déclaration au greffe du 11 mai 2021, les consorts [R] ont interjeté appel de cette décision, sauf en ce qu’elle a rejeté la demande de sursis à statuer.

Le dossier a été enregistré sous le numéro 21-1014.

Les deux dossiers ont été joints à l’audience de mise en état du 17 mai 2023 et se sont poursuivis sous le numéro 21-781.

Prétentions des parties

Par dernières écritures en date du 4 novembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Socavim Vallat immobilier sollicitait l’infirmation du jugement déféré et demandait à la cour de :

– à titre principal, débouter la société HT Immo et les consorts [R] de leurs demandes à son encontre ;

– à titre subsidiaire, rejeter ou réduire à de plus justes proportions les demandes en indemnisation formulées par la société HT Immo à son encontre ;

– débouter la société HT immo et les consorts [R] de leur demande de la voir condamner à restituer le prix de vente in solidum avec les vendeurs ;

– dire et juger que l’appel en garantie des consorts [R] à son encontre est infondé, en raison de leur réticence dolosive, et les en débouter, ainsi que de toutes leurs demandes en paiement formées à son encontre ;

– rejeter la demande de condamnation in solidum de la société HT immo et de Me [T] à payer 500 000 euros aux consorts [R] ;

– à titre infiniment subsidiaire, condamner les consorts [R] à la relever et garantir de toute condamnation qui serait mise à sa charge ;

– en tout état de cause, condamner in solidum les consorts [R] et la société HT immo à lui verser la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code deprocédure d’appel.

Au soutien de ses prétentions, la société Socavim estime que le constat visuel de la configuration des lieux ne permettait pas de comprendre le problème lié à la construction en surplomb du lac, alors qu’aucune des pièces du dossier, titre de propriété ou informations administratives transmises par les vendeurs ne faisait apparaître de difficulté, et que ces derniers avaient affirmé ne pas détenir l’acte de vente de leur auteur de 1941. L’appelante fait valoir qu’elle a sollicité un certificat d’urbanisme, lequel n’a pas révélé d’empiètement sur le domaine public.

La société Socavim met également en avant le fait que l’acheteur a fait procéder à des travaux de rénovation, sans que la mairie ne soulève une non-conformité de ceux-ci, et qu’elle n’est de surcroît, pas partie à l’acte de vente et ne peut être tenue in solidum avec les vendeurs à restituer le prix de vente.

Par dernières écritures en date du 5 août 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [Y] [R] et Mme [C] [V]

veuve [R] prétendent à ce que la cour :

– infirme la décision entreprise et statuant à nouveau :

– dise qu’il n’y a lieu à nullité de la vente intervenue le 13 décembre 2012 entre la société HT Immo représentée par M. [S] et les concluants ;

– décharge les concluants des condamnations prononcées contre eux en principal, intérêts, frais et accessoires ;

– à titre subsidiaire, condamne Me [T] et le société Sovacim in solidum à les relever et garantir de l’intégralité des condamnations prononcées contre eux en principal, intérêts, frais et accessoires ;

– condamne Me [T] et la société Socavim à leur payer la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’annulation de la vente immobilière du 13 décembre 2012 ;

– condamne Me [T] et la société Sovacim à leur payer la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamne aux dépens, avec possibilité pour Me Belinga de recouvrer directement les dépens d’appel.

Les vendeurs rappellent en premier lieu que la société HT immo gérée par M. [S] est un professionnel de l’immobilier, et qu’elle était déjà propriétaire en bordure du lac d'[Localité 8] et a déclaré lors de la vente vouloir bénéficier du régime spécial des articles 1115 et 1120 du code général des impôts.

En cette qualité, l’acquéreur, qui avait obtenu une autorisation d’occupation du domaine public fluvial du 31 décembre 2012 au 31 décembre 2015 ne pouvait ignorer les particularités du bien, qu’il avait visité, et alors que le montant de la redevance était seulement de 1 000 euros par an, montant minime qu’ils ont oublié de signaler, sans que cette omission ne constitue pour autant un dol.

Les appelants soutiennent en second lieu que l’erreur ne constitue un vice du consentement pouvant annuler un acte que si elle est excusable, que la demande d’annulation de la vente n’a été présentée qu’après absence de proposition d’achat pour le prix de 3 150 000 euros demandé par la société HT immo. La description du bien immobilier faisait apparaître ‘construction et murs de fondation sur le lac, partie sur ledit lac et partie sur la parcelle’, que la vente à leur auteur a été autorisée par le préfet le 28 août 1941, en application de la loi du 16 novembre 1940, dans le contexte particulier lié à la seconde guerre mondiale.

Les consorts [R] font enfin valoir qu’ils ne sont pas juristes, ni professionnels, qu’ils sont de bonne foi, et qu’aucune des administrations concernées n’a émis d’objection à la vente (notaire, conservatoire du littoral, etc), et que M. [S] a obtenu l’autorisation de réaliser des travaux dans le bien immobilier. Ils sollicitent d’être garantis par Me [T], qui s’est contenté pour rédiger son acte de l’acte notarié de 1972 sans aller regarder celui de 1941, alors que, faisant partie de la parenté des vendeurs, il n’ignorait pas la particularité de cette construction, connue de tous les anneciens. Les vendeurs estiment également que l’agence immobilière Socavim, rémunérée pour s’occuper de la transaction, doit les garantir également au regard de son manquement au devoir de conseil.

Par dernières écritures en date du 30 décembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Me [H] [T] prétend à ce que la cour :

– juge mal fondé l’appel de M. [R] et Mme [V] veuve [R] et l’appel incident de la société HT Immo ;

– confirme le jugement en ce qu’il a débouté les parties adverses de leurs demandes contre lui;

– rejette toutes les demandes formées contre lui ;

– à titre subsidiaire, condamne les consorts [R] à le relever et garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées contre lui ;

– en tout état de cause, condamne in solidum les consorts [R] et la société HT immo, ou qui mieux le devra, à lui verser la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières écritures en date du 4 octobre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société HT immo prétend à ce que la cour :

– confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes contre Me [T] ;

– juge que Me [T] a commis une faute en manquant à son devoir de conseil et d’information envers la société HT immo ;

– condamne in solidum Me [T], les consorts [R] et la société Socavim Vallat immobilier à restituer à la société HT immo la somme de 1 590 000 euros outre intérêts au taux légal, à compter du jugement du 11 février 2021, avec capitalisation annuelle ;

– condamne in solidum Me [T], les consorts [R] et la société Socavim immobilier à lui payer la somme de 943 364,80 euros en réparation de divers préjudices;

– condamne in solidum Me [T], les consorts [R] et la société Socavim immobilier à lui payer la somme de 451 369,16 euros au titre de la perte de chance subie;

– juge que le présent arrêt devra être publié au bureau des hypothèques compétent ;

– déboute les consorts [R], Me [T] et la société Socavim de leurs demandes à son encontre ;

– condamne in solidum les consorts [R], Me [T] et la société Socavim à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamne les mêmes aux entiers dépens, avec droit de recouvrement pour Me Forquin.

En premier lieu, la société HT immo demande la confirmation de la décision de première instance qui a retenu une réticence dolosive imputable aux consorts [R], lesquels n’ont pas mentionné les autorisations d’occupation temporaire du domaine public fluvial dont ils bénéficiaient, et dont ils avaient demandé le dernier renouvellement le 15 avril 2010 pour trois ans.

En second lieu, l’intimée fait valoir qu’après avoir reçu une première demande d’autorisation d’occupation du domaine public, elle a pensé que l’autorisation ne concernait que l’abri à bateaux et non la maison d’habitation construite au-dessus, de sorte que les problèmes sont apparus dans toute leur ampleur en 2016, lorsqu’elle refusé de renouveler l’autorisation, en imaginant qu’il s’agissait seulement d’autoriser le mouillage des bateaux.

L’acheteuse poursuit ensuite la responsabilité du notaire rédacteur de l’acte, lequel a manqué à son devoir de conseil et d’information, en se dispensant d’aller consulter l’acte de vente de 1941, alors qu’il a un lien de parenté, même s’il est indirect, avec les vendeurs, et qu’habitant personnellement à proximité, il ne pouvait ignorer la particularité de ce bien immobilier remarquable, connu de la population annécienne.

La société HT immo rappelle enfin que l’intermédiaire professionnel, la société Socavim, devait s’assurer que les conditions étaient réunies pour assurer l’efficacité juridique de la transaction, ce qu’elle n’a pas fait, alors qu’elle a rédigé le compromis de vente.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience ainsi qu’à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 3 avril 2023 clôture l’instruction de la procédure.

MOTIFS ET DECISION

La société Socavim s’est trouvée dépossédée du pavillon avec hangar à bateau acquis le 13 décembre 2012 par l’Etat, et reproche aux vendeurs un dol par réticence, accompagné de la même faute de manquement au devoir de conseil concernant les professionnels intermédiaires à la vente litigieuse. Elle estime que son préjudice est lié au prix de vente versé, aux divers frais avancés, mais également aux travaux de rénovation qu’elle avait entrepris.

I – Sur l’annulation de la vente ensuite de l’existence d’un dol

A- La responsabilité des vendeurs

La société HT Immo immatriculée le 24 octobre 2012 a la qualité de professionnelle de l’immobilier, au regard de son objet social consistant à réaliser toutes opérations de marchand de biens immobiliers telles qu’acquisitions, constructions, reventes, rénovations, réhabilitations, divisions en vue de leur revente et emprunts, ce qui résulte de l’extrait du registre du commerce et des sociétés versé aux débats. Elle s’est substituée entre le compromis de vente du 11 septembre 2012 et l’acte authentique de vente du 13 décembre 2012 à M. [F] [S], son gérant, signataire de l’avant-contrat.

M. [R] et sa mère, Mme [V] veuve [R], sont des particuliers qui ont vendu le bien litigieux décrit dans les deux actes précités de la façon suivante :

‘sur le territoire de la commune de [Localité 14] 854 promenade Philibert d’Orlye, un pavillon en bord de lac composé de :

– au rez de chaussée surélevé : cuisine, séjour, une chambre, cabinet de toilettes,

– et sous partie du bâtiment : port et hangar pour bateaux.

Le tout cadastré section AH n°[Cadastre 4] ‘les fins’ (ndr : ex [Cadastre 2]) pour une contenance de 5a57ca’.

Les vendeurs ont déclaré en page 2 du compromis de vente : ‘- qu’il n’existe aucune procédure ni aucun acte susceptible de mettre en cause leur légitimité en tant que vendeurs,

– que les biens n’étaient à leur connaissance grevés d’aucune servitude autre que celles résultant de la situation naturelle des lieux, des plans d’aménagement et de la loi en général’.

L’acte authentique de vente mentionnait en ce qui concerne ces points : ‘A la suite des conditions générales de la vente, le vendeur déclare : sur l’état, qu’il n’y a eu aucune modification dans l’apparence de l’immeuble, ni empiètement sur le fonds voisin ou d’une modification irrégulière de la destination. Sur l’absence de restriction à son droit de disposer : qu’il n’existe à ce jour aucune action en rescision, résolution, réquisition ou expropriation ni de litige en cours pouvant porter atteinte au droit de disposer, qu’il n’a conféré à personne d’autre que l’acquéreur un droit quelconque résultant d’un avant-contrat, lettre d’engagement, droit de préférence ou de préemption, clause d’inaliénabiité temporaire, et qu’il n’existe d’une manière générale aucun empêchement à la vente.’

Par ailleurs M. [L], propriétaire de la parcelle litigieuse à la fin du XIXème siècle, avait obtenu par arrêté préfectoral du 29 octobre 1898 l’autorisation de ‘construire un abri à bateaux dans le lac d'[Localité 8], contre la propriété qu’il possède, entre le débarcadère de [Localité 12] et l’établissement des bains, aux conditions suivantes : (…) Article 5- Le permissionnaire versera chaque année dans la caisse de M.le receveur des contributions indirectes la somme de huit francs à titre de redevance pour occupation temporaire du domaine public. Article 6- L’autorisation est de pure tolérance, elle pourra être modifiée et même retirée si l’administration le juge nécessaire sans que le permissionnaire puisse prétendre à aucune indemnité.’

Cette autorisation d’occupation temporaire du domaine public, qui était d’une durée limitée, a été reconduite par tous les propriétaires successifs de cette parcelle cadastrée initialement B [Cadastre 2], puis B[Cadastre 4]. M. [Y] [R] et Mme [V] veuve [R] ont également sollicité régulièrement le renouvellement de l’AOT, après le décès de [A] [R] le 22 septembre 1986, dont ils ont hérité la parcelle litigieuse sur laquelle était construit un hangar à bateaux rehaussé d’une maison d’habitation à une date non précisée. Ainsi, le dossier établit qu’au nom de [A] [R], le dernier renouvellement de l’AOT avait été sollicité le 15 avril 2010 et accordé par arrêté du 26 juillet 2010 jusqu’au 31décembre 2012.

Par la suite, sur le questionnement de M. [S] – qui venait de recevoir un courrier le 28 décembre 2012 informant de l’arrivée à échéance de l’AOT – par l’intermédiaire de Me [T], M. [Y] [R] répondait le 8 janvier 2013 ‘pour le document, il suffit de remplir la partie ouvrages : abri à bateaux – 100 m² et entourer la maison sur la photo. Il n’y a pas de mouillage associé. Je ne sais pas si M. [S] possède un bateau.’

Par conséquent, et en l’absence d’élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu’elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en considérant que les vendeurs ont commis un dol par réticence envers l’acheteuse en omettant de signaler l’existence d’AOT, qui de surcroît, prenait fin le 31 décembre 2012, soit quelques jours seulement après la vente. En effet, l’arrêté du 26 juillet 2010 rappelait expressément que l’autorisation était précaire et révocable et ne conférait aucun droit réel à son titulaire, et que l’administration se réservait la faculté de la retirer ou de la modifier à toute époque, sans indemnité ou dédommagement quelconque, en pouvant aussi exiger la remise en état des lieux en leur état primitif.

B- Sur la responsabilité de la société Socavim

Les moyens soutenus par la société Socavim, professionnelle de l’immobilier agissant sous l’enseigne Vallat Immobilier ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d’une discussion se situant au niveau d’une simple argumentation, c’est donc à l’issue d’une analyse pertinente, exhaustive, exempte d’insuffisance que les premiers juges ont retenu que l’agence immobilière, intermédiaire à la vente litigieuse, aurait dû interroger le vendeur sur son droit de propriété compte tenu de la construction particulière du bâtiment, qui comportait en rez-de-chaussée un hangar à bateau construit sur le lac permettant le mouillage des bateaux.

C- Sur la responsabilité du notaire

Le notaire, en sa qualité d’officier public, doit assurer la validité des actes translatifs de propriété auxquels il prête son ministère, et doit en conséquence contrôler l’existence du droit de propriété du vendeur. Cette vérification s’opère au moyen de l’examen des titres de propriété et par l’établissement d’une origine trentenaire exacte (1ère Civ. 13 novembre 1991, pourvoi n°89-15.011). Il faut aussi contrôler la chaine des transmissions successives, et lorsque des titres de propriété contiennent des mentions contradictoires ou permettent de supposer une faille dans les droits des parties, le notaire doit parfaire ses investigations afin de dissiper toute équivoque et rechercher les mutations intervenues aussi loin que cela peut être utile à la détermination du véritable propriétaires (3ème Civ. 3 mai 1983), et toute attitude négligente de la recherche d’indices permettant de douter de l’exactitude ou de l’étendue du droit de propriété transmis est constitutive d’une faute professionnelle.

Me [H] [T] a obtenu un état hypothécaire le 27 septembre 2012 et a purgé les droits de préemption. Il a repris la description des biens immobiliers telle qu’elle résultait de l’attestation de propriété du 8 novembre 1972 après le décès de [B] [K] veuve [R] et qui était reprise dans l’attestation de propriété après décès de [A] [R].

Pour autant, l’examen du plan cadastral édité le 16 août 2012 et annexé à la minute de l’acte authentique (échelle 1/1000) et le plan des réseaux usées du sila sur la commune de [Localité 14], obtenu par Me [T] et également paraphé et joint à la minute faisaient très clairement apparaître que le bâtiment vendu était construit sur le lac, les contours naturels de la rive ne pouvant pas présenter les lignes géométiques d’un rectangle. Enfin, il résulte d’un mail du 11 janvier 2013 de Mme [E] [P], pour le compte de Me [T], adressé à [M] [N] que ‘je vous informe que le garage à bateaux étant sur le domaine public, comme pour les mouillages, il faut une autorisation d’occupation. Il s’agit du document sur lequel nous avons échangé avec l’agence en début de semaine’.

Me [H] [T] ne peut en conséquence se retrancher derrière l’absence d’obligation de visite des lieux incombant au notaire, les plans cadastraux et des réseaux établissaient que le hangar et port à bateaux n’étaient pas un port et un hangar ‘à sec’, mais étaient construits sur le lac, ce qui relevait du domaine public, comme l’a signalé sa préposée par courriel un mois à peine après la vente. En conséquence, il appartenait au notaire de lever de ce doute, et de rechercher l’origine de propriété des biens jusqu’à ce qu’il soit bien certain que les biens pouvaient être vendus. En se contentant de remonter à l’acte translatif de propriété du 22 novembre 1972, alors que le bien était à l’époque entré dans la famille [R] et n’en était pas sorti, et en omettant de questionner les vendeurs sur le hangar et le port à bateaux qui étaient vendus, Me [H] [T] a commis une grave négligence ayant contribué à la réalisation du préjudice de la société HT Immo.

Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point.

II Sur les dommages et intérêts

A- Sur le prix de vente

Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande d’annulation de la vente et de restitution du prix. Les vendeurs et les professionnels intermédiaires fautifs dans l’exécution de leurs obligations de conseil, seront condamnés in solidum à restituer le prix de vente de 1 590 000 euros.

B- Sur les droits d’enregistrement et frais d’acquisition

Les moyens soutenus par la société HT Immo ne font que réitérer, sans justificatif utile versé aux débats, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d’une discussion se situant au niveau d’une simple argumentation, c’est donc à l’issue d’une analyse pertinente, exhaustive, exempte d’insuffisance que les premiers juges ont retenu que la demande de l’acheteuse tendant à obtenir remboursement des droits d’enregistrement pour 68 396 euros devait être rejetée faute de preuve.

En revanche, les frais d’acte sont justifiés à hauteur de 28 490 euros, et il y a lieu de condamner les vendeurs, in solidum avec le notaire et l’agence, à les rembourser à la société HT Immo.

C- Sur la commission d’agence

La commission de 80 000 euros reçue par la société Socavim au titre son travail d’intermédiaire de la vente, doit être comprise dans les préjudices subis par HT Immo qui l’a réglée alors que la vente est résolue. Toutefois, le jugement sera infirmé en ce qu’il condamné la seule société Socavim.

D- Sur les travaux d’aménagement, le salaire du gardien

C’est à l’issue d’une analyse pertinente, exhaustive, exempte d’insuffisance que les premiers juges ont retenu que la société HT Immo a obtenu le 23 octobre 2013 un arrêté d’occupation temporaire du domaine public valable jusqu’au 31 décembre 2015 pour un hangar à bateau, et que le refus de renouveler cette autorisation postérieurement au 1er janvier 2016 était à l’origine directe de l’aggravation de son préjudice.

En effet, la société HT Immo dispose de la qualité de marchand de biens, et la réception d’un document spécifiquement intitulé ‘occupation du domaine public fluvial, renouvellement d’autorisation à usage non économique’, et ‘article 1 : objet de l’autorisation : le pétitionnaire est autorisé aux fins de sa demande à occuper le domaine public du lac d'[Localité 8] avec les ouvrages suivants : abri à bateaux :100 m²’ et ‘article 5 : précarité de l’occupation. L’autorisation est accordée à titre précaire et révocable et l’administration se réserve expressément la faculté de la retirer ou de la modifier à toute époque, sans que le permissionnaire puisse prétendre à aucune indemnité ou dédommagement quelconque.’ comme l’arrêté du 26 juillet 2010 l’informait de ce qu’elle occupait au moins en partie le domaine public, ce qui aurait dû l’alerter sur des risques potentiels portant sur la possibilité de revendre le bien. L’acheteuse a en outre été alertée dès la réception du courrier de la préfecture du 28 décembre 2012 l’informant de l’existence d’une AOT n°176-012, soit bien avant le début des travaux. Sa demande à ce titre doit donc être rejetée.

E- Sur la perte de chance

En l’absence d’élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu’elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en considérant que la certitude du préjudice allégué lié à l’impossibilité de revendre le bien immobilier au prix de 2 940 000 euros n’était pas établie.

F- Sur le remboursement de la redevance domaniale

En l’absence d’élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu’elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en considérant que la redevance domaniale et les contraventions de grande voirie devaient rester à la charge de la société HT Immo, dès lors qu’elle occupait le hangar à bateau, et a refusé de régler la redevance due pour l’occupation de celui-ci en connaissance de cause.

III – Sur les demandes de garantie

La faute de Me [T] et celle de la société Socavim ont contribué directement à la réalisation du dommage de la société HT Immo, ce qui justifie leur condamnation in solidum avec les vendeurs à réparer l’entier dommage qui se décompose comme suit :

– 1 590 000 euros correspondant au prix de vente,

– 80 000 euros de commission d’agence,

– 28 490 euros de frais notariés justifiés.

Entre les responsables, compte tenu de la nature de leurs fautes respectives, il y a lieu de faire le partage suivant : 80 % pour les vendeurs, 10 % pour le notaire et 10 % pour l’agence immobilière.

En conséquence, Me [T] sera tenu de relever et garantir les consorts [R] à hauteur de 10 % des condamnations prononcées contre eux hors dépens. Il en sera de même pour la société Socavim.

Par ailleurs, les consorts [R] seront condamnés in solidum à relever et garantir Me [T] des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 80 % et in solidum à relever et garantir la société Socavim à hauteur de 80 % des condamnations prononcées à son encontre. Enfin, Me [T] sera relevé et garanti à hauteur de 10 % des condamnations prononcées contre lui par la société Socavim. Il y a lieu de préciser que la société Socavim n’a pas sollicité d’être relevée et garantie des condamnations prononcées contre elle par Me [T].

IV – Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd sont procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Les consorts [R] succombant en leur appel supporteront les dépens de l’instance, in solidum avec le notaire et l’agence immobilière qui succombent également au fond.

Il ne paraît pas inéquitable de condamner in solidum les trois parties jugées responsables à payer à la société HT Immo la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi :

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la nullité de la vente du 13 décembre 2012 par Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R] d’un pavillon et terrain attenant situé [Adresse 7], le tout cadastré section AH n°[Cadastre 4],

L’infirme pour le surplus

Condamne in solidum Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R], la société Socavim et Me [H] [T] à payer à la société HT Immo la somme de 1 698 490 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 11 février 2021, se décomposant comme suit :

– 1 590 000 euros correspondant au prix de vente,

– 80 000 euros de commission d’agence,

– 28 490 euros de frais notariés justifiés,

Prononce la capitalisation des intérêts, lorsqu’ils seront dus pour une année entière, en application de l’article 1343-2 du code civil,

Rejette le surplus des demandes indemnitaires de la société HT Immo,

Dit que la société Socavim et Me [H] [T] garantiront chacun à hauteur de 10% le montant des condamnations indemnitaires prononcées à l’encontre de Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R],

Dit que Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R] garantiront d’une part la société Socavim, d’autre part Me [T], chacun à hauteur de 80 % des condamnations indemnitaires prononcées contre chacun d’eux,

Dit que la société Socavim garantira Me [T] à hauteur de 10 % des condamnations indemnitaires prononcées à son encontre,

Condamne in solidum Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R], la société Socavim et Me [H] [T] aux dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de Me Forquin,

Condamne in solidum Mme [C] [V] veuve [R] et M. [Y] [R], la société Socavim et Me [H] [T] à payer à la société HT Immo la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 19 septembre 2023

à

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY

la SAS SR CONSEIL

la SELARL VAILLY BECKER & ASSOCIES

Me Christian FORQUIN

Copie exécutoire délivrée le 19 septembre 2023

à

Me Christian FORQUIN

 


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