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12 février 2024
Cour d’appel de Nouméa
RG n°
22/00034
N° de minute : 2024/8
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 12 février 2024
Chambre commerciale
N° RG 22/00034 – N° Portalis DBWF-V-B7G-S6Z
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 février 2022 par le tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG n° 21/262)
Saisine de la cour : 1er avril 2022
APPELANT
S.A.R.L. DIGICHROME, représentée par son gérant, M. [O] [G],
Siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me Laure CHATAIN de la SELARL CABINET D’AFFAIRES CALEDONIEN, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
S.A.R.L. AGENCE DE BUEAUTIQUE ET D’INFORMATIQUE (ABI),
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Franck ROYANEZ de la SELARL D’AVOCAT FRANCK ROYANEZ, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 25 septembre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.
Greffier lors des débats et lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
12/02/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire – Me ROYANEZ ;
Expéditions – Me CHATAIN ;
– Copie TMC ; Copie CA
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 30/11/2023 ayant été prorogé au 28/12/2023 puis au 25/01/2024 puis au12/02/2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Selon contrat du 13/02/2019, la société DIGICHROME a pris à bail de la société Oceanie Location devenue par fusion, la société Agence Bureautique et d’Informatique, ci-après dénommée A.B.I., une imprimante couleur de marque Xerox C/ 60, type 60PPM moyennant paiement de 48 loyers de 64 110 Fcfp. La machine a été livrée le 28/03/2019.
La société DIGICHROME s’est plainte quelques jours plus tard par mail du 13 mai 2019 que la nouvelle machine ne fonctionnait pas correctement.
M. [O], gérant de la société DIGICHROME expliquait que le « fiery » (serveur d’impression numérique) n’était pas compatible avec Windows XP qui est le système d’exploitation sur lequel la société DIGICHROME travaille impérativement. Selon courriel du 14/08/2019, il informait la société A.B.I. qu’il avait fait annuler le prélèvement bancaire automatique automatique au profit de cette dernière, motif pris ‘d’une absence de solution avancée par la société ABI-SHARP CENTER, société de maintenance, pour le paramétrage de la machine’.
Le loueur a fait intervenir un technicien de Sharp Center mais en vain. La société DIGICHROME indique avoir dû travailler en configurant un PC sous Windows 10 mais malgré cela, l’imprimante avait un rendu couleur moins bon et la société DIGICHROME s’est plainte que la machine plus chère que l’ancienne ne correspondait pas à ses attentes.
Par requête introductive d’instance déposée le 25 octobre 2021, la société A.B.I. a saisi le tribunal mixte de commerce de Nouméa d’une demande en paiement de l’indemnité de résiliation.
Par jugement du 28/02/2022, le tribunal mixte de commerce de a :
– constaté la résiliation aux torts de la société DIGICHROME du contrat de location n°OL 002550 en date du 13/02/2019,
– condamné la société DIGICHROME à payer à la société A.B.I. venant aux droits de la société Océanie Locations, la somme de 3 363 211 Fcfp avec intérêts au taux de 1,5 % par mois de retard à compter de la date d’exigibilité de chacun des loyers et ce à compter du 28/04/2020,
– débouté la société DIGICHROME de ses demandes contraires,
– condamné la société DIGICHROME aux dépens.
PROCÉDURE D’APPEL
Par requête du 01/04/2022, la société DIGICHROME a fait appel de la décision rendue et demande à la Cour dans son mémoire ampliatif du 24/06/2022 et ses dernières écritures (récapitulatives1) de réformer la décision en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
à titre principal
– juger que le contrat de location a été valablement résilié et l’a été pour manquements du bailleur à ses obligations contractuelles et débouter en conséquence la société A.B.I. de ses demandes ;
à titre subsidiaire,
– prononcer la résolution judiciaire du contrat litigieux aux torts exclusifs de la société A.B.I.,
à titre très subsidiaire,
– juger la clause pénale manifestement excessive et dire que la société A.B.I. n’a subi aucun préjudice et imputer les loyers ultérieurement perçus soit 2 400 000 Fcfp
en tout état de cause,
– condamner la société A.B.I. à lui rembourser la somme de 313 176 Fcfp prélevée en fraude sur son compte bancaire, ainsi que la somme de 250 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir d’une part que la résiliation même adressées à une autre société est valable en raison de l’imbrication étroite des sociétés Océanie Location et A.B.I. Sharp Center (même gérant, mêmes associés, même siège social). Elle explique que la société A.B.I. lui a livré une machine dotée d’une qualité d’impression médiocre l’empêchant de satisfaire les commandes de ses clients. Elle a, tout de suite, avisé la société A.B.I. qui n’a jamais répondu à son mail du 13/05/2019, sauf à ce que M. [J], représentant de la société A.B.I., et M. [M], représentant de A.B.I. Sharp Center, se déplacent sur les lieux. En l’absence de solutions proposées, malgré rappel par mail du 03/07/2019, elle a alors dénoncé le contrat par lettre recommandée du 12/10/2019 avec accusé de réception adressée à la société A.B.I. Sharp Center, rappelant l’historique des événements et aux termes de laquelle, elle concluait qu’elle attendait les propositions de résiliation. Elle a également restitué l’imprimante en rappelant qu’à la suite de son dernier mail de juillet, on devait lui trouver une solution mais que depuis ‘je n’ai jamais vu personne…’
La société DIGICHROME considère que les entités société A.B.I. Sharp Center et Océanie Locations étant étroitement liées, la lettre de résiliation adressée indifféremment à l’une ou à l’autre est valable en la forme et que la société A.B.I. qui déclare qu’elle lui est inopposable fait preuve de mauvaise foi.
D’autre part, la société DIGICHROME estime qu’elle est bien fondée à se prévaloir de l’exception d’inexécution dans la mesure où le photocopieur imprimante n’a pas rempli son usage, le bien n’étant pas conforme à ce qui avait été commandé. Elle précise que la machine n’étant pas disponible dans les locaux de la société A.B.I. Sharp Center, elle n’a pu vérifier la qualité de l’impression. Par ailleurs, elle conclut que si la cour confirmait la résiliation, elle demande de réduire le montant de la clause pénale dans la mesure où elle a restitué le matériel à neuf de sorte que la société A.B.I. n’a subi aucun préjudice. Enfin, elle reproche à la société A.B.I. d’avoir continué à prélever quatre loyers postérieurement à la résiliation .
Dans ses conclusions en réponse, la société A.B.I. demande à la cour de confirmer le jugement à titre principal et à titre subsidiaire de constater la résiliation aux torts de la société DIGICHROME et de la condamner à payer l’indemnité de résiliation. En tout état de cause, elle sollicite la somme de 300 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que le choix du copieur multi-fonctions a été le fait de la société DIGICHROME qui est professionnel en la matière et non le fait du bailleur. Que ce contrat fonctionne sur le même principe que le leasing, le client choisit le matériel et la société bailleresse met le produit à disposition moyennant paiement d’un loyer ; que le contrat prévoit d’ailleurs une décharge de responsabilité du bailleur, la clause n° 2 stipulant que : « le locataire a choisi librement, en toute indépendance et sous sa seule responsabilité l’équipement ainsi que son contructeur. Il reconnaît avoir pris connaissance des spécificités techniques et des modalités d’exploitation préalablement à la location. Le loueur ne saurait en conséquence être recherché à raison de dommages causés par ou à cet équipement et résultant d’un vice de construction. Il ne saurait être tenu à une obligation de résultat. Il ne saurait non plus être tenu pour responsable de toute inadaptation du matériel et/ou des logiciels aux besoins du locataire, de toute insuffisance de performance ou de tout manque de compatibilité des matériels et/ou des logiciels entre eux. »
La société A.B.I. considère par suite que la société DIGICHROME ne peut se retrancher derrière l’inadéquation du matériel à son besoin par faute de la société A.B.I. ; qu’au contraire, le bailleur n’en est pas responsable. Enfin, elle estime que le contrat a été irrégulièrement résilié de sorte que la clause pénale qui prévoit une indemnité en cas de résiliation anticipée doit s’appliquer au vu du préjudice subi.
Vu l’ordonnance de clôture,
Vu l’ordonnance de fixation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le contrat souscrit entre les parties s’analyse en un contrat de location de matériel et non en un contrat de leasing ou (contrat de location avec option d’achat).
Si dans ce type de contrat (location), obéissant aux articles 1708 et suivants du code civil, les clauses sont librement négociées entre les parties, tout contrat rédigé utilement doit stipuler la nature du bien loué, le prix du loyer et ses modalités de paiement (mensuel, trimestriel, par avance, etc.), les performances du matériel, les accessoires fournis, la durée du bail, ses conditions de renouvellement, les restrictions d’utilisation, et les assurances souscrites par le bailleur et à souscrire par le locataire.
Il pèse sur le bailleur une obligation d’information et un devoir de conseil : il devra indiquer au locataire quel est le matériel adapté aux tâches envisagées et comment l’utiliser. Cette obligation ne disparait pas si le locataire est un professionnel. Toutefois à l’égard d’un professionnel, l’obligation d’information et de conseil du loueur n’existe que dans la mesure où la compétence du cocontractant ne lui donne pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du ou des biens loués. De même, l’obligation de conseil n’est concevable que s’il existe une différence de compétence entre le loueur et le preneur.
Sur la validité du congé
La société DIGICHROME soutient qu’elle a valablement résilié le contrat par courrier recommandé du 12/10/2019.
La lettre de congé a été adressée à la Société A.B.I. Sharp Center qui n’est pas le bailleur ; quand bien même, les deux sociétés auraient le même gérant, seraient domicilées à la même adresse et feront l’objet d’une fusion absorption en juillet 2020, elles constituaient à la date du congé deux entités différentes. La société DIGICHROME ne pouvait ignorait son erreur puisque par courier en réponse du 25/11/2019, la société SHARP CENTER l’a avisée qu’elle devait adresser sa demande à la Société A.B.I.. La société DIGICHROME ne l’a pas fait. Le congé donné n’est pas valable et n’a pas régulièrement mis fin au contrat.
Sur les manquements invoqués
La société DIGICHROME reproche à la société A.B.I. de lui avoir loué un matériel non adapté à sa production en ce qu’il rend une impression couleur non nette. Dans son mail adressé à M. [J] de la société A.B.I. M. [O], gérant de la locataire, se plaignait en ces termes :
« je te fais un retour de mes premières impressions concernant la C60 que nous tentons d’utiliser depuis plus d’un mois avec un succès très moyen. Avant la livraison de la machine, j’ai été consulté par le service technique de Sharp qui souhaitait connaître le nombre de PC et les systèmes d’exploitation que nous utilisions. J’ai précisé que nous travaillons sous Windows XP, que nous sommes obligés de travailler sous XP car la majorité des applications que nous utilisons ne fonctionnent que sous XP qui nous donne entière satisfaction. Or il s’avère que le Fiery n’est pas compatible avec XP… Nous avons donc configuré un PC sous Windows 10 afin d’installer le [V] dans les règles de l’art (installation par le technicien) afin de pouvoir jouir des possibilités de la C60 + FlERY. Après un mois de tests et de prise en main, nous constatons que :
– Les couleurs sont bien moins bonnes qu’avec la précédente machine. Nous avons à déplorer énormément de retours de clients mécontents par comparaison avec les anciennes impressions (ce dont [L] a été témoin)
– Aucune possibilité de désactiver la gestion des couleurs Xérox pour appliquer nos profils lCC (ce qui était possible avec l’ancienne machine)
– Le serveur [V] propose de très nombreuses options qui ne nous sont pas utiles mais les options indispensables ne sont pas présentes (ce qui n’était pas le cas avec l’ancienne machine)
– La gestion des couleurs et le calibrage du Fiery ne donnent pas satisfaction et il est impossible de les désactiver.
J’ai demandé à [L] de supprimer le Fiery afin de pouvoir travailler directement sur la machine sans passer par le Fiery, même si c’est fort dommage mais c’est la seule solution pour pouvoir gérer nous même les couleurs. ll se trouve que le driver fourni ne fonctionne pas bien, ni avec XP ni même avec Windows 10 : – une option indispensable de retournement du papier n’est pas disponible sans laquelle il est impossible d’imprimer ;
– Le driver ne tient pas compte des options indiquées et il est impossible d’imprimer correctement.
Nous avons donc réinstallé le [V] et tout fonctionne comme auparavant, avec une qualité d’impression très insatisfaisante au niveau des couleurs. [L] et [G] n’ont pas trouvé de solution à me proposer et les clients continuent à nous refuser les travaux qui ne correspondent plus à ce que nous leur avons donné l’habitude d’avoir.
Je me souviens d’une conversation avec [B], le gérant de Copymage qui trouvait que les couleurs étaient instables. J’ai pensé qu’il ne savait juste pas les gérer puisque ce n’est pas du tout son cheval de bataille. Pour résumer, par rapport à l’ancienne machine, la nouvelle :
– Est plus rapide et plus productive (ce qui ne nous intéresse pas, je ne l’ai jamais caché)
– Est plus régulière dans les aplats de couleurs et plus stable
mais Ne donne pas du tout satisfaction au niveau de la qualité des couleurs
– N’offre aucune option pour désactiver la gestion des couleurs native Xérox
– Ne permet pas l’impression directe avec le driver qui ne fonctionne pas.
– Ne nous permet pas d’imprimer depuis tous nos postes de travail, notamment depuis le comptoir clients.
En conclusion, nous nous retrouvons avec une machine plus chère et qui ne correspond pas du tout à notre besoin. Les techniciens malgré leur bonne volonté ne semblent pas avoir de solution à nous proposer. Ma question : on fait quoi ‘
Dans l’espoir d’une solution qui existe peut-être du côté de chez Xérox. Bien cordialement, Digichrome (Administration). »
En l’espèce, la cour juge que la société DIGICHROME a la qualité de professionnel. En tant qu’imprimeur, elle doit connaître le matériel le plus adapté à ses attentes. Par ailleurs, il n’est pas démontré qu’avant la signature du contrat, la société DIGICHROME ait émis des sollicitations particulières concernant la spécificité du matériel qu’elle souhaitait louer. Elle ne démontre pas non plus en l’absence de tous éléments extérieurs autres que ses affirmations que les défauts allégués rendent impossible l’utilisation de la machine alors que la notice d’emploi sous la mention « environnement clients pris en charge » établit que l’imprimante fonctionne sous Windows XPSP1.
En tant que professionnel, la clause contractuelle n° 02 lui est bien opposable de sorte que l’exception d’inéxecution au torts de la société bailleuresse est écartée.
Sur la résolution de plein droit du contrat
Aux termes de l’article 10.1 des conditions générales, il était expressément convenu qu’en cas de non-paiement d’un seul loyer à son échéance, la résiliation pourra être prononcée de plein droit huit jours après une mise en demeure demeurée infructueuse.
En l’espèce, la société DIGICHROME a laissé les loyers impayés depuis octobre 2019 de sorte que le contrat a été valablement résilié par lettre recommandée du 04/05/2020 faisant suite à une mise en demeure du 18/02/2020.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l’indemnité de résiliation
En application de l’article 10 des conditions générales du contrat, la société A.B.I. est en droit d’obtenir la totalité des loyers TTC restant à courir soit la somme réclamée de 3 363 211 Fcfp outre les intérêts conventionnels de 1,5 % par mois de retard à compter de la date d’exigibilité de chacun des loyers.
S’agissant d’une clause pénale, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
En l’espèce, il est constant que la société DIGICHROME a remis le matériel dès le 12/10/2019 à la société A.B.I. qui en a accusé réception. Le matériel était quasiment neuf de sorte que la bailleresse a pu nécessairement louer à nouveau l’imprimante. Dans ces conditions, la cour considère que l’indemnité réclamée est excessive ; elle sera réduite de moitié. De même, les intérêts annuels qui atteignent 18 % l’an seront également réduits et seront fixées à 1% par mois de retard.
Sur l’article 700
Il est équitable d’allouer à la société A.B.I. qui a dû se défendre en appel la somme de 100 000 FCFP.
Sur les dépens
La société DIGICHROME, succombant pour l’essentiel, supportera les dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision entreprise, excepté sur le quantum de la condamnation ;
Et statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société DIGICHROME à payer à la société A.B.I. la somme de 1 816 055 Fcfp et ce, avec intérêts au taux de 1% par mois de retard à compter de la date d’exigibilité de chacun des loyers s’agissant des loyers échus à la date du 28/04/2020, et à compter de la requête introductive d’instance s’agissant des loyers non encore échus ;
Y ajoutant,
Condamne la société DIGICHROME à payer à la société A.B.I. la somme de 100 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens de l’appel.
Le greffier, Le président.