M6 c/ Molotov : 7 millions d’euros de préjudice 

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M6 c/ Molotov : 7 millions d’euros de préjudice 
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La société MOLOTOV a été condamnée à payer au groupe Métropole Télévision (M6) la somme de 7 millions d’euros. En dépit de l’absence de nouveau contrat de distribution, la société avait continué à diffuser les programmes des chaînes M6, W9 et 6ter, actes de reproduction et de mise à disposition des programmes sur lesquels le groupe M6 est titulaire de droits en tant qu’entreprises de communication audiovisuelle.

Droits voisins des entreprises de communication audiovisuelle

Pour rappel, l’article L.216-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Sont soumises à l’autorisation de l’entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à la disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d’un droit d’entrée.

Sont dénommées entreprises de communication audiovisuelle les organismes qui exploitent un service de communication audiovisuelle au sens de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, quel que soit le régime applicable à ce service. »

L’article L.335-4 du même code prévoit que « Est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion (…) d’un programme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, (…) de l’entreprise de communication audiovisuelle. »

Mise à disposition du signal

Il a également été jugé par le Conseil d’État dans son arrêt du 7 décembre 2011, n° 321349, que les éditeurs privés de services audiovisuels gratuits ne sont pas tenus de mettre les services qu’ils éditent à la disposition des distributeurs, hors les exceptions prévues aux articles 34-1, 98-1 et 98-2 de la loi du 30 septembre 1986, et donc qu’aucune obligation légale de mise à disposition de son signal à un distributeur par satellite ne pesait sur l’éditeur privé du service gratuit M6.

Par ailleurs, l’obligation posée par le premier alinéa de l’article 96-1 de loi du 30 septembre 1986 faisant obligation aux chaînes de la TNT en clair d’assurer gratuitement leur diffusion auprès de 100% de la population du territoire métropolitain ne leur impose pas d’être reçues en clair et gratuitement sur l’ensemble des réseaux, dont Internet, mais seulement par la voie hertzienne terrestre. Or le groupe M6 assure lui-même la diffusion en clair des chaînes M6, W9 et 6ter sur le réseau TNT.  

Aucune obligation légale de mise à disposition de leur signal à un distributeur par tout autre moyen que la voie hertzienne, que ce soit par satellite ou, comme en l’espèce, par internet, ne pesant sur le groupe M6, son refus de contracter avec la société MOLOTOV n’a pas été considéré comme fautif.

Contrefaçon des marques du groupe M6

La contrefaçon des marques du groupe M6 a également été retenue. En application des dispositions des articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ; 2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque. » et « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d’un signe identique ou similaire à la marque jouissant d’une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice ».

Les marques « 6ter » étaient reproduites à l’identique sur la plateforme Molotov, tandis que la marque semi-figurative « W9 » était reproduite dans une forme légèrement modifiée, qui correspond au logo de la chaîne du même nom qui emploie un autre type de police et les couleurs grise et violette. En l’occurrence les différences de police et de couleur apparaissent insignifiantes pour le consommateur moyen, constitué du grand public s’agissant d’une chaîne de télévision, et qui percevra le signe de la même manière, ce d’autant plus que les éléments verbaux sont prédominants dans la marque semi-figurative opposée.

Les services exploités par la société MOLOTOV sont identiques à ceux visés en classe 41 dans l’enregistrement des marques, soit divertissement, divertissements radiophoniques et par télévision, jeux et divertissements télévisés interactifs, production de spectacles, de films, de téléfilms, d’émissions de télévision, d’émissions musicales, montage de programmes radiophoniques et de télévision.

Parasitisme constitué

La société MOLOTOV a également tiré profit déloyalement et sans bourse délier des investissements et du savoir-faire du groupe M6, générant un avantage concurrentiel indu.

Sont sanctionnés sur le fondement de l’article 1240 du code civil les actes de parasitisme consistant dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS

3ème chambre 1ère section

JUGEMENT rendu le 02 décembre 2021

N° RG 18/04585 

N° Portalis 352J- W-B7C-CMYB X

Assignation du 06 avril 2018

DEMANDERESSES

[…]

S.A.S EDI Y […]

S.A.S M6 […]

représentées par Me Pierre DEPREZ & Me Frédéric DUMONT de la SCP DEPREZ, GUIGNOT ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P022 1

DÉFENDERESSE

[…]

représentée par Me Alexandra NERI du PARTNERS HERBERT SMITH PARIS LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J/0025

Décision du 02 décembre 2021 3ème chambre 1ère section

N° RG 18/04585

N° Portalis 352J-W-B7C-CMYBX

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles BUFFET, Vice président

Laurence BASTERREIX, Vice-Présidente

Alix FLEURIET, Juge

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 04 octobre 2021 tenue en audience publique. JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire En premier ressort

La SA METROPOLE TELEVISION a lancé en 1987 la chaîne de télévision hertzienne Z, puis deux autres chaînes :

— W9, en 2005, éditée par la SAS EDI-Y, et qui propose une programmation généraliste et musicale ;

—  6ter, en 2012, éditée par la SAS M6, et qui propose une programmation familiale, des documentaires, des films et des séries.

Ces trois chaînes sont diffusées en clair sur la télévision numérique terrestre par le groupe M6, mais également sur sa plateforme OTT (« Over The Top », accès direct aux chaînes sur internet, quel que soit le fournisseur d’accès) dénommée 6play. Elles sont également distribuées par satellite, câble, ADSL, etc., par des distributeurs tiers, tels que ORANGE, SFR, BOUYGUES, FREE ou CANAL+, avec qui le groupe M6 a signé des accords de distribution.

Le groupe M6 a aussi développé une offre de chaînes de télévision thématiques :

— TEVA, destinée au public féminin,

— PARIS PREMIERE, consacrée aux sorties et aux spectacles,

— Z MUSIC, chaîne musicale proposant des clips,

— X Y, dédiée au club des X de Bordeaux, propriété du groupe M6.

La SA METROPOLE TELEVISION est titulaire :

— de la marque française tridimensionnelle n°3661270 déposée le 1er juillet 2009 et enregistrée le 4 décembre 2009, régulièrement renouvelée, pour les produits et services des classes 2, 3, 4, 6, 8, 9, 11, 12, 14, 15, 16, 18, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 43 et 44 :

— de la marque française semi-figurative n°3049751 déposée le 4 septembre 2000, régulièrement renouvelée, pour les produits et services des classes 9, 16, 25, 28, 35, 36, 38, 40, 41, 42, 43, 44 et 45 :

— et de la marque française verbale n°3876515 déposée le 24 novembre 2011 et enregistrée le 16 mars 2012 pour les produits et services des classes 9, 16, 38 et 41 :

La SAS MOLOTOV exploite, en OTT, depuis le mois de juillet 2016 et selon un modèle « freemium », un service gratuit de distribution des chaînes gratuites de télévision, ainsi que différents services payants (espace de stockage pour les enregistrements, diffusion en simultané sur plusieurs écrans) selon différents abonnements, l’ensemble de ces services étant accessibles par internet à l’adresse URL , ainsi que par l’application « molotov.Y ».

A la suite de divers échanges, les sociétés du groupe M6 et MOLOTOV sont convenues, le 5 juin 2015, d’un accord de distribution conclu pour deux ans à titre expérimental à compter du lancement effectif des chaînes dans l’offre MOLOTOV ou au plus tard le 31 décembre 2015, non renouvelable par reconduction tacite, aux termes duquel :

— le groupe M6 concédait à la société Molotov le droit de distribuer les chaînes M6, W9, 6ter, Z Boutique & Co, Paris Première, TEVA, Z MUSIC, X Y, et les services de télévision de rattrapage de Téva et Paris Première,

— en contrepartie des droits concédés, la société Molotov s’engageait à verser une rémunération globale et forfaitaire de 1.5 millions d’euros – les chaînes M6, W9, 6ter, Z Boutique & Co étaient accessibles dans un bouquet gratuit (« Bouquet Basic ») pour l’ensemble des utilisateurs du service Molotov, tandis que les chaînes Paris Première, TEVA, Z MUSIC et X Y, et leur services de télévision de rattrapage, n’étaient accessibles que dans un abonnement payant.

Le 2 décembre 2016, les parties ont régularisé un avenant à l’accord destiné à encadrer les fonctionnalités des espaces de stockage distants proposés par la société MOLOTOV, dits « Bookmark ».

Par différents courriers des 26 janvier, 28 avril, 6 juillet et 30 octobre 2017, le groupe M6 a fait part à la société MOLOTOV de ce qu’elle considérait comme des manquements contractuels susceptibles de justifier la résiliation du contrat.

Le 27 novembre 2017, le groupe M6 a notifié à la société MOLOTOV que la poursuite de la distribution de ses programmes devrait, conformément à l’accord expérimental, prendre fin le 31 décembre 2017, et que tout nouvel accord de distribution devrait être conforme aux conditions générales de distribution que le groupe applique à l’ensemble de ses distributeurs et qu’il communiquait à la société MOLOTOV.

Les parties se sont entendues sur une prorogation de l’accord expérimental jusqu’au 31 mars 2018 afin de permettre la poursuite de leurs négociations.

Aucun accord n’ayant pu être trouvé et la société MOLOTOV continuant à distribuer les chaînes du groupe M6, les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 ont, par acte d’huissier du 6 avril 2018, fait assigner la société MOLOTOV devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire le 1er janvier 2020, de Paris afin d’obtenir sa condamnation à lui payer diverses sommes pour contrefaçon et parasitisme et lui enjoindre de cesser la diffusion de leurs programmes.

Par des conclusions d’incident notifiées électroniquement le 23 avril 2021, la société MOLOTOV a saisi le juge de la mise en état d’un incident de communication de pièces et d’une demande de convocation aux fins d’audition de la Présidente de l’Autorité de la concurrence sur certaines questions, concernant notamment l’engagement dit « E13 » pris par les sociétés du groupe M6 les obligeant à consentir à tout distributeur qui en ferait la demande la distribution de leurs chaînes de la TNT en clair à des conditions techniques, commerciales et financières transparentes, objectives et non discriminatoires, la société MOLOTOV faisant valoir que les conditions générales de distribution qui lui sont imposées ne rempliraient pas ces conditions, ce qui constituerait un abus.

Par ordonnance du 8 juillet 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande d’audition de la Présidente de l’Autorité de la concurrence présentée par la société MOLOTOV.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 25 février 2021, les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 demandent au tribunal de :

Vu les articles L.216-1, L.713-2 et L.713-3 du code de la propriété intellectuelle, Vu l’article 1240 du code civil,

— Dire et juger recevable l’action de METROPOLE TELEVISION, EDI-Y, M6 ;

— Dire et juger qu’à compter du ler avril 2018, en poursuivant l’exploitation des services de télévision Z, W 9, 6ter, sans autorisation contractuelle, sur sa platefonne Molotov.Y, MOLOTOV a contrefait les droits voisins de METROPOLE TELEVISION, EDI-Y, M6 sur leurs services de télévision,

— Dire et juger qu’en reproduisant sans autorisation les marques Z, W9 et 6ter sur sa plateforme Molotov.iv ainsi que dans sa documentation commerciale, MOLOTOV a contrefait ces marques ;

— Condamner MOLOTOV à verser solidairement aux sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI-Y et M6 :

— Au titre de la contrefaçon des droits voisins des requérantes : 12 millions d’euros,

— Au titre de la contrefaçon des marques des requérantes : 500 000 euros,

— Au titre des fautes délictuelles et du parasitisme : 500 000 euros.

— Ordonner à MOLOTOV, dans les huit (8) jours de sa signification, sous astreinte de 100 000 euros par jour de retard, de cesser :

— la diffusion des services de télévision Z, W9, et 6ter, ainsi que des services et fonctionnalités associés

— tout usage, sur sa plateforme, et dans ses annonces commerciales, prospectus, etc. des marques Z, W9, et 6ter.

— Se réserver la liquidation de l’astreinte ;

— Autoriser la publication, dans 3 revues au choix des requérantes, aux frais de MOLOTOV, dans la limite de 10.000 euros par publication, le communiqué suivant :

« Par jugement du le Tribunal judiciaire de Paris a condamné la société MOLOTOV pour contrefaçon des droits de Z, W9 et 6ter sur leurs programmes et sur leurs marques, en raison de la diffusion de leurs services de télévision sans leur autorisation sur sa plateforme »

— Ordonner à MOLOTOV de publier en haut de la page d’accueil de son site Internet accessible à l’adresse www. Molotov.fr, et sur l’écran d’accueil de son application OTT, sans qu’il soit besoin de descendre sur la page pour y accéder, pendant huit (8) jours, dans une police équivalente du Times New Roman taille 12, le message précité, dans les huit (8) jours suivant la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard

— Condamner MOLOTOV à verser à chacune des sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI-Y et M6 la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens

— Ordonner l’exécution provisoire du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 septembre 2021, la société MOLOTOV demande au tribunal de :

— DECLARER les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 irrecevables à agir faute d’intérêt légitime à agir,

Subsidiairement,

— DECLARER que leurs actions, ainsi que le maintien de leurs prétentions, sont abusifs et partant, que leurs demandes sont mal-fondées,

— DIRE QUE le préjudice revendiqué est imputable à la propre faute des sociétés demanderesses,

Très subsidiairement, dans l’hypothèse où le tribunal déciderait d’entrer en voice de condamnation,

— DIRE que le montant de la réparation du préjudice des sociétés demanderesses ne saurait être supérieur à 328 000 euros annuel ;

— DIRE qu’une éventuelle mesure d’interdiction ne sera pas assortie d’une astreinte ni dotée de l’exécution provisoire, compte tenu des conséquences manifestement excessives qu’une application immédiate nonobstant appel revêtirait pour la société MOLOTOV ;

En tout état de cause,

— DONNER ACTE à la société MOLOTOV qu’au titre de la rémunération duc aux sociétés demanderesses pour l’exploitation, depuis le 1er avril 2018, de leurs droits voisins et de leurs droits de marque, elle propose de leur verser spontanément en dehors du procès une somme calculée sur la base d’un montant global annuel maximal de 328 000 euros, soit 1 120 666 euros pour la période allant jusqu’au 31 août 202 1.

— CONDAMNER les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 à verser à la société MOLOTOV la somme de 500.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du caractère abusif de leur action ;

— Les DEBOUTER de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

— Les CONDAMNER aux dépens de l’instance au titre de l’article 699 du code de procédure civile ;

— Les CONDAMNER in solidum, comme il est équitable, à payer à la société MOLOTOV la somme de 150.000 euros pour couvrir ses frais irrépétibles au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 7 septembre 2021 et l’affaire plaidée le 4 octobre 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 septembre 202 1, la société MOLOTOV a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture rendue le 7 septembre 2021 afin de pouvoir communiquer aux débats la décision de l’Autorité de la concurrence n°21-SO-09 du 5 juillet 202 1.

Elle expose que depuis la clôture de la procédure, elle a été destinataire d’un mémoire déposé le 17 septembre 2021 par l’Autorité de la concurrence dans le cadre d’un recours actuellement pendant devant le Conseil d’État, où celle-ci indique s’être auto-saisie, par décision n°2 1-SO-09 du 5 juillet 202 1, d’une procédure d’examen du respect par les sociétés du groupe M6 des engagements dits « E13 » issus de la décision n°19-DCC-157 du 12 août 2019 de la même Autorité relative à la création d’une plateforme commune, SALTO, par les sociétés France Televisions, TF1 et METROPOLE TELEVISION.

La société MOLOTOV soutient que le tribunal dispose du pouvoir et de la compétence nécessaire pour constater lui-même le manquement des sociétés M6 à l’engagement E13, et pour en tirer les conséquences civiles qui s’imposent dans le cadre de la présente affaire, et que l’initiation d’une procédure officielle d’examen par l’Autorité de la concurrence sur cette même question est une information qui ne saurait être ignorée.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 202 1, les sociétés M6 ont demandé au tribunal de rejeter cette demande de révocation de l’ordonnance de clôture au motif qu’elle est dilatoire, la décision d’auto-saisine de l’Autorité de la concurrence n’ayant pas pour objet de statuer sur les arguments de la société MOLOTOV sclon lesquels les sociétés M6 auraient été tenues de lui consentir la distribution de ses chaînes en clair dans son offre gratuite, et en l’absence de cause grave, la défenderesse indiquant elle-même que le tribunal dispose du pouvoir et de la compétence nécessaire pour constater par lui-même le manquement des sociétés M6.

Sur ce,

L’article 803 du code de procédure civile dispose que « L’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue ; la constitution d’avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l’instruction, l’ordonnance de clôture n’est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout.

L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal ».

En l’espèce, l’engagement dit « E13 » (point 495 et suivants de la décision n°19-DCC-157 du 12 août 2019 de l’Autorité de la concurrence) prévoit que « chaque xxx proposera à tout distributeur tiers qui en ferait la demande, la distribution de ses Chaînes de la TNT en clair et de leurs Services et Fonctionnalités Associés, à des conditions techniques, commerciales et financières, transparentes, objectives et non discriminatoires ».

La société MOLOTOV soutient dans ses écritures que l’action engagée par les sociétés M6 est mal fondée et présente un caractère abusif en l’absence d’offre de leur part répondant aux conditions de transparence, d’objectivité et de non discrimination exigées par l’Autorité de la concurrence et que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaître des manquements des sociétés demanderesses aux engagements imposés par l’Autorité de la concurrence.

Il résulte cependant des pièces d’ores et déjà communiquées par les parties que la validité des conditions générales de distribution du groupe M6, et notamment la clause 3.1 des conditions générales de distribution, dite de « paywall », dispositif par lequel l’éditeur bloque l’accès à une partie du contenu proposé par un site ou l’application pour des utilisateurs non abonnés, a déjà été soumise au tribunal de commerce puis à la cour d’appel de Paris, laquelle a, par arrêt du 18 novembre 2020 (pièce 56 Z) rejeté les demandes de la société MOLOTOV dont les griefs n’étaient pas suffisamment établis.

De plus, la société MOLOTOV qui avait saisi l’Autorité de la concurrence le 12 juillet 2019 aux fins d’une part de voir sanctionner des pratiques anticoncurrentielles auxquelles se seraient livrés les groupes TF1 et Z et d’autre part de voir ordonner, à titre de mesure conservatoire, au groupe M6 de reprendre, dans l’attente de la décision au fond de l’Autorité, la mise à disposition de ses chaînes et services à la plateforme Molotov aux conditions contractuelles en vigueur à la date du 31 mars 2018, a été déboutée de ses demandes par décision de l’Autorité n°20-D-08 du 30 avril 2020 (pièces 52 à 55 Z).

Enfin, la société MOLOTOV a produit l’interprétation de l’engagement E 13 faite par le chef du service des concentrations de l’Autorité de la concurrence (pièces 63 et 63 bis MOLOTOV).

Par conséquent, le tribunal dispose des éléments suffisants pour statuer sur les moyens développés par la défenderesse relatifs au respect de l’engagement E 13 par les demanderesses et la décision d’auto-saisine de l’Autorité de la concurrence du 5 juillet 2021 n’apparaît dès lors pas comme une cause grave, postérieure à l’ordonnance de la clôture et justifiant sa révocation. La société MOLOTOV sera donc déboutée de sa demande.

Sur l’intérêt à agir des sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6

La société MOLOTOV fait valoir que les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 sont irrecevables en leur action en l’absence d’intérêt légitime à agir. Elle indique qu’une action en contrefaçon ne saurait poursuivre un intérêt légitime lorsque le titulaire des droits a le devoir, avant d’engager et poursuivre une telle action, de négocier de bonne foi avec la partie assignée les conditions d’un contrat d’exploitation, et qu’il a néanmoins omis de lui soumettre une offre raisonnable et dépourvue de clause illicite, car dans une telle circonstance, la partie qui exploite sans titre les droits de propriété intellectuelle en cause est poussée dans cette situation par la seule faute du titulaire des droits, qui l’a privée de toute chance de régulariser sa situation dans le cadre d’un accord négocié. Les sociétés du groupe M6 ne sauraient donc disposer d’un intérêt à agir légitime alors qu’elles avaient l’obligation, à l’occasion des discussions entreprises entre le 30 octobre 2017 et le 31 mars 2018 en vue de définir un nouvel accord de distribution, de proposer et négocier de bonne foi avec la société MOLOTOV et ce, afin notamment de ne pas rompre leur engagement auprès du CSA et l’objectif légal de reprise universelle et gratuite des chaînes en clair posé par l’article 96-1 de la loi du 30 septembre 1986 et qu’elles ont manqué à cette obligation en cherchant à lui imposer une clause de « paywall » totalement illicite tant au regard de cet article que de l’article L442-6 du code du commerce.

Les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 opposent que la société MOLOTOV, qui ne conteste pas exploiter depuis près de trois ans, sans autorisation ni rémunération, leurs chaînes et porter ainsi atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle, présente un moyen de défense au fond comme une prétendue fin de non-recevoir. En effet, les conditions d’exercice de l’action en contrefaçon par les demanderesses, que la défenderesse considère comme abusives, doivent être examinées au fond et non in limine litis, au titre de la recevabilité.

Sur ce,

L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l’espèce, l’action engagée par les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 se fonde sur les articles L. 216-1, L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire les droits voisins du droit d’auteur dont sont titulaires les entreprises de communication audiovisuelle et le droit des marques, dont l’atteinte à une marque renommée. Or, outre la prescription de l’action, tant en droit d’auteur qu’en droit des marques, la recevabilité de l’action en contrefaçon n’est conditionnée que par la preuve de la titularité des droits du demandeur, l’article L. 716-4-2 prévoyant expressément que l’action civile en contrefaçon est engagée par le titulaire de la marque ou par le licencié avec le consentement du titulaire, sauf stipulation contraire du contrat.

Il ressort de la consultation établie le 15 juin 2021 par le B C, produite en pièce 80 par la société MOLOTOV, que «L’abus de droit est en effet couramment sanctionné au fond, principalement par l’engagement de la responsabilité civile de son auteur » ; que « Dans la mesure où le titulaire d’un droit abuse de sa substance même, peu important la forme procédurale par laquelle s’exprime l’abus, c’est le contrôle du bien-fondé de son action plutôt que celui de sa recevabilité qui apparaît à première vue comme le plus approprié. » ; que « Une telle approche semble d’ailleurs confirmée par le fait que l’abus de droit d’agir en justice n’est pas sanctionné par l’irrecevabilité de l’action mais par une amende civile accompagnée, le cas échéant, de dommages-intérêts (v. pour un rappel récent : C’iv. lère, 26 févr. 2020, n° 18-19.979) » ; que l’abus du droit d’agir en justice doit être distingué de «l’hypothèse de l’abus de droits substantiels, en particulier l’abus de droits de propriété intellectuelle. En ce cas, l’action en justice est potentiellement fondée et a des chances de succès, contrairement à l’hypothèse de l’abus du droit d’ester en justice. Mais, parce qu’elle est exercée pour de mauvaises raisons et dans des circonstances contestables, cette action en justice devient le support, l’instrument, d’un abus de droit substantiel, tel l’abus de droits de propriété intellectuelle. » ; que « l’usage d’un droit légal se change en abus de ce droit légal quand il en est fait un usage contraire à la moralité. » ; que « cette irrecevabilité pour défaut de légitimité de l’intérêt à agir pourrait résulter tant d’une faute précontractuelle que de la violation d’un engagement contractuel » (G. Wicker, La légitimité de l’intérêt à agir, préc., n° 22 et s.) » et que, par conséquent, « l’exercice abusif d’un droit lors d’une action en justice, d’autant plus lorsque l’action intervient après une possible faute précontractuelle, peut très bien priver son titulaire de tout intérêt légitime et l’exposer à l’irrecevabilité de son action en justice. On pourrait donc concevoir en l’espèce, sous réserve de l’appréciation Jactuelle du juge, une irrecevabilité de l’action intentée par les éditeurs de chaînes de télévision en raison de leur refus fautif de conduire des négociations sur des bases acceptables et de leur éventuelle volonté de hâter une action en justice alors même que la procédure de contrôle des concentrations était encore pendante devant l’Autorité de la concurrence et proche d’aboutir à un engagement de faire une offre de distribution à des conditions objectives, transparentes et non-discriminatoires. »

Aux termes de cette analyse dont se prévaut la défenderesse, l’abus résultant de l’exercice d’une action par ailleurs bien fondée suppose que soit caractérisée une faute précontractuelle ou la violation d’un engagement contractuel constitutives d’un abus des droits de propriété intellectuelle. Or l’existence d’une telle faute suppose un examen au fond des conditions dans lesquelles se sont déroulées les négociations entre le groupe M6 et la société MOLOTOV entre le 30 octobre 2017 et le 31 mars 2018 en vue de définir un nouvel accord de distribution.

Par ailleurs, comme l’a indiqué le Tribunal de l’Union européenne dans son arrêt T-111/96 (ITT Promedia NV) du 17 juillet 1998, « le fait de pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle et le contrôle juridictionnel qu’il implique est l’expression d’un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres et qui a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (voir arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, points 17 et 18). L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus de position dominante au sens de l’article 86 du traité. » et « une action en justice ne peut être qualifiée d’abusive, au sens de l’article 86 du traité, que si elle ne peut pas être raisonnablement considérée comme visant à faire valoir les droits de l’entreprise concernée et ne peut, dès lors, servir qu’à harceler l’opposant ».

Mais en l’espèce, l’action des sociétés M6 a été engagée dès le mois d’avril 2018 alors que la création de la plateforme SALTO n’a été avalisée par l’Autorité de la concurrence qu’en août 2019, soit plus d’un an plus tard. Elle a pour objet de faire cesser la diffusion de leurs services de télévision et l’usage de leurs marques, sous astreinte, ainsi que l’octroi de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon commis depuis le 1er avril 2018 et n’a donc pas pour seul objectif, comme le soutient la défenderesse, de faire obstacle à l’activité d’un concurrent exploitant une plateforme de diffusion de programmes audiovisuels.

Par conséquent, la société MOLOTOV sera déboutée de sa fin de non-recevoir et, la titularité des droits de propriété intellectuelle opposés par les sociétés demanderesses n’étant pas contestée, celles-ci seront déclarées recevables en leur action.

Sur la contrefaçon de droits voisins du droit d’auteur et de marques

Les sociétés M6 font valoir qu’il n’est pas contesté que, depuis le 1er avril 2018, la société MOLOTOV exploite les programmes et les marques du groupe M6 sans autorisation, faute pour les parties de s’être entendues sur les conditions d’un accord de distribution au-delà du terme du contrat établi à titre expérimental le 5 juin 2015 et ayant pris fin le 31 mars 2018 et ce, malgré la sommation adressée le 20 mars 2018 à la défenderesse, ce qu’elles ont fait constater par huissier de justice les 5 avril 2018 et 20 novembre 2020. Sont ainsi caractérisées, selon elle, la reproduction et la mise à disposition de leurs programmes en violation de leurs droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle ainsi que la reproduction à l’identique des marques dont la société METROPOLE TELEVISION est titulaire et l’atteinte portée à ces marques renommées.

Les demanderesses soutiennent qu’elles sont libres de déterminer les conditions contractuelles de diffusion de ses chaînes, qui ne peuvent lui être imposées par la société MOLOTOV en application du principe de liberté contractuelle, conforté par les droits de propriété intellectuelle qui permettent au titulaire des droits de déterminer les conditions de leur exploitation par un tiers.

Elles ajoutent que les conditions de distribution du groupe M6 sont licites au regard de la loi de 1986 sur l’audiovisuel, de la règlementation sur les pratiques restrictives de la concurrence, du droit de la concurrence et des concentrations et qu’elles excluent de ce fait tout risque d’abus au préjudice de la société MOLOTOV.

La société MOLOTOV réplique que les demandes des sociétés M6 sur le fondement des droits voisins du droit d’auteur sont mal fondées car abusives en ce que la présente action a été engagée sans avoir été précédée d’une négociation de bonne foi des conditions d’un accord de distribution exempt de clause de « paywall », ce qui constitue une violation des articles 1104 et 1112 du code civil, des conventions des chaînes concernées conclues avec le CSA, de l’article L442-5 (devenu L442-6) du code de commerce, ainsi que du régime des chaînes gratuites résultant de la loi du 30 septembre 1986, notamment son article 96-1. Subordonner la conclusion d’un accord à l’acceptation d’une clause de paywall constitue également une résistance fautive à l’exécution du jugement du tribunal de commerce du 11 février 2019 qui a pourtant ordonné qu’elle ne soit pas opposée à la société MOLOTOV, et qui, étant assorti de l’exécution provisoire, devait être respecté, comme l’a rappelé la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 20 janvier 202 1.

La société MOLOTOV ajoute que la fin de l’accord du 5 juin 2015 n’a pas été précédée d’un préavis suffisant, et parait donc également contraire à l’article L442-6 I 5° (devenu L442-1 I 1°) du code de commerce, les conditions générale de distribution du groupe M6 incluant la clause de « paywall » ne lui ayant été communiquées que le 4 décembre 2017. Dans ce contexte, la prolongation du contrat jusqu’au 31 mars 2018 pour seulement trois mois supplémentaires était largement insuffisante. L’engagement de la présente procédure dès le 4 avril 2018, sans attendre l’expiration du préavis raisonnable qui aurait dû être accordé à la société MOLOTOV est donc, de ce fait également, abusif.Enfin, la société MOLOTOV fait valoir que le caractère abusif de l’action des sociétés M6 est caractérisé par le fait d’avoir poursuivi la procédure et maintenu leurs demandes devant le tribunal, alors même qu’elles n’ont, à ce jour, toujours pas transmis une offre répondant aux conditions de transparence, d’objectivité et de non-discrimination exigées par l’Autorité de la concurrence dans sa décision du 12 août 2019, continuant à subordonner cette offre à l’acceptation d’une clause de « paywall », qu’elles sont déterminées à empêcher toute reprise de leurs chaînes par la société MOLOTOV et ont cherché à lui imposer, en alternative à l’acceptation d’un «paywall », un barème dont l’application conduisait au paiement d’une redevance totalement prohibitive et que ces agissements s’inscrivent manifestement dans la stratégie d’éviction poursuivie par le groupe M6.

Sur ce,

— contrefaçon des droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle

L’article L.216-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Sont soumises à l’autorisation de l’entreprise de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes, ainsi que leur mise à la disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci moyennant paiement d’un droit d’entrée.

Sont dénommées entreprises de communication audiovisuelle les organismes qui exploitent un service de communication audiovisuelle au sens de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, quel que soit le régime applicable à ce service. »

L’article L.335-4 du même code prévoit que « Est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion (…) d’un programme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, (…) de l’entreprise de communication audiovisuelle. »

— matérialité de la contrefaçon

En l’espèce, il n’est pas contesté que la société MOLOTOV continue de proposer, depuis le 1er avril 2018 et en dehors de tout contrat de distribution, sur la plateforme du même nom qu’elle exploite, les programmes des chaînes M6, W9 et 6ter, ce qui ressort également des constats d’huissier établis les 5 avril 2018 et 20 novembre 2020 (pièces 17 et 59 Z).

Sont ainsi réalisés des actes de reproduction et de mise à disposition des programmes sur lesquels les demanderesses sont titulaires de droits voisins du droit d’auteur en tant qu’entreprises de communication audiovisuelle.

— non-respect de l’article 96-1 de la loi du 30 septembre 1986 et des conventions signées avec le CSA

S’agissant des moyens invoqués par la société MOLOTOV pour justifier de la reproduction et de la mise à disposition des programmes des chaînes M6, W9 et 6ter, la défenderesse fait tout d’abord valoir que les négociations n’ont pas été menées de bonne foi par les demanderesses qui n’ont pas respecté les conventions qu’elles ont passé avec le CSA et l’article 96-1 de la loi du 30 septembre 1986 sur la communication audiovisuelle. La défenderesse rappelle qu’aux termes des conventions conclues avec le CSA, chacune de ces chaînes « fait l’objet d’une reprise intégrale et simultanée par les réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel » (pièces 31 à 33 MOLOTOV), ce qui ne fait que concrétiser l’objectif de diffusion universelle des chaînes en clair auprès de l’ensemble de la population française, y compris les utilisateurs d’Internet, qui est légalement consacré par l’article 96-1 de la loi du 30 septembre 1986 en ces termes : « Les services nationaux de télévision en clair diffusés par voie hertzienne en mode numérique sont diffusés ou distribués gratuitement auprès de 100 % de la population du territoire métropolitain. A cette fin, sans préjudice d’autres moyens, leur diffusion ou distribution emprunte la voie hertzienne terrestre, la voie satellitaire et les réseaux établis par les collectivités territoriales et leurs groupements dans les conditions prévues par l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales ». Selon la société MOLOTOV, sauf à violer les dispositions susvisées, les sociétés M6 ne sauraient faire obstacle à cet objectif en refusant de négocier les conditions d’un contrat de distribution et/ou en subordonnant la conclusion de celui-ci à des conditions abusives, tel qu’une clause de « paywall » illicite. Elle se réfère également aux dispositions de l’article 34-4 de la même loi qui prévoit que « Sans préjudice des articles 34-1 et 34-2, tout distributeur de services fait droit, dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, aux demandes des éditeurs de services de télévision ne faisant pas appel à rémunération de la part des usagers et dont la diffusion est autorisée conformément aux articles 30 ou 30-1 tendant, d’une part, à permettre l’accès, pour la réception de leurs services, à tout terminal utilisé par le distributeur pour la réception de l’offre qu’il commercialise et, d’autre part, à assurer la présentation de leurs services dans les outils de référencement de cette offre. ».

Cependant, il a été jugé par le Conseil d’État dans son arrêt du 7 décembre 2011, n° 321349 (pièce 38 Z), que les éditeurs privés de services audiovisuels gratuits visés par ces dispositions ne sont pas tenus de mettre les services qu’ils éditent à la disposition des distributeurs, hors les exceptions prévues aux articles 34-1, 98-1 et 98-2 de la même loi, et donc qu’aucune obligation légale de mise à disposition de son signal à un distributeur par satellite ne pesait sur l’éditeur privé du service gratuit M6.

Par ailleurs, l’obligation posée par le premier alinéa de l’article 96-1 de loi du 30 septembre 1986 faisant obligation aux chaînes de la TNT en clair d’assurer gratuitement leur diffusion auprès de 100% de la population du territoire métropolitain ne leur impose pas d’être reçues en clair et gratuitement sur l’ensemble des réseaux, dont Internet, mais seulement par la voie hertzienne terrestre. Or le groupe M6 assure lui-même la diffusion en clair des chaînes M6, W9 et 6ter sur le réseau TNT, conformément à la disposition précitée.

Aucune obligation légale de mise à disposition de leur signal à un distributeur par tout autre moyen que la voie hertzienne, que ce soit par satellite ou, comme en l’espèce, par internet, ne pesant sur les demanderesses, leur refus de contracter avec la société MOLOTOV ne peut être considéré comme fautif.

— violation de l’article L442-6 du code de commerce

La société MOLOTOV invoque également une violation par les demanderesses de l’article L442-6 (anciennement L442-5) du code de commerce qui dispose que « Est puni d’une amende de 15 000 € le fait par toute personne d’imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’un bien, au prix d’une prestation de service ou à une marge commerciale. ». Selon elle, la clause de « paywall » contenue dans les conditions générales de distribution du groupe M6 a précisément pour effet de restreindre par contrat la possibilité pour un distributeur de déterminer librement le prix de revente de ses services dès lors qu’il a payé en amont le prix de son fournisseur. Le seul fait d’avoir exclu la faculté, pour la société MOLOTOV, de proposer les chaînes en clair accessibles aux consommateurs dans le cadre d’une offre gratuite suffit donc à caractériser l’imposition d’un caractère minimal au prix pratiqué, interdisant à la défenderesse de proposer aux consommateurs les chaînes de la TNT en clair concédées à un prix de zéro.

La clause 3.1 des conditions générales de distribution du groupe M6 est ainsi libellée : « 3.1. Offre de M6 : offre de télévision (i) composée a minima d’un Bouquet Basique tel que visé à l’article 4.1.1. [bouquet accessible par 100 % des abonnés éligibles à la télévision sur le canal n°6 pour le bouquet basique M 6 ; idem pour le bouquet basique W9 accessible sur le canal n° 9 et pour le bouquet basique 6ter accessible sur le canal 22) incluant des chaînes thématiques, des services non linéaires associés à ces chaînes et des chaînes de la TNT (ce Bouquet ne pouvant être constitué essentiellement de chaînes de la TNT en clair et/ou de leurs services de télévision de rattrapage), (li) commercialisée par le Distributeur directement auprès du public, dans le cadre d’un abonnement payant et (iii) exploités sous sa seule marque auprès de ses Abonnés. Cette offre est accessible en mode numérique via les Réseaux par l’intermédiaire des Terminaux d’accès. »

Elle ne peut être analysée en une pratique illicite tendant à imposer un prix minimal de prestation de services dès lors que, si elle impose que les chaînes en clair M6, W9 et 6ter ne soient offertes que dans le cadre d’un abonnement payant, empêchant le distributeur de distribuer gratuitement par internet les chaînes gratuites de la TNT, elle ne fixe pas le prix du dit abonnement, la société MOLOTOV étant libre de déterminer le tarif de ses offres, notamment celle dénommée « Extended ». Elle ne traduit donc pas une tentative du groupe M6 de s’immiscer de façon unilatérale dans la liberté de la société MOLOTOV de déterminer elle-même ses prix de revente telle que prévue par l’article L410-2 du code de commerce.

— résistance fautive dans l’exécution du jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 février 2019

La société MOLOTOV reproche par ailleurs aux sociétés du groupe M6 d’avoir fait preuve d’une résistance fautive à l’exécution du jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 février 2019 ayant déclaré la clause 3.1 des conditions générales de distribution précitée non opposable à la société MOLOTOV du fait de son illicéité, décision assortie de l’exécution provisoire.

Il ressort cependant de l’arrêt du 18 novembre 2020 que la cour d’appel de Paris a réformé ce jugement en toutes ses dispositions et débouté la société MOLOTOV de l’ensemble de ses demandes. Si la société MOLOTOV a formé un pourvoi en cassation n° N 20-22.447, une requête en radiation a été déposée par les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 en l’absence d’exécution de l’arrêt du 18 novembre 2020.

De plus, dans son arrêt du 20 janvier 2021, statuant en appel d’une ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris du 10 juillet 2020 ayant enjoint les parties à reprendre leurs négociations aux conditions contractuelles qui ont prévalu entre elles de la signature du contrat de distribution le 5 juin 2015 jusqu’à sa dénonciation le 3 l mars 2018, et cela, jusqu’aux décisions à intervenir au fond au terme des deux procédures en cours, tant devant la cour d’appel de Paris que devant l’Autorité de la concurrence, la cour d’appel de Paris a jugé que le trouble manifestement illicite dont faisait état la société MOLOTOV a cessé à compter du prononcé de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 novembre 2020.

La décision du 11 février 2019 ayant été réformée par la cour d’appel, la société MOLOTOV ne peut se prévaloir de sa non exécution fautive par les sociétés demanderesses, y compris en ce qui concerne la reprise des négociations dans les conditions du contrat ayant pris fin le 31 mars 2018.

— insuffisance du délai de préavis

La société MOLOTOV estime qu’elle n’a pu bénéficier d’un préavis suffisant pour prendre connaissance des conditions générales de distribution du groupe M6 qu’elle n’a reçues que le 4 décembre 2017, alors que le contrat devait arriver à échéance le 31 décembre 2017 et n’a été reconduit que pour une durée de trois mois supplémentaires jusqu’au 31 mars 2018, en violation de l’article L442-1 I 1° (anciennement L442-6 I 5°) du code de commerce qui prévoit que « 

— Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :

1° D”obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou – manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ».

Toutefois, dans ses conditions générales de distribution, le groupe M6 impose que les chaînes en clair de la TNT soient accessibles de manière indissociable au sein d’une offre de télévision payante, tandis que le distributeur fixe librement le prix de l’abonnement à ses offres et qu’il verse à ses fournisseurs une rémunération. Les clauses générales de distribution constituent donc la mise en œuvre, selon une modalité non dépourvue de contrepartie pour la société MOLOTOV, des droits conférés au chaînes du groupe M6 en vertu de l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, qui soumet à autorisation de l’entreprise de communication audiovisuelle exploitant un service de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes ainsi que leur mise à disposition du public. La circonstance que soit exigé un paiement pour une telle autorisation, en même temps que soit imposé au distributeur de ne pas diffuser ces mêmes chaînes en dehors de bouquets payants, ne caractérise nullement une absence de contrepartie à cette dernière obligation et ce, indépendamment des spécificités du modèle économique de la société MOLOTOV.

En toute hypothèse, il n’est pas démontré que la prorogation des négociations jusqu’au 31 mars 2018 était insuffisante pour permettre aux parties de parvenir à un accord sur la base des conditions générales de distribution communiquées par les demanderesses.

— poursuite de l’action en contrefaçon en l’absence d’offre répondant aux conditions de transparence, d’objectivité et de non discrimination imposées par l’Autorité de la concurrence

La société MOLOTOV considère qu’en poursuivant leur action en contrefaçon alors qu’elles ne lui avaient pas transmis une offre répondant aux conditions de transparence, d’objectivité et de non discrimination fixées par l’Autorité de la concurrence dans sa décision rendue le 12 août 2019 à l’occasion de l’opération de concentration SALTO, les demanderesses ont commis un abus de leurs droits de propriété intellectuelle.

Elle soutient en premier lieu que l’engagement E13 contraint les sociétés M6 à formuler une offre de distribution expurgée de toute clause lui interdisant de proposer à ses utilisateurs les chaînes de la TNT gratuite du groupe M6 dans une offre gratuite (ou l’obligeant à les proposer dans une offre payante). Cependant, l’interprétation du chef du service des concentrations de l’Autorité de la concurrence dont elle se prévaut se borne à indiquer que « Dans la mesure où l’engagement E.13 vise « tout distributeur tiers qui lui en ferait la demande »», nous considérons qu’il n’établit pas de distinction selon la nature de l’offre proposée par le distributeur au consommateur final (offre payante ou gratuite) et que cet engagement oblige donc les Mères à proposer la distribution de leurs chaînes à chaque distributeur, quelle que soit la nature de son offre de distribution. » et « Cette interprétation est la conséquence logique du risque concurrentiel que vise à couvrir E.13 qui est destiné, notamment, à répondre au risque de verrouillage des intrants des mères sur le marché de l’édition et de la commercialisation des chaînes de la TNT en clair. Or, sur ce marché, l’Autorité ne procède à aucune distinction selon le type de distributeurs, tous étant actifs, en tant que demandeur, sur le marché » (mails du 20 novembre 2020, pièces 63 et 63 bis MOLOTOV).

Dès lors, si les « Mères » telles que les chaînes du groupe M6, sont tenues de formuler une offre à chaque distributeur, quel que soit le type d’offre qu’il propose, elles ne sont nullement tenues de ne formuler que des offres ne comportant pas de clause dite de « paywall », comme le soutient la société MOLOTOV. Et au demeurant, les demanderesses ont indiqué à deux reprises à la société MOLOTOV, postérieurement à la décision de l’Autorité de la concurrence du 12 août 2019, qu’elles étaient disposées à lui transmettre une offre respectant les critères posés si elle lui en faisait la demande (courriers du 2 octobre 2019, pièces 45 et 49 Z) puis ont réitéré une offre conforme à leurs conditions générales de distribution par courrier du 15 juillet 2020 (pièce 52 MOLOTOV ) et courriel du 11 septembre 2020 (pièce 55 MOLOTOV). Enfin, comme l’a jugé la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 22 janvier 2021 et devant laquelle le même courriel avait été produit, « ce courriel n’indique pas de manière expresse et indubitable le maintien de cette obligation au seul titre de l’engagement E.13 et il est dépourvu de toute valeur contraignante. Au demeurant et à titre surabondant, dans le cas inverse, il n’aurait de toute façon appartenu qu’à la seule Autorité de la concurrence de veiller à l’exécution des engagements pris devant elle (Conseil d’État, Assemblée, 21/03/2016, 390023, considérant n° 8). »

En second lieu, la société MOLOTOV fait valoir qu’une clause de «paywall » ne répond pas à la condition que l’offre soit objective puisque exiger que la distribution des chaînes intervienne exclusivement dans le cadre d’un bouquet payant ne tient « objectivement » aucun compte de certaines caractéristiques du marché et du modèle de distribution « freemium » de la défenderesse. Outre que cela est légalement impossible au vu du droit audiovisuel en vigueur, la société MOLOTOV dit n’être pas non plus économiquement en mesure de conditionner l’accès par ses clients aux chaînes en clair à la souscription d’un abonnement payant et tout au plus peut-elle inclure ces services au sein d’une offre « de premier niveau » qui ne peut être que gratuite (puisqu’elle ne fait que reproduire une offre que Z elle-même commercialise gratuitement sur sa propre plateforme OTT et par ailleurs disponible gratuitement sur la TNT), et par la suite, inciter ses utilisateurs à souscrire des abonnements payants incluant notamment des services ou fonctionnalités associés supplémentaires présentant une réelle valeur ajoutée.

Toutefois, l’impossibilité de faire payer au consommateur son offre de premier niveau ne résulte que du choix par la société MOLOTOV du modèle « freemium » et elle ne peut, sans se heurter au principe de liberté contractuelle posé notamment par l’article 1102 du code civil, imposer au groupe M6 une modification de ses conditions générales de distribution pour les adapter à ce modèle « freemium » alors que ce sont celles offertes à tous les distributeurs avec lesquels le groupe M6 a contracté.

En troisième lieu, la société MOLOTOV fait valoir que la clause de « paywall » ne répond pas davantage à la condition que l’offre soit non discriminatoire dans la mesure où les chaînes M6, W9 et 61ter étant déjà accessibles gratuitement, via notamment la TNT et la voie satellitaire, la clause de « paywall », qui implique de soumettre les télespectateurs au paiement d’une redevance lorsqu’elles sont diffusées par le moyen d’autres technologies de communication électronique, notamment sur Internet, est en elle-même intrinsèquement discriminatoire. Elle ajoute que les sociétés demanderesses ne nient pas qu’elles n’ont pas imposé un « paywall » à la société Z DISTRIBUTION, exploitante de la plateforme « 6Play » où leurs chaînes sont effectivement diffusées gratuitement auprès des internautes, alors que la plateforme « 6Play » est accessible sur Internet comme celle de la société MOLOTOV. Par ailleurs, contrairement à ses allégations, le groupe M6 a notamment accepté que les fournisseurs d’accès internet (FAI) tels que FREE et ORANGE ne placent pas l’accès aux chaînes du groupe M6 derrière un «paywall». Enfin, la société MOLOTOV réfute l’argument des sociétés du groupe M6 selon lequel le principe de non discrimination imposerait que l’offre faite à la défenderesse soit assortie d’une obligation de «paywall» au motif que les autres distributeurs (essentiellement les FAI) l’auraient prétendument acceptée, non seulement parce qu’il n’est pas établi qu’ils aient effectivement accepté cette clause, mais également parce que ces FAI sont dans une situation très différente de la sienne.

Il a cependant été jugé supra que la clause de « paywall » était conforme aux dispositions de la loi du l’article 96-1 de la loi du 30 septembre 1986 sur la communication audiovisuelle et, en l’absence d’obligation légale de mise à disposition par les chaînes de la TNT de leur signal à un distributeur par tout autre moyen que la voie hertzienne, notamment par internet, la discrimination alléguée, en fonction de la technologie utilisée par le distributeur, n’est pas établie. L’exploitation de la plateforme 6play correspond à une auto-distribution, par une filiale, des programmes des chaînes du groupe M6 et les conditions juridiques n’en étant pas précisées, le tribunal ne peut porter d’appréciation sur leur caractère discriminatoire aux dépens de la société MOLOTOV. Quant aux fournisseurs d’accès internet FREE et ORANGE, quand bien même les chaînes de la TNT gratuite sont comprises dans leur offre de premier niveau de service dite « triple play » (téléphone, internet, flux vidéo) à laquelle le consommateur accède dans le cadre d’un abonnement dont une partie ne peut être directement affectée à la composante télévisuelle de leur offre, il n’en demeure pas moins que le consommateur qui souhaite accéder aux chaînes gratuites de la TNT ne peut le faire qu’après souscription des services contre paiement. Et il ressort des articles de presse produits en pièces 36 à 40 par la société MOLOTOV que la société Z a renégocié ses contrats avec ses diffuseurs (Altice-SFR, Canal +, Orange, Bouygues Telecom et enfin, en avril 2018, FREE) afin d’obtenir une rémunération pour la fourniture de ses chaînes en clair qu’il fournissait jusque là gratuitement, ce qui atteste de ce que tous se sont vus opposer les mêmes conditions générales de distribution. La société MOLOTOV échoue donc à établir la caractère discriminatoire des conditions générales de distribution des demanderesses.

— tentative du groupe M6 d’imposer un prix prohibitif

La société MOLOTOV affirme que le caractère abusif de la poursuite de l’action en contrefaçon résulte du prix prohibitif que les sociétés M6 ont tenté de lui imposer en alternative au « paywall » dans le cadre de la reprise des négociations intervenue à la suite de l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Paris du 10 juillet 2020 et jusqu’au 18 novembre 2020, date de l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant déclaré valide la clause de « paywall ». En effet, ce prix était basé sur le nombre d’utilisateurs inscrits, ayant ouvert un compte sur la platcfonne Molotov, et non sur le nombre d’utilisateurs actifs, portant la redevance annuelle à la somme de 157 millions d’euros, soit cent fois plus que dans le cadre du contrat du 6 juin 2015, excluant toute perspective de rentabilité et créant un déséquilibre significatif en violation de l’article L442-1 I 2° du code de commerce.

Aux termes de cet article, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

En l’espèce, le montant de la redevance annuelle que la société MOLOTOV estime prohibitif résulte de l’application des conditions générales de distribution du groupe M6, lequel précisait dans le courrier du 15 juillet 2020 que « C’est sur cette base que nous sommes disposés à négocier avec vous des conditions particulières, notamment financières, prenant en compte les 10 millions d’abonnés à votre offre de base gratuite (Cf. votre communiqué de presse en date du 29 janvier 2020) et ce, à titre dérogatoire pour votre société compte tenu de cette ordonnance, sous toute réserve des décisions de la Cour d’Appel à intervenir en référé et au fond ». L’existence d’un désaccord entre les parties quant à la base de calcul de cette redevance, selon que sont pris en compte le nombre d’abonnés ou le nombre d’utilisateurs actifs, et les conséquences financières en résultant, ne suffisent pas à caractériser un déséquilibre significatif dès lors que la redevance constitue la mise en œuvre des droits conférés aux demanderesse par l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, selon une modalité non dépourvue de contrepartie pour la société MOLOTOV qui se voit autorisée à diffuser les programmes des chaînes M6, W9 et 6ter.

— stratégie d’éviction mise en œuvre par le groupe M6

Enfin, la société MOLOTOV estime que la poursuite de l’action en contrefaçon des droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle s’inscrit dans une stratégie d’éviction et caractérise un abus de la position dominante que chacune des demanderesses détient, et un abus de la dépendance économique dans laquelle se trouve la défenderesse vis-à-vis du groupe M6. Elle indique que le groupe M6 a un intérêt direct à ce que la platcforme SALTO ne subisse pas la concurrence de la plateforme Molotov et en la contraignant à ne donner accès à ces chaînes gratuites de la TNT qu’à la condition que ses abonnés souscrivent à une offre de bouquet payant, le groupe M6 parviendrait à dégrader très substantiellement l’attractivité de ce service concurrent de la plateforme SALTO. Le but du groupe M6 est aussi de s’arroger l’exclusivité du modèle « Freemium », en empêchant la société MOLOTOV de proposer ses abonnements payants aux utilisateurs consultant gratuitement les chaînes du groupe M6 sur sa plateforme, alors que de son côté, Z et TF1 leur proposeront l’accès à SALTO depuis leurs platcformes gratuite 6Play et MyTF1, reproduisant le même modèle « Freemium » qu’elles critiquent.

L’article L420-2 du code de commerce dispose que « Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L. 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme. »

En l’espèce, la société MOLOTOV ne caractérise ni le marché pertinent sur lequel la position dominante serait caractérisée, ni l’existence d’une position dominante du groupe M6, ni la situation de dépendance économique qu’elle allègue. Au demeurant, l’Autorité de la concurrence s’est déjà prononcée sur les griefs de la société MOLOTOV dans sa décision n° 20-D-08 du 30 avril 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’édition et de la commercialisation de chaînes de télévision, aux termes de laquelle elle a considéré que ni la saisine, ni le dossier ne comportent d’éléments susceptibles de démontrer l’existence d’une telle position détenue collectivement par les groupes France Télévisions, TF1 et Z et que, s’agissant de l’allégation d’abus de dépendance économique, d’une part la société MOLOTOV ne conduit pas l’analyse, comme le requiert la jurisprudence, de la situation de dépendance économique dans laquelle elle se trouverait vis-à-vis de chacun des deux groupes TF1 et Z et d’autre part elle n’apporte pas d’éléments permettant d’estimer la part que représentent les chaînes et services des groupes TF1 et Z respectivement dans son chiffre d’affaires total.

Par conséquent, la société MOLOTOV ne rapporte pas la preuve du caractère abusif de l’action engagée par les sociétés du groupe M6, susceptible de les priver de la possibilité de lui reprocher d’avoir commis des actes de contrefaçon des droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle et faisant ainsi obstacle à leur action devant ce tribunal. La reproduction et la mise à la disposition au public des programmes des chaînes M6, W9 et 6ter, sans autorisation des sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 étant établie, les actes de contrefaçon reprochés à la société MOLOTOV sont donc caractérisés. – contrefaçon de marques

En application des dispositions des articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ; 2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque. »

et « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d’un signe identique ou similaire à la marque jouissant d’une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice ».

S’agissant des marques dont est titulaire la SA METROPOLE TELEVISION, il résulte des procès-verbaux de constat d’huissier précités que les marques n°3661270

et n°3876515 « 6ter » sont reproduites à l’identique sur la plateforme Molotov, tandis que la marque semi-figurative n°3049751 « W9 » est reproduite dans une forme légèrement modifiée, qui correspond au logo de la chaîne du même nom qui emploie un autre type de police et les couleurs grise et violette. Toutefois, un signe est considéré comme identique à la marque s’il reproduit, sans modification ni ajout tous les éléments constituant la marque ou si, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux du consommateur moyen. En l’occurrence les différences de police et de couleur apparaissent insignifiantes pour le consommateur moyen, constitué du grand public s’agissant d’une chaîne de télévision, et qui percevra le signe de la même manière, ce d’autant plus que les éléments verbaux sont prédominants dans la marque semi-figurative opposée.

Les services exploités par la société MOLOTOV sont identiques à ceux visés en classe 41 dans l’enregistrement des marques, soit divertissement, divertissements radiophoniques et par télévision, jeux et divertissements télévisés interactifs, production de spectacles, de films, de téléfilms, d’émissions de télévision, d’émissions musicales, montage de programmes radiophoniques et de télévision.

La reproduction par la société MOLOTOV, sans l’autorisation de la SA METROPOLE TELEVISION, de signes identiques aux marques dont elle est titulaire et utilisés pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels les marques opposées sont enregistrées est donc établie.

S’agissant de l’atteinte aux marques renommées, la renommée des marques dont la SA METROPOLE TELEVISION est titulaire n’est pas établie par les demanderesses qui se contentent d’affiner qu’une atteinte y a été portée sans rapporter la preuve que ces marques sont connues d’une partie significative du public concerné par les produits et services couverts par ces marques.

La société MOLOTOV invoque en défense le caractère abusif des demandes formées sur le fondement du droit des marques, la possibilité de pouvoir désigner les chaînes qu’elle distribue sous leurs marques étant un intrant indispensable pour préserver ses activités, ainsi que l’exception de référence nécessaire pour permettre l’identification des chaînes gratuites de la TNT du groupe M6 sur sa plateforme.

Cependant, la diffusion des programmes des chaînes M6, W9 et 6ter sur la plateforme Molotov, sans autorisation des sociétés M6, EDI Y et M6 étant constitutive d’actes de contrefaçon ainsi qu’analysé plus haut, la reproduction sur cette plateforme des marques dont la SA METROPOLE TELEVISION est titulaire, pour désigner ces services contrefaisants est elle-même illicite et constitutive d’actes de contrefaçon de marques. Et si l’article L. 713-6 I 3° du code de la propriété intellectuelle prévoit que « Une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce : (…) De la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque cet usage est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu”accessoire ou pièce détachée », il ne peut trouver à s’appliquer en l’espèce dès lors que les marques reproduites le sont pour désigner les programmes eux-mêmes illicitement reproduits et mis à disposition du public.

Dès lors, les actes de contrefaçon par reproduction des marques dont la SA METROPOLE TELEVISION est titulaire sont caractérisés. Les demanderesses seront en revanche déboutées de leurs demandes au titre de l’atteinte aux marques renommées.

Sur les actes de parasitisme

Les demanderesses poursuivent également le comportement parasitaire de la société MOLOTOV qui lui a permis de tirer indûment profit de la valeur économique associée aux chaînes M6, W9 et 6ter sans bourse délier grâce à son modèle qui consiste à exploiter les chaînes de la TNT dans un bouquet gratuit comme produit d’appel pour recruter des utilisateurs, collecter leurs données personnelles, leur vendre des services payants, et revendre les données ainsi collectées.

Elles précisent qu’en 2018, les investissements du groupe M6 dans les programmes des chaînes M6, W9 et 6ter se sont élevés à 466 millions d’euros. Au-delà des efforts financiers, la constitution de ces programmes révèle un savoir-faire acquis progressivement depuis que le groupe existe (1987), et les efforts de l’ensemble de leurs collaborateurs. Par ailleurs, les investissements de communication, pour promouvoir les chaînes TNT du groupe M6, s’élèvent à 2.974.000 euros en 2018. L’ensemble caractérise indéniablement une valeur économique considérable que la SA MOLOTOV a détournée sans bourse délier pour rendre sa plateforme attractive et recruter des utilisateurs.

Elles ajoutent que la société MOLOTOV cause un trouble grave et dommageable à leur politique commerciale et à leur image, en relayant dans la presse des informations dénigrantes selon lesquelles elles chercheraient à faire payer les téléspectateurs pour accéder à leur chaînes alors qu’il s’agit seulement de les référencer dans un bouquet payant, comme par exemple son bouquet Extended.

La société MOLOTOV oppose que ces griefs trouvent leur source non pas dans une volonté de sa part de s’affranchir de toute rémunération, mais dans le comportement abusif des sociétés du groupe M6 qui l’ont placée dans cette situation en résiliant brutalement l’accord de distribution initial du 5 juin 2015 à compter du 31 mars 2018, puis en refusant de négocier et signer un nouvel accord à des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires préservant son modèle « freemium ».

Elle rappelle avoir, avant la résiliation du contrat, versé au groupe M6 les montants contractuellement convenus, à savoir 3 millions d’euros sur deux ans et 300 000 euros pour la période couvrant janvier à mars 2018 et avoir réitéré, après que le tribunal de commerce de Paris a rendu son jugement du 11 février 2019, sa volonté de payer le prix convenu et proposé au groupe M6 de convenir d’un montant équitable pour la distribution des chaînes gratuites couvrant la période du ler avril 2018 jusqu’à la formalisation d’un nouvel accord entre les parties. Elle a également proposé à plusieurs reprises une médiation conventionnelle au groupe M6, qui l’a toujours rejetée.

Enfin, les chaînes de la TNT du groupe M6 ont bénéficié, sur la plateforme Molotov, d’une audience importante qui a nécessairement amélioré la position de ces chaînes vis-à-vis des annonceurs publicitaires et partant, leur valorisation en tant que chaînes gratuites et la clause de «paywall» est bien une clause de monétisation qui obligerait les utilisateurs de la plateforme à payer pour accéder aux chaînes gratuites de la TNT Z, W9 et 6ter du groupe M6.

Sur ce,

Sont sanctionnés sur le fondement de l’article 1240 du code civil les actes de parasitisme consistant dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

En l’espèce, les demanderesses justifient par un extrait de leur rapport financier pour l’exercice 2018 des coûts de production de leur grille de programme qui s’élèvent à 466 millions d’euros (pièce 41 Z) ainsi que par une attestation du directeur financier du groupe M6 que le montant des investissements de communication pour les trois chaîne Z, W9 et 6ter s’est élevé à la somme de 2 974 000 euros en 2018 (pièce 42 Z). Elles rapportent donc la preuve de ce que leurs programmes constituent une valeur économique protégeable d’actes de parasitisme. Quand bien même la société MOLOTOV a procédé au paiement des redevances dont elle était redevable du 5 juin 2015 au 31 mars 2018, il n’est pas contesté que depuis le ler avril 2018 elle continue de diffuser les programmes des chaînes M6, EDI Y et M6 sans contrepartie, tirant profit de la popularité de ces programmes, fruit des investissements des défenderesses, pour convaincre de nouveaux utilisateurs de s’inscrire sur sa plateforme (pièce 40 Z) dont l’objectif est de proposer les programmes de toutes les chaînes via une seule plateforme mais aussi d’aider les éditeurs dont le modèle est la publicité à toucher leur public, en faisant en sorte que les utilisateurs voient les publicités les plus pertinentes possibles, au bon format, au bon moment (pièce 44 Z). Ce faisant, la société MOLOTOV tire profit déloyalement et sans bourse délier des investissements et du savoir-faire des demanderesses, générant un avantage concurrentiel indu. Les actes de parasitisme sont donc établis à son encontre.

Sur les mesures réparatrices

Les demanderesses sollicitent en réparation des mesures d’interdiction sous astreinte, l’octroi de la somme de 12 millions d’euros au titre de la contrefaçon des droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle, de la somme de 500 000 euros au titre de la contrefaçon de marques, de la somme de 500 000 euros au titre du parasitisme et des mesures de publication du présent jugement.

La société MOLOTOV soutient que les demanderesses sont en partie responsables de leur propre préjudice du fait de leur attitude fautive. L’octroi des sommes réclamées conjugué à une éventuelle mesure de cessation pourrait aboutir à une véritable « condamnation à mort » de la société MOLOTOV, tant la pérennité même de ses activités et la recherche de nouveaux investisseurs, indispensable pour le maintien de l’entreprise, s’en trouveraient affectées. En toute hypothèse, quel que soit le chef de préjudice envisagé, le quantum des dommages et intérêts sollicité par les sociétés M6 apparaît manifestement disproportionné.

Sur ce,

La réparation du préjudice résultant de l’atteinte aux droits voisins dont sont titulaires les entreprises de communication audiovisuelle obéit aux dispositions de l’article L. 33 1-1-3 du code de la propriété intellectuelle aux termes desquelles « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

En l’espèce, au titre des conséquences négatives résultant du manque à gagner et de la perte résultant de la dégradation de la valeur des chaînes, les demanderesses n’établissent pas que leurs chaînes auraient perdu en attractivité auprès des distributeurs du fait de leur mise à disposition à l’ensemble des utilisateurs accédant gratuitement à la plateforme Molotov. Le tribunal ne peut cependant pas suivre la société MOLOTOV lorsque celle-ci soutient que la poursuite sans autorisation de la diffusion des programmes litigieux a enrichi les demanderesses qui ont bénéficié de revenus publicitaires supplémentaires, sauf à considérer, au mépris des principes de la propriété intellectuelle, que la contrefaçon pourrait produire des effets vertueux en renforçant la visibilité des programmes des titulaires victimes des actes litigieux et constituerait un instrument de promotion.

En revanche, il résulte des conditions générales de distribution, seules communiquées dans le cadre de cette procédure (pièce 14 Z), que le tarif du groupe M6 en vigueur en vigueur au ler novembre 2017, consiste en une redevance mensuelle par abonné d’un montant de 1 euro hors taxes, assorti d’un minimum garanti de 1,2 million d’euros par an, avant remise quantitative. Les services compris dans cette offre incluent, en application de l’article 2, les signaux des services de télévision Z, W9 et 6ter dans leurs versions SD et/ou HD ainsi que le service 6Play (portail de services de média audiovisuel à la demande qui propose des contenus non linéaires en relation avec chacune des chaînes) et les fonctionnalités associées (accessibles à partir du signal des chaînes, mises en œuvre directement par le Groupe M6, permettant aux téléspectateurs d’effectuer une consommation personnalisée et à la demande des chaînes via notamment des fonctions de recommandation, de Start Over, de reprise de lecture, de retro EPG de prospective EPG ou encore de n-PVR), et sont donc plus larges que la reprise du signal linéaire des chaînes en clair.

Doit être pris en considération le nombre d’utilisateurs de la plateforme Molotov que les demanderesses évaluent en moyenne à 7 millions sur la période litigieuse et, si la défenderesse conteste le fait que tous les utilisateurs ne soient pas actifs et que plusieurs comptes ont pu être ouverts par une seule personne ou au sein d’un même foyer, ce qui les distingue des abonnements des FAI, elle n’indique pas comment évaluer le nombre effectif de ses utilisateurs alors qu’elle revendique publiquement en compter aujourd’hui près de 13 millions.

Les demanderesses ont communiqué, à titre confidentiel, un tableau recensant les montants versés par les principaux distributeurs de services de télévision en contrepartie de la reprise de leurs programmes, en fonction du nombre de leurs abonnés (pièce 67).

La société MOLOTOV a quant à elle communiqué, également de façon confidentielle, la valorisation du point de part de marché qui constitue la base de calcul des redevances qu’elle paye en fonction de l’audience des différentes chaînes, les contrats de distribution qu’elle a signés avec la SAS GROUPE NEWS PARTICIPATION (BFM Y, RMC Découverte, […], BFM Business Y, […], […]), les sociétés NRJ 12 (NRJ12 et […]), […]), et la société e-NRJ (NRJ PLAY), le D E et la société L’EQUIPE 24/24 (pièces 72 et 75 à 78).

S’agissant des bénéfices indus que la société MOLOTOV a pu tirer de l’exploitation des chaînes M6, W9 et 6ter afin d’accroître son attractivité  et d’assoir sa crédibilité vis-à-vis des investisseurs, le tribunal ne dispose pas des éléments suffisants permettant d’évaluer l’impact qu’a eu la disponibilité des programmes des demanderesses sur la plateforme Molotov sur la croissance de son nombre d’utilisateurs, sur son chiffre d’affaires ou sur les investissements dont elle a pu bénéficier

Quant au préjudice moral invoqué par les demanderesses, qui consiste en la vulgarisation de leurs programmes comme produit d’appel pour promouvoir les offres payantes de la plateforme Molotov, il ne peut être déduit de la gratuité d’accès offerte aux utilisateurs une moindre qualité des programmes offerts, nombre de chaînes étant disponibles gratuitement sur la TNT sans que la perception de leur qualité en soit altérée.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le préjudice subi par les demanderesses du fait des actes de contrefaçon des droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle sera évalué à la somme globale de 7 millions d’euros que la société MOLOTOV sera condamnée à leur verser.

Le préjudice résultant de la contrefaçon de marques doit être réparé en application des dispositions de l’article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle selon lequel « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

En l’espèce, les demanderesses ne justifient d’aucun autre préjudice que celui résultant nécessairement de l’atteinte portée aux titres dont la SA METROPOLE TELEVISION est titulaire et que la société MOLOTOV sera condamnée à réparer par le paiement à cette seule société de la somme de 15 000 euros.

Le préjudice résultant des actes de parasitisme doit être réparé sur le fondement de l’article 1240 du code civil et la mise à disposition des programmes des chaînes M6, W9 et 6ter, permettant à la société MOLOTOV de profiter de leur popularité auprès du public sans bourse délier, caractérise un comportement parasitaire distinct au préjudice des demanderesses. Elle sera ainsi condamnée à leur payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Il sera fait droit aux mesures d’interdiction sollicitées selon les termes figurant au dispositif ci-dessous, la nécessité de mettre un terme aux actes de contrefaçon ayant perduré pendant plus de trois ans primant sur celle de préserver la possibilité d’une négociation de bonne foi entre les parties, dont le présent litige démontre en tout état de cause l’échec. En revanche, le préjudice subi étant suffisamment réparé, il convient de rejeter la demande de publication judiciaire des demanderesses.

Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive de la société MOLOTOV

La société MOLOTOV demande au tribunal de condamner les sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6 à lui verser la somme de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du caractère abusif de leur action.

Toutefois, le tribunal ayant fait droit aux demandes des sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI Y et M6, la demande de dommages et intérêts de la société MOLOTOV sera écartée.

Sur les autres demandes

La société MOLOTOV, qui succombe, supportera les dépens et ses propres frais.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

La société MOLOTOV sera condamnée à payer à aux demanderesses la somme globale de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles.

L’exécution provisoire apparaît nécessaire pour faire cesser les actes de contrefaçon et compatible avec la nature de l’affaire, et sera donc ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,

— Rejette la demande de révocation de l’ordonnance de clôture formée par la SAS MOLOTOV,

— Déclare la SA METROPOLE TELEVISION, la SAS EDI-Y, et la SAS M6 recevables en leur action,

— Dit qu’en reproduisant et en mettant à la disposition du public, depuis le 1er avril 2018, les programmes des chaînes de télévision Z, W9, 6tcr, sans autorisation contractuelle, sur sa plateforme Molotov.Y, la SAS MOLOTOV a commis des actes de contrefaçon des droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle dont sont titulaires la SA METROPOLE TELEVISION, la SAS EDI-Y et la SAS M6,

— Condamne la SAS MOLOTOV à verser à la SA METROPOLE TELEVISION, la SAS EDI-Y et la SAS M6 la somme globale de 7 millions d’euros au titre de la contrefaçon des droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle,

— Dit qu’en reproduisant sans autorisation les marques Z, W9 et 6ter n°3661270, n°3049751 et n°3876515 dont est titulaire la SA METROPOLE TELEVISION sur sa platefornne Molotov.Y la SAS MOLOTOV a commis des actes de contrefaçon de ces marques,

— Déboute la SA METROPOLE TELEVISION, la SAS EDI-Y et la SAS M6 de leurs demandes au titre de l’atteinte aux marques renommées,

— Condamne la SAS MOLOTOV à verser à la SA METROPOLE TELEVISION la somme de 15 000 euros au titre de la contrefaçon de marques,

— Dit que la SAS MOLOTOV a commis des actes de parasitisme au préjudice de la SA METROPOLE TELEVISION, la SAS EDI-Y et la SAS M6,

— Condamne la SAS MOLOTOV à verser à la SA METROPOLE TELEVISION, la SAS EDI-Y et la SAS M6 la somme globale de 100 000 euros au titre du parasitisme,

— Ordonne à la SAS MOLOTOV, dans les huit (8) jours de la signification du jugement, sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard, de cesser la diffusion des services de télévision Z, W9, et 6ter, ainsi que des services et fonctionnalités associés ainsi que tout usage, sur sa plateforme, et dans ses annonces commerciales, prospectus, etc. des marques Z, W9, et 6ter,

— Se réserve la liquidation de l’astreinte,

— Rejette la demande de publication judiciaire des sociétés METROPOLE TELEVISION, EDI-Y et M6,

— Rejette la demande de la SAS MOLOTOV en dommages et intérêts pour procédure abusive,

— Condamne la SAS MOLOTOV à verser à la SA METROPOLE TELEVISION, la SAS EDI-Y et la SAS M6 ensemble la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— Condamne la SAS MOLOTOV aux dépens,

— Ordonne l’exécution provisoire du jugement.

Fait et jugé à Paris le 02 décembre 2021

LA GREFFIÈERE

LE PRESIDENT


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