Your cart is currently empty!
14 mars 2023
Cour d’appel de Riom
RG n°
20/01451
14 MARS 2023
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 20/01451 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FPDV
[T] [M]
/
S.A. ARCOLE INDUSTRIE, [O] [Y] en qualité de liquidateur de la société MORY DUCROS, CGEA GESTIONNAIRE DE L’AGS IDF EST
jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation paritaire de vichy, décision attaquée en date du 01 octobre 2020, enregistrée sous le n° f19/0115
Arrêt rendu ce QUATORZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
Mme Sophie NOIR, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier et de Mme Jeanne BELCOUR, greffier stagiaire en préaffectation, lors des débats et de Mme Nadia BELAROUI greffier lors du prononcé
ENTRE :
M. [T] [M]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Sarah DJABRI, avocat suppléant Me Fiodor RILOV de la SCP SCP RILOV, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
ET :
S.A. ARCOLE INDUSTRIE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Marine GESLIN, avocat suppléant Me Marie-alice JOURDE de l’AARPI JASPER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Me [O] [Y] en qualité de liquidateur de la société MORY DUCROS
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représentée par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Hubert DE FREMONT de la SCP HADENGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant
CGEA GESTIONNAIRE DE L’AGS IDF EST
[Adresse 1]
[Localité 7]
non représenté
INTIMES
Monsieur RUIN, Président et Mme NOIR, Conseiller après avoir entendu, M. RUIN, Président en son rapport, à l’audience publique du 16 janvier 2023, tenue par ces deux magistrats, sans qu’ils ne s’y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS MORY TEAM (créée en 2002) est spécialisée dans le secteur d’activité de la messagerie, fret express. Par jugement rendu en date du 30 septembre 2011, le tribunal de commerce de BOBIGNY arrêtait un plan de redressement par voie de cession de la société MORY TEAM, et des autres sociétés du groupe MORY, au profit de la société CARAVELLE SA (présidée par Monsieur [E] [C] à l’époque considérée) du groupe CARAVELLE, avec faculté de substitution du repreneur en tout ou partie au profit des sociétés ARCOLE INDUSTRIES, DUCROS EXPRESS, ou NEW CO à constituer devenue SAS MORY. La SAS MORY TEAM a été placée en liquidation judiciaire le 10 juillet 2012.
La SAS MORY DUCROS (immatriculée sous le SIREN 534 843 511), présidée par Monsieur [E] [C] à l’époque considérée, est spécialisée dans le secteur d’activité des transports routiers de fret interurbains, entreposage de marchandises, location de matériel. Son siège social est situé à [Localité 9].
La SAS MORY DUCROS est issue de la fusion (31 décembre 2012 avec effet rétroactif au 1er janvier 2012) des sociétés DUCROS EXPRESS et MORY. La société DUCROS EXPRESS, reprise par la société ARCOLE INDUSTRIES en 2010 pour le groupe CARAVELLE, est elle-même issue de la fusion des sociétés DHL, DANZAS, DUCROS, SERNADIS et ARCATIME. La société MORY avait été constituée en octobre 2011 dans le cadre de la reprise des activités de messagerie et d’affrètement du groupe MORY (cf supra). La SAS MORY DUCROS était alors le deuxième opérateur français sur le marché de la messagerie et de l’affrètement, derrière le groupe GEODIS.
À la date du 31 décembre 2013, la SAS MORY DUCROS indiquait employer 4911 salariés répartis sur 91 sites dont 85 agences.
La SA ARCOLE INDUSTRIES (siège social situé à [Localité 10]), présidée par Monsieur [E] [C] à l’époque considérée, est l’actionnaire majoritaire de la société MORY DUCROS. La SA ARCOLE INDUSTRIES est une société d’investissement spécialisée dans la reprise et le redressement d’entreprises. Elle appartenait à l’origine au groupe CARAVELLE, groupe qui s’est construit historiquement autour de la reprise d’affaires en difficultés ou en redressement judiciaire, mais, depuis 2014, CARAVELLE n’est plus actionnaire de la société ARCOLE INDUSTRIES.
Par jugement du 26 novembre 2013, le tribunal de commerce de PONTOISE a ouvert à l’encontre de la SAS MORY DUCROS une procédure de redressement judiciaire. La date de cessation des paiements a été provisoirement fixée au 31 octobre 2013. La SELARL [P], GLADEL et MARTINEZ, représentée par Maître [N] [P] a été désignée en qualité d’administrateur judiciaire de la SAS MORY DUCROS (Maître [K] étant co-administrateur) ; Maître [O] [Y] a été désigné en qualité de mandataire judiciaire.
Dans son jugement du 26 novembre 2013, le tribunal de commerce relève notamment que la SAS MORY DUCROS emploie 4943 salariés et dispose de plusieurs dizaines d’établissements secondaires sur le territoire français, dont le site de VARENNES-SUR-ALLIER (03).
Par jugements du 20 décembre 2013, le tribunal de commerce de PONTOISE a prononcé la confusion des patrimoines entre la SAS MORY DUCROS, la SCI SPAD et la SCI ARCATIME CAUDAN.
Par jugement en date du 6 février 2014, le tribunal de commerce de PONTOISE, dérogeant expressément aux dispositions de l’article L. 642-3 du code de commerce, a :
– arrêté un plan de cession concernant la SAS MORY DUCROS au profit de la société NEWCO MD, société en cours de constitution (entrée en jouissance fixée au 17 février 2014) pour se substituer à la société ARCOLE INDUSTRIES (actionnaire majoritaire de la société MORY DUCROS), avec reprise des sociétés SPAD et ARCATIME CAUDAN, structures détenant majoritairement les biens immobiliers d’exploitation, auxquelles la procédure collective avait été étendue ;
– autorisé la suppression des emplois non repris par la société NEWCO MD ainsi que les licenciements subséquents ;
– prononcé la liquidation judiciaire des sociétés MORY DUCROS, SCI SPAD et SCI ARCATIME CAUDAN, avec poursuite d’activité de trois mois, désigné Maître [O] [Y] en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS MORY DUCROS, maintenu le mandat des administrateurs judiciaires.
Dans son jugement du 6 février 2014, le tribunal de commerce relève notamment que le repreneur s’engage à maintenir les contrats de travail de 2223 salariés, dont 2029 de la SAS MORY DUCROS. Concernant le site de [Localité 11] (03), le jugement mentionne qu’aucun des 23 salariés ne sera repris. Le tribunal de commerce a autorisé le licenciement pour motif économique dans le délai d’un mois des 2882 salariés occupant des postes non repris.
Dans le cadre du plan de cession arrêté selon jugement du 6 février 2014, certains, salariés, sites et activités de la la SAS MORY DUCROS ont ainsi été repris par la société ARCOLE INDUSTRIES à laquelle s’est substituée la société NEWCO MD devenue société MORYGLOBAL, filiale à 100% de son capital de la société ARCOLE INDUSTRIES.
Le tribunal de commerce de BOBIGNY a ouvert le 10 février 2015 une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société MORYGLOBAL. La liquidation judiciaire de la société MORYGLOBAL a été prononcée le 31 mars 2015.
Monsieur [T] [M], né le 20 septembre 1987, a été embauché par la société MORY DUCROS à compter du 4 juin 2012, (ancienneté à la même date). Il était employé en qualité d’ouvrier roulant (conducteur PL). Le salarié était affecté au site, agence ou établissement situé à [Localité 11] (03).
Par décision rendue en date du 3 mars 2014, le DIRECCTE du Val d’Oise a homologué le document unilatéral élaboré par les administrateurs judiciaires de la société MORY DUCROS et fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi.
Par courrier recommandé daté du 13 mars 2014, les administrateurs judiciaires de la société MORY DUCROS ont notifié à Monsieur [T] [M] la rupture de son contrat de travail pour motif économique et lui ont proposé d’adhérer au contrat de sécurisation professionnelle. Ce courrier vise le jugement du 6 février 2014 du tribunal de commerce de PONTOISE qui autorise le licenciement pour motif économique des salariés non repris dans le cadre du plan de cession.
Selon les documents de fin de contrat de travail et bulletins de paie produits, Monsieur [T] [M] a été employé par la société MORY DUCROS du 4 juin 2012 au 4 avril 2014, en qualité de conducteur PL. Suite à la rupture du contrat de travail, Monsieur [T] [M] a notamment perçu une indemnité compensatrice de congés payés, une indemnité compensatrice de jours de repos et RTT, une indemnité de licenciement (750,08 euros).
Des syndicats ont saisi le tribunal administratif de CERGY-PONTOISE afin d’annuler la décision du DIRECCTE du Val d’Oise d’homologuer le document unilatéral élaboré par les administrateurs judiciaires de la société MORY DUCROS et fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Par deux jugements rendus en date du 11 juillet 2014, le tribunal administratif de CERGY-PONTOISE a annulé la décision administrative du 3 mars 2014. Par deux arrêts en date du 22 octobre 2014, la cour administrative d’appel de VERSAILLES a rejeté les appels formés respectivement par la société MORY-DUCROS et par le ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social à l’encontre des décisions rendues par le tribunal administratif de CERGY-PONTOISE.
Les juges administratifs du fond ont considéré que le document unique, qui a été homologué par la décision du 3 mars 2014 de la DIRECCTE d’Ile-de-France, prévoit de procéder, pour l’application des critères de l’ordre de licenciement, au niveau de chaque agence appartenant à la société MORY-DUCROS sur le territoire national ; que toutefois la définition d’un tel périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l’entreprise n’est envisageable que dans le cadre d’un accord collectif, les dispositions des articles L. 1233-24-2 et L. 1233-24-4 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, éclairées par les travaux préparatoires, n’ayant pas entendu remettre en cause un tel principe ; que, par suite, l’administration du travail, en homologuant ce document unilatéral, dont un des éléments, mentionné au 2° de l’article L. 1233-24-2 du code du travail, n’est pas conforme à une disposition législative, a méconnu les dispositions de l’article L. 1233-57-3 du même code
Par arrêt du 7 décembre 2015, le Conseil d’Etat a rejeté les pourvois formés par le liquidateur judiciaire de la société MORY-DUCROS et par l’administration du travail.
Le 19 février 2015, Monsieur [T] [M] a saisi le conseil de prud’hommes de VICHY aux fins notamment de voir juger que les sociétés ARCOLE INDUSTRIE et MORY DUCROS ont à son égard la qualité de co-employeurs, juger le plan de sauvegarde de l’emploi insuffisant, dire que les critères d’ordre des licenciements n’ont pas été respectés et juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement qui lui a été notifié pour motif économique.
Le 13 octobre 2016, le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de VICHY a ordonné la radiation de l’instance du rang des affaires en cours. Cette affaire a ensuite été réinscrite sur conclusions déposées par Monsieur [T] [M].
Le 4 mai 2017, le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de VICHY a ordonné la radiation de l’instance du rang des affaires en cours. Cette affaire a ensuite été réinscrite sur conclusions déposées par Monsieur [T] [M].
Le 16 mai 2019, le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de VICHY a ordonné la radiation de l’instance du rang des affaires en cours. Cette affaire a ensuite été réinscrite sur conclusions déposées par Monsieur [T] [M].
Par jugement contradictoire rendu en date du 1er octobre 2020 (audience du 11 juin 2020), le conseil de prud’hommes de VICHY a :
– mis hors de cause la société ARCOLE INDUSTRIES ;
– dit que le licenciement de Monsieur [T] [M] est sans cause réelle et sérieuse ;
– débouté Monsieur [T] [M] de ses demandes indemnitaires ;
– donné acte à l’UNEDIC, délégation AGS CGEA IDF EST de son intervention et de ce qu’elle revendique le bénéfice des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan de la mise en oeuvre du régime d’assurance des créances des salaires que de ses conditions et étendue de garantie ;
– déclaré la présente décision opposable à l’UNEDIC, délégation AGS CGEA IDF EST ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
– dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective ouverte à l’encontre de la société MORY DUCROS.
Le 27 octobre 2020, Monsieur [T] [M] a interjeté appel de ce jugement.
La SA ARCOLE INDUSTRIES ainsi que Maître [O] [Y], en qualité de liquidateur de la société MORY DUCROS, ont constitué avocat dans le cadre de la présente procédure d’appel, ce qui n’est pas le cas de l’UNEDIC, CGEA d’Île de France Est en qualité de gestionnaire de l’AGS.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 29 mars 2021 par Maître [O] [Y] en qualité de liquidateur judiciaire de la société MORY DUCROS,
Vu les conclusions notifiées à la cour le 2 avril 2021 par la société ARCOLE INDUSTRIE,
Vu les conclusions notifiées à la cour le 17 décembre 2022 par Monsieur [T] [M],
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 19 décembre 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, Monsieur [T] [M] conclut à l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
– condamner du fait de l’annulation de la décision d’homologation du 3 mars 2014 la société MORY DUCROS sur le fondement de l’article L. 1233-58 du code du travail et lui allouer la somme de 22.792,39 euros ;
– condamner in solidum du fait de la situation de co-emploi les sociétés MORY DUCROS et ARCOLE INDUSTRIE à lui verser la somme de 22.792,39 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamner la société MORY DUCROS du fait de la violation de l’obligation individuelle de reclassement à lui payer la somme de 22.792,39 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– fixer ces créances au passif de la société MORY DUCROS;
– dire le jugement à intervenir opposable au CGEA d’ILE DE FRANCE EST ;
– condamner la société MORY DUCROS à lui payer la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– assortir les condamnations à intervenir d’intérêts au taux légal ;
– condamner les sociétés MORY DUCROS et ARCOLE INDUSTRIES aux entiers dépens.
Monsieur [T] [M] soutient que l’employeur n’a pas respecté les critères d’ordre des licenciements et se réfère sur ce point, pour objectiver ce manquement, aux deux décisions rendues par le tribunal administratif de CERGY-PONTOISE (RG n° 14/04270 et RG n° 14/04370) ayant annulé la décision du 3 mars 2014 par laquelle le DIRECCTE avait homologué le document unilatéral élaboré par les administrateurs judiciaires de la société MORY DUCROS, aux deux arrêts rendus par la cour administrative d’appel de VERSAILLES le 22 octobre 2014 ayant rejeté les appels formés respectivement par la société MORY-DUCROS et le ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social, ainsi qu’à l’arrêt rendu le 7 décembre 2015 par le Conseil d’Etat et ayant rejeté les pourvois formés par le liquidateur de la société MORY DUCROS et l’administration du travail.
Monsieur [T] [M] s’estime bien fondé à percevoir une indemnité qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire de ce chef au visa des dispositions de l’article L. 1233-58 du code du travail qui prévoit selon lui une sanction de plein droit applicable aux licenciements pour motif économique en cas d’annulation de la décision d’homologation du document unilatéral par le juge administratif. Il explique toutefois, s’agissant de ce quantum, que celui-ci doit être majoré eu égard à son ancienneté au sein de l’entreprise et à la crise sociale constituée d’un chômage durable à laquelle il se trouve confronté depuis son licenciement. Il indique de même que le défaut de mise en oeuvre par les sociétés défenderesses des moyens dont elle disposaient pourtant tant en terme de reclassement que de mesures d’accompagnement, lui on causé un préjudice significatif dès lors qu’il a été privé de la chance de conserver son emploi, une telle perte de chance ouvrant selon lui droit à une indemnisation du préjudice qui en résulte.
Il expose ensuite, au soutien de sa demande de reconnaissance de la qualité de co-employeurs des sociétés MORY DUCROS et ARCOLE INDUSTRIE, qu’il est constant que :
* l’existence d’une telle qualité n’est pas soumise à la démonstration par le salarié d’un lien de subordination entre lui et les deux sociétés concernées dès lors qu’elle peut être déduite des seules relations réellement développées entre elles, sans que le juge ne soit lié par les qualifications juridiques données par les co-employeurs à leurs relations ;
* l’existence de la qualité de co-employeurs ne requiert pas que soit apportée la preuve de la fictivité de la société employeur ;
* le critère du co-emploi est constitué de l’immixtion dans la gestion emportant une perte d’autonomie d’une société ;
* le critère de la confusion d’intérêts d’activités et de direction n’est plus exigé depuis l’arrêt AGS rendu par la Cour de cassation le 25 novembre 2020 au profit d’une vision nouvelle du co-emploi plus explicite fondée sur l’immixtion permanente de la société-mère dans la gestion économique et sociale ainsi que la perte totale d’autonomie d’action de la filiale ;
* l’appréciation d’une situation de co-emploi doit prendre en compte l’ensemble des indices permettant de la caractériser.
Monsieur [T] [M] fait valoir que la société ARCOLE INDUSTRIE s’est immiscée dans la gestion économique et sociale de la société MORY DUCROS et considère ainsi que la société ARCOLE INDUSTRIE a la qualité d’employeur à son égard en sorte qu’en n’ayant pas pris part à la procédure de licenciement économique, la rupture de son contrat de travail se trouve subséquemment dénuée de cause réelle et sérieuse.
Il soutient ensuite que le liquidateur n’a pas poursuivi des recherches sérieuses et loyales de reclassement au motif qu’il s’est abstenu de communiquer aux autres sociétés du groupe, dont il souligne l’importance en terme de taille et d’effectif, la liste comportant l’intitulé et la classification des postes supprimés, l’envoi de lettres circulaires étant insuffisant à caractériser une recherche active, précise et sérieuse des possibilités de reclassement.
Dans ses dernières écritures, la SA ARCOLE INDUSTRIES demande à la cour de :
– juger l’absence de co-emploi entre elle et la société MORY DUCROS ;
– constater l’absence de tout lien contractuel entre l’appelant et elle ;
– constater l’absence de toute critique du jugement dont appel sur sa mise hors de cause ;
En conséquence,
– la mettre hors de cause et ne pas lui rendre opposable la décision qui sera éventuellement rendue à l’encontre de Monsieur [O] [Y], mandataire liquidateur de la société MORY DUCROS ;
– débouter l’appelant de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– en tout état de cause et à titre reconventionnel, condamner l’appelant à lui payer la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société ARCOLE INDUSTRIES objecte, au soutien de sa contestation de l’existence d’une situation de co-emploi à l’égard de l’appelant, que celui-ci échoue à rapporter la preuve d’un lien de subordination juridique entre lui et la société, le seul employeur étant en effet la société MORY DUCROS, de même qu’il n’est pas établi qu’elle se serait immiscée abusivement dans la gestion de cette dernière étant relevé que la société MORY DUCROS disposait de l’ensemble des moyens matériels et humains nécessaires à sa gestion.
Dans ses dernières écritures, Maître [O] [Y], en qualité de liquidateur de la SAS MORY DUCROS, demande à la cour de :
A titre principal :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté l’appelant de ses demandes ;
– débouter Monsieur [T] [M] de l’ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
– juger que Monsieur [T] [M] ne peut prétendre qu’à l’indemnité prévue à l’article L. 1233-58 II, à l’exclusion de toutes autres indemnités qui pourraient être dues notamment au titre d’une violation de l’obligation individuelle de reclassement ;
– fixer cette indemnité à six mois de salaire ;
– débouter l’appelant de sa demande au titre d’une indemnité pour violation de l’obligation individuelle de reclassement ;
En tout état de cause :
– débouter l’appelant de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Monsieur [T] [M] à lui payer la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– statuer ce que de droit sur les dépens ;
– déclarer le jugement à intervenir opposable à l’AGS CGEA IDF EST.
L’intimé rappelle à titre liminaire qu’à raison de l’existence d’une procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société MORY DUCROS, seule une fixation au passif des créances éventuellement accordées par la cour peut être ordonnée, et non une condamnation directe de l’entreprise.
S’agissant ensuite le licenciement du salarié, il expose que dans le cadre d’une procédure collective, les articles L. 622-17 et suivants du code de commerce interdisent juridiquement la réintégration du salarié, étant précisé que l’application des dispositions de l’article L. 1235-16 du code du travail est expressément exclue par celles de l’article L. 1233-58 du même code.
Il ajoute qu’il est constant que l’annulation de la décision d’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi dans une entreprise en liquidation judiciaire n’a pas pour effet de priver les licenciements de cause réelle et sérieuse, et que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité pour licenciement malgré l’annulation de l’homologation du document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l’emploi ont le même objet, à savoir la réparation du dommage résultant de la perte illégitime de l’emploi, en sorte que, par application du principe de réparation intégrale du préjudice subi, aucun cumul des indemnités n’est possible, seule la plus élevée pouvant être obtenue par le salarié licencié.
Il en déduit que pour le cas où il serait fait droit à la demande du salarié sur le fondement des dispositions de l’article L. 1233-58 II du code du travail, aucune indemnité supplémentaire ne saurait lui être octroyé dès lors que son préjudice est intégralement réparé par la première.
Il soutient ensuite que les recherches de reclassement poursuivies par les administrateurs judiciaires (et non le liquidateur) l’ont été sérieusement et loyalement et réfère à ce titre aux conclusions du juge administratif. Il fait ainsi valoir que l’ensemble des entités du groupe ARCOLE INDUSTRIES ont été sollicitées afin de connaître leurs postes disponibles susceptibles d’être pourvus par les salariés de la société MORY DUCROS, que des recherches externes ont en outre été menées, notamment au sein de la société CARAVELLE et de ses filiales, que 13.695 courriers ont été adressés aux entreprises appartenant à la branche des transports afin de permettre un reclassement rapide des salariés licenciés, que la société MORY DUCROS a sollicité la commission paritaire nationale de l’emploi par courriers recommandés avec avis de réception en date du 17 février 2014 ainsi que l’ensemble des syndicats professionnels, et qu’en suite de ces démarches, une liste de postes disponibles (112 postes en interne et 31 postes en externe) a été présentée aux salariés. Il relève ensuite l’absence de réponse donnée par le salarié à ces propositions dont il précise qu’elles correspondaient parfaitement à ses qualifications outre la mise en place de diverses mesures destinées à faciliter le retour à l’emploi. Il conclut ainsi à l’absence de bien fondé de la demande présentée au titre de l’obligation de reclassement de l’employeur et à titre subsidiaire, argue de l’absence de démonstration d’un préjudice et rappel le principe de non cumul des préjudices précédemment évoqué.
Il soutient ensuite qu’aucune situation de co-emploi n’est en l’espèce caractérisée par le salarié en l’absence de toute démonstration d’une triple confusion de direction, d’activité et d’intérêts entre la société MORY DUCROS et la société ARCOLE INDUSTRIES.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
Le 19 décembre 2022, l’avocat de Maître [O] [Y] a sollicité du conseiller de la mise en état la révocation de l’ordonnance de clôture pour répondre aux conclusions notifiées le 17 décembre 2022 par l’appelant. À l’audience du 16 janvier 2023, la cour a constaté qu’aucun intimé n’avait souhaité conclure à nouveau après la clôture de l’instruction et que tous les avocats des parties conviennent que la demande de révocation est devenue sans objet.
– Sur le coemploi –
En l’absence de définition légale, la jurisprudence considère qu’il y a contrat de travail quand une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre (personne morale ou physique mais impérativement dotée de la personnalité juridique) moyennant rémunération. Cette définition fait apparaître trois éléments: – la prestation de travail, qui peut avoir pour objet les tâches les plus diverses (travaux manuels, intellectuels, artistiques), dans tous les secteurs professionnels ; – la rémunération, contrepartie de la prestation de travail, peu importe qu’elle soit versée en argent ou en nature et calculée au temps, aux pièces ou à la commission ; – la subordination juridique, critère décisif pour lequel la jurisprudence donne une définition commune au droit du travail et de la sécurité sociale (le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné).
Le salarié peut, sous certaines réserves, avoir plusieurs employeurs en concluant un contrat de travail avec chacun d’eux. Sauf si son contrat de travail comporte une clause d’exclusivité, le salarié peut exercer une activité professionnelle hors de la société employeur. Il doit cependant respecter les dispositions relatives au cumul d’emplois. Un salarié peut exercer plusieurs activités professionnelles au service d’employeurs différents, de manière occasionnelle ou régulière, à condition que la durée totale de ses travaux rémunérés ne dépasse pas les durées maximales du travail ; le salarié commet d’ailleurs une faute en refusant de fournir à l’employeur les documents lui permettant de vérifier l’absence de dépassement de ces maximums.
En principe, l’employeur est celui a conclu le contrat de travail avec le salarié. La complexité des structures de direction, notamment dans les groupes, soulève des difficultés lorsqu’il s’agit de déterminer qui doit assumer les obligations imposées à l’employeur par le droit du travail. La jurisprudence énonce un principe d’étanchéité entre les structures juridiques, mais réserve la possibilité au salarié de se prévaloir d’un contrat de travail, non pas avec le groupe qui n’a pas de personnalité juridique, mais avec plusieurs co-employeurs.
Il peut donc arriver qu’un salarié titulaire d’un seul contrat de travail soit de fait lié à plusieurs employeurs, soit parce que le salarié se trouve sous la subordination de chacun d’eux, soit parce qu’il répond aux critères du coemploi fixé par le jurisprudence de la Cour de cassation.
Il appartient à celui qui l’invoque de démontrer l’existence d’une situation de coemploi.
Les coemployeurs sont solidairement débiteurs des obligations contractuelles à l’égard du salarié.
Jusqu’au 25 novembre 2020, la Cour de cassation définissait la situation de co-emploi en ce que, hors l’état de subordination ou l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.
Depuis le 25 novembre 2020, la Cour de cassation juge qu’il résulte de l’article L. 1221-1 du code du travail que, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.
La Cour de cassation a donc abandonné le critère de la triple confusion au profit d’une nouvelle définition du coemploi se voulant plus explicite, fondée sur l’immixtion permanente d’une société du groupe (généralement la société mère) dans la gestion économique et sociale de l’entreprise employeur et la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière, la filiale (ou société soeur). La Cour de cassation retient désormais que c’est la perte d’autonomie d’action de la filiale, qui ne dispose pas du pouvoir réel de conduire ses affaires dans le domaine de la gestion économique et sociale, qui est déterminante dans la caractérisation d’une immixtion permanente anormale de la société mère, constitutive d’un coemploi, justifiant alors que le principe d’indépendance juridique des personnes morales soit exceptionnellement neutralisé. La notion de coemploi (là où le Conseil d’Etat recourt à la notion de ‘personne morale transparente ‘) n’est donc pas abandonnée par la Cour de cassation, mais elle est réservée aux situations exceptionnelles dans lesquelles la société employeur subit une immixtion permanente dans sa gestion économique et sociale, conduisant à sa perte totale d’autonomie d’action.
En l’espèce, Monsieur [T] [M] ne conclut pas à l’existence d’un lien de subordination direct avec la société ARCOLE INDUSTRIES. Il ne justifie ni même ne prétend que, dans le cadre de l’exécution de sa prestation de travail, il était placé sous l’autorité de la société ARCOLE INDUSTRIES qui aurait eu le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de le sanctionner en cas de manquements.
L’appelant invoque une situation de coemploi en ce que l’immixtion permanente de la société ARCOLE INDUSTRIES dans la gestion économique et sociale de la société MORY DUCROS aurait conduit à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière
Après de longs développements sur le droit applicable et la jurisprudence en la matière, l’appelant, pour soutenir que les sociétés MORY DUCROS et ARCOLE INDUSTRIE étaient ses coemployeurs au moment du licenciement pour motif économique, affirme, se référant concrètement à ses seules pièces 8 et 40, que le directeur général de la société ARCOLE INDUSTRIE (Monsieur [I]) et ses cinq salariés subordonnés ont dirigés à eux-seuls la société MORY DUCROS, qui employait près de 5000 salariés à l’époque considérée, avec une immixtion abusive de la société mère dans la gestion économique et sociale de la filiale qui avait, en conséquence, totalement perdu son autonomie. L’appelant soutient qu’il n’a ni à établir l’existence d’un lien de subordination vis-à-vis de la société mère, ni à démontrer la fictivité de la société fille. L’appelant fait valoir que Monsieur [I] a signé la lettre de sollicitation de poste de reclassement adressée à toutes les sociétés du groupe.
La pièce 8 de l’appelant correspond à la seule page 34 d’un rapport SECAFI intitulé ‘analyse de la situation au 31 décembre 2012 et des perspectives 2013″. Cet extrait particulièrement choisi d’un rapport non produit est un tableau des ‘montants facturés par Arcole et Caravelle et refacturations intra-groupe’. On peut seulement constater à la lecture de cette page isolée que des facturations sont intervenues entre différentes sociétés du groupe (CARAVELLE, ARCOLE INDUSTRIES, DUCROS EXPRESS, MORY, MORY-DUCROS, GOLDEN CAP INVESTISSEMENTS, MALLARME CONSEIL, TRANSROUTE 54, TRANSLORRAINE). La société MORY-DUCROS a ainsi facturé ses prestations à la société TRANSROUTE 54 (225.000 euros en 2012) et à la société TRANSLORRAINE (187.500 euros en 2012). S’agissant des opérations débitrices pour la société MORY-DUCROS, la société ARCOLE INDUSTRIES lui a facturé pour la mise à disposition de ‘[L] [I] et équipe Arcole [E] Bachelier’ 38.200 euros en 2012 et de 152.800 euros (montant estimé) en 2013.
Il échet de relever que le 26 novembre 2013, le tribunal de commerce de PONTOISE évaluait le passif de la SAS MORY DUCROS à 177.654.494 euros (dont 33.318.303 euros exigible) et l’actif à 184.736.313 euros (dont 9.343.682 euros disponible).
L’analyse de la pièce 40 de l’appelant révèle seulement que le directeur général de la société MORY DUCROS (Monsieur [L] [I]) et l’administrateur judiciaire (Maître [X] [K]) ont signé conjointement des courriers, tous datés du 6 février 2014, adressés à plusieurs sociétés du groupe (ARCOLE INDUSTRIES, plusieurs LAMBERET, GIRARD-AGEDISS, SPAD, TRANSLORRAINE, TRANSROUTE 54, ARCATIME, SOTRAPOISE…) pour leur demander, dans l’hypothèse où ils seraient amenés à procéder à des licenciements pour motif économique, leurs besoins en matière d’emploi et postes disponibles.
Il échet de relever que Monsieur [L] [I] était alors mis à disposition de la filiale par la société mère pour occuper le poste de directeur général de la société MORY DUCROS et que les courriers susvisés ont également été signés par un administrateur désigné par le tribunal de commerce. En outre, les courriers du 6 février 2024 correspondent à une démarche préalable de recherche d’emplois disponibles au sein du groupe, effectuée avant que les organes de la procédure collective soient informés de la décision de liquidation judiciaire du 6 février 2014 avec autorisation de licencier pour motif économique tous les salariés non repris. D’ailleurs les courriers suivants concernant l’exécution de l’obligation de reclassement ont été signés par les seuls administrateurs judiciaires, sans signature conjointe du directeur général de la société MORY DUCROS ou d’un autre cadre dirigeant de cette entreprise (cf infra).
La société ARCOLE INDUSTRIES produit des pièces qui démontrent que de nombreux cadres occupant des postes élevés ou clés au sein de la société MORY DUCROS, notamment au sein du service RH, n’étaient pas liés contractuellement, issus ou mis à disposition par la société ARCOLE INDUSTRIES.
À l’époque considérée, la société ARCOLE INDUSTRIES détenait la majorité du capital de la société MORY DUCROS et il existait une identité des dirigeants entre la société mère et sa filiale. Tout ou partie des salariés de la société ARCOLE INDUSTRIES ont été mis à la disposition de la société MORY DUCROS, notamment le directeur général [I], mais ceux-ci étaient peu nombreux, se comptant apparemment sur les doigts d’une seule main, au regard des nombreux cadres supérieurs participant à la direction d’une société fille employant près de 5000 salariés.
Des liens capitalistiques, une identité de dirigeants, une mise à disposition de personnel, notamment de direction, une concertation des actions et un regroupement de certains moyens ne sont pas suffisants à caractériser une situation de coemploi.
L’appelant ne procède que par voie d’affirmations lorsqu’il indique que la société ARCOLE INDUSTRIES et/ou le groupe se seraient engagés à fournir des moyens pour le plan de sauvegarde de l’emploi, ou à financer des mesures sociales liées à la fermeture du site de [Localité 11] et/ou à la suppression des emplois au sien de la société MORY DUCROS. En tout état de cause, de tels engagements, même s’ils avaient été objectivement établis, ne seraient pas de nature à caractériser une situation de coemploi.
La cour ne constate en rien une situation où la société MORY DUCROS aurait subi une perte complète de sa capacité d’action par l’effet d’une ingérence permanente de la société ARCOLE INDUSTRIES dans la gestion économique et sociale de l’entreprise employeur.
Le jugement déféré sera confirmé en ce que le conseil de prud’hommes a débouté Monsieur [T] [M] de toutes ses demandes au titre d’une situation de coemploi et a mis hors de la cause la société ARCOLE INDUSTRIES.
– Sur le licenciement –
Le conseil de prud’hommes a dit que le licenciement de Monsieur [T] [M] est ‘nécessairement’ sans cause réelle et sérieuse du fait de l’annulation de la décision d’homologation du 3 mars 2014, qu’en conséquence il n’y avait pas lieu à statuer sur la demande de Monsieur [T] [M] afin de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation individuelle de reclassement.
Or, quel qu’en soit le motif, l’annulation de la décision administrative ayant procédé à la validation de l’accord collectif ou à l’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, établi dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, ne prive pas les licenciements économiques intervenus à la suite de cette décision de cause réelle et sérieuse.
La cour va donc statuer sur la demande de l’appelant relative à l’obligation de reclassement.
Il n’est pas contesté en l’espèce que l’appelant était inclus dans un licenciement collectif pour motif économique d’au moins dix salariés sur une période de trente jours au sein d’une entreprise employant au moins cinquante salariés.
Lorsque l’entreprise est tenue d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, certains contentieux (validité de l’acte juridique instituant le plan de sauvegarde de l’emploi ; régularité et suffisance ou pertinence du plan de sauvegarde de l’emploi ; régularité de la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel…) relèvent de la seule compétence du juge administratif.
Le juge judiciaire conserve notamment le contrôle de l’exécution loyale de l’obligation (personnalisée ou individuelle) de reclassement et du respect par l’employeur des mesures du plan de sauvegarde de l’emploi à l’égard de chaque salarié concerné. En effet, lorsque l’entreprise est tenue d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, hors le cas du salarié protégé pour lequel une autorisation individuelle de licenciement doit être sollicitée auprès de l’administration, l’autorité administrative ne se prononce pas sur le respect de l’obligation personnalisée ou individuelle de reclassement.
À l’égard de chaque salarié, l’obligation de reclassement doit être respectée par l’employeur même lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi a été établi. Ainsi, l’employeur doit rechercher s’il existe des possibilités de reclassement, prévues ou non par le plan de sauvegarde de l’emploi, et proposer à chaque salarié dont le licenciement est envisagé des emplois disponibles, de même catégorie ou, à défaut, de catégorie inférieure, fût-ce par voie de modification de contrat de travail, en assurant au besoin l’évolution du salarié à l’évolution de son emploi.
Toutefois, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier le respect par l’employeur de l’obligation individuelle de reclassement, cette appréciation ne peut méconnaître l’autorité de la chose jugée par l’autorité administrative ayant validé ou homologué le contenu du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l’emploi et le juge judiciaire ne peut donc pas, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se fonder sur une insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi dans ce cadre, alors que le contrôle du contenu de ce plan relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour juger établie l’absence de recherche individualisée, sérieuse et loyale de reclassement.
Pour que le licenciement ait une cause réelle et sérieuse, il ne suffit pas qu’il soit fondé sur un motif économique avéré et pertinent, il faut aussi que l’employeur ait satisfait à son obligation de reclassement. L’obligation de reclassement est un élément justificatif du motif économique, le licenciement sans donc cause réelle et sérieuse si l’employeur ne satisfait pas à son obligation de reclassement.
Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national (sauf demande expresse du salarié avant l’abrogation de l’article L. 1233-4-1 du code du travail) dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Ainsi, sauf cessation, totale et définitive, d’activité d’une entreprise ne faisant pas partie d’un groupe, l’employeur doit rechercher à reclasser individuellement les salariés, quel que soit leur nombre, et même si l’entreprise fait l’objet d’une procédure collective.
L’obligation de reclassement n’incombe qu’à l’employeur, même s’il fait partie d’un groupe.
La recherche de reclassement doit être effective et sérieuse. Cette recherche doit être également individuelle. L’employeur doit exécuter loyalement son obligation de reclassement.
Le reclassement doit être recherché à partir du moment où le licenciement est envisagé par l’employeur et jusqu’à sa notification. La recherche et la proposition de reclassement au cours de l’exécution du préavis sont tardives. La notification du licenciement met fin à l’obligation de reclassement même si une convention de reclassement personnalisé (ou un contrat de sécurisation professionnelle) a été proposé au salarié et si le délai de réflexion imparti pour y adhérer n’est pas expiré.
La recherche de reclassement doit porter sur tous les postes salariés disponibles relevant de la même catégorie que celui de l’intéressé ou sur des emplois équivalents assortis d’une rémunération équivalente. À défaut, le reclassement peut s’effectuer sur des postes de catégorie inférieure avec l’accord exprès du salarié. La disponibilité du poste de reclassement s’apprécie à la date du licenciement. Un emploi en contrat à durée déterminée peut être proposé, sauf s’il s’agit de remplacer un salarié en congé. Le poste de reclassement doit être compatible avec les compétences du salarié.
La recherche de reclassement s’effectue en priorité dans l’entreprise, y compris dans ses établissements situés dans d’autres régions ou au sein de l’unité économique et sociale à laquelle elle appartient. S’il n’existe aucune possibilité de reclassement dans l’entreprise et si elle appartient à un groupe, l’employeur doit étendre sa recherche à toutes les entreprises de ce groupe dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel, même si ces entreprises n’appartiennent pas au même secteur d’activité. L’employeur n’est pas tenu légalement de rechercher des reclassements extérieurs à l’entreprise, ou au groupe si elle appartient à un groupe (obligation légale de reclassement interne mais pas externe). Toutefois, il doit respecter ses engagements en la matière (obligation conventionnelle).
Les offres de reclassement doivent être écrites, concrètes, précises et personnalisées.
L’employeur doit adresser les propositions de reclassement de manières personnalisée au salarié ou communiquer la liste des postes de reclassement disponibles aux salariés concernés, et le cas échéant l’actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer une date certaine. Dans tous les cas, les offres écrites de reclassement précisent l’intitulé du poste et son descriptif, le nom de l’employeur, la nature du contrat de travail, la localisation du poste, le niveau de rémunération et la classification de l’emploi.
L’employeur ne peut pas limiter ses offres en fonction de la volonté présumée du salarié.
L’absence de candidature écrite du salarié, à l’issue d’un délai raisonnable laissé par l’employeur pour se prononcer, vaut refus des offres de reclassement.
L’employeur peut proposer le même poste de reclassement à plusieurs salariés ayant les compétences requises.
En l’espèce, Monsieur [T] [M] soutient que l’employeur n’a pas exécuté loyalement à son égard l’obligation individuelle de reclassement. En ce sens, il fait valoir que le mandataire judiciaire de la société MORY DUCROS n’a pas envoyé aux autres sociétés du groupe la liste comportant l’intitulé et la classification des postes supprimés, mais une lettre circulaire sans précisions suffisantes (profil des salariés, diplôme, expérience, carrières, qualifications, compétences spécifiques, polyvalence, ancienneté) ne pouvant constituer une exécution loyale de l’obligation de reclassement.
À compter du 6 février 2014, les administrateurs judiciaires ont adressé des lettres aux nombreuses sociétés du groupe qui révèlent une démarche préalable de recherche de postes de reclassement dans le groupe dans l’hypothèse de licenciements pour motif économique. Cette demande précise les informations sollicitées sur les postes disponibles (nature du contrat de travail, statut, fonction, qualification, détail des attributions, rémunération, lieu de travail, durée du travail, horaires de travail, avantages éventuels, convention collective applicable), indique que les profils existants dans l’entreprise réunissent l’ensemble des fonctions support et opérationnelles liées à l’activité du transport (manutentionnaire, cariste, conducteur, chef d’équipe, employé d’exploitation, responsable d’exploitation, directeur d’agence etc.), avec une demande de réponse avant le 17 février 2014 à l’adresse mail de l’équipe RH de la société MORY DUCROS.
Suite à ces premières recherches, la société MORY DUCROS a pu identifier de nombreux postes de reclassement au sein du groupe qui ont été mentionnés dans un tableau récapitulatif précisant le statut et la catégorie professionnelle (notamment conducteur PL) pour chaque emploi disponible, accompagné de fiches descriptives (lieu de travail, horaire, niveau de rémunération, statut, rattachement hiérarchique, missions et activités, compétences et expériences requises) pour chacun des postes.
Par courrier recommandé daté du 21 février 2014, les administrateurs judiciaires de la société MORY DUCROS ont invité Monsieur [T] [M] à indiquer, dans le délai légal, s’il souhaitait être destinataire d’offres de reclassement à l’étranger. Il n’est pas contesté que le salarié n’a pas répondu favorablement à cette proposition.
Par courrier recommandé daté du 24 février 2014, visant les jugements du tribunal de commerce en date des 26 novembre 2013 et 6 février 2014, les administrateurs judiciaires de la société MORY DUCROS ont proposé à Monsieur [T] [M] des postes de reclassement précis et individualisés, avec en annexe des fiches descriptives de ces postes (nouvel employeur, intitulé du poste, type de contrat de travail, lieu de travail, classification professionnelle, descriptif de fonctions, rémunération horaires de travail…). Il était également indiqué au salarié qu’il pouvait consulter en annexe le tableau récapitulatif des emplois disponibles au sein du groupe avec des fiches descriptives pouvant être fournies par le service RH (cf supra), et postuler dans ce cadre s’il estimait ses compétences adaptées. Les administrateurs judiciaires demandaient au salarié de se positionner en réponse au plus tard le 28 février 2014 à 18 heures (formulaire de réponse joint), le silence valant refus. Par courrier recommandé daté du 4 mars 2014, les administrateurs judiciaires de la société MORY DUCROS ont prorogé le délai de réponse du salarié au 11 mars 2014 à 12 heures.
Par courrier recommandé daté du 5 mars 2014, visant les jugements du tribunal de commerce en date des 26 novembre 2013 et 6 février 2014, les administrateurs judiciaires de la société MORY DUCROS ont proposé à Monsieur [T] [M] de nouveaux postes de reclassement précis et individualisés, avec en annexe des fiches descriptives de ces postes (nouvel employeur, intitulé du poste, type de contrat de travail, lieu de travail, classification professionnelle, descriptif de fonctions, rémunération horaires de travail…), et un délai de réponse expirant le 11 mars 2014 à 12 heures.
Dans le cadre des propositions de reclassement, le salarié pouvait bénéficier des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi, notamment une aide financière au déménagement et une prime de rideau, ce qui a été rappelé expressément par les administrateurs judiciaires à Monsieur [T] [M].
Dans la lettre de licenciement, les administrateurs judiciaires ont indiqué avoir effectué des recherches de reclassement et avoir proposé des postes dans ce cadre à Monsieur [T] [M] qui n’a pas donné de suite favorable.
Il n’est pas contesté que Monsieur [T] [M] n’a ni répondu favorablement aux propositions précises de reclassement ni formulé la moindre demande concernant des postes de reclassement non proposés mais mentionnés dans le tableau récapitulatif précité.
Il échet de rappeler que, pour respecter la décision du tribunal de commerce et les dispositions du code du travail, les organes de la liquidation judiciaire disposaient d’un délai réduit (un mois à compter du 6 février 2014) pour reclasser ou licencier 2882 salariés, et devaient s’adresser à de nombreuses sociétés appartenant au groupe.
Dans ce contexte, les organes de la liquidation judiciaire ont exécuté loyalement leur obligation de reclassement en procédant comme susvisé à la recherche d’emplois disponibles au sein du groupe, alors qu’ils n’ont pas été en mesure d’adresser aux sociétés du groupe, dans un délai extrêmement court et avec des contraintes matérielles objectivement très importantes, un profil individualisé de chacun des 5000 salariés de la société MORY DUCROS ou des près de 3000 salariés concernés par la fermeture de leur site de travail. S’agissant de la liste détaillée des agences, emplois ou postes supprimés au sein de la société MORY DUCROS, qui apparaît dans le jugement de liquidation judiciaire du 6 février 2014, elle était à la disposition des autres sociétés du groupe.
Les organes de la liquidation judiciaire ont recherché parmi les emplois disponibles au sein du groupe des postes de travail adaptés au profil de Monsieur [T] [M] et ont présenté à ce dernier des offres de reclassement écrites, concrètes, précises et personnalisées. Le salarié n’a pas donné suite.
La cour juge que les organes de la procédure collective ont exécuté loyalement l’obligation de reclassement à l’égard de Monsieur [T] [M] et justifient de l’impossibilité de reclassement du salarié.
L’appelant ne procède que par voie d’affirmations lorsqu’il indique que la société ARCOLE INDUSTRIES et/ou le groupe se seraient engagés à fournir des moyens pour le plan de sauvegarde de l’emploi, ou à financer des mesures sociales liées à la fermeture du site de [Localité 11] et/ou à la suppression des emplois au sien de la société MORY DUCROS. En tout état de cause, de tels engagements, même s’ils avaient été objectivement établis, ne seraient pas de nature à caractériser une violation de l’obligation de reclassement de l’employeur (les organes de la procédure collective en pratique) à l’égard de Monsieur [T] [M].
Monsieur [T] [M] sera débouté de ses demandes en rapport avec la violation alléguée de l’obligation individuelle de reclassement et le constat d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce que le conseil de prud’hommes a dit que le licenciement de Monsieur [T] [M] est sans cause réelle et sérieuse.
– Sur l’indemnisation –
Si dans le dispositif de ses dernières écritures, l’appelant vise le seul article L. 1233-58 du code du travail, il mentionne également l’article L. 1233-16 du code du travail dans la partie ‘discussion’ de ses dernières conclusions pour réclamer une indemnité à hauteur du préjudice subi du fait de l’annulation de la décision administrative ayant homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Monsieur [T] [M] sollicite à ce titre l’équivalent de 12 mois de salaire, soit 22.792,39 euros, avec un salaire mensuel brut de référence qu’il évalue donc à 1.899,37 euros.
Sans explication particulière, l’appelant demande également une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant équivalent à 12 mois de salaire, soit 22.792,39 euros.
L’appelant demande également une indemnité pour violation de l’obligation individuelle de reclassement d’un montant équivalent à 12 mois de salaire, soit 22.792,39 euros.
L’appelant prétend ainsi au cumul de trois indemnités en rapport avec la rupture du contrat de travail. Il invoque une perte de chance résultant d’une exécution déloyale de l’obligation individuelle de reclassement et de l’insuffisance des moyens accordés par le groupe pour le plan de sauvegarde de l’emploi, ainsi qu’un préjudice moral.
Selon les dispositions de l’article L. 1235-10 du code du travail applicables à l’époque considérée, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le licenciement intervenu en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation ou alors qu’une décision négative a été rendue est nul. En cas d’annulation d’une décision de validation de l’accord collectif ou d’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, en raison d’une absence ou d’une insuffisance de plan de sauvegarde de l’emploi, la procédure de licenciement est nulle. Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaire.
Selon les dispositions de l’article L. 1235-16 à du code du travail applicables à l’époque considérée, l’annulation de la décision de validation de l’accord collectif ou d’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, pour un motif autre que l’absence ou l’insuffisance de plan de sauvegarde de l’emploi, donne lieu, sous réserve de l’accord des parties, à la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, et qui est due sans préjudice de l’indemnité de licenciement.
Pour les licenciements notifiés avant le 24 septembre 2017, l’article L. 1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement
Pour l’employeur qui n’est pas en situation de redressement ou de liquidation judiciaire, l’indemnité prévue par l’article L. 1235-16 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, qui répare le préjudice résultant pour le salarié du caractère illicite de son licenciement, ne se cumule pas avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l’emploi.
Lorsque l’employeur n’est pas en situation de redressement ou de liquidation judiciaire, il n’y a pas de cumul possible des indemnités minimales prévues par les articles L. 1235-3 et L. 1235-16 du code du travail, en raison de l’impossibilité d’obtenir deux fois la réparation du même préjudice, ces indemnités étant de même nature. En effet, l’article L. 1235-3 vise à réparer pour le salarié la perte injustifiée de son emploi. L’article L. 1235-16 a pour objet d’assurer aux salariés une indemnisation minimale de la perte injustifiée de leur emploi en cas d’annulation de la décision de validation ou d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi prononcée pour un motif autre que l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi. Dans cette hypothèse, le salarié ne peut prétendre qu’à l’indemnisation de son préjudice qui ne peut pas être inférieure à six mois de salaire, la réintégration n’étant pas de droit. Dans ce cas, l’annulation de la décision d’homologation ou de validation du plan de sauvegarde de l’emploi n’emporte pas la nullité du licenciement mais affecte sa régularité, l’indemnité réparant le caractère illicite du licenciement
Selon les dispositions de l’article L. 1233-58 du code du travail applicables à l’époque considérée, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l’employeur, l’administrateur ou le liquidateur, selon le cas, qui envisage des licenciements économiques, met en ‘uvre un plan de licenciement. En cas de licenciements intervenus en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation, ou en cas d’annulation d’une décision ayant procédé à la validation ou à l’homologation, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. L’article L. 1235-16 ne s’applique pas.
Selon l’article L. 1233-58 II du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, en cas de licenciements intervenus dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire en l’absence de toute décision relative à la validation de l’accord mentionné à l’article L. 1233-24-1 du même code ou à l’homologation du document élaboré par l’employeur mentionné à l’article L. 1233-24-4, ou en cas d’annulation d’une décision ayant procédé à la validation ou à l’homologation, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. L’article L. 1235-16 du code du travail ne s’applique pas dans ce cas de figure d’une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire. Il résulte de ce texte que cette indemnité au moins égale aux salaires des six derniers mois est due, quel que soit le motif d’annulation de la décision ayant procédé à la validation ou à l’homologation et, en l’absence de disposition expresse contraire, elle se cumule avec l’indemnité de licenciement. Il en résulte également que l’annulation de la décision administrative ayant procédé à la validation ou à l’homologation ne prive pas les licenciements économiques intervenus à la suite de cette décision de cause réelle et sérieuse et, en conséquence, les salariés concernés ne peuvent prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents fondée sur l’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de leur contrat de travail lorsque cette rupture est intervenue à la suite de leur acceptation d’un contrat de sécurisation professionnelle. Les salariés doivent donc opter pour l’une ou l’autre de ces indemnités, avec la possibilité de majorer leur demande au titre de la seule indemnité choisie.
Ainsi, quel qu’en soit le motif, l’annulation de la décision administrative ayant procédé à la validation de l’accord collectif ou à l’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, établi dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, ne prive pas les licenciements économiques intervenus à la suite de cette décision de cause réelle et sérieuse.
Lorsque l’employeur est en situation de redressement ou de liquidation judiciaire, l’indemnité prévue par l’article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction en vigueur du 1er juillet 2013 au 1er juillet 2014, qui répare le préjudice résultant pour le salarié du caractère illicite de son licenciement, ne se cumule pas avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l’emploi. En revanche, l’indemnité prévue par l’article L. 1233-58, II, se cumule avec l’indemnité légale de licenciement, de nature différente, étant précisé que l’annulation de la décision administrative qui avait validé le plan de sauvegarde de l’emploi ne prive pas, en elle-même, les licenciements économiques de cause réelle et sérieuse et les salariés de leur droit aux indemnités correspondantes.
Lorsque le licenciement est illicite dans le cadre des articles L. 1233-58, II, s’agissant des entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, ou L. 1235-16, s’agissant des entreprises in bonis, le salarié ne peut cumuler l’indemnité prévue par ces textes avec une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou avec l’indemnité pour non-respect des critères d’ordre des licenciements.
Monsieur [T] [M] ne peut donc prétendre en l’espèce, en matière d’indemnisation, à l’application des dispositions des articles L. 1235-10 et L. 1235-16 du code du travail. Seules les dispositions de l’article L. 1233-58 II du code du travail sont applicables.
Monsieur [T] [M] ne peut prétendre à un cumul d’indemnités (dommages-intérêts réparant le préjudice subi du fait de la perte injustifiée de son emploi) liées à la rupture du contrat de travail en invoquant successivement l’annulation de la décision d’homologation, un licenciement sans cause réelle et sérieuse, une violation de l’obligation individuelle de reclassement.
En tout état de cause, la cour juge qu’il n’y a pas eu manquement à l’obligation individuelle de reclassement et que le licenciement de Monsieur [T] [M] n’est pas sans cause réelle et sérieuse.
Monsieur [T] [M] peut seulement réclamer, sur le fondement de l’article L. 1233-58 du code du travail, une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois de travail pour la société MORY DUCROS.
Il est remarquable de constater que les parties, en première instance comme en appel, n’ont pas fait l’effort de produire les bulletins de paie des six derniers mois de travail de Monsieur [T] [M]. Il était pourtant en principe facile de fournir de tels éléments pour l’appelant comme pour le liquidateur judiciaire de la société MORY DUCROS. Dont acte.
Monsieur [T] [M] produit seulement ses bulletins de paie de décembre 2012, décembre 2013 (total annuel brut de 22.792,39 euros), janvier 2014, février, mars et avril 2014. Il soutient une rémunération mensuelle brute de référence de 1.899,37 euros en divisant par douze le total annuel brut mentionné sur le bulletin de paie de décembre 2013.Sur les trois derniers mois complets de travail (janvier à mars 2014), le salarié a perçu un total brut de 6.315,59 euros (moyenne mensuelle de 2.105,20 euros).
L’appelant, qui n’a pas voulu permettre au juge de déterminer sa rémunération mensuelle brute de référence sur les six derniers mois de travail au sein de la société MORY DUCROS, ne saurait sérieusement prétendre à un calcul tronqué intégrant essentiellement le mois de décembre (mois de perception des gratifications annuelles) pour majorer de façon infondée le montant à retenir au titre de la mention des ‘salaires des six derniers mois’ visée dans l’article L. 1233-58 du code du travail.
La cour constate que l’indemnité de licenciement versée est d’un montant de 750,08 euros. Ce versement n’a fait l’objet d’aucune contestation. Monsieur [T] [M] avait1 an et 10 mois d’ancienneté au moment du licenciement (1,8333 années). Vu les dispositions applicables à l’époque considérée, cela correspond à un salaire mensuel brut de référence de 2.045,67 euros.
Monsieur [T] [M] ne donne aucune indication ni justification sur sa situation personnelle, notamment depuis le licenciement.
Monsieur [T] [M] était âgé de 26 ans au jour du licenciement.
Au regard des seuls éléments d’appréciation dont elle dispose (âge et ancienneté du salarié au moment du licenciement), la cour juge que l’employeur est redevable d’une indemnité de 13.000 euros à l’égard de Monsieur [T] [M] en réparation du préjudice subi suite à l’annulation de la décision administrative ayant homologué le document fixant notamment le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi.
Cette créance sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société MORY DUCROS. Le jugement sera réformé en ce sens.
– Sur la garantie de l’AGS –
Le présent arrêt est opposable à l’UNEDIC, CGEA d’Île de France Est, en qualité de gestionnaire de l’AGS.
La garantie de l’AGS s’exercera dans la limite des plafonds légaux, s’agissant de sommes dues au titre de l’exécution comme de la rupture du contrat de travail.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Le jugement sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.
En cause d’appel, il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Infirme le jugement en ce que le conseil de prud’hommes a dit que le licenciement de Monsieur [T] [M] est sans cause réelle et sérieuse, et, statuant à nouveau, déboute Monsieur [T] [M] de ses demandes en rapport avec la violation alléguée de l’obligation individuelle de reclassement et le constat d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
– Infirme le jugement en ce que le conseil de prud’hommes a débouté Monsieur [T] [M] de sa demande d’indemnisation sur le fondement de l’article L. 1233-58 du code du travail, et, statuant à nouveau, fixe à 13.000 euros le montant de la créance de Monsieur [T] [M], au titre de la réparation du préjudice subi par le salarié du fait de l’annulation de la décision administrative ayant homologué le document fixant notamment le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, créance qui sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société MORY DUCROS ;
– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;
– Dit que le présent arrêt est opposable à l’UNEDIC, CGEA d’Île de France Est, en qualité de gestionnaire de l’AGS ;
– Dit que la garantie de l’AGS s’exercera dans la limite des plafonds légaux, s’agissant d’une somme due au titre de la rupture du contrat de travail ;
– Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d’appel ;
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN