L’usufruit spécial sur des droits d’auteur
L’usufruit spécial sur des droits d’auteur
Ce point juridique est utile ?

Si l’épouse de l’artiste décédé a vocation à bénéficier de l’usufruit spécial prévu à l’article L. 123-6 du code de la propriété intellectuelle, en ca de litige aves les héritiers, elle a vocation à conserver les redevances des droits d’auteur au titre de cet usufruit spécial.

Cet usufruit peut toutefois être réduit lorsqu’il n’est pas de nature à porter atteinte aux droits réservataires de l’artiste.

Résumé de l’affaire

Contexte juridique de l’exécution provisoire

L’instance introduite devant le tribunal judiciaire de Bobigny avant le 1er janvier 2020 est soumise aux dispositions de l’article 524 du code de procédure civile. Cet article prévoit les conditions dans lesquelles l’exécution provisoire peut être arrêtée en cas d’appel, notamment si elle est interdite par la loi ou si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

Application des nouvelles dispositions

Les nouvelles dispositions relatives à l’exécution provisoire s’appliquent aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020. Cependant, dans le cas présent, l’instance principale a été initiée avant cette date, ce qui signifie que l’ancien article 524 s’applique.

Arguments des parties

Mme [X] [W] née [M] soutient que l’exécution provisoire du jugement lui causerait des conséquences manifestement excessives, notamment en raison de sa situation financière précaire. Elle affirme être légitime à percevoir les droits d’auteur en tant que légataire universelle de son époux.

De leur côté, MM. [U] et [E] [W] contestent ces arguments et affirment que Mme [X] [W] née [M] ne démontre pas de manière convaincante que l’exécution provisoire serait préjudiciable pour elle.

Décision du tribunal

Le tribunal judiciaire de Bobigny a ordonné l’exécution provisoire du jugement, considérant que les arguments de Mme [X] [W] née [M] n’étaient pas suffisamment étayés. Le tribunal a également pris en compte les revenus importants perçus par Mme [X] [W] née [M] au titre des droits d’auteur.

En conséquence, la demande de Mme [X] [W] née [M] d’arrêter l’exécution provisoire a été rejetée. Elle est condamnée aux dépens de l’instance et doit verser une somme de 1.000 euros à MM. [U] et [E] [W] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

16 mai 2024
Cour d’appel de Paris
RG n° 23/18627
Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 5

ORDONNANCE DU 16 MAI 2024

(n° /2024)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/18627 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIRVI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Août 2023 du TJ de BOBIGNY – RG n° 19/14108

Nature de la décision : Contradictoire

NOUS, Muriel PAGE, Conseiller, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.

Vu l’assignation en référé délivrée à la requête de :

DEMANDEUR

Madame [X] [M] épouse [W]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Audrey SCHWAB et Me Helene REOL de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

à

DÉFENDEURS

Monsieur [E] [W]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Monsieur [U] [W]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentés par Me Patricia MOYERSOEN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0609

Madame [V] [W]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Audrey SCHWAB et Me Helene REOL de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 28 Mars 2024 :

Par jugement du 28 août 2023, le tribunal judiciaire de Bobigny a :

– annulé le testament olographe signé par [F] [W] le 3 juillet 2016

– annulé l’acte de cession de parts sociales de la société [14] signé par [F] [W] en date du 7 juin 2016

– annulé les procès-verbaux d’assemblée générale de la société [14] datés des 4 juillet 2016 et 9 avril 2018,

– ordonné la remise par Mme [X] [W] à MM. [U] et [E] [W] des éléments d’actifs et de passif composant la succession ainsi qu’une copie de toutes les pièces du dossier utile au notaire,

– rejeté les demandes d’astreinte,

– dit qu’en application des clauses du contrat de mariage, l’ensemble des droits d’auteur, de leurs redevances, et des droits relatifs à l’exploitation des oeuvres de [F] [W] ainsi que leurs fruits et revenus font partie de la masse successorale à liquider,

– dit que les instruments de musique issus des factures produites par Mme [X] [W] sont la propriété de Mme [V] [W] ou de la société [6] et dès lors exclus de la masse successorale

– dit que le studio d’enregistrement au fond du jardin du bien immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 11] (93) fait partie de l’ensemble immobilier et par conséquent appartient à la communauté,

– condamné Mme [X] [M] à payer à chacun des requérants, MM. [U] et [E] [W], la somme de 7.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral respectif,

– rejeté le surplus des demandes,

– fait droit à l’exécution provisoire,

– condamné Mme [X] [M] au versement de 3.500 euros à MM. [U] et [E] [W] au titre des frais irrépétibles exposés,

– condamné Mme [X] [M] aux entiers dépens.

Par déclaration du 15 septembre 2023, Mme [X] [W] a interjeté appel.

Par actes d’huissier en date des 8 et 12 décembre 2023, Mme [X] [W] a fait assigner en référé MM. [U] et [E] [W] et Mme [V] [W] devant le premier président de cette cour aux fins de voir arrêter l’exécution provisoire attachée au jugement entrepris et réserver les dépens.

Aux termes de ses conclusions déposées le 1er février 2024 et soutenues oralement à l’audience du 28 mars 2024, elle maintient ses demandes et sollicite en outre le débouté de MM. [U] et [E] [W] de l’intégralité de leurs demandes.

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience du 28 mars 2024, Mme [V] [W] nous demande de :

– lui donner acte qu’elle s’en remet à l’assignation délivrée par sa mère Mme [X] [W]

– réserver les dépens.

Aux termes de leurs conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience du 28 mars 2024, MM. [U] et [E] [W] nous demande de :

– rejeter les demandes de Mme [X] [M] de suspension d’exécution provisoire du jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 28 août 2023

– condamner Mme [X] [M] à leur payer la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

SUR CE,

L’instance a été introduite devant le tribunal judiciaire de Bobigny antérieurement au 1er janvier 2020, elle est donc soumise aux dispositions de l’article 524 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, lequel dispose que, “lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d’appel, que par le premier président statuant en référé et dans les cas suivants :

1° Si elle est interdite par la loi ;

2° Si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 à 522 (…)

Lorsque l’exécution provisoire est de droit, le premier président peut prendre les mesures prévues au deuxième alinéa de l’article 521 et à l’article 522.

Le premier président peut arrêter l’exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l’article 12 et lorsque l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives”.

En effet, en vertu de l’article 55, II, du décret du 11 décembre 2019 précité, les nouvelles dispositions relatives à l’exécution provisoire s’appliquent aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020.

Or en l’espèce, l’instance principale a été initiée avant le 1er janvier 2020, de sorte que l’ensemble de la procédure de première instance est soumis à l’ancien article 524.

Il résulte de ce texte que lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, le premier président statuant en référé peut l’arrêter si elle est interdite par la loi ou si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d’infirmation. Le premier juge a ordonné l’exécution provisoire du jugement.

Mme [X] [W] née [M] fait valoir qu’étant fondée à appréhender les droits d’auteur, leur restitution immédiate, au titre de l’exécution provisoire, présenterait pour elle des conséquences manifestement excessives.

Elle expose qu’elle a été instituée légataire universelle de tous les biens qui composent la succession de son époux et légataire de l’usufruit de tous ses droits d’auteur, conformément au titre testamentaire dont rien ne permettait de suspecter la nullité.

Elle soutient qu’en tout état de cause, elle a vocation à bénéficier de l’usufruit spécial prévu à l’article L. 123-6 du code de la propriété intellectuelle de sorte que même si la cour d’appel confirme le jugement, elle aurait vocation à conserver les redevances des droits d’auteur au titre de cet usufruit spécial.

En réponse aux conclusions adverses, elle soutient que son usufruit ne doit pas être réduit puisqu’il n’est pas de nature à porter atteinte aux droits réservataires de MM. [U] et [E] [W].

Par ailleurs, elle fait valoir qu’elle n’est plus en possession des sommes qui lui sont réclamées, utilisées depuis 2019 pour régler ses charges courantes, qu’elle doit faire face à des charges incompressibles supérieures à ses ressources, que son épargne a fondu, qu’elle ne dispose pas de liquidités nécessaires pour restituer les redevances de droits d’auteur.

Enfin, elle soutient qu’il existe un risque d’irrépétibilité dès lors que rien ne permet de considérer que MM. [U] et [E] [W] seraient en mesure de restituer les fonds en cas d’infirmation du jugement de première instance.

Aux termes de ses conclusions, Mme [V] [W] s’associe aux moyens et arguments développés par Mme [X] [W] née [M].

MM. [U] et [E] [W] font quant à eux valoir que l’usufruit spécial dont se prévaut Mme [X] [W] née [M] est réductible en application de l’article 123-6 du code de la propriété intellectuelle, qu’elle ne pouvait donc en tout état de cause bénéficier que d’un quart en usufruit des droits d’exploitation des droits d’auteur, qu’il ne lui est pas demandé de restituer l’intégralité des redevances qu’elle a perçues depuis le décès de son mari, puisqu’elle est habilitée à en percevoir un quart.

Ils soutiennent que Mme [X] [W] née [M] omet de répertorier les sommes reçues en 2018 et celles reçues des sociétés de production phonographique, à savoir les sociétés [7], [8] et [15] et ne démontre pas que l’exécution provisoire du jugement laisserait des traces indélébiles d’une gravité telle qu’elle dépasse les risques normaux attachés à l’exécution provisoire.

Enfin, ils contestent tout risque d’insolvabilité au motif que les sommes devront être versées sur le compte de la succession et non pas entre leurs mains.

Le jugement du 28 août 2023 du tribunal judiciaire de Bobigny assorti de l’exécution provisoire a notamment dit qu’en application des clauses du contrat de mariage, l’ensemble des droits d’auteur, de leurs redevances, et des droits relatifs à l’exploitation des oeuvres de [F] [W] ainsi que leurs fruits et revenus font partie de la masse successorale à liquider.

Pour apprécier le caractère manifestement excessif des conséquences de l’exécution provisoire, il convient de prendre en compte les effets de cette exécution provisoire pour le débiteur eu égard à ses facultés de paiement et aux facultés de remboursement du créancier. (Cass. Ass. Plen. 2 novembre 1990).

De manière générale, il n’appartient pas au premier président de se prononcer sur le moyen tiré du fond du droit et d’apprécier le bien-fondé des décisions assorties de l’exécution provisoire (cass.soc. 26 novembre 2013 n° 12.18.447).

En l’espèce, le caractère légitime ou non de l’appropriation des droits d’auteur par Mme [X] [W] née [M] relève de l’appréciation de la cour saisie au fond, de l’appel contre le jugement du 28 août 2023 du tribunal judiciaire de Bobigny.

Les développements de Mme [X] [W] née [M] relatifs à son titre testamentaire ou à l’application de l’article 123-6 du code de la propriété intellectuelle sont inopérants.

Pour justifier de sa situation financière, Mme [X] [W] née [M] verse aux débats, une attestation sur l’honneur aux termes de laquelle, elle déclare percevoir des pensions de retraite à hauteur de 28.800 euros par an, soit 2.400 euros par mois, bénéficier d’une épargne de l’ordre de 40.000 euros et exposer des charges mensuelles à hauteur de 3.216 euros.

Cette déclaration sur l’honneur n’est toutefois corroborée par aucun justificatif (relevés bancaires, factures relatives aux charges).

Mme [X] [W] née [M] produit ses avis d’imposition pour les années 2019 à 2023, soit portant sur les revenus 2018 à 2022.

Il résulte de ces avis d’imposition que Mme [X] [W] née [M] perçoit des revenus imposables de l’ordre de 43.000 euros par an, soit 3.500 euros par mois et non pas 2.400 euros comme elle le déclare.

Également, sur la période 2018 à 2022, des droits d’auteur ont été déclarés à l’administration fiscale pour les montants suivants :

– année 2018 : 66.923 euros

– année 2019 : 114.536 euros

– année 2020 : 62.287 euros

– année 2021 : 53.862 euros

– année 2022 : 475 euros et 42.826 euros en BNC non professionnels, régime spécial.

Sont versés aux débats les récapitulatifs fiscaux de la [12] établissant les versements perçus au titre des droits d’auteur pour les années 2019 à 2022, soit à déclarer : 114.536 euros en 2019, 62.287 euros en 2020, 48.906 euros en 2021 et 42.826 euros en 2022, ainsi que les récapitulatifs des sociétés d’édition [9] et [10] et de la société [13].

Il apparaît donc que Mme [X] [W] née [M] a bénéficié de revenus importants au titre des droits d’auteur ([12] et autres maisons d’éditions ou sociétés de musique), tout en disposant de revenus lui permettant de faire face à ses charges courantes, au demeurant non justifiées, et ce d’autant qu’elle se déclare propriétaire de son lieu d’habitation, pour lequel elle ne règle aucun crédit immobilier.

Les éléments produits ne caractérisent pas que l’exécution provisoire aura des conséquences manifestement excessives pour elle.

Par ailleurs, c’est par voie de pure allégation que Mme [X] [W] née [M] met en doute la capacité de remboursement de MM. [U] et [E] [W] au cas où elle aurait gain de cause devant la cour.

Il sera observé que Mme [X] [W] née [M] ne propose pas de consigner les sommes à restituer.

Dans ces conditions, la demande sera rejetée.

La demande de donner acte de Mme [V] [W] n’est pas une prétention et ne donnera pas lieu à mention au dispositif de cette décision.

Mme [X] [W] née [M], partie perdante, sera tenue aux dépens de la présente instance ainsi qu’au paiement de la somme globale de 1.000 euros à MM. [U] et [E] [W] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Déboutons Mme [X] [W] née [M] de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire ;

Condamnons Mme [X] [W] née [M] aux dépens ;

La condamnons à payer à MM. [U] et [E] [W] la somme globale de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

ORDONNANCE rendue par Mme Muriel PAGE, Conseiller, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La Greffière, La Conseillère


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