Marchand de Biens : décision du 11 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/04993

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Marchand de Biens : décision du 11 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/04993
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

2ème CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 11 JANVIER 2024

N° RG 20/04993 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-L2SI

S.C.I. MAREVE

c/

[O] [F]

[I] [F] épouse [F]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 08 juillet 2020 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX (chambre : 7, RG : 19/08777) suivant déclaration d’appel du 15 décembre 2020

APPELANTE :

S.C.I. MAREVE

Société civile immobilière au capital de 1.524,49 euros, immatriculée

au RCS de Bordeaux sous le numéro 329 777 338, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès-qualités audit siège

Représentée par Me CRAMPE substituant Me Frédéric QUEYROL, avocat au barreau de BORDEAUX

et assistée de Me Jonathan DURAND, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

[O] [F]

né le 14 Mai 1978 à [Localité 5]

de nationalité Française

Profession : Promoteur,

demeurant [Adresse 1]

[I] [F] épouse [F]

née le 18 Septembre 1978 à [Localité 4]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

Représentés par Me GUILLOUT substituant Me Thomas FERRANT de la SELARL CABINET FERRANT, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Monsieur Jacques BOUDY

Conseiller : Monsieur Alain DESALBRES

Conseiller : Monsieur Rémi FIGEROU

Greffier : Madame Audrey COLLIN

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE :

Suivant acte notarié du 27 mars 2016, la SCI Mareve a acquis de Monsieur [F] et Madame [F] un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 3] ( Gironde), qui avait fait l’objet de travaux d’extension et de surélévation selon permis de construire obtenu le 19 juin 2012.

La SCI Mareve ayant constaté l’apparition de désordres au cours de l’année 2017, et après mise en demeure restée infructueuse, a décidé de saisir le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux par voie d’assignation délivrée à l’encontre des époux [F] et de M [T], en sa qualité de maître d”uvre de l’opération de rénovation de l’immeuble, aux fins d’expertise judiciaire.

M. [K] a été désigné en qualité d’expert judiciaire selon l’ordonnance de référé du 29 janvier 2018. Il a déposé son rapport définitif le 1er juillet 2019.

Par acte du 25 septembre 2019 , la SCI Mareve a assigné les époux [F] devant le tribunal de grande instance de bordeaux aux fins de les voir condamner à lui verser:

– la somme de 24 470 euros au titre des travaux de réparation de la toiture,

– la somme de 1419,71 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice économique,

-1500 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,

-5000 euros au titre des frais irrépétibles, outre les dépens de l’instance.

Par jugement du 8 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– débouté la SCI Mareve de ses demandes,

– condamné la SCI Mareve à verser aux époux [F] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles,

– condamné la SCI Mareve aux dépens en ce compris les frais de référé et d’expertise,

– dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire de la décision.

La SCI Mareve a relevé appel du jugement le 15 décembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 mai 2022, la SCI Mareve demande à la cour, sur le fondement des articles 1103, 1104, 1231-1, 1641, 1792 du code civil et 700 du code de procédure civile :

– de déclarer la société Mareve recevable et bien fondée en son appel,

En conséquence,

– d’infirmer le jugement rendu le 8 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,

Et statuant à nouveau,

À titre principal,

– d’écarter la clause d’exclusion des vices cachés prévus à l’acte de vente du 27 mars 2016,

– de déclarer M et Mme [F] responsables sur le fondement de la théorie des vices cachés,

À titre subsidiaire,

– de déclarer non écrite la clause d’exclusion des vices cachés prévus à l’acte de vente du 27 mars 2016 à l’égard de M [F],

– de déclarer M et Mme [F] responsables sur le fondement de l’article 1792 du code civil,

À titre infiniment subsidiaire,

– de déclarer M et Mme [F] responsables sur le fondement de la théorie des dommages intermédiaires,

En tout état de cause,

– de débouter M et Mme [F] de leur demande de paiement d’une somme de 3 000 euros à titre de dommages intérêts,

– de condamner solidairement M et Mme [F] au paiement d’une somme de 24 470,81 euros au titre des travaux de réparations de la toiture,

– de condamner M et Mme [F] au paiement d’une somme de 1.419,71 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice économique subi,

– condamner M et Mme [F] au paiement d’une somme de 1.500 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi,

– de condamner M et Mme [F] au paiement d’une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– de condamner M et Mme [F] aux entiers dépens en ce compris le coût de l’expertise judiciaire.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 20 septembre 2022, les époux [F] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1231 et suivants, 1641 et suivants, 1792 et suivants du code civil:

À titre principal,

– de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

À titre subsidiaire,

– de rejeter l’application de la garantie des vices cachés au motif que les conditions légales ne sont pas réunies,

En tout état de cause,

– de débouter la SCI Mareve de l’ensemble de ses demandes à leur encontre,

– de condamner la SCI Mareve à leur verser la somme de 3000 euros au titre de dommages et intérêts,

– de condamner la SCI Mareve à leur verser la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 31 octobre 2023.

MOTIFS

Sur l’application de la clause d’exclusion de la responsabilité des vendeurs au titre des vices cachés de l’immeuble vendu

Le tribunal, après avoir rappelé que l’acte authentique de vente du 27 octobre 2016 comportait en sa page 14 une clause exonératoire des vices cachés au profit des vendeurs, a considéré que Monsieur [F] ne pouvait être assimilé à un vendeur professionnel au motif qu’il exerçait la profession de marchand de biens sans qu’il soit démontré qu’il possédait une compétence particulière en matière de construction alors que les époux [F] avaient eu recours à un artisan spécialisé et à un maître d”uvre pour entreprendre les travaux de rénovation de l’immeuble litigieux avant de le mettre en vente. En outre, les vices affectant la toiture de l’immeuble étaient cachés en ce qu’ils ne pouvaient être apparents que pour un professionnel, ce que n’étaient donc pas les vendeurs. Le premier juge a en conséquence jugé que la clause exonératoire de garantie figurant à l’acte de vente avait vocation à s’appliquer.

La SCI Mareve considère que la clause d’exclusion de la garantie des vices cachés contractuellement prévue est inapplicable. Elle soutient en effet, que les vices étaient connus des vendeurs alors qu’en outre les vendeurs étaient des professionnels. Or, un vendeur professionnel est présumé avoir connaissance des vices, cachés ou non. En outre, la mauvaise foi des vendeurs est présumée car il est invraisemblable qu’ils aient pu ignorer le vice. Le vice était préexistant à la vente de l’immeuble et la gravité de celui-ci est relevé par le rapport d’expertise.

Les époux [F] soutiennent que l’appelante ne démontre nullement qu’ils avaient connaissance du vice antérieurement à la vente. De ce fait, la clause d’exclusion insérée dans l’acte de vente s’applique. Ils rappellent que c’est la bonne foi qui est présumée et la mauvaise foi qui doit être prouvée. En outre la profession d’un particulier qui vend en son nom propre, dans le cadre privé, ne peut suffire à revêtir la qualité de vendeur professionnel. Il n’agit pas en qualité de marchand de biens. De plus, être actionnaire d’une société ne confère pas un emploi, et les compétences du vendeur s’apprécient au jour de la vente. Au jour de la vente, Mme [F] était sans emploi et ne disposait d’aucune compétence technique dans le domaine de la construction. L’acquéreur ne peut prétendre avoir été ‘rassuré’ par la qualité professionnelle de l’immobilier du vendeur.

****

La cour constate qu’il résulte du rapport d’expertise judiciaire que les travaux de toiture litigieux ont été confié à un professionnel spécialisé, choisi par le maître d”uvre des époux [F] et que les malfaçons qui ont été constatés par l’expert judiciaire étaient apparentes lors de l’achèvement de l’immeuble mais uniquement par un professionnel.

La vente entreprise entre les parties est intervenues entre les vendeurs : personnes physiques, les époux [F], qui ont mis en vente leur résidence principale, après l’avoir personnellement habitée plusieurs années, alors que l’époux exerçait la profession de marchand de biens et l’acquéreur : une société civile immobilière dont l’objet était : « l’acquisition d’immeubles, la gestion, l’administration et la disposition de ces immeubles ‘ » ( cf : page 2 des statuts de la SCI, pièce n° 5 des intimés)

La qualité de professionnel s’apprécie en fonction de l’activité effectivement exercée, et ce en lien avec le désordre allégué. ( cf : Cass 3 éme civ 17 octobre 2019 n° 18-18. 469)

En l’espèce, le désordre de nature décennale est constitué par des malfaçons dans la pose et la réalisation des chéneaux par l’entreprise qui a réalisé la couverture, cette entreprise ayant été choisi par l’architecte, lui-même choisi par les époux [F]. ( cf : rapport d’expertise page 10 et page 14)

L’expert judiciaire a précisé que ce désordre n’était apparent que pour un professionnel au motif qu’il fallait d’une part monter sur le toit, et surtout connaitre les règles de l’art et les normes applicables pour ces travaux de toiture. ( cf : rapport d’expertise page 21)

Si M. [F] a vendu sa résidence principale ce n’est pas au titre de l’exercice habituel de sa profession mais à titre privé et familial alors qu’en outre le désordre provient de travaux qu’il n’avait pas lui-même réalisés alors que bien au contraire, il avait pris soin, y compris pour la maitrise d”uvre, d’en confier le soin à des professionnels qui seuls étaient en mesure de se convaincre de ce désordre.

Or, a la qualité de professionnel la personne ayant conclu un contrat en rapport direct avec son activité professionnelle et pour les besoins de celle-ci, ce qui n’est pas en l’espèce. ( Cf : Cass civile 3, 4 février 2016, 14-29.347)

Dès lors, les vendeurs ne peuvent recevoir la qualité de professionnels et la clause d’exclusion de la responsabilité des vendeurs au titre des vices cachés de l’immeuble vendu doit recevoir son plein et entier effet alors qu’au surplus l’acquéreur qui était une société civile immobilière dont l’objet social était en rapport direct avec l’acte accompli, pouvait recevoir la qualification de contractant professionnel.

Dans ces conditions, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a jugé valable entre les parties la clause exonératoire de la responsabilité des vendeurs au titre des vices cachés.

Sur la responsabilité civile décennale des vendeurs

Les appelants soutiennent que si la cour d’appel disait valable la clause exonératoire de la responsabilité des vendeurs au titre des vices cachés, elle devrait alors faire application de leur responsabilité civile décennale, en ce que les vendeurs sont réputés constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code civil.

Les intimés font valoir que la garantie décennale leur est inapplicable. En effet, la garantie décennale ne s’applique qu’aux désordres nés et actuels, qui soit compromettent la solidité de l’ouvrage, soit le rendent impropre à sa destination. Aucun de ces éléments n’est établi. Les anomalies en toitures dénoncées par la SCI Mareve ne revêtent paslable du caractère décennal.

***

L’article 1792 du code civil dispose : « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère. »

Les époux [F] ne sont pas constructeurs au sens de l’article 1792 du code civil alors qu’il n’est pas sérieusement contesté qu’en leur qualité de maître d’ouvrage, ils ont confié en 2012 à un constructeur : la société FHU Rol- Stach, et à un maître d”uvre M. [E] [T], la réalisation de la surélévation de leur immeuble et qu’il n’est nullement démontré qu’ils aient pris une part dans cette construction.

La SCI Mareve en revanche est subrogée dans les droits antérieurs de ses vendeurs pour agir éventuellement au titre de cette responsabilité décennale à l’encontre des constructeurs sous réserve de démontrer, ce qu’elle ne fait pas en l’état, que les désordres en toiture relèvent de la responsabilité décennale des constructeurs étant rappelé que l’expert judiciaire a notamment considéré que les malfaçons relevées dans les travaux de toiture n’affectaient pas d’élément du gros ‘uvre et ne pouvaient pas compromettre la solidité de l’ouvrage et que si les infiltrations d’eau s’aggravaient elles pourraient alors rendre la maison impropre à son usage mais sans qu’il soit possible d’en préciser le délai. ( cf : rapport d’expertise page 21)

En conséquence, la SCI Mareve sera déboutée de ses demandes au titre de la responsabilité décennale des vendeurs.

Sur l’appel incident des intimés

Si les intimés ont à subir la procédure d’appel de leur adversaire, un tel appel n’apparait pas abusif si bien qu’ils seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

La SCI Mareve succombant en son appel sera condamnée aux dépens et à payer aux intimés la somme de 3000 euros au titre des frais qu’ils ont dû exposer en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la SCI Mareve à verser à M. [O] [F] et à Mme [I] [U] épouse [F], ensemble la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCI Mareve aux entiers dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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