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14 décembre 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/00479
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53F
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 DECEMBRE 2023
N° RG 22/00479 – N° Portalis DBV3-V-B7G-U64F
AFFAIRE :
S.A.S. FREYSSINET INTERNATIONAL ET COMPAGNIE
C/
Société SLIPFORM ENGINEERING INTERNATIONAL (H.K) LIMITED
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Décembre 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 3
N° RG : 2019F01252
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Christophe DEBRAY
TC NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.S. FREYSSINET INTERNATIONAL ET COMPAGNIE
RCS Nanterre n° 333 912 764
[Adresse 1]
[Localité 2]
Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 22/01770 (Fond)
Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Rajeev SHARMA-FOKEER de la SELAS FOUCAUD TCHEKHOFF POCHET ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P010
APPELANTE
****************
Société SLIPFORM ENGINEERING INTERNATIONAL (H.K) LIMITED
[Adresse 4]
[Adresse 4]
HONG KONG
Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 22/01770 (Fond)
Représentée par Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et Me Ela BARDA et Me Thomas ROUHETTE de l’AARPI SIGNATURE LITIGATION, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : K0151
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 Octobre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSÉ DES FAITS
La SAS Freyssinet International et Compagnie, ci-après dénommée la société Freyssinet, a pour activité les travaux publics et privés techniques sur chantier.
La société à responsabilité limitée de droit hongkongais Slipform Engineering International (H.K) Limited, ci-après dénommée la société Slipform, a pour activité, à Hong Kong, l’ingénierie et la construction, notamment de coffrages pour bâtiments industriels.
Dans le cadre de deux projets de construction par la société Slipform de réservoirs de gaz naturel liquéfié (GNL) aux Philippines ([Localité 3]) et en Indonésie ([Localité 5]), la société Freyssinet a adressé à la société Slipform deux propositions commerciales le 22 août 2013 comprenant l’approvisionnement en matériels de précontrainte, la location d’équipements de précontrainte et l’assistance technique sur place pour des travaux de précontrainte.
Ces deux propositions commerciales ont été acceptées par la société Slipform selon lettre de confirmation de même date et contresignées par la société Freyssinet le 26 août 2013.
Deux contrats ont ensuite été conclus par les parties respectivement le 12 octobre 2013 pour le chantier de [Localité 3] et le 25 novembre 2013 pour le chantier de [Localité 5].
Les deux contrats sont rédigés de manière très semblable et prévoient :
– la fourniture de services d’ingénierie,
– la fourniture de matériaux de précontrainte selon le cahier des charges,
– l’acquisition de matériaux de précontrainte,
– la location de matériel de précontrainte pour une durée de 4 mois à compter de la mise à disposition sur le chantier du matériel,
– la mise à disposition d’un assistance technique.
Le contrat concernant le chantier philippin a été conclu au prix de 1.661.602,55 €, payable à raison de 20% dans les 30 jours suivant la signature et le solde dans les 30 jours suivant la réception des factures.
Le contrat concernant le chantier indonésien a été conclu au prix de 818.167,35 €, selon les mêmes modalités.
Un incident est survenu lors des travaux de précontrainte sur chacun des chantiers, le 15 octobre 2014 à [Localité 3] et le 4 novembre 2014 à [Localité 5], menant à l’arrêt des travaux.
Le 15 décembre 2014, la société Freyssinet a adressé à la société Slipform deux lettres valant avenants aux contrats, afin d’allonger la durée de location du matériel de précontrainte, du fait de la suspension du chantier.
Par courriels du 17 mars 2015, la société Slipform a demandé à la société Freyssinet de reprendre immédiatement tous les travaux de précontrainte.
Par courriel du 26 mars 2015, la société Freyssinet a répondu pouvoir rapidement adresser un calendrier de mobilisation à la société Slipform, mais a demandé au préalable le paiement de ses factures, un accord sur les avenants adressés le 15 décembre 2014 et des éléments de réponse sur les non-conformités qu’elle indiquait avoir relevées dans la conception des travaux de précontrainte lors de la survenance des incidents de chantier.
Des échanges sont ensuite intervenus entre les parties. La société Freyssinet a adressé le 5 mai 2015 une lettre confirmant ses inquiétudes concernant les problèmes techniques soulevés et l’absence de paiement de ses factures.
Par courriel en réponse du 7 mai 2015, la société Slipform a mis en cause la responsabilité de la société Freyssinet dans la survenance des incidents, ce que cette dernière a contesté par courrier du 19 mai suivant.
Par courriers des 17 février, 7 juin 2017 et 5 octobre 2018, la société Freyssinet a mis la société Slipform en demeure de régler ses factures.
La société Slipform s’y est opposée par courrier du 19 octobre 2018.
C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier du 1er mars 2019, la société Freyssinet a fait assigner la société Slipform devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Par jugement du 9 décembre 2021, le tribunal de commerce de Nanterre :
– s’est déclaré compétent matériellement et territorialement ;
puis a :
– dit la loi française applicable au litige ;
– condamné la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme en principal de 72.565,13 € +143.342,96 €, soit au total 215.908,09 €, avec intérêts au taux légal, à compter du 1er mars 2019 ;
– débouté la société Freyssinet de sa demande au titre de préjudice financier ;
– débouté la société Slipform de ses demandes reconventionnelles ;
– condamné la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme de 10.000 € au titre de l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Slipform aux dépens ;
– ordonné l’exécution provisoire du jugement, nonobstant appel et sans constitution de garantie.
Par déclaration du 24 janvier 2022, la société Freyssinet a intejeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 19 septembre 2023, la société Freyssinet International et Compagnie demande à la cour de :
– Déclarer recevable et bien fondé l’appel partiel formé par la société Freyssinet ;
– Déclarer que l’appel incident interjeté par la société Slipform est mal fondé ;
– Infirmer le jugement du 9 décembre 2021 en ce qu’il a :
– Condamné la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme en principal de 72.565,13 € +143.342,96 €, soit au total 215.908,09 €, avec intérêts au taux légal, à compter du 1er mars 2019. Et, ce faisant, rejeté à tort les demandes de la société Freyssinet tendant au paiement de loyers postérieurs au 31 décembre 2014 (au titre de la location des équipements de précontrainte) et refusé également à tort d’appliquer sur les sommes accordées le taux d’intérêt contractuel ;
Et, statuant à nouveau,
À titre principal,
– Juger les demandes de la société Slipform fondées sur des faits antérieurs au 29 janvier 2020 intégralement prescrites ;
– Déclarer la société Slipform irrecevable en ses demandes formées sur des faits prescrits car antérieurs au 29 janvier 2020 ;
– Juger que les factures de loyers des équipements de précontrainte entre les mois de janvier 2015 et juin 2017 pour [Localité 3] et de janvier 2015 à mai 2016 pour [Localité 5], étaient contractuellement dues correspondant à une somme principale de 667.665,34 € ;
– Juger que lesdites factures portent intérêt au taux contractuel convenu, soit Euribor un mois, s’induisant de leur date d’échéance, + 7 points ;
En conséquence,
– Condamner la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme principale supplémentaire de 667.665,30 €, correspondant auxdites factures émises, somme à parfaire des intérêts contractuels jusqu’au jour du prononcé de la décision à venir ;
Y ajoutant,
– Ordonner le paiement de 6.300 € correspondant à la location du matériel de tension d’octobre à décembre 2014 au titre de la facture FIDGP-6066 du 11 février 2016 avec intérêts au taux contractuel convenu ;
– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme en principal de 72.565,13 € + 143.342,96 €, soit au total 215.908,09 € ;
– Ordonner que sur cette condamnation portera intérêts au taux contractuel convenu ;
– Confirmer le jugement en ses autres dispositions ;
À titre subsidiaire, s’il était jugé que les sommes facturées ne sont pas contractuellement dues,
– Condamner la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme supplémentaire de 667.665,34 €, correspondant au versement d’une indemnité de jouissance, du fait du manquement commis à son obligation de restituer les équipements loués, somme à parfaire des intérêts légaux à compter de la restitution des équipements en 2016 et 2017 respectivement ;
À titre infiniment subsidiaire, s’il était jugé en outre, par impossible, que la société Slipform n’est redevable d’aucune indemnité de jouissance,
– Condamner la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme supplémentaire de 667.665,34 € sur le fondement de l’enrichissement injustifié, somme à parfaire des intérêts légaux à compter de la restitution des équipements en 2016 et 2017 respectivement ;
En tout état de cause,
– Débouter la société Slipform de sa demande en paiement de 1.318.076,40 € à titre de dommages-intérêts ;
– Débouter la société Slipform de sa demande en paiement de 50.000 € au titre de son prétendu préjudice moral ;
– Débouter la société Slipform de toutes ses demandes, fins et prétentions autres ou plus amples ;
– Condamner la société Slipform à verser à la société Freyssinet la somme supplémentaire de 25.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Slipform aux entiers dépens de première instance et d’appel qui comprendront le remboursement des frais de signification et d’exécution de la décision à intervenir y compris le droit dégressif de l’article 10 du décret de 1996 relatif aux émoluments des huissiers de justice pour le cas où les condamnations ne seraient pas exécutées spontanément.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 août 2023, la société Slipform demande à la cour de :
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Condamné la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme en principal de 72.565,13 € +143.342,96 €, soit au total 215.908,09 €, avec intérêts au taux légal, à compter du 1er mars 2019 ;
– Débouté la société Slipform de ses demandes reconventionnelles ;
– Condamné la société Slipform à payer à la société Freyssinet la somme de 10.000 € au titre de l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la société Splipform aux dépens ;
Et, statuant à nouveau,
S’agissant des factures dites ‘antérieures’, émises par la société Freyssinet pour la période courant jusqu’au 26 octobre 2014 pour le contrat de [Localité 5] et jusqu’au 12 décembre 2014 pour le contrat de [Localité 3],
– Juger que la société Slipform est fondée à opposer à la société Freyssinet une exception d’inexécution pour refuser le paiement desdites factures au titre des manquements contractuels commis par la société Freyssinet ;
– En conséquence, débouter la société Freyssinet de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre de ces factures ‘antérieures’ ;
S’agissant des factures dites ‘postérieures’, émises par la société Freyssinet pour la période courant à partir du 26 octobre 2014 pour le contrat [Localité 5] et du 12 décembre 2014 pour le contrat de [Localité 3],
À titre principal,
– Juger que les contrats conclus entre la société Slipform et la société Freyssinet n’ont fait l’objet d’aucune extension ;
– En conséquence, débouter la société Freyssinet de ses demandes tendant au paiement des factures relatives à la période courant à compter du 26 octobre 2014 pour le chantier de [Localité 5] et du 12 décembre 2014 pour le chantier de [Localité 3] ;
– Débouter la société Freyssinet de l’intégralité de ses demandes aut titre d’une indemnité de jouissance ;
– Débouter la société Freyssinet de l’intégralité de ses demandes au titre de l’enrichissement injustifié ;
À titre subsidiaire, si la cour devait juger que les contrats ont fait l’objet d’un renouvellement tacite,
– Juger que la société Slipform est fondée à opposer à la société Freyssinet une exception d’inexécution pour refuser le paiement desdites factures au titre des manquements contractuels commis par Freyssinet ;
– En conséquence, débouter la société Freyssinet de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre de ces factures ‘postérieures’;
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté le surplus des demandes présentées par la société Freyssinet ;
S’agissant des demandes indemnitaires formées par la société Slipform,
À titre principal,
– Débouter la société Freyssinet de sa demande tendant à voir les demandes indemnitaires formées par la société Slipform jugées irrecevables ;
– Déclarer recevables les demandes indemnitaires formées par la société Slipform par voie de conclusions du 29 janvier 2020 ;
– Condamner la société Freyssinet à verser à la société Slipform la somme de 1.318.076,21 € à titre de dommages-intérêts pour les coûts d’immobilisation qu’elle a supportés ;
À titre subsidiaire,
– Déclarer recevables les demandes indemnitaires formées par voie de conclusions le 29 janvier 2020 par la société Slipform s’agissant de la portion relative à l’indemnisation des coûts d’immobilisation qu’elle a supportés à compter du 17 mars 2015, à la suite du refus de la société Freyssinet de reprendre les travaux de précontrainte malgré les conclusions du rapport d’Arup ;
– Condamner la société Freyssinet à verser à la société Slipform la somme de 719.715,27 € à titre de dommages-intérêts pour les coûts d’immobilisation qu’elle a supportés ;
En tout état de cause,
– Déclarer recevable la demande indemnitaire formée par la société Slipform par voie de conclusions du 16 décembre 2020 au titre de la réparation de son préjudice moral ;
– Condamner la société Freyssinet à verser à la société Slipform de 50.000 € en réparation de son préjudice moral.
En tout état de cause,
– Condamner la société Freyssinet aux dépens ;
– Condamner la société Freyssinet à verser à la société Slipform la somme de 145.630,07 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 2023.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la demande en paiement des factures
La société Freyssinet soutient avoir rempli ses obligations au titre des contrats [Localité 3] et [Localité 5], dès lors qu’elle a procédé à l’envoi des matériaux de précontrainte commandés, des équipements loués pour procéder aux travaux de précontrainte, des recommandations techniques pour la bonne exécution des travaux de précontrainte, puis a envoyé des techniciens sur les deux sites afin d’assurer l’assistance technique des opérations de précontrainte. Elle ajoute que les incidents survenus en octobre et novembre 2014 ayant conduit à la suspension des travaux de précontrainte sur les chantiers ne lui sont pas imputables, de sorte qu’elle n’a pas à en supporter la charge financière. L’appelante souligne que la société Slipform a reconnu qu’elle n’était pas responsable des incidents et s’est engagée à payer les factures litigieuses dès le mois d’août 2015.
La société Freyssinet sollicite donc la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné la société Slipform au paiement de la somme de 72.565,13 € en ce comprises les pénalités de retard, avec intérêts au taux Euribor + 7 points au titre des prestations d’assistance technique.
Concernant les factures relatives à la location des équipements de précontrainte, la société Freyssinet relève que la société Slipform n’a pas contesté l’exécution de la prestation, soulignant que l’exception d’inexécution soulevée par l’intimée ne la concerne pas. Elle soutient que les équipements ont été utilisés par la société Slipform pour la réalisation et la finalisation des travaux de précontrainte. Elle se prévaut de photographies montrant que le matériel a subi de nombreuses détériorations. Elle réclame une somme de 817.308,30 € au titre des factures de location des équipements jusqu’à leur restitution complète, soit jusqu’au mois de mai 2016 pour le chantier de [Localité 5] et jusqu’au mois de juin 2017 pour le chantier de [Localité 3]. Elle précise que cette somme comprend les pénalités de retard et sollicite les intérêts au taux Euribor + 7 points. Elle conclut à la confirmation du jugement concernant les factures portant sur la période courant jusqu’au mois de décembre 2014, tout en soulignant que les premiers juges ont omis de tenir compte de la facture n° FIDGP-6066 du 11 février 2016, d’un montant de 6.300 € au titre des frais de location du matériel de tension pour les mois d’octobre, novembre et décembre 2014. S’agissant des factures relatives à la location des équipements pour la période courant à compter du mois de janvier 2015, la société Freyssinet expose qu’il résulte du rapprochement des articles 1709, 1711 et 1713 du code civil que les règles générales applicables au louage de biens immobiliers le sont également au louage de biens meubles, autant qu’elles sont compatibles avec la nature des choses. Elle rappelle qu’en application de l’article 1738 du code civil, ” Si, à l’expiration des baux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par l’article relatif aux locations faites sans écrit “. L’appelante explique qu’à compter du mois de janvier 2015, la société Slipform a conservé les équipements qu’elle a utilisés pour l’exécution de ses chantiers, comme le démontrent les traces d’usure et de détérioration présentées par les matériels ; qu’elle lui a donc adressé les factures de location qui n’ont pas été contestées. Elle souligne que dans son courrier du 4 août 2016, la société Slipform s’est référée aux contrats de 2013, de sorte qu’il doit être considéré que deux contrats tacites de louage des équipements ont succédé aux contrats de 2013 à compter de janvier 2015. Subsidiairement, la société Freyssinet rappelle que l’obligation de restitution de la chose louée pèse sur le locataire au terme du contrat et sollicite le paiement d’une indemnité au titre du préjudice de jouissance correspondant à l’intégralité des factures de location émises, du fait du non-respect de l’obligation de restitution. Plus subsidiairement, la société Freyssinet fonde sa demande en paiement sur les dispositions de l’article 1303 du code civil du fait de l’enrichissement injustifié dont la société Slipform a bénéficié en conservant et en utilisant les équipements sans s’acquitter des loyers à compter du mois de janvier 2015.
Sur l’exception d’inexécution opposée par la société Slipform, la société Freyssinet répond que n’ayant pas respecté ses obligations contractuelles depuis le mois de septembre 2014, la société Slipform ne peut invoquer ce moyen. L’appelante ajoute que l’intimée ne rapporte pas la preuve de l’inexécution de ses obligations. Elle rappelle que les obligations de conception des réservoirs incombaient à la société Arup et que l’obligation d’installation et de vérification des gaines et tromplaques était assumée par la société EWPI. La société Freyssinet ajoute qu’elle n’était chargée que de la supervision que des opérations de précontrainte, soit l’enfilage, les tests de frottement, les mises en tension et l’injection des câbles verticaux et horizontaux. Elle indique qu’elle n’était pas responsable de la supervision des opérations d’installation des matériaux de précontrainte, soit l’installation des gaines horizontales et verticales, des tromplaques et la mise au point du coulis d’injection, qui relevaient de la responsabilité de la société Slipform et/ou de son entrepreneur général, cette installation devant être faite conformément aux spécifications contenues dans les procédures de travail fournies par Freyssinet. Elle conteste pouvoir être tenue de malfaçons dans les opérations de bétonnage, relevant de la seule responsabilité de la société Slipform et/ou de son entrepreneur général. Elle dénie également toute obligation de reporting qui n’est pas prévue aux contrats. Elle affirme qu’elle n’avait pas à vérifier le ferraillage, toutes les opérations effectuées par les divers sous-traitants de la société Slipform relevant du contrôle de l’équipe construction de la société EWPI. Elle considère que la société Slipform ne peut se prévaloir de l’absence de document d’évaluation des risques, qui porte sur les risques en matière de santé et de sécurité du personnel sur le chantier et qui est donc sans rapport avec les processus techniques d’installation relevant de sa mission. La société Freyssinet soutient en tout état de cause que la société Slipform ne démontre pas en quoi l’inexécution qu’elle lui reproche présentait un degré de gravité justifiant la suspension du paiement des factures relatives à l’assistance technique antérieures aux incidents et des factures relatives à la location des équipements de précontrainte utilisés. Elle souligne que les équipements ont bien été mis à disposition et que le manquement prétendu aux obligations d’assistance technique ne peut justifier l’exception d’inexécution s’agissant du paiement des factures de location, les obligations stipulées aux contrats n’étant pas indivisibles. Elle fait valoir que le manquement invoqué aux obligations d’assistance technique ne peut justifier le défaut de paiement des factures, l’exception d’inexécution étant disproportionnée au regard du montant des factures de location des équipements.
La société Freyssinet demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a appliqué le taux d’intérêt légal et de condamner la société Slipform au paiement des intérêts conventionnels prévus aux contrats, correspondant au taux Euribor un mois, à la date d’exigibilité des factures impayées, + 7 points.
Elle souligne que dans le cadre de l’action que la société Slipform a engagée à l’encontre du bureau d’études Arup, elle a intégré à son préjudice ses factures pourtant impayées.
La société Slipform s’oppose à la demande en paiement. Elle se prévaut à l’égard de la société Freyssinet de l’exception d’inexécution. Elle explique avoir suspendu le paiement des factures à compter de la survenance des incidents sur les deux chantiers. Elle soutient qu’au titre de sa mission d’assistance technique, il incombait à la société Freyssinet de veiller à la bonne installation des matériaux et à la bonne exécution des opérations de précontrainte ; qu’il lui revenait de procéder à des évaluations de risques et de fournir des rapports réguliers relatifs à l’état d’avancement des travaux de précontrainte. Elle soutient qu’aux termes des procédures de travail élaborées par la société Freyssinet, cette dernière devait vérifier la bonne installation des tromplaques et des armatures anti-éclatement du béton, l’installation des matériaux avant le bétonnage, superviser l’opération de bétonnage et plus généralement, aider le maître d’oeuvre à organiser les travaux de précontrainte. Elle indique que la société Freyssinet a manqué à l’ensemble de ces obligations, notamment en ne remettant aucun des documents ou rapports visés dans les procédures de travail, qui auraient pourtant permis d’identifier en amont les problèmes qu’elle a relevés dans ses notes techniques établies après les incidents. Elle soutient avoir alerté la société Freyssinet de l’inexécution de son obligation d’assistance technique dès l’automne 2014 et l’avoir informée de son refus de paiement des factures à compter de la suspension des chantiers qu’elle lui impute du fait de mauvaises recommandations suivies de l’abandon des chantiers. Elle estime que cette sanction est proportionnée à la gravité des manquements de la société Freyssinet et que le paiement des factures émises par la société Freyssinet au titre de la location du matériel ne peut être exigé en raison de leur indivisibilité avec l’obligation d’assistance technique.
Elle conteste la demande en paiement au titre des factures de location de matériel à compter de l’expiration des contrats, soit des 26 octobre et 12 décembre 2014, au regard des manquements imputables à la société Freyssinet et de l’absence de renouvellement de ces contrats convenu entre les parties. Elle soutient ne pas avoir conservé les matériels de manière volontaire, mais du fait de la suspension des chantiers qui a entrainé leur immobilisation. Elle indique ne pas avoir donné suite aux propositions commerciales de la société Freyssinet en vue de renouveler les contrats de location. Elle souligne que la société Freyssinet a conditionné la reprise des travaux de précontrainte à l’acceptation des propositions de renouvellement, confirmant ainsi l’absence de renouvellement des contrats.
La société Slipform s’oppose également à la demande subsidiaire en paiement d’une indemnité de jouissance. Elle conteste l’application du régime des contrats de louage de chose aux contrats en cause en raison de l’existence d’obligations indivisibles. Elle ajoute qu’il n’existe aucune disposition légale prévoyant d’une part, une obligation de restitution automatique de la chose louée à l’expiration de la relation contractuelle et d’autre part, les conséquences d’un retard dans ladite restitution. Elle estime que les conditions nécessaires pour que sa responsabilité soit engagée ne sont pas réunies, dès lors que la société Freyssinet ne l’a jamais mise en demeure de restituer le matériel, qu’elle aurait pu et même dû prendre une part active dans la restitution des équipements et qu’elle ne démontre pas l’existence d’un préjudice consécutif au défaut de restitution.
Enfin, la société Slipform conclut au rejet de la demande indemnitaire fondée sur l’enrichissement injustifié expliquant que cette action n’est pas admise lorsqu’elle vise à suppléer une autre action tendant aux mêmes fins, alors qu’en l’espèce, l’action exercée au titre de l’enrichissement injustifié n’est pas la seule action dont dispose la société Freyssinet pour solliciter l’indemnisation du préjudice invoqué.
*****
Sur la demande en paiement des factures au titre de l’assistance technique
La société Slipform ne conteste pas le défaut de paiement des factures, mais oppose l’exception d’inexécution au regard de manquements de la société Freyssinet à ses obligations contractuelles.
Il résulte des éléments de la procédure, notamment des écritures des parties, que la société Freyssinet est intervenue dans le cadre des chantiers de construction des deux réservoirs de gaz naturel liquéfié en qualité de sous-traitant de la société Slipform, elle-même maître d’oeuvre de l’opération de construction. Il apparaît en outre que la société Arup est intervenue en qualité de bureau d’études chargé de la conception des ouvrages (pièce n°85 de la société Freyssinet) et que la société EWC a assumé la fonction d’entrepreneur général. Enfin, la pièce n°36 communiquée par la société Slipform établit que la société EWPI a assuré la réalisation des travaux d’installation des gaines et tromplaques.
Il ressort des contrats conclus les 12 octobre et 25 novembre 2013 entre les parties concernant les chantiers de [Localité 3] et [Localité 5] et de leur traduction non contestée, que la société Freyssinet était tenue des obligations suivantes :
– la fourniture de services d’ingénierie : ” Fournir les documents pour la bonne exécution des travaux de précontrainte sur le chantier qui comprennent : i) les procédures d’exécution pour l’installation des gaines, l’enfilage, la mise en tension, l’injection et les essais de friction ; ii) les spécifications des matériaux selon le document du projet référence 210427-GEN-SP1-PG 003 pour les torons, ancrages (tromplaques, blocs, mors) ; iii) plan de qualité et sécurité pour l’inspection et les essais (ITP) afin de garantir la bonne réalisation des travaux et, l’évaluation du risque pour chaque opération clé de précontrainte ” ;
– l’acquisition de matériaux de précontrainte, à savoir : ” Fournir les matériaux suivant le cahier des charges du projet qui comprennent i) des torons de 15.7 mm de diamètre, 1860 Mpa, à faible relaxation ; ii) des ancrages comprenant une tromplaque, un bloc, des mors Unigrip (2) (fabriqués en 3 pièces à partir de la même barre en acier brut pour la meilleure prise du toron) et des accessoires de fixation ; iii) des tubes en acier en U ; iv) des gaines feuillard et coupleurs associés ; vi) des évents supérieurs pour permettre l’injection dans les câbles verticaux ; vi) des additifs pour coulis de ciment ” ;
– la location de matériel de précontrainte : ” Fournir l’équipement de précontrainte qui comprend i) 3 machines à pousser MAP 2P+ 6 distributeurs de torons ; ii) 4 vérins CC1000 + 2 vérins CC350 + 1 vérin de détension + 6 pompes hydrauliques ; iii) 1 équipement d’injection + pompe à injection ” ;
– une assistance technique : ” Mettre à disposition du personnel d’encadrement qui comprend : i) 1 superviseur pour contrôler la bonne installation des gaines et tromplaques noyées dans le béton ; ii) 1 chef de chantier (expatrié) + 1 superviseur + 1 ingénieur de chantier pour superviser les opérations de précontrainte “.
Comme le soutient la société Slipform, les contrats stipulaient au titre de l’assistance technique la mise à disposition d’un “superviseur pour contrôler la bonne installation des gaines et tromplaques noyées dans le béton”, outre la supervision des opérations de précontrainte.
Si la société Slipform soutient que la société Freyssinet était responsable de la bonne installation des équipements de précontrainte, impliquant un contrôle de la conception de ces prestations avant l’exécution des travaux de précontrainte, la société Freyssinet établit que par courriels adressés à la société Slipform les 14 mai et 28 juin 2013, ainsi que dans le document de travail qu’elle a communiqué à la société EWC dans sa version au 28 juin 2013, elle a précisé que ses prestations ne comportaient aucun contrôle détaillé des dessins, ni aucune analyse des données techniques relatives aux opérations de précontrainte qui n’a pas été incluse dans ses offres commerciales, ni aucun plan de détails réalisé par ses soins :
– ” Freyssinet fournira le matériel selon les quantités et les spécifications fournies par EWC. Aucun contrôle détaillé des dessins n’a été effectué ” ;
– ” Freyssinet peut effectuer une analyse détaillée des données techniques relatives aux opérations de précontrainte sur demande. Elle n’a pas été incluse dans les offres. Les quantités indiquées sont celles fournies par EWC ” ;
– ” Aucun plan de détails ne sera réalisé par Freyssinet. Freyssinet donnera toutes les dimensions des ancrages et du matériel à EWC “.
Il en résulte que la société Freyssinet n’était effectivement pas en charge de la conception, de l’installation et de l’implantation des matériaux de précontrainte, prestations qui n’ont pas été commandées par la société Slipform, alors qu’il n’est pas contesté que la société Arup intervenait dans le cadre des deux chantiers en tant que bureau d’études chargé de la conception.
La société Slipform se prévaut des opérations de vérification à réaliser avant le bétonnage, telles que détaillées dans le document relatif aux “procédures de travail installation” établies par la société Freyssinet pour chacun des chantiers les 30 octobre et 4 novembre 2013 et qui prévoient les contrôles suivants :
“- Vérifier que la position des gaines reste dans les tolérances spécifiées par rapport à leur position théorique. Vérifier que le tracé ne comporte pas d’angles.
– Vérifier la fixation des supports.
– Vérifier que toutes les tromplaques ont été correctement fixées.
– Vérifier qu’il n’y a pas de trou sur la longueur du conduit.
– Vérifier qu’il n’y a pas de bosses réduisant la section de la gaine et pouvant créer un point de blocage lors du filetage.
– Vérifier que chaque raccord est bien fixé et scellé.
– Vérifier que toutes les armatures anti-éclatement sont en place”.
Toutefois, pour les motifs énoncés supra, la société Freyssinet n’était pas tenue d’exécuter ces prestations, les “procédures de travail installation” ayant été communiquées à la société Slipform au titre de la documentation due par la société Freyssinet en exécution des contrats, sans que les opérations de vérifications liées à cette phase ne lui aient été confiées. Il doit en outre être rappelé qu’aux termes des contrats, le contrôle incombant à la société Freyssinet devait être opéré sur les “gaines et tromplaques noyées dans le béton” (souligné par la cour). Il ne peut donc être reproché à cette dernière un quelconque manquement au titre de vérifications auxquelles il devait être procédé avant que le béton ne soit coulé. D’ailleurs, la société Slipform produit en pièces n°36 et 37 des listes de contrôles relatives à l’installation des équipements de précontrainte démontrant que ces vérifications incombaient à d’autres intervenants aux chantiers, puisque la société Freyssinet n’apparaît que de manière extrêmement ponctuelle pour un seul point de contrôle relatifs aux câbles, le second étant sans objet (” NA “).
Par ailleurs, la société Slipform se prévaut des stipulations des “procédures de travail opérations” en application desquelles la société Freyssinet devait contrôler que les extrémités des gaines étaient dégagées, non obstruées et vérifier l’état des tromplaques. Elle rappelle que ces procédures prévoient également que “Tous les travaux devront être conduits en accord avec les dessins, spécifications et notes de calcul approuvés et sous la supervision complète des représentants de Freyssinet qui doivent être déployés sur le site à plein temps” et que “Les chefs de chantier et les superviseurs de Freyssinet sont dépêchés sur place pour aider le maître d”uvre à organiser et à contrôler les travaux de précontrainte”.
Cependant, ces procédures se rapportent aux “opérations” de précontrainte et non à la phase d’installation des matériels de précontrainte. La société Slipform ne peut donc s’en prévaloir pour caractériser un manquement au stade de la vérification de la bonne installation des gaines et tromplaques, alors que la conception de ces travaux n’a pas été confiée à la société Freyssinet.
La société Slipform reproche plus particulièrement à la société Freyssinet différents manquements qu’il convient d’examiner.
Elle lui fait tout d’abord grief de ne pas avoir procédé à la vérification de la bonne installation des gaines et tromplaques lors de l’installation des matériaux de précontrainte. Elle considère que la société Freyssinet n’a émis aucun document ou rapport permettant d’établir qu’elle avait bien vérifié que “toutes les tromplaques avait été correctement fixées” et que “toutes les armatures anti-éclatement étaient bien en place”, tel qu’exigé dans ses propres procédures de travail
Toutefois, comme indiqué précédemment ces obligations figurent dans le document relatif aux “procédures de travail installation”, alors que la société Freyssinet n’était pas chargée de l’installation des gaines et tromplaques et que le contrôle lui incombant aux termes des contrats devait être opéré sur les gaines et tromplaques d’ores et déjà noyées dans le béton. Si la société Slipform soutient que la société Freyssinet a, sur le chantier de [Localité 3], certifié la conformité des travaux d’installation des matériaux et notamment de la fixation du mécanisme de ” reinforcement “, soit du ferraillage, l’examen de la pièce n°36 ne permet pas de le confirmer, dès lors que la signature de M. [T], salarié de la société Freyssinet, n’est pas identifiable au niveau des deux points de contrôle dont se prévaut la société Slipform (” reinforcement ” ” firmly fixed in place ” et ” tendons ” ” prestress duct are firmly placed and fixed “). Comme l’indique la société Freyssinet, la signature de son salarié n’apparaît qu’au niveau de deux points de contrôle des câbles (tendons), dont il n’est pas démontré qu’ils sont liés à la survenance de l’incident à [Localité 3], étant rappelé que l’un de ces points est noté ” NA “, soit sans objet. Comme indiqué précédemment, ce document permet de constater que toutes les opérations d’installation et de contrôle qualité des équipements de précontrainte ont été assurées par d’autres prestataires, sous le contrôle de la société EWPI. Il corrobore donc l’analyse relative à la sphère d’intervention de la société Freyssinet développée supra aux termes de laquelle l’installation des tromplaques et du ferraillage ne relevait pas de la responsabilité de cette dernière. La société Freyssinet souligne pertinemment qu’elle n’apparaît pas sur la liste des contrôles effectués le 24 septembre 2014 concernant l’emplacement des gaines et le béton sur le chantier de [Localité 5], confirmant à nouveau son domaine d’intervention limité. Le fait qu’à la suite de l’incident sur le chantier de [Localité 3], la société Freysssinet a constaté que “la face arrière des tromplaques n’est pas entièrement coulée dans le béton” n’est pas de nature à caractériser un manquement de sa part, dès lors qu’aucun élément probant n’établit que dans le cadre du contrôle lui incombant en exécution du contrat, soit sur des gaines et tromplaques d’ores et déjà noyées dans le béton, ce problème aurait dû être vu ou décelé par le prestataire.
La société Slipform reproche ensuite à la société Freyssinet de ne pas l’avoir alertée des risques résultant d’une disposition inhabituelle des aciers de frettage et d’un positionnement trop lointain des câbles verticaux par rapport à la tromplaque, alors qu’elle disposait de l’ensemble des plans et dessins de la société Arup depuis le 6 mars 2013. Cependant, il ne ressort pas clairement du mail que la société Freyssinet a adressé à la société Slipform le 6 mars 2013 qu’elle disposait des plans et dessins du bureau d’études. En outre et en tout état de cause, comme indiqué supra, la société Freyssinet établit que par courriels adressés à la société Slipform les 14 mai et 28 juin 2013, elle a précisé que ses prestations ne comportaient aucun contrôle détaillé des dessins, ni aucune analyse des données techniques relatives aux opérations de précontrainte qui n’a pas été incluse dans ses offres commerciales :
– ” Freyssinet fournira le matériel selon les quantités et les spécifications fournies par EWC. Aucun contrôle détaillé des dessins n’a été effectué ” ;
– ” Freyssinet peut effectuer une analyse détaillée des données techniques relatives aux opérations de précontrainte sur demande. Elle n’a pas été incluse dans les offres. Les quantités indiquées sont celles fournies par EWC “.
Par ailleurs, la société Slipform ne saurait se prévaloir d’une obligation générale de la société Freyssinet de veiller sur ses intérêts, dans la mesure où cette obligation ne peut trouver application que dans les limites de la mission confiée à cette dernière, alors qu’il ressort des pièces produites que le positionnement des matériels de précontrainte et notamment celui des aciers de frettage et des câbles, ainsi que le contrôle de l’installation avant bétonnage n’étaient pas inclus dans les contrats liant les parties.
La société Slipform se prévaut encore d’un manquement de la société Freyssinet à ses obligations de supervision lors des opérations de précontrainte. Elle estime que le prestataire a émis de mauvaises recommandations, qu’en tant que superviseur chargé de la bonne exécution des travaux de précontrainte, la société Freyssinet devait prendre toutes les mesures nécessaires pour minimiser les risques et les accidents potentiels, a minima en procédant aux évaluations de risques avant chaque opération clé de précontrainte, telles que prévues aux contrats. Toutefois, il ressort des contrats qu’il n’est requis de la société Freyssinet qu’un ” plan de qualité et sécurité pour l’inspection et les essais (ITP) afin de garantir la bonne réalisation des travaux et, l’évaluation du risque pour chaque opération clé de précontrainte “. Il n’apparaît ainsi pas que pour chaque opération de précontrainte, la société Freyssinet devait émettre un document d’évaluation des risques. Il est constant que le plan de qualité et de sécurité a été fourni pour chacun des chantiers. Les plans sont produits par la société Freyssinet en pièces n°77 et 78 et la société Slipform n’explique pas en quoi ces documents ne sont pas conformes aux obligations contractuelles. La société Slipform affirme que la société Freyssinet avait tous les éléments en main pour identifier en amont les problèmes relevés dans ses notes techniques des 21 et 31 octobre 2014 pour le site de [Localité 3] et du 4 novembre 2014 pour le site de [Localité 5], après la survenance des incidents intervenus sur les sites. Cependant, aucune pièce probante ne permet de corroborer ces dires au regard des missions confiées à la société Freyssinet telles que rappelées précédemment.
Il convient de rappeler que l’incident de chantier à [Localité 3] s’est produit lors de l’enfilage et a endommagé une tromplaque, tandis que sur le chantier de [Localité 5], une tromplaque s’est fissurée lors de la mise en tension de deux câbles verticaux. Or, il doit être souligné, comme le relève pertinemment la société Freyssinet, que la société Slipform la considère responsable de la survenance de ces incidents, sans toutefois produire le moindre élément probant concernant la cause de ces incidents, en dehors des notes techniques établies par la société Freyssinet elle-même et dont il ressort que l’incident sur le chantier de [Localité 5] serait dû à une ” disposition inhabituelle des aciers de frettage contre l’éclatement du béton autour des câbles horizontaux et verticaux ” (note technique de la société Freyssinet du 28 novembre 2014) et que l’incident sur le chantier de [Localité 3] serait imputable à un manque de béton à l’arrière de la tromplaque, à l’existence d’un joint de construction contraire aux recommandations techniques, ainsi qu’à un problème de ferraillage du béton équivalent à celui décrit pour le chantier de [Localité 5] (notes techniques des 21 et 31 octobre 2014). Ainsi, il n’est à ce jour pas démontré que l’origine des dommages constatés sur les tromplaques relève de la sphère d’intervention de la société Freyssinet, alors que dans le cadre d’un courrier de réclamation qu’elle a adressé à la société Arup le 22 novembre 2017, la société Slipform a clairement et exclusivement mis en cause la responsabilité de cette dernière dans la survenance des incidents et qu’elle a intégré à sa demande indemnitaire la réclamation que la société Freyssinet formule à son égard au titre du paiement de ses factures. Dans ces conditions, la responsabilité de cette dernière ne saurait être engagée à ce titre.
La société Slipform impute à la société Freyssinet l’arrêt des chantiers à la suite des incidents.
Concernant le chantier de [Localité 5], il résulte du courriel de Mme [R], superviseur de ce chantier pour le compte de la société Freyssinet, que cette dernière a, le 6 novembre 2014, à la suite de l’incident précité du 4 novembre 2014, préconisé l’arrêt des travaux de précontrainte, ” en attendant que la raison de la fissuration de la tromplaque soit établie “. Il doit être rappelé que par mail du 4 novembre 2014, Mme [R] avait préconisé au maître d’oeuvre de solliciter la société Arup pour vérifier la conformité de la conception de l’ouvrage à ses préconisations techniques. Cette recommandation de prudence d’arrêt du chantier ne saurait caractériser une faute de la part de la société Freyssinet, étant souligné qu’il ne s’agissait, aux termes mêmes du mail que d’une suggestion (” il est fortement suggéré de cesser tout travail de précontrainte ‘ “), démontrant ainsi que la décision n’a pas été prise par la société Freyssinet, quand bien même cette dernière en aurait eu le pouvoir.
Le maître d’oeuvre reproche également à la société Freyssinet d’avoir recommandé l’arrêt du chantier alors que la fissuration n’a été constatée que sur un seul des 242 tendons et que ce dernier était bien muni d’aciers anti-éclatement. Cependant, la société Slipform procède sur ce point par affirmation, aucun élément probant ne permettant de conforter ses dires quant au caractère disproportionné de la recommandation émise.
La société Slipform fait encore grief à la société Freyssinet de ne pas avoir donné suite à sa demande répétée de réalisation d’essais complémentaires les 6 et 11 novembre 2014. Cependant, par courriel en réponse du 13 novembre 2014, M. [V], ingénieur projet de la société Freyssinet, a indiqué que ” l’armature d’éclatement prévue sur les tromplaques verticales (‘) n’est pas conforme à la prescription de l’agrément technique Freyssinet (‘) ” et la société Slipform, sur laquelle pèse la charge de la preuve, ne démontre pas que cet élément technique est erroné. Aussi, M. [V] en a justement conclu qu’il appartenait à la société Arup, chargée de la conception de l’ouvrage, de ” donner une explication formelle sur la conception ” avant d’envisager tout nouvel essai. Or, la société Slipform ne justifie pas des suites réservées à ce courriel avant le départ des techniciens de la société Freyssinet du site.
Enfin, la société Slipform soutient que le représentant de la société Freyssinet a quitté le site de [Localité 5] sans son consentement le 19 décembre 2014 entrainant l’arrêt complet de l’ensemble des travaux de précontrainte. La société Freyssinet communique le courriel de Mme [R] du 11 décembre 2014 annonçant la prise de ses congés de fin d’année du 22 décembre 2014 au 4 janvier 2015 et demandant à la société Slipform si elle souhaitait la présence d’un autre assistant technique pendant cette période. Si la société Slipform, dans un premier temps, par mail du 11 décembre 2014 a répondu par l’affirmative, il apparaît que par mail du 2 janvier 2015, la société Slipform a expressément demandé aux membres de la société Freyssinet affectés au projet, de différer leur retour sur le site dans l’attente de ses instructions.
Concernant le chantier de [Localité 3], aucune pièce ne démontre que la société Freyssinet a pris la décision d’arrêter le chantier, étant relevé que l’essentiel de l’argumentation et toutes les pièces visées par la société Slipform concernent le chantier de [Localité 5] et non celui de [Localité 3]. La société Slipform ne peut déduire de la recommandation émise par la société Freyssinet dans le cadre de l’incident survenu sur le chantier de [Localité 5] que la même préconisation devait être suivie à la suite de l’incident ayant affecté le chantier de [Localité 3]. Il ressort des pièces produites par la société Freyssinet qu’à la suite de l’incident, son ingénieur a demandé à la société Slipform de solliciter la société Arup afin de contrôler la conception de l’ouvrage et le respect de ses préconisations techniques. Par ailleurs, il n’est pas contesté que malgré ses recommandations, la tromplaque endommagée n’a pas été remplacée. En outre, par courrier du 26 novembre 2014, la société Slipform a indiqué à la société Freyssinet que : ” du fait de requêtes et actions encore à effectuer (i.e., séquence de mise en tension, acier de frettage, calcul de l’allongement des câbles, tracé du câble, test de friction etc.), nous n’avons temporairement plus besoin de votre équipe sur le site après le 29 novembre 2014 [‘] nous vous informerons lorsque nous aurons à nouveau besoin de votre expertise pour reprendre les activités de précontrainte “. Il n’est pas inutile de souligner qu’à l’occasion de ce courrier, la société Slipform a ajouté : qu’elle ” appréci[ait] le temps passé, l’effort, l’expérience et le savoir-faire technique de votre équipe s’agissant des activités de précontrainte qui ont profité aux équipes du site de [Localité 3] “.
Enfin, il ressort du courriel adressé par la société Arup à la société Slipform le 13 novembre 2014 que le bureau d’études a requis l’arrêt des travaux de précontrainte sur les deux chantiers jusqu’à la résolution des problèmes.
En conséquence, les manquements imputés à la société Freyssinet dans le cadre de l’arrêt des deux chantiers n’apparaissent pas démontrés.
Si la société Slipform reproche à la société Freyssinet d’avoir refusé de reprendre les travaux de précontrainte et se prévaut de courriels des 17 mars et 31 juillet 2015, il résulte des différents échanges entre les parties que la société Freyssinet, à l’égard de laquelle aucun manquement n’est démontré, a légitimement demandé le paiement de ses factures avant toute reprise de prestation (cf notamment le courriel de la société Freyssinet du 26 mars 2015).
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a considéré que les factures émises par la société Freyssinet au titre de la mission d’assistance technique sont dues, à concurrence de la somme de 72.565,13 €, décomposée comme suit :
– solde de la facture n° FIDGP-4033 du 9 septembre 2014120 de 19.339,50 € correspondant à la supervision des techniciens de Freyssinet sur le site de [Localité 3] pour les mois de juin, juillet et août 2014 ;
– facture n° FIDGP-4600 du 6 janvier 2015 de 6.557,69 € correspondant à la supervision des techniciens de Freyssinet sur le site de [Localité 3] pour le mois de septembre 2014 ;
– facture n° FIDGP-4918 du 25 mars 2015 de 17.600 € correspondant à la supervision des techniciens de Freyssinet sur le site de [Localité 3] pour le mois d’octobre 2014 ;
– facture n° FIDGP-4920 du 25 mars 2015 de 15.569,23 € correspondant à la supervision des techniciens de Freyssinet sur le site de [Localité 3] pour le mois de novembre 2014 ;
– facture n° FIDGP-4596 du 6 janvier 2015124 de 13.498,71 € correspondant à la supervision des techniciens de Freyssinet sur le site de [Localité 5] pour les mois de septembre à novembre 2014.
Cette somme produira intérêts au taux contractuel Euribor un mois, se déduisant de la date d’échéance de chaque facture, + 7 points.
Sur la demande en paiement des factures au titre de la location du matériel
Concernant la demande en paiement des factures de location de matériel pour la période courant jusqu’à la date d’échéance des contrats des 12 octobre et 25 novembre 2013, en l’absence de tout manquement contractuel de la société Freyssinet, le jugement déféré doit également être confirmé en ce qu’il a considéré qu’elles étaient dues. Toutefois, la société Freyssinet a reconnu dans ses courriels du 26 mars 2015 que les contrats de location des matériels ont respectivement pris fin, pour le chantier de [Localité 5], le 26 octobre 2014 et pour le chantier de [Localité 3], le 12 décembre 2014.
La société Freyssinet soutient que les contrats se sont renouvelés tacitement à leur terme en application de l’article 1738 du code civil.
L’article 1709 du code civil dispose que : ‘Le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer’.
Par ailleurs, l’article 1711 du même code énonce que : ‘Ces deux genres de louage se subdivisent encore en plusieurs espèces particulières :
On appelle ” bail à loyer “, le louage des maisons et celui des meubles ;
” Bail à ferme “, celui des héritages ruraux ;
” Loyer “, le louage du travail ou du service ;
” Bail à cheptel “, celui des animaux dont le profit se partage entre le propriétaire et celui à qui il les confie.
Les devis, marché ou prix fait, pour l’entreprise d’un ouvrage moyennant un prix déterminé, sont aussi un louage, lorsque la matière est fournie par celui pour qui l’ouvrage se fait.
Ces trois dernières espèces ont des règles particulières’.
Enfin, l’article 1713 du code précité prévoit que ” On peut louer toutes sortes de biens meubles ou immeubles “.
Comme le soutient la société Freyssinet, il résulte du rapprochement des articles 1709, 1711 et 1713 susvisés que les règles générales applicables au louage de biens immeubles le sont également au louage de biens meubles, autant qu’elles sont compatibles avec la nature des choses.
L’article 1738 du code civil dispose que : ” Si, à l’expiration des baux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par l’article relatif aux locations faites sans écrit “.
Cependant, en application de l’article 1215 du code civil, la tacite reconduction repose sur la volonté des parties de poursuivre la relation contractuelle. Cette volonté se manifeste notamment par le fait que les parties continuent d’exécuter leurs obligations contractuelles. Or, en l’espèce, il est constant que la société Slipform a refusé de payer les factures de location que la société Freyssinet lui a régulièrement adressées avant la restitution. Il ne saurait donc être considéré que les contrats litigieux ont été reconduits tacitement.
Subsidiairement, la société Freyssinet sollicite le paiement d’une indemnité de jouissance dont le montant correspond à l’intégralité des factures sur le fondement de l’article 1728 du code civil.
Il est rappelé qu’aucun manquement n’est caractérisé à l’égard de la société Freyssinet, de sorte que la société Slipform est mal fondée à opposer l’exception d’inexécution pour faire obstacle à la demande en paiement.
L’article 1728 du code civil dispose que : ‘Le preneur est tenu de deux obligations principales :
1° D’user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention ;
2° De payer le prix du bail aux termes convenus’.
Le contrat de location de biens mobiliers est un contrat consensuel dans le cadre duquel le bailleur est tenu de délivrer la chose louée et d’assurer une jouissance paisible au preneur, tandis que ce dernier doit user de la chose en bon père de famille, payer les loyers et restituer le bien loué à l’issue du contrat, dans un état d’usure normale compte tenu de l’usage que le contrat lui permettait d’en faire.
En l’espèce, le bien a été restitué, mais avec retard et il est constant que le contrat n’organise pas l’indemnisation du bailleur dans ce cas.
Si le locataire peut être condamné, dans le silence du contrat, à indemniser le bailleur, cette indemnisation porte sur le préjudice subi sur le fondement de la responsabilité délictuelle de droit commun qui suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité comme le rappelle la société Slipform. Or, la société Freyssinet ne vise pas les dispositions de 1240 du code civil et ne caractérise ni la faute, ni préjudice, ni le lien de causalité, conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité de la société Slipform.
La demande d’indemnité de jouissance ne peut par conséquent prospérer.
Enfin, la société Freyssinet se prévaut de l’enrichissement injustifié sur le fondement de l’article 1303 du code civil.
Ce texte dispose que : ‘En dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement’.
Toutefois, comme le souligne la société Slipform, l’article 1303-3 du même code énonce que ” L’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ‘ “.
Or, en l’espèce, pour les motifs précités, la société Freyssinet dispose de l’action en responsabilité délictuelle de l’article 1240 du code civil.
En conséquence, la demande indemnitaire ne peut davantage aboutir sur ce fondement.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que seules les factures de location de matériels antérieures au terme des contrats sont dues.
Au regard des factures communiquées et des périodes visées par celles-ci, il sera alloué à la société Freyssinet la somme de 118.532,20 € décomposée comme suit :
– Au titre du chantier de [Localité 3] :
– facture n° FIDGP-4602 du 6 janvier 2015 de 47.040 € correspondant à la location des équipements Freyssinet de mise en tension et d’injection pour la période courant du 12 août au 12 décembre 2014 ;
– facture n° FIDGP-6066 du 11 février 2016 de 7.112,90 € correspondant à la location des équipements d’enfilage de Freyssinet à compter du 24 mai 2014 jusqu’au 12 décembre 2014 ;
– facture n° FIDGP-8025 du 28 juillet 2017 de 13.412,90 € correspondant à la location des équipements de Freyssinet de mise en tension et d’injection et d’enfilage pour la période allant du mois de septembre jusqu’au 12 décembre 2014.
– Au titre du chantier de [Localité 5] :
– facture n° FIDGP-4597 du 6 janvier 2015 de 44.246,40 € correspondant à la location des équipements Freyssinet de mise en tension et d’injection à compter du mois de juin jusqu’au 24 octobre 2014 ;
– facture n° FIDGP-4598 du 6 janvier 2015133 de 6.720 € correspondant à la location des équipements d’enfilage de Freyssinet pour les mois de mai à septembre 2014.
Par infirmation du jugement, la société Slipform sera condamnée au paiement de cette somme qui produira intérêts au taux contractuel Euribor un mois, se déduisant de la date d’échéance de chaque facture, + 7 points.
Sur la demande indemnitaire reconventionnelle de la société Slipform
La société Slipform sollicite, à titre reconventionnel, l’indemnisation de préjudices qu’elle soutient avoir subis du fait de l’immobilisation des chantiers.
– Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la société Slipform
La société Freyssinet soulève la prescription de l’action de la société Slipform au titre des demandes reconventionnelles présentées en première instance par voie de conclusions notifiées les 29 janvier et 16 décembre 2020. Elle explique que les incidents sur lesquels est fondée la demande en réparation de la société Slipform au titre d’un prétendu préjudice financier, sont intervenus et étaient connus de cette dernière bien avant la date du rapport de la société Arup du 9 mars 2015. Elle relève que les chantiers ont respectivement repris en décembre 2014 et le 7 janvier 2015, de sorte que la prescription quinquennale était acquise le 7 janvier 2020.
La société Slipform conclut au rejet de la fin de non-recevoir formulée le 29 janvier 2020. Elle fait valoir que le point de départ de la prescription correspond à la date de la remise du rapport de la société Arup qui lui a permis de savoir que l’immobilisation était inutile puisque la société Arup a confirmé que les préconisations de la société Freyssinet avaient été respectées. Subsidiairement, elle fixe le point de départ du délai quinquennal au 17 mars 2015, date à laquelle elle a mis la société Freyssinet en demeure d’avoir à reprendre l’exécution des travaux. Elle soutient par ailleurs que la demande formulée au titre de l’indemnisation de son préjudice moral bénéficie de l’interruption de la prescription de la demande formulée le 29 janvier 2020.
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L’article 2224 du code civil dispose que : ” Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer “.
Par ailleurs, l’article 2241 du même code énonce que : ” La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion “.
L’action en paiement exercée par la société Slipform a pour objet l’indemnisation du préjudice qu’elle soutient avoir subi du fait de l’immobilisation qu’elle estime injustifiée des chantiers à la suite des mauvaises préconisations imputées à la société Freyssinet.
Le point de départ du délai d’action se situe donc au jour où la société Slipform a connu ou aurait dû connaître le caractère prétendument injustifié de l’arrêt de chaque chantier.
La société Freyssinet ne démontre pas que la société Slipform a connu ou aurait dû connaître cette information avant la remise du rapport de la société Arup le 9 mars 2015, dans lequel cette dernière indique, à l’issue de vérifications, que toutes les prescriptions techniques émises par la société Freyssinet ayant été respectées, aucun défaut de conception n’affectait les travaux de précontrainte.
L’action engagée par la société Slipform par conclusions du 29 janvier 2020 au titre de l’indemnisation des préjudices matériels consécutifs à l’immobilisation est donc recevable.
En revanche, l’action engagée par la société Slipform par conclusions du 16 décembre 2020 au titre de l’indemnisation du préjudice moral consécutif aux manquements de la société Freyssinet doit être déclarée prescrite, dès lors que cette action ne peut bénéficier de l’effet interruptif de prescription de celle relative à l’indemnisation des préjudices consécutifs à l’immobilisation et que les manquements invoqués au soutien de la demande indemnitaire sont antérieurs au 16 décembre 2015, ce que reconnaît la société Slipform aux termes de écritures : ” Ainsi, le préjudice moral subi par Slipform repose donc sur des faits intervenus jusqu’à l’été 2015 “.
Comme le soutient la société Slipform, si l’effet interruptif de la prescription est, en principe, limité à l’action en justice concernée et ne s’étend pas à d’autres actions, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première. Toutefois en l’espèce, la demande indemnitaire formulée par la société Slipform au titre de son préjudice moral tend à la réparation d’un dommage distinct du préjudice matériel. Les deux actions, bien que fondées sur le même contrat, au titre des mêmes manquements, n’ont pas le même objet et il ne saurait être considéré que la demande au titre du préjudice moral est virtuellement comprise dans celle relative au dommage matériel. L’action indemnitaire doit donc être déclarée irrecevable comme étant prescrite.
– Sur le bien-fondé de la demande
La société Slipform reproche à la société Freyssinet d’avoir manqué à son obligation de fourniture du matériel de précontrainte en sous-estimant les quantités de plusieurs matériaux, alors qu’elle était chargée de procéder aux estimations et qu’elle disposait à cette fin des informations nécessaires depuis la communication des plans de la société Arup du 6 mars 2013. Elle fait également grief à la société Freyssinet d’avoir manqué à son obligation de fourniture de service d’ingénierie, dès lors qu’elle n’a procédé à aucune évaluation des risques, ainsi qu’à son obligation d’assistance technique.
La société Freyssinet conteste tout manquement.
Elle fait valoir :
– concernant la sous-estimation des quantités de matériaux, que ces évaluations ne ressortaient pas de ses obligations ; qu’elle a proposé des évaluations à titre indicatif ;
– concernant l’obligation générale d’information et de conseil, que cette obligation ne pourrait s’appliquer qu’à la vente de matériel de précontrainte ;
– concernant le défaut de communication à la société Slipform des documents et rapports relatifs à sa prestation d’ingénierie, que tous les documents ont bien été remis ;
– concernant le défaut de fourniture d’une assistance de qualité, que les prestations contractuelles ont été fournies, étant rappelé qu’elle n’était pas en charge de l’installation des tromplaques.
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Sur le manquement relatif à la sous-estimation des quantités de matériaux
La société Slipform soutient qu’aux termes des plans de qualité et de sécurité établis par la société Freyssinet, cette dernière était responsable de la fourniture de tous les matériaux et équipements prévus par les contrats. Elle se réfère aux stipulations de la page 10 des plans de qualité et sécurité se rapportant aux deux chantiers. Cependant, la lecture de ces pièces ne permet pas de confirmer ces dires. S’il est effectivement prévu que la société Freyssinet doit s’assurer, en lien avec le département des achats et de la logistique, de la livraison des produits et équipements, il n’est nullement indiqué que la société Freyssinet doit évaluer les quantités de matériaux nécessaires à l’exécution des travaux de précontrainte. Il doit être rappelé, pour les motifs précités, que la société Freyssinet n’était chargée ni de la conception de l’ouvrage, ni de la conception des travaux de précontrainte, cette prestation, bien que proposée à la société Slipform, n’ayant pas été commandée.
La société Freyssinet n’a formulé, au moment de l’offre commerciale, qu’une proposition basée sur son expérience à titre purement indicatif, les contrats stipulant expressément que ” les estimatifs de quantités sont des éléments provisoires, sujets à réévaluation, confirmation et révision au moment de la conception finale “, qui n’entrait pas dans le champ des missions de la société Freyssinet.
Dans un courriel du 6 mars 2013, la société Freyssinet précise à nouveau qu’elle ne procède qu’à des estimations que la société Arup doit vérifier et finaliser : ” je vais préparer plusieurs estimatifs fondés sur les plans actuels [‘] et fondés sur une estimation au prorata [‘] (qui devront être vérifiés et finalisés par ARUP) “.
En conséquence, le manquement n’est pas caractérisé.
Sur le manquement à l’obligation de fournir divers documents au titre des services d’ingénierie
La société Slipform fait valoir qu’au titre de son obligation de fourniture de services d’ingénierie prévue aux contrats, la société Freyssinet était tenue d’établir une évaluation des risques pour chaque opération clé de précontrainte, qu’elle n’a pas communiquée. Elle ajoute qu’elle n’a fourni aucun rapport permettant d’établir que l’installation des tromplaques s’est effectuée conformément à ses propres procédures de travail et plus généralement qu’elle n’a produit aucun rapport, liste d’inspection ou de contrôle avant de procéder aux travaux de bétonnage et de précontrainte.
Cependant, comme énoncé supra, le contrat ne prévoit pas l’établissement par la société Freyssinet d’une évaluation des risques pour chaque opération clé de précontrainte, mais uniquement un plan de qualité et de sécurité garantissant la bonne exécution des travaux et l’évaluation des risques pour chaque opération clé de précontrainte.
Or, il est constant que le plan de qualité et de sécurité a été établi et communiqué par la société Freyssinet pour chaque chantier. Ces plans sont produits par cette dernière en pièces n°77 et 78 et la société Slipform n’explique pas en quoi ces plans ne satisferaient pas aux exigences contractuelles.
Par ailleurs, les contrats en cause ne mettent nullement à la charge de la société Freyssinet l’établissement d’un rapport permettant d’établir que l’installation des tromplaques s’est effectuée conformément à ses procédures de travail ou encore de rapport, liste d’inspection ou de contrôle avant de procéder aux travaux de bétonnage et de précontrainte. Sur ce dernier point, la cour souligne que la société Slipform communique en pièces n°36 et 37 des listes de contrôles portant sur la vérification des travaux d’installation des équipements de précontrainte, qui ont été établis par les autres intervenants au chantier, démontrant ainsi que ces vérifications n’entraient pas dans le champ des missions de la société Freyssinet, à laquelle la conception des travaux de précontrainte n’a pas été confiée.
Enfin, il doit être rappelé que la société Slipform ne justifie pas de l’origine des incidents ayant affecté les chantiers de [Localité 3] et [Localité 5], de sorte qu’à supposer le manquement caractérisé, aucun lien de causalité certain et direct ne pourrait être établi avec le dommage allégué.
Sur le manquement à l’obligation d’assistance technique
La société Slipform reproche à nouveau le manquement de la société Freyssinet à son obligation de veiller à la bonne installation des matériaux et à la bonne exécution des travaux de précontrainte. Elle lui fait grief d’avoir recommandé la suspension des travaux, puis retiré ses équipes des chantiers, d’avoir refusé de diligenter des essais complémentaires, puis de reprendre les travaux.
Cependant, ces manquements ont été examinés supra et, pour les motifs précités, n’apparaissent pas caractérisés. En outre, comme indiqué précédemment, en l’absence de tout élément probant relatif à la cause des incidents survenus sur les chantiers en cause, aucun lien de causalité certain et direct ne peut être établi entre les manquements allégués et le dommage invoqué.
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Aucun manquement n’étant caractérisé à l’encontre de la société Slipform, les demandes indemnitaires formulées par la société Slipform au titre des coûts d’immobilisation et du préjudice moral doivent, par confirmation du jugement, être rejetées.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Compte tenu de la solution du litige, le jugement déféré sera confirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles.
Il résulte des motifs précités que la société Slipform succombe à titre principal. Par conséquent, elle supportera les dépens, en ce compris les frais de signification du présent arrêt. En revanche, il ne sera pas fait droit à la demande relative aux frais d’exécution, s’agissant d’une créance éventuelle. La société Slipform sera en outre condamnée à payer à la société Freyssinet la somme de 10.000 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a écarté la prescription de l’action en réparation du préjudice moral de la société Slipform et alloué à la société Freyssinet la somme de 215.908,09 € au titre des factures impayées avec intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2019 ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déclare irrecevable comme étant prescrite l’action de la société Slipform Engineering International Limited en réparation de son préjudice moral ;
Condamne la société Slipform Engineering International Limited à payer à la société Freyssinet International et Compagnie les sommes suivantes :
– 72.565,13 € au titre des factures relatives à l’assistance technique,
– 118.532,20 € au titre des factures de location des matériels ;
Dit que ces sommes produiront intérêts au taux contractuel Euribor un mois, se déduisant de la date d’échéance de chacune des factures, + 7 points ;
Condamne la société Slipform Engineering International Limited aux dépens d’appel en ce compris les frais de signification de la présente décision ;
Déboute la société Freyssinet du surplus de sa demande au titre des dépens ;
Condamne la société Slipform Engineering International Limited à payer à la société Freyssinet International et Compagnie la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,