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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
PC/PR
ARRÊT N° 259
N° RG 20/01896
N° Portalis DBV5-V-B7E-GCFU
S.A.R.L. VOIE EXPRESS
C/
[J]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 11 MAI 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 septembre 2020 rendu par le Conseil de Prud’hommes de LA ROCHE SUR YON
APPELANTE :
S.A.R.L. VOIE EXPRESS
N° SIRET : 432 443 505
Vendéopôle Actipôle 85Ouest
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Ayant pour avocat postulant Me Malika MENARD, avocat au barreau de POITIERS
Et ayant pour avocat plaidant Me Sarah TORDJMAN de la SCP ACR AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS
INTIMÉE :
Madame [P] [J]
née le 12 juillet 1971 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Ayant pour avocat Me François CUFI de la SELARL DGCD AVOCATS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 25 janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile que l’arrêt serait rendu le 6 avril 2023. A cette date, le prononcé du délibéré a été prorogé au 11 mai 2023.
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [P] [J] a été engagée par la S.A.R.L. Voie Express le 2 janvier 2006 en qualité de chauffeur-livreur.
Mme [J] a fait l’objet à compter du 29 juillet 2016 de divers arrêts de travail pour des pathologies d’origine non professionnelle et, après avoir été placée en invalidité de catégorie 1 à compter du 1er janvier 2018 et s’être vue reconnaître la qualité de travailleur handicapé le 22 mai 2018, elle a fait l’objet, le 27 février 2018, d’un avis d’inaptitude à la reprise de son poste de travail, le médecin du travail précisant qu’un reclassement est possible à un poste à temps partiel avec conduite limitée et sans manutention lourde.
Mme [J] s’est vue notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement par une LRAR du 27 mars 2018 ainsi motivée :
‘Suite à l’avis d’inaptitude d’origine non professionnelle pour le poste de travail de chauffeur livreur prononcée par le médecin du travail en date du 27 février 2018, nous avons engagé une procédure de licenciement pour impossibilité de reclassement.
Nous avons tenté d’identifier une autre possibilité de reclassement, au besoin par mutation, transformation ou aménagement de poste, sans succès.
En conséquence, nous vous notifions votre licenciement…’
Par acte reçu le 14 mars 2019, Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes de la Roche-sur-Yon d’une action en contestation de son licenciement et en indemnisation du préjudice résultant d’un manquement de l’employeur au titre de la souscription d’un contrat de prévoyance.
Par jugement du 10 septembre 2020, assorti de l’exécution provisoire intégrale, le conseil de prud’hommes de la Roche sur Yon a :
– constaté que la S.A.R.L. Voie Express n’a pas correctement rempli son obligation de reclassement de Mme [J],
– dit que le licenciement de Mme [J] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
– condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] les sommes de :
> 3 516 € brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés y afférents,
> 9 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
> 1 548 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,
– constaté que la S.A.R.L. Voie Express n’a pas affilié Mme [J] auprès de la Carcept-Prévoyance,
– condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 21 096 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait de l’absence de souscription d’un contrat de prévoyance au bénéfice de la salariée,
– condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du C.P.C., outre les dépens.
La S.A.R.L. Voie Express a interjeté appel de cette décision selon déclaration transmise au greffe de la cour le 15 septembre 2020.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 16 mars 2022.
L’affaire, initialement fixée à l’audience du 13 avril 2022, a fait l’objet de deux renvois et été retenue à l’audience du 26 janvier 2023.
Au terme de ses dernières conclusions remises et notifiées le 15 mars 2022, auxquelles il convient à ce stade de se référer pour l’exposé détaillé des éléments de droit et de fait, la S.A.R.L. Voie Express demande à la cour, infirmant le jugement déféré en son intégralité, de débouter Mme [J] de toutes ses demandes, de la condamner à restituer les sommes perçues dans le cadre de l’exécution provisoire (31 644 €) et à lui payer la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.
Par conclusions du 17 février 2021,auxquelles il convient également de se référer pour l’exposé détaillé des éléments de droit et de fait, Mme [J], formant appel incident, demande à la cour :
– de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que son licenciement ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse et condamné la S.A.R.L. Voie Express à lui payer les sommes de 3 516 € brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés y afférents, 21 096 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait de l’absence de souscription d’un contrat de prévoyance au bénéfice de la salariée et 1 500 € au titre de l’article 700 du C.P.C.,
– faisant droit à son appel incident sur les sommes allouées en réparation du préjudice moral et du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la S.A.R.L. Voie Express à lui payer les sommes de :
> 19 338 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
> 10 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
– de condamner la S.A.R.L. Voie Express à lui payer la somme de 8 000 € en cause d’appel au titre de l’article 700 du C.P.C., outre les dépens.
MOTIFS
I – Sur la contestation même du licenciement :
Au soutien de sa contestation du licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement dont elle a fait l’objet, Mme [J] se prévaut :
– d’un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement,
– d’un défaut de consultation des délégués du personnel ou du C.S.E.
Il convient de rappeler :
– qu’en cas de constat d’inaptitude à reprendre l’emploi précédemment occupé, le salarié bénéficie d’un droit au reclassement affirmé dans son principe par les articles L.1226-2 et L.1226-10 du code du travail, que cette inaptitude soit totale ou partielle, temporaire ou permanente,
– que, quelle que soit l’origine de l’inaptitude, non professionnelle ou professionnelle, l’employeur doit :
> consulter les institutions représentatives du personnel,
> rechercher un autre emploi approprié aux capacités du salarié, en tenant compte des conclusions écrites du médecin du travail, notamment des indications qu’il formule sur l’aptitude de l’intéressé à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise, l’emploi offert devant être aussi comparable que possible à celui précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail,
> proposer au salarié non seulement les postes relevant de sa qualification, mais aussi ceux d’une catégorie inférieure et ceux qu’il pourrait occuper moyennant une formation complémentaire, pourvu qu’ils soient compatibles avec les restrictions et indications formulées par le médecin du travail,
> procéder à une recherche au sein de l’entreprise et du groupe auquel elle appartient,
> procéder à des recherches et faire des propositions de reclassement loyales et sérieuses.
– que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues aux articles L. 1226-2 et L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail,
– que l’obligation de reclassement n’étant pas une obligation de résultat, l’employeur n’est donc pas tenu de proposer un poste qui n’est pas disponible, ni de créer un nouveau poste, ou un poste sans réelle utilité ou encore incompatible avec le bon fonctionnement de l’entreprise, que l’employeur ne peut imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail pour libérer son poste afin de le proposer en reclassement au salarié inapte.
– qu’en cas d’impossibilité démontrée de reclassement, qui s’apprécie également au regard de la taille de l’entreprise et de la structure des emplois, le licenciement sera fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Mme [J] soutient en substance que l’employeur n’a pas procédé sincèrement et loyalement à son reclassement alors qu’il fait partie d’un groupe et que les prescriptions du médecin du travail, assez peu contraignantes, auraient dû lui permettre de formuler une proposition de reclassement, ce dont il s’est volontairement abstenu.
Elle expose :
– que, concomitamment à son licenciement, de nombreux recrutements sont intervenus sur des postes, notamment d’employée de service exploitation, auxquels elle pouvait prétendre du fait de son expérience, tant au sein de la S.A.R.L. Voie Express (qui lui avait attribué une prime de polyvalence) que dans des fonctions antérieures (de chef d’entreprise de transport de 2000 à 2006),
– que son affectation et sa capacité à des tâches de responsabilité (formation des chauffeurs aux procédures de livraison UPS, comptes-rendus et explications nécessaires suite aux incidents survenus lors de tournées et à l’organisation du travail des chauffeurs) sont confirmées par des attestations de M. [I] [X] (pièce 29) adjoint au responsable d’exploitation du 1er septembre 2007 au 30 avril 2014 et de M. [E] [B] (pièce 28),
– que la société Voie Express a refusé de communiquer son registre du personnel postérieurement à son licenciement, de même que les carnets de route sur lesquels elle notait son emploi du temps et qui auraient pu permettre de vérifier que, même avant son licenciement, elle exerçait à temps partiel une part importante de son travail pour des tâches autres que la conduite,
– qu’un reclassement dans les termes préconisés par le médecin du travail était parfaitement possible puisqu’il correspondait aux tâches qu’elle effectuait déjà dans l’entreprise et qu’il suffisait de limiter son amplitude de travail hebdomadaire pour l’affecter à un temps partiel sans manutention de charges lourdes,
– que la S.A.R.L. Voie Express ne produit aucune lettre circulaire d’information de ses filiales sur la recherche d’un poste de reclassement.
La S.A.R.L. Voie Express conclut au débouté de Mme [J] en exposant :
– qu’aucun emploi répondant aux prescriptions précises et contraignantes du médecin du travail n’a pu être trouvé tant en son sein qu’au sein des deux autres sociétés du groume MDS dont elle fait partie, PME spécialisées dans le transport de marchandises, chaque site étant composé de chauffeurs livreurs et d’encadrants,
– qu’au moment du licenciement, sur les 113 salariés du groupe, 89 étaient chauffeurs ou coursiers (pièces 1 à 6, registres d’entrées et sorties) et que les 24 autres postes concernaient des postes de direction, administratifs ou commerciaux exigeant des compétences en gestion, ressources humaines ou comptabilité, validées par une formation spécifique initiale,
– que de janvier à juin 2018, les recrutements intervenus concernaient pour 8 d’entre eux des postes de chauffeur-livreur identiques à celui de Mme [J] et un poste d’employé de service exploitation incompatible tant avec les restrictions imposées par le médecin du travail (poste à temps plein) exigeant un diplôme Bac + 2 ou équivalent en transport, avec des compétences en gestion logistique transport et informatique (ainsi que l’établit la fiche de poste, pièce 7) qu’avec les compétences et l’expérience de Mme [J] dont les justificatifs de formation qu’elle verse aux débats démontrent qu’elle ne disposait pas des compétences et connaissances nécessaires pour prétendre à ce poste au moment de la déclaration d’inaptitude,
– que les attestations produites par Mme [J] sont inopérantes dès lors que postérieurement au départ de M. [X], l’organisation du travail a été complètement transformée et que les tâches que Mme [J] aurait pu ponctuellement effectuer dans le cadre de remplacements ne correspondent plus nécessairement à ce poste,
– que le fait que Mme [J] a exploité sa propre entreprise est indifférent dans la mesure où elle ne précise pas le nombre de salariés et leurs fonctions et les tâches précises qu’elle a pu assumer dans ce cadre,
– que le poste mixte évoqué par Mme [J] n’existe pas et qu’il aurait fallu le créer, ce que n’exige pas la jurisprudence,
– qu’il est impossible d’affecter un chauffeur sur le transport sans manutention lourde puisque le poids et le volume des colis varient chaque jour, sans qu’il soit possible de faire des prévisions,
– que les tâches administratives ou de formation ne représentent pas un volume d’heures de travail suffisamment conséquent pour occuper un salarié, les missions de formation ponctuellement confiées à Mme [J] ne correspondant à aucun emploi permanent dans l’entreprise, même à temps partiel.
SUR CE,
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement de Mme [J] dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors :
– que, s’agissant d’une entreprise employant habituellement au moins onze salariés (ainsi que l’établit le registre des entrées/sorties produit aux débats), la S.A.R.L. Voie Express ne justifie pas de la consultation préalable des institutions représentatives du personnel imposée par l’article L1226-2 du code du travail en sa rédaction issue de la loi 2016-1088 du 8 août 2016, alors même qu’il résulte des pièces produites par Mme [J] (pièce 38, avis du 22 janvier 2018 informant les salariés de l’organisation d’élections en vue du renouvellement des mandats de délégués du personnel prévue pour le 8 mars 2018 et P.V. de résultat du 1er tour des élections du C.S.E,) qu’il existait un délégué du personnel antérieurement à ce scrutin, organisé pour en renouveler le mandat, étant constaté qu’il n’est pas justifié de la date d’expiration du mandat en cours,
– qu’en outre, la S.A.R.L. Voie express ne justifie pas avoir procédé à des recherches de reclassement au sein de l’ensemble des sociétés (dotées d’une personnalité morale distincte) du groupe auquel elle appartient, alors même qu’il n’est objectivement justifié ni de l’existence d’un service commun, unique et centralisé, gérant l’ensemble des ressources humaines du groupe ni de sa saisine effective du cas de Mme [J], les seuls justificatifs versés aux débats consistant dans les registres d’entrées et sorties du personnel des trois sociétés du groupe et des agences en dépendant,
– qu’en toute hypothèse, l’examen de ces registres établit que concomitamment à la déclaration d’inaptitude, un poste d’employé de service exploitation s’est libéré sur le site d'[Localité 1] exploité par la S.A.R.L. MDS, compatible tant avec les prescriptions du médecin du travail que les compétences et l’expérience de Mme [J], étant à cet égard considéré :
> que la circonstance que ce poste correspondait à un emploi à temps plein n’était pas de nature à faire obstacle à un éventuel reclassement au profit de Mme [J], étant considéré que si l’employeur ne peut, pour procéder au reclassement, modifier les conditions de travail d’un salarié en poste dans l’entreprise, rien ne lui interdit en cas de libération du poste, d’en modifier les caractéristiques pour l’adapter aux préconisations du médecin du travail,
> que les fonctions correspondantes telles qu’apparaissant à la lecture de l’offre d’emploi et du contrat de travail (organisation et gestion des transports urgents sur [Localité 4], contact permanent par téléphone avec les clients, gestion des demandes et organisation des courses, gestion des horaires des chauffeurs, surveillance de la qualité des prestations, suivi de l’entretien et de la réparation des véhicules en accord avec la direction, surveillance du bon déroulement de la facturation avec rapprochement des bons de livraison pour vérifier la conformité des factures et le classement de l’ensemble des documents administratifs, assister techniquement les conducteurs en cas de panne, accident, constituer le dossier de transport routier, organiser et planifier les plans de tournées, réglementation du transport des marchandises, suivi et contrôle de la réalisation du transport, identification des anomalies et mise en place des mesures correctives),
> que :
* si l’employeur soutient que l’organisation du travail a changé depuis le départ de M. [X] (qui, dans une attestation du 23 avril 2019, pièce 29 de l’intimée, indiquait que jusqu’à son départ de l’entreprise en avril 2017, Mme [J] formait tous les chauffeurs au process UPS, en leur faisant des formations dans l’entreprise, s’occupait de la douane et du tri des colis au retour des chauffeurs, faisait des recherches de clients UPS, vérifiait les retours de colis des chauffeurs, téléphonait le soir aux clients avisés, s’occupait de la caisse et des taxes de douane et tenait à jour un tableau qualité, en contact régulier avec UPS St Herblain), tous éléments corroborés en substance par une attestation de [E] [B], pièce 28),
* il n’en demeure pas moins que la réalité des tâches accomplies par Mme [J] et leur adéquation avec les fonctions définies sur la fiche de poste ’employé de service exploitation’ sont ainsi établies, comme le démontrent en outre tant les pièces 31 à 33 de l’intimée (tableaux de formations dispensées aux chauffeurs, tableau de suivi des pénalités UPS et feuilles de directives, suivi de l’activité des chauffeurs) que son expérience, de plusieurs années, en qualité d’exploitante à titre personnel d’une entreprise de transport de marchandises),
* les préconisations du médecin du travail n’excluaient pas l’affectation à un emploi purement administratif.
Le manquement de l’employeur à son obligation de recherche loyale et sérieuse de reclassement est ainsi caractérisé et le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement de Mme [J] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
II – Sur les conséquences de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement :
La S.A.R.L. Voie Express conclut au rejet des demandes de Mme [J] en soutenant :
-que l’indemnisation sollicitée par Mme [J] est disproportionnée et qu’elle ne justifie d’aucun préjudice justifiant l’attribution de l’indemnité maximale prévue à l’article L1235-3 du code du travail au regard de son ancienneté,
– que Mme [J] ne peut prétendre au bénéfice de l’indemnité compensatrice de préavis dès lors :
> que l’article L1226-4 du code du travail en exclut expressément le versement au profit du salarié déclaré inapte à son poste pour une cause non professionnelle,
> que Mme [J] n’a effectué aucun préavis, que l’avis d’inaptitude vise une origine non professionnelle et que le licenciement a été prononcé conformément à la loi,
– que la demande en dommages-intérêts complémentaires doit être rejetée dès lors :
> qu’elle n’est motivée ni en droit ni en fait,
> qu’un salarié ne peut pas réclamer deux fois l’indemnisation d’un même préjudice et qu’elle ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui invoqué au titre du prétendu non-respect de l’obligation de reclassement.
Mme [J] soutient :
– que son licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, elle est en droit de prétendre à une indemnité de préavis,
– s’agissant de la demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre de laquelle elle forme appel incident et sollicite l’octroi d’une indemnité représentative de 11 mois de salaire : qu’elle est toujours en recherche d’emploi et subit une perte importante de revenus, que ses perspectives professionnelles sont limitées au regard de son statut de travailleur handicapé , qu’elle est en fin de droits et n’a d’autre ressources qu’une pension d’invalidité de 921,21 € par mois,
– sur le préjudice moral (au titre duquel elle forme appel incident) : que la perte de son emploi signifie la perte d’un lien social important qui fait suite à une dévalorisation par l’employeur de ses qualités professionnelles alors qu’elle était très investie dans un travail qu’elle appréciait, qu’elle vit dans le stress, les angoisses et subit des insomnies, alors que la société Voie Express a multiplié les procédures.
Si un salarié ne peut en principe prétendre au paiement d’une indemnité pour un préavis qu’il est dans l’impossibilité physique d’exécuter en raison de son inaptitude physique à son empoi, cette indemnité est due en cas de rupture du contrat de travail imputable à l’employeur en raison du manquement à son obligation de reclassement.
Compte-tenu d’une ancienneté de plus de deux ans et d’un salaire de référence qui sera fixé à la somme de 1 758 € brut, calculée sur les 3 derniers mois ayant précédé l’arrêt de travail (sur la base duquel la société Voie Express a accepté de calculer l’indemnité de licenciement, cf. pièce 13 de l’appelante), Mme [J] est fondée à bénéficier d’une indemnité de préavis de deux mois, soit 3 516 € brut, montant fixé par les premiers juges dont Mme [J] sollicite la confirmation.
S’agissant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il doit être considéré :
– que Mme [J] est en droit de prétendre, en application de l’article 1235-3 du code du travail, compte-tenu de son ancienneté dans l’entreprise (12 ans révolus) dans l’entreprise, à une indemnité d’un montant compris entre trois et onze mois de salaire brut,
– que compte-tenu de son âge (47 ans révolus à la date du licenciement), de ses difficultés prévisibles et justifiées à retrouver un emploi (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, octroi d’une pension d’invalidité, notification de fin d’indemnisation Pôle Emploi à compter du 3 mars 2020), il convient de fixer à la somme de 15 822 € le montant de l’indemnité due à Mme [J] au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse dont elle a fait l’objet.
Mme [J] sera déboutée de sa demande indemnitaire complémentaire, faute de justifier d’un préjudice distinct de celui résultant de la seule perte d’emploi, étant constaté qu’elle ne produit aucun élément médical au soutien de son allégation relatives aux troubles psychologiques par elle imputés à son licenciement.
Il convient en définitive :
– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 3 516 € brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents,
– le réformant en ce qu’il a condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] les sommes de 9 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 1 548 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral :
> de condamner la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 15 822 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
> de débouter Mme [J] de sa demande en dommages-intérêts complémentaire pour préjudice moral,
Le licenciement de Mme [J] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, d’ordonner le remboursement par la SARL Voie Express aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [J], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage.
III – Sur la demande indemnitaire au titre d’un prétendu manquement de l’employeur dans la souscription d’un contrat de prévoyance au bénéfice de la salariée :
Les premiers juges ont condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 21 096 € correspondant au capital qu’elle aurait dû percevoir de la CARCPET consécutivement à son placement en invalidité catégorie 1, considérant :
– que la Carcept a notifié un refus de prise en charge aux motifs que la S.A.R.L. Voie Express avait souscrit un contrat de prévoyance ‘contrat 8169 incapacité à compter du 1er janvier 2017 ‘ et qu’à la date du fait générateur (date d’arrêt de travail précédant son placement en invalidité catégorie 1) elle n’était pas couverte par le contrat prévoyance incapacité invalidité pour le personnel non cadre,
– que le bénéfice de la garantie est subordonné à la transmission par l’employeur, au plus tard chaque 31 janvier, d’un bordereau nominatif annuel comportant la liste des salariés assurés,
– que la S.A.R.L. Voie Express n’apporte pas la preuve que Mme [J] était correctement affiliée alors que les cotisations étaient prélevées sur ses bulletins de salaire,
– que Mme [J] a ainsi été privée du versement du ‘capital-décès’ qu’elle aurait dû recevoir au moment de son placement en invalidité le 12 novembre 2019.
La S.A.R.L. Voie Express conclut à l’infirmation du jugement et au débouté de Mme [J] de ce chef de demande, en soutenant :
– que le refus opposé par la Carcept est infondé, la caisse n’ayant pas visé l’intégralité de la situation et les deux contrats successifs souscrits, que Mme [J] a bien été inscrite à la Carcept pendant toute la durée de la relation contractuelle ainsi que l’établissent :
> les bulletins de salaire mentionnant le prélèvement d’une cotisation à ce titre,
> le bordereau de cotisation Carcept Prévoyance pour l’année 2016 (pièce 11),
> les justificatifs de l’affiliation et du paiement des cotisations de 2006 à 2017 (pièce 15),
> un courrier adressé par la Carcept à Mme [J] le 15 mai 2018 (pièce 13) rejetant la demande de versement de capital invalidité 1ère catégorie au motif que la condition de quinze années d’affiliation n’est pas remplie la concernant,
> un mail de la société Klesia, gestionnaire du produit Carcept Prev (pièce 12) précisant que Mme [J] était bien affiliée à l’ancien contrat 900 (dispositif conventionnel) depuis 2006 jusqu’au 1er janvier 2017, date à laquelle il a été passé sur un contrat 8169 pour adapter le régime à un accord du 20 avril 2016, que Mme [J] a reçu deux refus à sa demande de prise en charge de son ‘invalidité 1’ : l’un au titre du contrat 1869 : date de survenance antérieure à la date d’effet du contrat 8169 (invalidité e1 reconnue en 2018 mais fait générateur en 2016) et l’autre au titre du contrat 900 (années d’affiliation insuffisantes),
– que Mme [J] a travaillé pendant douze ans au sein de la société en tant que salariée et a bénéficié des garanties liées aux cotisations depuis 12 ans mais que son statut antérieur est inconnu et qu’il ne peut être déterminé si elle peut personnellement justifier de 15 années de cotisations, la seule pièce produite à ce titre pour la période antérieure (pièce 20) visant une adhésion ‘pour ordre’ n’établissant pas qu’elle a cotisé pour elle-même ,
– s’agissant du prétendu défaut de transmission d’une notice d’information détaillée invoqué par Mme [J] : que celle-ci a bien eu communication par l’organisme de prévoyance de l’ensemble des garanties souscrites lors des échanges successifs et que Mme [J] ne justifie d’aucun préjudice particulier, l’employeur ayant rempli ses obligations par le versement régulier des cotisations.
Mme [J] conclut de ce chef à la confirmation du jugement entrepris, en soutenant :
– qu’elle a été affiliée à la Carcept de janvier 2000 à fin 2006 au titre de son activité de chef d’entreprise puis du 2 janvier 2006 à la date de son licenciement, en qualité de salariée de Voie Express,
– qu’elle s’est vue prélever chaque mois sur son bulletin de salaire une cotisation d’assurance de prévoyance dont elle n’a pu bénéficier, soit son employeur ayant omis de l’inscrire auprès de la caisse, soit pour une autre raison injustifiée,
– que les explications de la caisse produites par l’employeur lui sont incompréhensibles, alors même que les dispositions du contrat de prévoyance ne lui ont jamais été notifiées au cours de son contrat de travail, ni même une simple notice d’assurance, qui n’a été communiquée qu’après son licenciement (lettre du 6 juin 2019, pièces 6 et 20), que ce défaut d’information caractérisant une violation des dispositions de l’article 12 de la loi 89-1009 du 31 décembre 1989 lui cause un préjudice certain résultant de sa perte de chance d’obtenir, par une souscription individuelle à un contrat de prévoyance, une garantie comparable.
SUR CE,
La S.A.R.L. Voie Express justifie par la production des bordereaux nominatifs annuels (pièce 15) de l’affiliation de Mme [J], en qualité de salariée non cadre, auprès de la Carcept et du paiement effectif des cotisations correspondantes, mentionné sur les bulletins de salaire, sur la totalité de la relation de travail.
Le refus de prise en charge par la Carcept est fondé sur la non-réalisation de la condition liée à la durée d’affiliation (article II-5 de la notice d’information, pièce 20 de l’intimée, stipulant que si une personne garantie… se trouve atteinte d’une invalidité telle que la Sécurité Sociale lui verse une pension d’invalidité de 1ère catégorie ou une rente d’accident du travail pour un taux d’incapacité compris entre 54 et 65%, elle aura droit au paiement anticipé de 50 % du capital qui était garanti en cas de décès au moment de l’arrêt de travail à la suite duquel l’invalidité a été reconnue, sous réserve qu’elle justifie de quinze années au moins d’affiliation au régime, toutes périodes cumulées…).
En effet, la relation de travail entre Mme [J] et la S.A.R.L. Voie Express s’est déroulée sur une période de douze ans et deux mois et il n’est pas justifié d’une affiliation et du règlement de cotisations, en qualité de salarié non cadre, pour une quelconque période antérieure, pour le compte de Mme [J].
A cet égard, le courrier de la Carcept du 7 mars 2001, pièce 20 de l’intimée, adressé aux ‘Transports [J]’ ( indiquant avoir procédé à l’affiliation de son entreprise sous le n° 650768, qu’il s’agit d’une adhésion pour ordre puisqu’elle a déclaré ne pas occuper de personnel non cadre et que si cette situation venait à se modifier, elle devrait en avertir la caisse pour que lui soient adressés les imprimés nécessaires au règlement des cotisations qui, alors, seront dues) établit qu’aucune affiliation n’a été enregistrée à titre personnel et en qualité de salarié non cadre, au nom de Mme [J]).
Si aucun manquement de l’employeur dans la gestion du contrat de prévoyance souscrit pour le compte de ses salariés n’est caractérisé relativement à Mme [J] en termes de régularité d’affiliation et de continuité du paiement des cotisations y afférentes, force est cependant de constater que la S.A.R.L. Voie Express ne justifie pas avoir remis à Mme [J], au moment de son embauche et de son affiliation subséquente, un exemplaire des conditions générales du contrat-groupe ou d’une quelconque notice d’information et a manqué à l’obligation d’information pesant sur elle en application de l’article 12 de la loi 1989-1009 du 31 décembre 1989 (disposant que le souscripteur d’une convention ou d’un contrat conclu avec un organisme appartenant à l’une des catégories mentionnées à l’article 1er de la présente loi, en vue d’apporter à un groupe de personnes une couverture contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, est tenu de remettre à l’adhérent une notice d’information détaillée qui définit notamment les garanties prévues par la convention ou le contrat et leurs modalités d’application).
Ce manquement de l’employeur à son devoir d’information a causé à Mme [J] un préjudice constitué par la perte d’une chance d’obtenir, par une souscription individuelle à un contrat de prévoyance, une meilleure garantie.
Compte-tenu d’une part de la faible probabilité de survenance d’une pathologie susceptible de justifier la reconnaissance d’une invalidité de 1ère catégorie et du caractère usuel de la condition relative à la durée d’affiliation dans des contrats de prévoyance, le préjudice résultant de la perte de chance de souscrire une garantie similaire à des conditions plus avantageuses, qui ne peut être au montant de la garantie invalidité prévue par le contrat d’assurance de groupe, sera évalué à la somme de 3 000 €.
Le jugement déféré sera en conséquence réformé en ce qu’il a condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 21 096 € et la S.A.R.L. Voie Express sera condamné à payer à Mme [J] la somme de 3 000 € en réparation du préjudice résultant de son manquement à son devoir d’information.
IV – Sur les demandes accessoires :
Il n’y a pas lieu de faire droit, même partiellement, à la demande de la S.A.R.L. Voie Express tendant à la restitution des sommes versées au titre de l’exécution provisoire ordonnée par les premiers juges, le présent arrêt constituant un titre exécutoire permettant le remboursement du trop-perçu versé à Mme [J].
L’équité commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles par elle exposés en première instance et de condamner la S.A.R.L. Voie Express à lui payer une indemnité supplémentaire de 1 000 € au titre des frais par elle exposés en cause d’appel.
La S.A.R.L. Voie Express sera condamnée aux dépens d’appel et de première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du conseil de prud’hommes de la Roche sur Yon en date du 10septembre 2020,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– constaté que la S.A.R.L. Voie Express n’a pas correctement rempli son obligation de reclassement de Mme [J],
– dit que le licenciement de Mme [J] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
– condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 3 516 € brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés y afférents,
– condamné la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens,
Réformant la décision entreprise pour le surplus et statuant à nouveau :
– Condamne la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 15 822 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Déboute Mme [J] de sa demande en dommages-intérêts pour préjudice moral,
– Condamne la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J] la somme de 3 000 € à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation d’information relativement à la souscription pour son compte d’un contrat de prévoyance auprès de la Carcept et déboute Mme [J] du surplus de ses prétentions de ce chef,
Ajoutant au jugement déféré :
– Ordonne le remboursement par la S.A.R.L. Voie Express aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [J], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage,
– Condamne la S.A.R.L. Voie Express à payer à Mme [J], en application de l’article 700 du C.P.C., la somme de 1 000 € au titre des frais irrépétibles par elle exposés en cause d’appel,
– Condamne la S.A.R.L. Voie Express aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,