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22 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/09603
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 22 JANVIER 2024
(n° / 2024, 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/09603 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHWO3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 mai 2023 -Tribunal de Commerce de MEAUX – RG n° 2022007723
APPELANTE
S.A.S.U. ELISA, dont le nom commercial est EXIGENSS LOCATION, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 877 740 506,
Dont le siège social est situé [Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119,
Assistée de Me Antoine ASSIE de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau de MEAUX, toque : 18,
INTIMÉES
S.E.L.A.R.L. AJILINK LABIS – [J] – DE CHANAUD, prise en la personne de Maître [U] [J], en qualité d’administrateur judiciaire de la SAS ELISA, nommée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de MEAUX en date du 27 juin 2022,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 508 490 000,
Dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Localité 4]
S.E.L.A.R.L. GARNIER-[O], prise en la personne de Maître [Y] [O], en qualité de mandataire judiciaire de la société ELISA, nommée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de MEAUX en date du 22 mai 2023,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 478 547 243,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 4]
Représentées et assistées de Me Carole BOUMAIZA de la SCP GOMME et BOUMAIZA, avocat au barreau de PARIS, toque : J094,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de Madame Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et de Madame Constance LACHEZE, conseillère,
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La SASU Elisa, créée en 2009, exerce sous le nom commercial Exigenss Location une activité de mise en location de matériel de réception auprès d’entreprises, d’administration et de particuliers à [Localité 5] (Seine-et-Marne). Elle a pour présidente et actionnaire unique Mme [Y] [Z].
Sur requête du ministère public et par jugement du 30 mai 2022, le tribunal de commerce de Meaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Elisa, fixé la date de cessation des paiements au 30 novembre 2020 et désigné la SELARL Garnier – [O], prise en la personne de Me [Y] [O], en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 27 juin 2022, le tribunal de commerce de Meaux a décidé de poursuivre la période d’observation et a désigné la SELARL Ajilink, prise en la personne de
Me [U] [J], en qualité d’administrateur judiciaire avec une mission de représentation (mission 3).
À l’audience du 3 octobre 2022, la période d’observation a été renouvelée jusqu’au 30 mai 2023.
L’affaire a été appelée à l’audience du 22 mai 2023 pour qu’il soit statué sur le renouvellement de la période d’observation.
A la demande du ministère public et par jugement du 22 mai 2023, le tribunal de commerce de Meaux a :
– prononcé la liquidation judiciaire à l’égard de la société Elisa,
– autorisé la poursuite d’activité jusqu’au 22 août 2023,
– maintenu la mission de l’administrateur judiciaire durant la poursuite de l’activité,
– nommé la SELARL Garnier – [G], prise en la personne de Me [Y] [O], en qualité de liquidateur judiciaire.
Par déclaration du 8 juin 2023, la société Elisa a relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 11 juillet 2023, le délégataire du premier président en a suspendu l’exécution provisoire.
Par dernières conclusions (n°3), remises au greffe et notifiées par RPVA le 6 novembre 2023, la société Elisa demande à la cour :
– d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a prononcé la liquidation judiciaire de la société Elisa,
– statuant à nouveau, d’ouvrir une nouvelle période d’observation d’une durée de trois mois,
– de maintenir Me [J] en qualité d’administrateur judiciaire et Me [O] en qualité de mandataire judiciaire,
– de les débouter de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– d’ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
La société Elisa soutient que son redressement n’est pas manifestement impossible, que le dépassement du délai de la période d’observation ne la prive pas de la possibilité de présenter un plan de redressement, que la condition tenant au dépôt au greffe des comptes des exercices 2020 à 2022, qui subordonnait l’avis favorable du ministère public à la poursuite de la période d’observation, a été remplie en juin 2023, que la liquidation judiciaire dont a fait l’objet sa dirigeante Mme [Z] au titre de sa qualité d’entrepreneur individuel, a été clôturée pour insuffisance d’actif par jugement du 2 octobre 2023 mettant fin à son dessaisissement, que ce fait ne peut conduire au prononcé de la liquidation judiciaire de la société Elisa, que sa compagnie d’assurance MMA a remis en vigueur le contrat portant sur sa responsabilité civile et ses locaux, que le courriel anonyme adressé aux organes de la procédure et portant sur des faits de travail dissimulé ne fournit aucun élément permettant de le rattacher à un salarié de la société et qu’il pourrait émaner du propriétaire des locaux de la société, avec lequel celle-ci entretient des relations conflictuelles.
Par dernières conclusions (n°3), remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 novembre 2023, la SELARL Ajilink demande à la cour :
– de prendre acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice sur la demande de la société Elisa,
– de statuer ce que de droit sur les dépens.
L’administrateur judiciaire explique avoir mandaté un expert-comptable en juillet 2022 afin d’établir les comptes annuels de la société Elisa, que la comptabilité n’a pu être produite à l’audience du 22 mai 2023 et que la liquidation judiciaire à titre personnel de Mme [Z] compromettait la présentation d’un plan de redressement. Il expose que les comptes ont été déposés, que la clôture de la liquidation judiciaire a mis fin au dessaisissement de
Mme [Z] et que le contrat d’assurance a été remis en vigueur rétroactivement au 1er mai 2023, de sorte qu’il s’en rapporte à justice.
Par dernières conclusions (n°4), remises au greffe et notifiées par RPVA le 8 novembre 2023, la SELARL Garnier – [O] (intimée) demande à la cour :
– de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
– de statuer ce que de droit sur les dépens.
Elle rappelle que Mme [Z] a fait l’objet à titre personnel d’une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif, que Mme [Z] a été condamnée en qualité de gérante de fait pour délits de banqueroute en raison de l’absence de tenue de la comptabilité, de l’absence d’établissement de l’inventaire, des comptes annuels et du rapport de gestion et pour détournement et dissimulation de tout ou partie de l’actif, que le manque de transparence dont fait preuve sa dirigeante compromet la mise en ‘uvre d’un plan de redressement de la société Elisa, que l’assureur a résilié le contrat couvrant la responsabilité civile et les locaux de la société sans que Mme [Z] en informe l’administrateur judiciaire, que Mme [Z] a fait l’objet d’une dénonciation anonyme pour travail dissimulé, pour emploi de personnel non déclaré, pour non-paiement des heures supplémentaires majorées et pour paiement des salaires avec retard constitutifs de travail dissimulé, que la comptabilité produite aux débats au titre des exercices 2020, 2021 et 2022 n’est pas fiable, avec des factures fournisseurs non tracées et des créances clients douteuses à hauteur de
300 000 euros.
Par avis communiqué le 2 août 2023, le ministère public invite la Cour à infirmer le jugement du 22 mai 2023, à ouvrir une période d’observation de trois mois et à renvoyer l’affaire au tribunal de commerce de Meaux pour poursuite de la procédure.
Le ministère public, qui indique que le passif admis à apurer s’élève à 389.000 euros tandis que le résultat pour 2022 s’élève à 83.018,38 euros, soutient que la procédure de liquidation judiciaire dont fait l’objet Mme [Z] à titre personnel est de nature à complexifier l’élaboration d’un plan de redressement mais ne saurait priver la société Elisa de la faculté de présenter un plan alors que l’activité en 2022 était bénéficiaire.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 14 novembre 2023.
SUR CE,
L’article L. 631-15, dans le premier alinéa du II., du code de commerce dispose : ” II.-A tout moment de la période d’observation, le tribunal, à la demande du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, d’un contrôleur, du ministère public ou d’office, peut ordonner la cessation partielle de l’activité ou prononce la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible. “.
En l’espèce, le montant du passif admis à titre échu et s’élève à la somme de
370 180,55 euros au 20 juin 2023 selon le mandataire judiciaire. De surcroît, a été déclaré un passif contesté totalisant 307 216,50 euros, dont 285 365 euros au titre de créances fiscales, susceptibles d’être réévaluées à l’issue du contrôle fiscal dont a fait l’objet la société Elisa portant sur les exercices 2020 et 2021 et pour la TVA du 1er janvier au 31 mai 2022 et qui a donné lieu à une proposition de rectification de 13 429 euros. L’expert-comptable de la société Elisa estime pour sa part que le montant du passif après ajustements liés au contrôle fiscal et déclaration définitive de créance de l’URSSAF s’élève à la somme de
404 063,15 euros, évaluant le montant des annuités d’un plan de redressement sur 10 ans à la somme de 40 407 euros.
La cour relève que, si dans le cadre de la présentation d’un plan de redressement, le passif à prendre en compte devra intégrer le passif contesté sur lequel il n’a pas encore été définitivement statué, quand bien même le paiement de dividendes à ce créancier est subordonné à l’admission de sa créance, elle n’examine pas le plan de redressement en lui-même, lequel est à élaborer, mais apprécie si en l’état un redressement n’est pas manifestement impossible.
Pour faire face à son passif, la société Elisa justifie d’une activité bénéficiaire après impôt de 83 018,36 euros en 2022 et de 57 639,68 euros au 30 septembre 2023 (bénéfice sur 9 mois), expliquant les pertes de 2020 et 2021 (perte nette en 2021 de 39 153,66 euros) comme étant la conséquence de l’épidémie de covid qui a empêché l’exercice de son activité.
Il ressort du rapport dressé par Me [J] en vue de l’audience du 22 mai 2023 que la société a généré un niveau d’activité conforme et même supérieur au prévisionnel et qu’un plan de redressement était parfaitement envisageable, l’administrateur judiciaire ayant établi un projet de plan comportant trois modalités distinctes d’apurement possibles. L’administrateur relève en outre que la société dispose des capacités de financement suffisantes pour couvrir la période d’observation.
Au contraire, la SELARL Garnier-[O] ès qualités qui prétend que les comptes annuels ne sont pas fiables et allègue l’existence de créances douteuses à hauteur de 300 000 euros n’en justifie pas, se contentant de produire une balance âgée au 31 mai 2023 mentionnant un total de créance de plus de 90 jours d’un montant de 290 000 euros.
Par ailleurs, le passé pénal de la dirigeante Mme [Z], s’il constitue un élément à prendre en considération quant à la capacité de sa dirigeante à exécuter le plan de redressement de la société Elisa éventuellement adopté, ne suffit pas à lui seul, en l’absence d’interdiction de gérer prononcée à son encontre, à démontrer que toute faculté de redressement de la société serait impossible, alors que la situation de la société a fait l’objet de régularisations depuis l’ouverture de la procédure collective.
En effet, le dépôt des comptes annuels au titre des exercices 2020, 2021 et 2022, qui conditionnait pour le ministère public la poursuite exceptionnelle de la période d’observation, a été effectué le 26 juin 2023.
La société Elisa justifie d’une assurance professionnelle de son local situé à [Localité 5], rétroactive à compter du 1er mai 2023 et jusqu’au 30 avril 2024.
En outre, en l’absence d’éléments objectifs de nature à la corroborer, une dénonciation anonyme doit être appréhendée avec réserves en raison du risque de dénonciation calomnieuse.
Dès lors, la société Elisa produit suffisamment d’éléments permettant à la cour de considérer que son redressement n’est pas manifestement impossible.
Enfin, il ressort du dossier que se pose la question du rachat des parts sociales dont
Mme [Z] a été dessaisie en raison de la procédure de liquidation judiciaire dont elle fait l’objet à titre personnel, ce qui justifie une période d’observation complémentaire.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, tout redressement n’apparaissant pas manifestement impossible à ce stade, le jugement ayant prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire doit être infirmé et il convient, en conséquence, d’ouvrir une nouvelle période d’observation d’une durée de trois mois afin de permettre à la société d’élaborer un plan de redressement, de régler la question du rachat des parts sociales de Mme [Z] et de soumettre ce plan au tribunal, les organes de la procédure étant maintenus en l’état.
Les dépens de première instance et d’appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu de convertir le redressement en liquidation judiciaire de la société Elisa;
Ouvre une nouvelle période d’observation de trois mois à compter du présent arrêt ;
Renvoie l’affaire et les parties devant le tribunal de commerce de Meaux pour la poursuite de la procédure de redressement judiciaire conduite par les organes désignés par jugements des 30 mai et 27 juin 2022 ;
Rappelle que le greffe du tribunal de commerce de Meaux devra procéder aux mentions et publicités prévues par la loi ;
Ordonne l’emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT