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30 novembre 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
22/01052
COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2023
N° RG 22/01052 – N° Portalis DBVY-V-B7G-HAPK
[R] [E] etc…
C/ [P] [B] Es-qualités de co-mandataire liquidateur de la société MORY GLOBAL, désigné à cette fonction par ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de BOBIGNY en date du 31 décembre 2017 etc…
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHAMBERY en date du 19 Mai 2022, RG F19/00117
Appelants
M. [R] [E], demeurant [Adresse 6]
Représenté par Me Fiodor RILOV de la SCP SCP RILOV, avocat au barreau de PARIS
M. [X] [Z], demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Fiodor RILOV de la SCP SCP RILOV, avocat au barreau de PARIS
Intimés
Me [P] [B] Es-qualités de co-mandataire liquidateur de la société MORY GLOBAL, désigné à cette fonction par ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de BOBIGNY en date du 31 décembre 2017, demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Vincent JARRIGE de l’AARPI M&J- CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Me [D] [G] Es-qualités de co-mandataire liquidateur de la société MORY GLOBAL, désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de BOBIGNY en date du 31 mars 2015, demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Vincent JARRIGE de l’AARPI M&J- CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me MASANOVIC
S.A.S. ARCOLE INDUSTRIES, demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Marie-alice JOURDE de l’AARPI JASPER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Organisme DÉLÉGATION UNÉDIC AGS CENTRE DE GESTION ET D’ETUDE (CGEA) D’ILE DE FRANCE EST, demeurant [Adresse 3]
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 21 Septembre 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHUILON, Conseillère,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : M. Bertrand ASSAILLY, Greffier à l’appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré,
********
Exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties
En date du 31 décembre 2012, les sociétés Mory Sas et Ducros ont fusionné pour former la société Mory Ducros.
La Sas Arcole industries était l’actionnaire principal de la société Mory Ducros.
La société Mory Ducros exerçait une activité de transport, entreposage de marchandise, de commissionnaire de transport et location de matériel.
Par jugement du 26 novembre 2013, le Tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la société Mory Ducros, convertie en liquidation judiciaire le 6 février 2014.
La Sas Arcole industries s’est portée acquéreur d’une partie des actifs de Mory Ducros.
Par jugement du 6 février 2014, le Tribunal de commerce de Pontoise a arrêté le plan de cession d’une partie des activités de la société Mory Ducros.
La société Mory Global est née par suite de ce jugement ayant arrêté un plan de cession d’une partie des activités de la société Mory Ducros et de ses deux filiales au Groupe Arcole Industries.
La société Mory Global a déposé le bilan le 10 février 2015.
Par jugement du 10 février 2015, le Tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société Mory Global, et a désigné des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires.
Par jugement du 31 mars 2015, le Tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire de la société Mory Global, avec maintien d’activité jusqu’au 30 avril 2015, a validé la suppression de l’ensemble des postes et a autorisé le licenciement des salariés dans le délai d’un mois.
La poursuite d’activité a été prolongée jusqu’au 30 octobre 2015.
M. [R] [E] (responsable activité import) et M. [X] [Z] (responsable commercial) étaient salariés dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée de la société Mory Global, avec reprise d’ancienneté respectivement au 18 décembre 2007 et au 3 janvier 2011. Par courrier du 27 avril 2015, l’administrateur judiciaire a licencié les salariés. Ayant adhéré au CSP proposé, les salariés ont vu leur contrat prendre fin le 21 mai 2015.
Le 3 mai 2016, les salariés ont saisi le conseil de prud’hommes de Chambéry aux fins de contester leur licenciement.
Par ordonnances du 31 décembre 2017 et du 31 août 2018, Me [P] [B] et la Selas MJS Partners, prise en la personne de Me [D] [G], ont été désignés comme co-mandataires liquidateurs.
Par jugement du 19 mai 2022, le conseil de prud’hommes de Chambéry a :
ordonné la jonction des affaires de messieurs [Z] et [E],
constaté l’absence de situation de co-emploi entre la société Mory Global et la société Arcole Industries ;
mis hors de cause la société Arcole Industries ;
jugé que l’obligation de reclassement a été respectée par l’Administrateur judiciaire de la société Mory Global ;
débouté M. [R] [E] et M. [X] [Z] de l’intégralité de leurs demandes ;
condamné M. [R] [E] au paiement des sommes suivantes sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile :
100 euros à la société Arcole Industries,
100 euros à la liquidation judiciaire,
condamné M. [X] [Z] au paiement des sommes suivantes, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile :
100 euros à la société Arcole Industries,
100 euros à la liquidation judiciaire.
jugé la décision opposable à 1’Unedic délégation AGS-CGEA d’Ile de France Est.
condamné M. [R] [E] et M. [X] [Z] aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration par RPVA du 17 juin 2022, M. [R] [E] et M. [X] [Z] ont interjeté appel total de la décision.
Par dernières conclusions notifiées le 20 juillet 2023, auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, M. [R] [E] et M. [X] [Z] demandent à la cour de :
infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Chambéry
statuant à nouveau,
À titre principal,
condamner in solidum du fait de la situation de co-emploi les sociétés Mory Global et Arcole Industries, à verser aux appelants les indemnités suivantes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
M. [R] [E] : 7 ans 4 mois d’ancienneté, soit au paiement de 2 années de salaire soit 52.066,98 €,
M. [X] [Z] : 4 ans 4 mois d’ancienneté, soit au paiement de 1 année et demi de salaire soit 64.536,06 €,
juger que les sommes ci-avant seront inscrites au passif de la société Mory Global,
À titre subsidiaire,
condamner la société Mory Global du fait de la violation de l’obligation individuelle de reclassement à payer aux appelants les indemnités suivantes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
M. [R] [E] : 7 ans 4 mois d’ancienneté, soit au paiement de 2 années de salaire soit 52.066,98 €,
M. [X] [Z] : 4 ans 4 mois d’ancienneté, soit au paiement d’une année et demi de salaire soit 64.536,06 €,
ordonner que les sommes ci-avant seront inscrites au passif de la société Mory Global,
En tout état de cause,
dire la décision à intervenir opposable au CGEA IDF EST
condamner les sociétés Mory Global et Arcole Industries à payer aux parties appelantes une indemnité de 500 Euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile;
assortir les condamnations à intervenir d ‘intérêts au taux légal ;
condamner les sociétés intimées aux entiers dépens.
Les salariés soutiennent en substance que les deux sociétés se trouvaient en situation de co-employeurs et que le mandataire liquidateur de la société Mory Global a manqué à son obligation de reclassement individuel.
La qualité de co-employeur ne requiert pas la preuve d’un lien de subordination entre les salariés et le co-employeur.
Le juge n’est pas tenu par les qualifications des parties, peu importe que les sociétés soient juridiquement qualifiées d’actionnaire ou de société mère, la dénomination ne permet pas d’écarter la qualification de co-employeur.
Les sociétés ne peuvent se contenter d’invoquer l’existence de pratiques inhérentes aux groupes de sociétés, les relations entre les sociétés font apparaître une confusion d’intérêts, d’activités et de direction caractérisant une immixtion anormale.
La preuve de la qualité de co-employeur ne suppose pas de démontrer la perte par la société employeur de toute forme d’autonomie juridique mais de caractériser que la société perd son autonomie dans la gestion de ses affaires et notamment son autonomie en matière sociale.
Les salariés soutiennent subsidiairement que l’employeur n’a pas exécuté son obligation de reclassement. Les recherches de reclassement doivent être personnalisées et s’effectuer dans l’intégralité du groupe. L’envoi de lettres circulaires ne mentionnant pas les postes allant être supprimés ne permet pas à l’employeur de s’acquitter de son obligation puisque la filiale ne pourra pas rechercher précisément les possibilités de reclassement.
Les courriers prétendant que l’employeur s’est acquitté de son obligation de reclassement ont été adressés avant le prononcé de la liquidation judiciaire de la société. Aucune autre démarche de reclassement n’a été effectuée après le prononcé de la liquidation.
Les liquidateurs n’ont pas d’obligation de reclassement allégée, leurs obligations sont similaires à celles de l’employeur.
L’obligation de reclassement a un périmètre très large qui s’entend également d’entreprises sans aucun lien capitalistique, financier ou de contrôle tel qu’un réseau d’associations. La société Arcole Industries devait donc faire l’objet de recherches de reclassement dans toutes ses branches de la même façon que la société DHL et ses filiales. En effet, le Tribunal administratif de Pontoise a jugé que la société Arcole était sous le contrôle du groupe Caravelle en ce qu’ils avaient les mêmes dirigeants et le même siège social, de sorte que ce groupe dans son ensemble devait faire partie des recherches de reclassement.
Par dernières conclusions notifiées le 7 juillet 2023, auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la société Mory Global représentée par Me [P] [B] et Me [D] [G] co-mandataires liquidateurs, demandent à la cour de :
confirmer le jugement du 19 mai 2022 en ce qu’il a :
constaté l’absence de situation de co-emploi entre la société Mory Global et la société Arcole Industries,
mis hors de cause la société Arcole Industries,
dit et jugé que l’obligation préalable de reclassement a été parfaitement respectée par l’Administrateur Judiciaire de la société Mory Global,
débouté M. [R] [E] et M. [X] [Z] de l’intégralité de leurs demandes,
condamné M. [R] [E] et M. [X] [Z] à payer, chacun, la somme de 100 € à la liquidation judiciaire sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
condamné M. [R] [E] et M. [X] [Z] aux entiers dépens,
En conséquence de quoi,
débouter M. [R] [E] et M. [X] [Z] de l’intégralité de leurs demandes, tant à titre principal qu’à titre subsidiaire,
Y ajoutant,
condamner M. [R] [E] et M. [X] [Z] à verser à la liquidation judiciaire de la société Mory Global la somme de 1.000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
En tout état de cause,
débouter M. [R] [E] et M. [X] [Z] de leur demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
débouter M. [R] [E] et M. [X] [Z] de leur demande d’intérêts au taux légal,
juger qu’une éventuelle condamnation ne pourra que tendre à la fixation d’une créance au passif de la société Mory Global,
juger que l’arrêt à intervenir sera opposable à l’AGS CGEA IDF EST,
condamner M. [R] [E] et M. [X] [Z] aux entiers dépens,
A l’appui de ses demandes, l’employeur soutient que le co-emploi suppose une ingérence anormale de la part de la société mère sur les activités de sa filiale. L’ingérence normale est donc exclusive de toute qualification de co-emploi. Par ailleurs, l’immixtion doit être constatée en matière économique et sociale. Le co-emploi n’est pas automatique entre une société mère et sa filiale. Le fait que les entreprises aient les mêmes dirigeants ne suffit pas à caractériser une immixtion anormale. Le critère d’appartenance d’une filiale à la société mère est insuffisant si le contrôle total de l’une sur l’autre n’est pas démontré. Mory Global avait ses propres services de direction et ses propres fonctions support distincts de la société Arcole. Il n’existe aucun lien capitalistique entre la société employeur et les autres sociétés, elles n’entretenaient aucune forme de relation et n’avaient développé aucune forme de partenariat.
Il soutient par ailleurs que l’obligation de reclassement a bien été exécutée. Le fait de ne pas faire de recherches externes non personnalisées n’est pas de nature à priver le licenciement de caractère réel et sérieux. La Cour de cassation a validé l’envoi d’une lettre circulaire sur l’existence de postes pouvant permettre un reclassement à laquelle il avait été répondu négativement par les sociétés du groupe, excluant ainsi toute possibilité de reclassement. Les recherches de reclassement n’avaient pas à être accompagnées des informations personnalisées relatives au salarié. S’agissant du cadre de la recherche de reclassement, la cession de l’activité messagerie de DHL à Arcole date de 2010 alors que la société Mory Global n’a été créée qu’en 2014. Il n’y a donc aucun lien entre les deux sociétés ni aucune forme de relation. Le groupe DHL et Caravelle ne faisaient pas partie du périmètre de reclassement individuel des salariés. La société Mory Global a également cherché des postes en externe au groupe alors même que cela n’était pas une obligation. Les salariés ont refusé des postes qui aurait pu correspondre à leur profil.
Par dernières conclusions notifiées le 28 novembre 2022, auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens, la société Arcole Industries demande à la cour de :
confirmer le jugement du 19 mai 2022 rendu par le Conseil de Prud’hommes de Chambéry,
Ce faisant, jugeant à nouveau :
constater l’absence de co-emploi entre les sociétés Mory Global et Arcole Industries,
constater l’absence de lien contractuel entre les demandeurs et la société Arcole Industries,
En conséquence :
mettre hors de cause la société Arcole Industries et ne pas lui rendre opposable l’arrêt qui serait rendu à l’encontre de M. [D] [G] et M. [P] [B], mandataires liquidateurs,
débouter les appelants de l’ensemble de leurs demandes,
A titre reconventionnel, condamner chacun des appelants au paiement de la somme de 300 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
A l’appui de ses demandes, la société Arcole Industries soutient que le co-emploi s’entend soit d’un lien de subordination entre salariés et tiers, soit d’une confusion d’intérêts économiques et des activités de direction. La société fait valoir qu’elle n’a jamais pris de décision caractérisant une immixtion anormale dans la gestion de la société Mory Global. Il n’existe aucun lien de subordination entre la société et le salarié, elle n’a jamais exercée de pouvoir disciplinaire sur lui. Aucune des pièces produites par les salariés ne permettent de démontrer l’existence d’une telle immixtion dans la gestion de la société Mory Global, tant dans la gestion du personnel que dans la gestion financière, commerciale, comptable, administrative, industrielle ou juridique. La preuve d’une ingérence ou d’une immixtion s’appuie sur des faits, les salariés sont totalement défaillants dans l’administration d’une telle preuve. Un lien capitalistique n’est pas un indice d’une quelconque immixtion anormale.
La situation de co-emploi est retenue notamment lorsque la société mère prend en charge les problèmes de nature contractuelle, administrative et financière rencontrés par la seconde société, ce qu’elle n’a jamais fait.
Plusieurs décisions ont été rendues sur la même demande de reconnaissance de co-emploi, au moyen de la même pièce, et toutes ont mis hors de cause la société Arcole Industries.
Les salariés n’utilisent aucun fondement légal, ni aucune démonstration factuelle à l’appui de leurs demandes.
L’AGS-CGEA d’Ile de France Est n’a pas constitué avocat.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 juillet 2023. Le dossier a été appelé à l’audience du 21 septembre 2023. A l’issue, la décision a été mise en délibéré au 30 novembre 2023.
Motifs de la décision
Sur le co-emploi
En application des dispositions de l’article L 1221-1 du code du travail, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de co-employeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière. (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n°18-13.769 publié et Soc., 14 avril 2021, pourvoi n° 19-10.232).
Il appartient aux salariés de démontrer l’existence du co-emploi qu’ils invoquent.
En l’espèce, les salariés soutiennent en droit que la qualité de co-employeur ne requiert pas la preuve d’un lien de subordination entre les salariés et le co-employeur, que la perte d’autonomie d’une filiale est un critère du co-emploi, et qu’il appartient aux juges de caractériser un faisceau d’indices permettant d’identifier une situation de co-emploi.
Les salariés ne développent cependant aucun moyen de fait au sein de leurs conclusions. Ils se contentent de solliciter que soit constatée l’existence du co-emploi allégué, sans exposer aucune démonstration à ce titre en articulant les moyens de droit qu’ils développent avec des moyens de fait. Aucune argumentation n’est développée ni aucune pièce visée dans leurs conclusions au soutien de cette demande.
Il ne résulte par ailleurs d’aucune des pièces produites aux débats la démonstration de l’existence d’un co-emploi entre les entreprises Mory Global et Arcole Industries.
En conséquence, faute pour les salariés appelants de caractériser une immixtion permanente de la société Arcole Industries dans la gestion économique et sociale de Mory Global, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière, et donc de démontrer l’existence du co-emploi qu’ils invoquent entre les entreprises Mory Global et Arcole Industries, la décision du conseil de prud’hommes en ce qu’elle a rejeté leur demande à ce titre sera confirmée, sans qu’il y ait lieu de mettre la société Arcole Industries hors de cause.
Sur le licenciement
Aux termes de l’article L. 1233-4 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 applicable en l’espèce, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient.
Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
La recherche de possibilités de reclassement doit être réalisée par l’employeur, si la société fait partie d’un groupe, auprès des autres sociétés de ce groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d’y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-17.303).
En revanche, en cas de contestation sur l’existence ou le périmètre du groupe de reclassement, il appartient au juge de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.
En l’espèce, les salariés soutiennent que l’administrateur judiciaire aurait dû effectuer des recherches de reclassement auprès de la société DHL et des filiales de cette dernière, ainsi qu’auprès des sociétés Caravelle et des filiales du groupe Caravelle, l’ensemble de ces sociétés faisant selon eux partie du groupe de reclassement.
La seule pièce sur laquelle ils s’appuient au soutien de cette allégation est un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 11 juillet 2014 produit par Arcole Industries constatant que cette société et la société Caravelle ont les mêmes dirigeants et siège social.
Ce seul constat effectué en juillet 2014 ne saurait permettre de caractériser le critère de permutabilité du personnel et partant que ces deux sociétés faisaient partie d’un même groupe de reclassement.
Le seul fait que la société Caravelle ait créé la société Arcole ne saurait là encore suffire à l’intégrer dans le groupe de reclassement.
Les appelants ne procèdent que par allégation en soutenant que Caravelle aurait conservé le contrôle de la société Arcole Industries.
S’agissant de DHL, le fait que la société Mory Global aurait poursuivi avant sa liquidation en 2015 l’activité messagerie ‘Day Definite’ que la société DHL avait cédée en 2010 à la société Ducros Express, qui sera ensuite absorbée en 2012 par la société Mory Sas pour former la société Mory Ducros dont une partie des activités va être reprise en 2014 dans le cadre d’un plan de cession par la société Mory Global, ne saurait caractériser l’existence de relations capitalistique, organisationnelle ou partenariale de nature à permettre d’effectuer entre elles la permutation de tout ou partie de leur personnel à la date où le reclassement a été recherché.
Il en est de même du fait que les appelants auraient travaillé jusqu’à peu de temps avant leur licenciement avec des vêtements du personnel DHL et des camions portant le sigle de cette société: outre que cette allégation n’est appuyée par aucune pièce de nature à la démontrer, de tels éléments ne sauraient suffire à caractériser des relations entre ces sociétés de nature à permettre d’effectuer entre elles la permutation de tout ou partie de leur personnel.
Il résulte de ces constatations que les appelants ne produisent aucune pièce de nature à établir ou même laisser présumer entre les sociétés Caravelle et DHL d’une part et Mory Global d’autre part l’existence de relations capitalistique, organisationnelle ou partenariale de nature à permettre d’effectuer entre elles la permutation de tout ou partie de leur personnel.
Dans ces conditions, le périmètre de reclassement ne saurait s’étendre aux sociétés DHL et Caravelle et à leurs filiales. Il en résulte que le périmètre de reclassement à retenir était bien celui des sociétés appartenant au groupe Arcole industries.
Il incombe à l’employeur, ou au mandataire liquidateur en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise, de rapporter la preuve qu’il a satisfait à l’obligation de reclassement mise à sa charge de façon effective, sérieuse et loyale, et que les offres de reclassement étaient précises, concrètes et personnalisées.
En l’espèce, le tribunal de commerce de Bobigny a, par jugement du 31 mars 2015, prononcé la liquidation judiciaire avec poursuite d’activité jusqu’au 30 avril 2015, et maintenu Maître [N] dans ses fonctions d’administrateur judiciaire pour mener à bien les négociations et la validation par l’autorité administrative du plan de sauvegarde de l’emploi et procéder au licenciement des salariés.
En application de l’article L 3253-8 du code du travail, le liquidateur se trouvait dans l’obligation de prononcer les licenciements dans le délai de 21 jours suivant le prononcé de la liquidation judiciaire afin d’assurer aux salariés la garantie par l’AGS du paiement des indemnités de rupture.
Ce délai ne déchargeait pas le liquidateur de son obligation de reclassement.
Cependant, et étant rappelé que l’obligation de reclassement est une obligation de moyens, le caractère effectif, sérieux et loyal de la recherche de reclassement doit s’apprécier en fonction des contraintes pesant sur le liquidateur dans le cadre de la liquidation de l’entreprise, contraintes caractérisées en l’espèce par ce délai de 21 jours ainsi que par le nombre très important de 2158 salariés concernés par la procédure de licenciement.
Les salariés ne sauraient soutenir que l’administrateur judiciaire disposait de plus de sept mois à partir du jugement de liquidation pour procéder aux recherches de reclassement compte-tenu de la poursuite de l’activité de l’entreprise ordonnée le 5 mai puis le 29 juillet 2015 jusqu’au 30 octobre 2015 pour les seuls besoins de la liquidation, dans la mesure où celui-ci n’avait pas connaissance de ces décisions à la date à laquelle il a rempli son obligation de reclassement dans le respect du délai prévu à l’article L.3253-8, et que ces décisions sont intervenues postérieurement au licenciement des salariés.
Il est justifié, par la production d’une composition du groupe Arcole Industries, confirmée par la description qui en est faite par le jugement du tribunal de commerce qui a prononcé son redressement judiciaire, que le mandataire a interrogé toutes les sociétés du groupe Arcole Industries. Ce point n’est d’ailleurs pas contesté par les appelants.
Maître [N], ès qualité d’administrateur judiciaire, a adressé à compter du 9 mars 2015 à l’ensemble des sociétés du groupe, holding et filiales, une lettre recommandée rédigée comme suit:
‘Par décision du tribunal de commerce de Bobigny en date du 10/02/2015, notre société d’administrateurs judiciaires, prise en ma personne, a été nommée en qualité d’administrateur judiciaire de la société SAS Mory Global. A ce titre, je vous informe que la situation de l’entreprise fait qu’n projet de cession a été engagé à l’égard de la SAS Mory Global. A cette occasion, il est prévisible que des postes tant dans la filière transport que dans la filière administrative soient supprimés. Conformément aux dispositions légales et sachant que l’entreprise fait partie d’un groupe, je vous sollicite afin de connaître vos besoins en matière d’emploi. A cet effet, vous trouverez ci-joint un formulaire à me retourner permettant de recenser les caractéristiques essentielles du ou des postes que vous seriez en mesure de proposer en France comme à l’étranger. Le cas échéant, je vous prie de me préciser les raisons pour lesquelles aucun poste ne serait à pourvoir au sein de votre entreprise et de ses établissements’.
Le formulaire intitulé « Fiche de proposition de poste » invitait les sociétés à renseigner et préciser : les coordonnées de la société et de la personne à contacter, le poste proposé, le détail des attributions (résumé du poste), la nature du contrat de travail, la certification/diplôme éventuellement requis, la rémunération/avantages particuliers éventuels, le lieu d’exécution du travail/modalités de déplacement éventuelles et enfin la durée du travail/ horaires.
Il résulte de ces constatations que l’administrateur judiciaire avait adressé dès avant le prononcé officiel de la liquidation judiciaire, étant rappelé que le bilan économique, social et environnemental déposé le 18 mars 2015 préconisait la conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité de un mois afin de mettre en place le PSE, à toutes les sociétés du groupe des demandes aux fins de recenser avec précision tous les postes disponibles en leur sein, quelles que soient leurs caractéristiques.
Il est également établi que des relances ont été effectuées auprès des entreprises le 26 mars 2015, puis à nouveau par courriels, postérieurement au jugement prononçant la liquidation judiciaire, les 2 et 13 avril 2015.
Cette méthode, compte-tenu du délai restreint et du nombre de salariés concernés, apparaissait être la plus efficace et la plus appropriée pour éviter autant que possible aux salariés la perte de leur emploi, puisqu’elle permettait de recenser dans les meilleurs délais l’ensemble des postes disponibles dans les sociétés du groupe, et ensuite de procéder à une proposition personnalisée de reclassement en fonction des postes identifiés et des profils des salariés.
D’autre part, il est justifié des retours des sociétés sollicitées jusqu’au 27 avril 2015, date de notification des licenciements, à savoir six postes, et de ce que ces emplois ont été proposés individuellement aux salariés dont le profil et/ou l’emploi qu’ils occupaient au sein de Mory Global pouvaient correspondre aux postes proposés, avec des fiches de postes précises comportant le nom de la société qui embauchait, le poste, les missions principales, le type de contrat, la classification, les durées ou horaires de travail, le salaire brut et les avantages, la certification/diplôme et expérience requis, le lieu de travail.
Messieurs [R] [E] et [X] [Z] se sont vus proposer pour le premier des postes de responsable d’exploitation et de responsable technique, pour le second un poste de chargé de clientèle. Ils n’ont pas donné suite à ces propositions de reclassement. Ils n’ont pas contesté le caractère sérieux et adapté à leurs situations de ces propositions.
Enfin, alors qu’il n’était tenu d’aucune obligation légale de reclassement externe, l’administrateur judiciaire justifie avoir recherché auprès d’autres entreprises de transport, et notamment auprès de sous-traitants ou partenaires de la société Mory Global et des représentations départementales ou régionales de la Fédération nationale des transports routiers des postes en reclassement à proposer aux salariés dont le licenciement était envisagé.
Les licenciements ont été prononcés après la réception des réponses des sociétés et dans le délai contraint prévus à l’article L3253-8 du code du travail.
Il est ainsi démontré que l’administrateur judiciaire, compte-tenu des moyens dont il disposait et des délais qui lui étaient impartis, et au regard de l’importance du nombre de salariés concernés, a satisfait à son obligation de recherche de reclassement et qu’il était impossible de reclasser les salariés.
En conséquence, les licenciements sont fondés sur une cause réelle et sérieuse.
Ainsi, la décision du conseil de prud’hommes de Chambéry du 19 mai 2022 sera confirmée en ce qu’elle a débouté Messieurs [R] [E] et [X] [Z] de leurs demandes d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le surplus
La présente décision sera déclarée opposable à l’AGS-CGEA d’Ile de France Est.
Les salariés appelants succombant à l’instance, ils seront condamnés aux dépens.
Il n’apparaît pas inéquitable de dire n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare recevable l’appel de Messieurs [R] [E] et [X] [Z],
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de Prud’hommes de Chambéry du 19 mai 2022,
Y ajoutant,
Déclare le présent arrêt opposable à l’AGS-CGEA d’Ile de France Est,
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Messieurs [R] [E] et [X] [Z] aux dépens.
Ainsi prononcé publiquement le 30 Novembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller en remplacement du Président empêché, et Monsieur Bertrand ASSAILLY, Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente