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Il résulte des articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige que l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement d’une cause réelle et sérieuse. Ainsi, en cas de non-respect des critères d’ordre, le salarié peut prétendre, non à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais à des dommages et intérêts distincts, pour violation des critères d’ordre.
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRET DU 25 MAI 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04465 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCCTD
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRÉTEIL – RG n° 18/01665
APPELANT
Monsieur [W] [L]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Eva HADDAD, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
INTIMEE
Société A.DEPEM
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Karine COHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : P418
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, et Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre
Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.
ARRET :
– CONTRADICTOIRE,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROC”DURE ET PR”TENTIONS DES PARTIES
La société A.Depem est une entreprise de vente de pièces détachées en électroménager.
Elle employait à titre habituel au moins onze salariés.
Par courrier du 2 septembre 1988, M. [W] [L] a été engagé par la société A.Depem en qualité de vendeur. Même si le courrier produit ne le précise pas, les parties s’accordent sur le fait que ce contrat de travail était à durée indéterminée et à temps plein.
Les relations contractuelles étaient soumises à la convention collective de commerces de gros.
Le 12 septembre 2018, la société A.Depem a présenté aux délégués du personnel un projet de plan de licenciement économique concernant moins de 10 salariés selon lequel il a été décidé de supprimer le service commercial et le service technique en transférant leurs attributions aux autres services de la société.
Le même jour, les délégués du personnel ont donné un avis favorable au projet.
Par une lettre en date du 13 septembre 2018, M. [L] qui appartenait au service technique a été convoqué à un entretien préalable de licenciement fixé au 21 septembre 2018.
Au cours de l’entretien , la société A.Depem a remis à M. [L] une proposition de contrat de sécurisation professionnelle.
Par une lettre en date du 8 octobre 2018, la société A.Depem a notifié à M. [L] le motif économique de son licenciement, à savoir la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.
Compte tenu de l’acceptation de la proposition de contrat de sécurisation professionnelle par M. [L], son contrat de travail a été rompu le 12 octobre 2018.
Contestant le bien-fondé de la rupture du contrat de travail, M. [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil le 14 novembre 2018 aux fins d’obtenir la condamnation de la société A.Depem au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement du 23 juin 2020, le conseil de prud’hommes a :
Fixé la rémunération brute mensuelle de M. [L] à la somme de 7.322 euros,
Condamné la société A.Depem à payer à M. [L] les sommes suivantes :
– 3.247,84 euros au titre des congés non soldés,
– 1.300 euros au titre de l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
Débouté M. [L] de l’intégralité de ses autres demandes,
Débouté la société A.Depem de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonné l’exécution provisoire en application de l’article 515 du code de procédure civile,
Condamné chaque partie à ses dépens.
Le 12 juillet 2020, M. [L] a interjeté appel du jugement.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 11 septembre 2020, M. [L] demande à la cour de :
Confirmer le solde des sommes dues au titre des congés payés,
Infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau de,
Dire que son licenciement ne repose pas sur un critère économique,
Constater l’absence de caractère réel et sérieux de son licenciement,
Constater l’absence de respect de l’obligation de reclassement, de formation et d’adaptation de la société A.Depem et l’absence des critères d’ordre des licenciements,
En conséquence,
Statuant à nouveau,
Condamner la société A.Depem au paiement des sommes suivantes :
– 146.440 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 10 décembre 2020, la société A.Depem demande à la cour de :
Dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée dans ses conclusions et demandes,
Y faisant droit,
Juger que le licenciement pour motif économique de M. [L] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Juger qu’elle a respecté son obligation de reclassement,
Juger qu’elle a respecté les règles applicables en matière de critères d’ordre,
En conséquence,
A titre principal :
Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté M. [L] de toutes ses demandes relatives à sa contestation du licenciement,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait le licenciement pour motif économique de M. [L] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Limiter le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire, soit 21.966 euros,
Sur l’appel incident :
Infirmer le jugement dont appel en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [L] des congés payés à hauteur de la somme de 3.247,84 euros,
Infirmer le jugement dont appel en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [L] la somme de 1.300 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
Débouter M. [L] de toutes ses demandes relatives à des congés payés ;
Ordonner le remboursement par M. [L] des sommes versées par elle en exécution du jugement dont appel,
En tout état de cause,
Condamner M. [L] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner M. [L] aux entiers dépens.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L’instruction a été déclarée close le 7 décembre 2022.
MOTIFS :
Sur le licenciement pour motif économique :
M. [L] soutient que son licenciement pour motif économique est dénué de cause réelle et sérieuse pour les trois raisons suivantes :
– l’employeur n’a pas respecté l’ordre des licenciements,
– le motif économique à l’origine de son licenciement n’est pas établi,
– l’employeur a manqué à son obligation de reclassement.
Il sollicite ainsi, dans le dispositif de ses dernières écritures qui seul saisit la cour, la somme de 146.440 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En défense, l’employeur sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande indemnitaire.
* Sur l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements :
Le salarié ne soulève le moyen tiré de l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements qu’aux fins de voir juger par la cour son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’obtenir ainsi des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Or, il résulte des articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige que l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement d’une cause réelle et sérieuse. Ainsi, en cas de non-respect des critères d’ordre, le salarié peut prétendre, non à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais à des dommages et intérêts distincts, pour violation des critères d’ordre.
M. [L] ne sollicitant aucune indemnité pour violation des critères d’ordre, il n’y a pas lieu d’examiner ce moyen qui est inopérant puisque son éventuel bien-fondé ne peut avoir pour effet ni de rendre sans cause réelle et sérieuse le licenciement litigieux ni d’accorder au salarié des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
* Sur le motif économique :
Par une lettre en date du 8 octobre 2018, la société A.Depem a notifié à M. [L] le motif économique de son licenciement, à savoir la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise selon les termes suivants qui ne fixent pas les limites du litige :
‘(…) nous vous avons expliqué que la société A. Depem, qui vend des pièces détachées en électroménager, a constaté dans le courant de l’année 2016, trois problèmes importants:
( i ) le manque de place pour le stockage des marchandises : depuis la création de notre site internet au début des années 2000, la société a réussi à se développer de manière importante mais, l’activité s’exerçant toujours dans nos locaux historiques de [Adresse 2], le stockage des pièces est devenu de plus en plus problématique, les locaux haussmaniens n’étant pas adaptés à notre activité de stockage et à un travail de logistique sur le stock au quotidien ;
( ii ) le manque de place et d’espace pour le personnel ;
( iii ) l’accessibilité des locaux pour nos fournisseurs : les locaux étaient situés derrière la gare du [7] avec deux voies de taxi en face des bureaux.
Pour résoudre ces difficultés, nous avons décidé de trouver un endroit adapté et répondant à l’activité de la société et aux besoins des salariés. La société a donc pris à bail un entrepôt à [Localité 6] (situé au [Adresse 1])). Cet entrepôt, d’une superficie 4 fois supérieure à celle de [Adresse 2], est proche des axes autoroutiers, pour un loyer à peine supérieur à l’ensemble des baux que nous exploitions sur [Localité 4], puisque nous avons décidé de ne conserver que le magasin de [Adresse 2].
Après la réalisation de travaux pour disposer d’un stockage optimal et pour avoir des bureauxchauffés et climatisés, la société a déménagé ses activités dans le courant du mois de mai 2017.
Ce déménagement, conjugué à une baisse sensible de l’activité, a impacté la société sur le plan économique, et a engendré deux phénomènes :
La redondance des charges:les précédents baux qui se sont poursuivis jusqu’à leur résiliation, ont entrainé une augmentation des charges (notamment de la charge de loyer de près de 200.000 euros),
La désorganisation du chiffre d’affaires : le transfert du stock a nécessité un nouveau référencement des produits et une nouvelle organisation au sein de la société. Par ailleurs, le stock de marchandises a augmenté de 20% entre 2016 et 2017, ce qui a entrainé un besoin supplémentaire en fonds de roulement.
En outre, la société a connu une baisse significative de ses marges liée à la vente de certains produits à prix coûtant.
Enfin, le site internet de la société n’était plus adapté aux évolutions technologiques et ne permettait pas de concurrencer les autres prestataires. La concurrence s’est donc accrue non seulement en termes de prix, mais également en termes de lisibilité des sites d’achat.
Ainsi, depuis l’exercice 2016, le chiffre d’affaires de la société A. Depem n’a cessé de diminuer pour passer de 4.902.265 euros au 31 décembre 2016 à 4.318.642 euros au 31 décembre 2017, soit une diminution de l’ordre de 12%.
La situation intermédiaire au 31 juillet 2018 révèle que la baisse constatée se poursuit puisque le chiffre d’affaires est de 2.155.613 euros contre 2.555.650 euros au 31 juillet 2017, soit une baisse significative de 16% entre ces deux périodes.
Par ailleurs, le résultat de la société est passé de 150.172 euros en 2016 à -196.722 euros en 2017. Les difficultés de la société constatées à la fin de l’exercice 2017 se poursuivent sur les deux premiers trimestres de l’exercice 2018. Compte tenu de cette situation, le résultat prévisible de l’exercice 2018 pourrait engendrer une nouvelle perte de 200.000 euros. La direction a immédiatement réagi face aux difficultés de la société, dès le dernier trimestre 2016. Ainsi, le président de la société, Monsieur [K] [E], ainsi que le Directeur Général, Monsieur [C] [E], ont décidé de ne plus se rémunérer.
Pendant le premier semestre 2017, la société a également pris des mesures concernant :
– Les stocks de marchandises : la société a fait en sorte d’avoir plus de quantités par référence et plus de nouveaux articles,
– Les marges des produits : la société a détecté un problème sur certains articles qui ne lui faisait pas gagner d’argent pas manque ou absence de marge,
– Les coûts de fonctionnement : la société a travaillé sur les coûts de fonctionnement pour les réduire et maximiser au mieux sa rentabilité.
Par ailleurs, à partir du mois de juillet 2017, la société a lancé le renouvellement de sa plateforme internet qui représente le canal le plus important en terme d’acquisition de clients et donc de chiffre d’affaires. En effet, le site internet de la société était devenu obsolète et face à la multiplication des concurrents avec des sites novateurs, la société devait se mettre à jour.
Elle a donc choisi de se faire accompagner par une agence spécialisée en développement ainsi qu’une agence marketing. Pendant toute cette période, le chiffre d’affaires n’a pas cessé de diminuer. En 2018, malgré le lancement du nouveau site internet, le chiffre d’affaires a continué de baisser. La société est tributaire des positionnements Google et subit un déréférencement qui entraine une baisse des commandes et donc du chiffre d’affaires. Depuis près de 3 ans, la société essaie de maintenir ses emplois malgré les pertes constatées et l’accélération de la baisse du chiffre d’affaires.
Compte tenu de la récurrence de la perte comptable annuelle supérieure à 200.000 euros, la société doit prendre des mesures pour sauvegarder sa pérennité et sa compétitivité.
La société est organisée en 6 « services » :
– Le « service » VPC ;
– Le « service » logistique ;
– Le « service » comptoir ;
– Le « service » informatique ;
– Le « service » commercial ;
– Le « service » technique.
Après une analyse des « services » existants, la société A. Depem n’a pas d’autre choix aujourd’hui, après avoir repoussé aussi longtemps que possible cette alternative, que de réduire ses charges de personnel en supprimant les « services » qui ne sont pas indispensables à la poursuite de son activité.
Lesservices informatique, commercial et technique sont chacun constitués d’une seule personne : le responsable informatique, le responsable commercial et le responsable technique. Il est apparu que les « services » commercial et technique n’étaient pas indispensables à la poursuite de l’activité de la société, puisque non générateur de chiffres d’affaires et que les attributions exercées par leurs responsables pouvaient être exercées par d’autres salariés déjà présents dans l’entreprise. Vous exercez au sein de notre société les fonctions de responsable technique. Dans le cadre de la réorganisation de la société justifiée pour sauvegarder sa compétitivité, une réunion avec les délégués du personnel s’est déroulée le 12 septembre 2018 pour information et consultation sur le projet de restructuration et ses conséquences sur l’emploi, ainsi que sur le projet de licenciements pour motif économique, à l’issue de laquelle les délégués du personnel ont donné un avis favorable aux mesures de restructurations envisagées.
Nous vous informons donc par la présente que la restructuration telle que définie conduit à la suppression de votre poste de responsable technique.
En effet, il a été décidé de regrouper les activités du « service » technique avec celles des « services » logistique et informatique. Les « services » logistique et informatique sont indispensables au bon fonctionnement de la société, sans lesquels les commandes des clients ainsi que les anomalies de fonctionnement des programmes informatiques ne pourront plus être traitées. A contrario, le « service » technique n’est pas générateur de chiffre d’affaires. La société a donc fait le choix de ne garder que les services essentiels pour son fonctionnement normal afin
d’améliorer, de manière rapide, sa compétitivité.
Ainsi, la suppression de votre poste de travail nous conduit à procéder à votre licenciement pour motif économique et ce, conformément aux dispositions des articles L. 1233-1 et suivants du code du travail, après information de la DIRECCTE’.
A l’inverse de l’employeur, le salarié considère que ce motif n’est pas établi et que, par voie de conséquence, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
***
Il résulte de la combinaison des articles L.1232-6, L. 1233-16, L.1233-17, L. 1233-3 et L.1233-4 du code du travail, que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit énoncer, lorsqu’un motif économique est évoqué, à la fois la cause économique qui fonde la décision et sa conséquence précise sur l’emploi et le contrat de travail du salarié, qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère sérieux du motif économique invoqué par l’employeur ainsi que l’effectivité de l’obligation de reclassement mise à la charge de l’employeur.
Aux termes de l’article L.1233-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2008-596 du 25 juin 2008 applicable à la date de la rupture du contrat de travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, à une réorganisation rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité.
Si le motif économique de licenciement doit s’apprécier à la date du licenciement il peut être tenu compte d’éléments postérieurs pour cette appréciation.
S’il appartient au juge, tenu de contrôler le caractère sérieux du motif économique, de vérifier l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail envisagés par l’employeur, il ne peut se substituer à ce dernier quant au choix qu’il effectue pour faire face à la situation économique de l’entreprise.
Une réorganisation qui anticipe des difficultés économiques prévisibles ou des mutations technologiques inéluctables est susceptible de justifier un licenciement pour motif économique si elle est effectuée pour assurer la compétitivité de l’entreprise, sans être subordonnée à l’existence de difficultés économiques à la date des licenciements. Toutetois, est sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour sauvegarde de la compétitivité qui s’appuie sur une réorganisation ayant pour seul but d’améliorer les profits de l’entreprise, d’augmenter ses marges, de réaliser des économies ou de diminuer sa charge salariale.
***
En l’espèce, la société soutient en premier lieu dans ses écritures d’appel qu’il existait à l’époque du licenciement litigieux une menace sérieuse sur sa compétitivité. Elle expose ainsi avoir été contrainte en 2016 de prendre à bail un nouveau local à [Localité 6] afin de remédier à un manque de place pour le personnel et pour le stockage de ses marchandises et de déménager ses différentes activités éclatées sur plusieurs sites dans ce nouveau local.
La société indique ainsi qu’à l’époque du licenciement, elle était confrontée à trois difficultés l’ayant obligée à procéder à une réorganisation de ses services ayant entraîné le licenciement pour motif économique de M. [L] :
– une augmentation de ses charges locatives liées à la poursuite des baux concernant les anciens sites jusqu’à leur résiliation,
– une baisse significative de ses marges en raison de la vente de certains produits à prix coûtant,
– une concurrence accrue en termes de prix mais également en termes de visibilité sur internet, le sîte de la société n’étant plus adapté aux évolutions technologiques.
La société souligne que malgré certaines mesures prises avant sa décision de procéder à un licenciement collectif, comme la mise en place d’un site de vente en ligne de pièces détachées, son chiffre d’affaires n’avait cessé de baisser.
A l’appui de ses allégations, la société se réfère dans ses écritures :
– à la note d’information adressée le 5 septembre 2018 par l’employeur aux délégués du personnel sur le projet de licenciement économique (pièce 5),
– au procès-verbal du 12 septembre 2018 par lequel les délégués du personnel ont donné leur accord au projet de licenciement collectif qui leur était soumis (pièce 27),
– à des extraits internet attestant que les sociétés SOS accessoire et Spareka intervenaient sur le marché des pièces détachées en électroménager, cette dernière entreprise qui travaillait avec la société Leroy Merlin avait vu son chiffre d’affaires progresser entre 2012 et 2018 (pièces 30, 52 et 53),
– à ses comptes de résultats faisant état d’une part, d’une baisse de chiffres d’affaires entre 2016 et 2018 puisqu’il était d’un montant 4.902.265 euros en 2016, de 4.318.642 en 2017 et de 3.502.704 euros en 2018 et, d’autre part, d’une baisse de ses résultats nets sur la même période puisqu après avoir réalisé un bénéfice de150.173 euros en 2016, l’entreprise avait subi un déficit de 196.722 euros en 2017 et de 606.541 euros en 2018 (pièces 19 du salarié et 28 de la société),
– des statistiques de fréquentation du site internet de vente mis en place le 29 juin 2018 par la société,
– les congés donnés par la société les 31 mars et 18 octobre 2018 à l’indivision d’Ursel aux fins de résiliation de deux baux commerciaux.
Tout d’abord, la société ne saurait établir par ses seules affirmations et la production du congés de deux baux commerciaux le fait qu’elle a subi à l’époque du licenciement une augmentation significative de ses charges locatives rendant nécessaire une réorganisation de l’entreprise et ce, d’autant qu’il n’est produit aucune donnée chiffrée concernant l’augmentation alléguée.
De même, si la société établit une baisse de son chiffre d’affaires entre 2016 et 2018, les éléments produits par les parties ne permettent nullement d’établir que la cause de celle-ci est liée, comme elle l’affirme sans le démontrer, à la perte de parts de marché au profit de concurrents tels que la société Spareka et ce, d’autant que cet argumentaire est contesté par le salarié.
En second lieu, la société expose dans ses écritures qu’à la date du licenciement, elle comptait 20 salariés répartis au sein de 6 services et qu’elle a décidé dans le cadre de son projet de réorganisation de supprimer deux de ces services en transférant leur compétence aux services maintenus en activité. Cette suppression de services est ainsi motivée par l’employeur : ‘les services commercial et techniques n’étaient ni indispensables, ni générateurs de chiffres d’affaires, la société A. Depem a pris la décision de les supprimer et, en conséquence, de supprimer les postes de responsable du service commercial et de responsable du service technique, ce dernier poste étant occupé par M. [L], pour ne garder que les services essentiels au fonctionnement normal de la société (…). La réorganisation des services et la nouvelle répartition des tâches ont permis d’améliorer la performance commerciale de la société tout en réduisant ses charges’.
Néanmoins, l’employeur se borne à procéder par voie d’affirmation et ne se réfère dans ses conclusions d’appel qu’à ses propres déclarations contenues dans la note d’information adressée aux délégués du personnel et dans le procès verbal de réunion de ces délégués de septembre 2018, pour établir que :
– la réorganisation était de nature à accroître ou préserver la compétitivité de l’entreprise ou à faire progresser son chiffre d’affaires,
– les deux services supprimés n’étaient pas ‘générateurs de chiffre d’affaires’,
– la réorganisation avait permis d’améliorer la performance de la société.
De même, la justification de ces éléments ne se déduit ni des écritures du salarié qui les conteste ni des pièces qu’il produit.
***
Il se déduit de ce qui précède qu’il ne ressort ni des écritures des parties ni des éléments versés aux débats que la réorganisation ayant donné lieu au licenciement litigieux n’avait pas pour seul but de réduire la masse salariale de l’entreprise et par suite, que cette réorganisation était rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité de la société à l’époque du licenciement litigieux. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de la méconnaissnce de l’obligation de reclassement, la rupture du contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé en conséquence.
***
M. [L] sollicite la somme de 146.440 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, correspondant à 20 mois de salaire (7.322×20).
A titre principal, l’employeur s’oppose à cette demande au motif que le licenciement pour motif économique est fondé. A titre subsidiaire, il sollicite la limitation de l’indemnité à la somme de 21.966 euros correspondant à 3 mois de salaire (7.322×3).
En premier lieu, les parties s’accordent dans leurs écritures sur le fait que, comme l’a jugé le conseil de prud’hommes, la rémunération mensuelle brute du salarié doit être fixée à la somme de 7.322 euros.
En deuxième lieu, il ressort des éléments produits que le salarié bénéficiait au moment de la rupture du contrat de travail d’une ancienneté de plus de 30 ans et que la société employait à titre habituel au moins onze salariés.
En troisième et dernier lieu, l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version modifiée par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 dispose que lorsque le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, et que si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau reproduit dans l’article.
Pour une ancienneté de 30 ans, l’indemnité minimale s’élève à 3 mois de salaire brut et l’indemnité maximale est de 20 mois.
Eu égard à l’âge du salarié au moment de la rupture du contrat de travail (50 ans), à son salaire, à son ancienneté et au fait qu’il justifie par le biais d’une attestation Pôle emploi avoir été au chômage jusqu’au 30 juin 2019, il convient de lui allouer la somme de 50.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé en conséquence.
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, versées, il y a lieu d’office d’ordonner à l’employeur le remboursement aux organismes intéressés des indemnités de chômage versé au salarié du jour de son licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.
Sur les congés non soldés :
L’employeur sollicite l’infirmation du jugement qui l’a condamné à verser au salarié la somme de 3.247,84 euros au titre des congés non soldés.
M. [L] demande au contraire la confirmation du jugement sur ce point.
Le salarié expose ainsi qu’entre décembre 2016 et janvier 2017, la société lui a supprimé des congés payés puisque :
– d’une part, son bulletin de paye de décembre 2016 qu’il produit mentionne ‘CP N acquis 20,44’,
– d’autre part, son bulletin de paye de janvier 2017 qu’il produit également mentionne ‘CP N acquis 2,92″.
Il en déduit que n’ayant pas pris de congés payés entre fin décembre 2016 et début janvier 2017, la société lui a supprimé 17,52 jours de congés payés (20,44-2,92).
De même, M. [L] expose qu’entre mai et juin 2017, son solde de congés payés N-1 est passé de 35 à 15 jours sur ses bulletins de paye qu’il produit.
En défense, l’employeur soutient que les apparentes incohérences relevées par le salarié sur ses bulletins de paye et fondant sa demande pécuniaire sont en réalité dues à un changement de méthode de comptabilisation des congés payés à compter du mois de janvier 2017. Il produit ainsi une note d’information transmise aux salariés de l’entreprise mentionnant : ‘Jusqu’au 31 décembre 2016, les congés payés et les RTT étaient pris et comptabilisés sur une période de référence allant du 1er janvier au 31 décembre. Tous les salariés devaient avoir pris leurs 35 jours durant cette période. En revanche, la comptabilisation sur les bulletins de paye se basait sur la période de juin à mai de l’année suivante et donc ne correspondaient pas à la réalité. A partir du 1er janvier 2017, A.Depem a décidé de passer sur la période de référence allant du 1er juin et se terminant le 31 mai de l’année suivante. Etant donné que tous les salariés ont soldé leur congé le 31 décembre 2016, tous les salariés avaient donc un solde à 0 le 1er janvier 2017. Tous les mois, chaque salarié acquiert 2,92 jours de congé’.
La société entend produire dans ses écritures (p.47 et 48) un décompte visant à établir qu’aucun congé payé n’a été supprimé à M. [L].
En l’espèce, il ressort des conclusions d’appel de M. [L] (p.25) que sa demande de rappel de salaire est uniquement fondée sur les apparentes incohérences constatées sur ses bulletins de paye précités. Toutefois, l’employeur justifie avoir changé de méthode de comptabilisation des congés payés à compter de janvier 2017 et produit un argumentaire dans ses écritures, non formellement contredit par le salarié dans ses conclusions d’appel (p.25) selon lequel, d’une part, ce changement de méthode est à l’origine des apparentes erreurs constatées sur les bulletins de paye de l’appelant et, d’autre part, M. [L] a été rempli de ses droits concernant ses congés payés.
Il s’en déduit que la demande salariale de M. [L] sera rejetée et le jugement sera infirmé en conséquence.
Toutefois, il ne sera pas fait droit à la demande de remboursement de l’employeur des sommes mises à sa charge à ce titre par le conseil de prud’hommes dans la mesure où, d’une part, la cour a alloué au salarié une somme d’un montant supérieur au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, d’autre part, il n’est nullement justifié que la société a versé au salarié le rappel de congés payés prononcé par le jugement entrepris.
Sur les demandes accessoires :
La société A.Depem qui succombe partiellement est condamnée à verser à M. [L] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
La société sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif d’exécution conformément à l’article 579 du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de prononcer l’exécution provisoire du présent arrêt comme le demande l’appelant dans le dispositif de ses conclusions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en ce qu’il a :
– fixé la rémunération brute mensuelle de M. [W] [L] à la somme de 7.322 euros,
– condamné la société A.Depem à verser à M. [W] [L] la somme de 1.300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société A.Depem de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que la rupture du contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société A.Depem à verser à M. [W] [L] les sommes suivantes :
– 50.000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
DIT que les créances indemnitaires porteront intérêts à compter de la décision qui les ordonne,
ORDONNE à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de 6 mois d’indemnités,
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,
MET les dépens de première instance et d’appel à la charge de la société A.Depem.
La greffière, La présidente.