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Le salarié réclame des rappels de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées, arguant que la convention de forfait en jours qui lui a été imposée est inopposable. La société conteste ces demandes, affirmant que le salarié n’a pas respecté les procédures pour demander des heures supplémentaires et que ses fonctions ne justifiaient pas ces heures. La cour constate que la convention de forfait en jours est inopposable au salarié et le condamne à payer les rappels d’heures supplémentaires pour les années 2015 et 2016.
La cour reconnaît le travail dissimulé par l’employeur, en raison de l’importance des heures supplémentaires non rémunérées effectuées par le salarié. Elle le condamne à verser une indemnité forfaitaire équivalente à six mois de salaire.
La société est condamnée à verser une indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos au salarié, en raison des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel.
Le salarié réclame des dommages-intérêts pour le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, affirmant avoir été exposé à des substances dangereuses lors de son travail. La cour rejette cette demande, estimant que le salarié n’a pas apporté suffisamment de preuves de son exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave.
La cour juge que le licenciement du salarié pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse, en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Elle condamne la société à verser des dommages-intérêts au salarié.
La société est condamnée à rembourser les allocations de chômage versées au salarié et à payer les dépens et une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/01468 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M4HV
[G]
C/
SAS SOUFFLET VIGNE
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VILLEFRANCHE SUR SAONE
du 03 Février 2020
RG : F 19/00019
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 05 JUILLET 2022
APPELANT :
[F] [G]
né le 14 Janvier 1956 à [Localité 3]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représenté par Me Florent JOUBERT de la SELARL DELGADO & MEYER, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société SOUFFLET VIGNE
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Vincent DE FOURCROY de la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON,
ayant pour avocat plaidant Me Jocelyne CLERC KACZMAREK de l’AARPI ADER, JOLIBOIS, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 01 Avril 2022
Présidée par Bénédicte LECHARNY, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Nathalie PALLE, président
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
– Thierry GAUTHIER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 05 Juillet 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Président et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Soufflet vigne (la société) est une entreprise de commercialisation de produits phytosanitaires à destination des vignerons.
M. [F] [G] (le salarié) a été engagé par la société en qualité d’agent technico-commercial, statut agent de maîtrise, à compter du 1er septembre 1998. Au dernier état de la relation de travail, il exerçait les fonctions de technicien conseiller préconisateur, statut cadre.
Son contrat de travail était régi depuis le 1er novembre 2016 par une convention de forfait de 218 jours par an.
Le 21 décembre 2016, le salarié a été victime d’un accident du travail et placé en arrêt de travail, régulièrement renouvelé jusqu’à une visite médicale de reprise du 19 octobre 2017 au terme de laquelle le médecin du travail a rendu l’avis suivant : « salarié ne pouvant occupant son poste actuellement, relevant de la médecine de soins et nécessitant d’être revu au moment où il reprendra le travail ».
Le 27 novembre 2017, après une étude de poste et des conditions de travail du salarié, le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude au poste de travail, précisant que le « reclassement [est] possible sur un poste sédentaire sans manutention de charges, [dans un] rayon [autour du] domicile maximum de 20 km ».
Par courrier du 6 février 2018, la société a notifié au salarié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Saisi sur requête du salarié, par jugement du 3 février 2020, le conseil de prud’hommes de Villefranche-sur-Saône a,
– jugé que le licenciement pour inaptitude fondé,
– débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes,
– mis les dépens de l’instance à sa charge.
Le jugement lui ayant été notifié le 5 février 2020, le salarié en a relevé appel le 21 février 2020.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 22 juin 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses moyens, le salarié demande à la cour de :
– juger son appel recevable, bien fondé et justifié,
– réformer le jugement en tous ses chefs de jugement critiqués,
À titre principal,
– juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– condamner en conséquence la société à lui verser la somme de 65 000 euros de dommages-intérêts en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail,
À titre subsidiaire,
– juger que son licenciement a été prononcé en méconnaissance des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 1226-12 du code du travail,
– condamner en conséquence la société à lui verser la somme de 65 000 euros de dommages-intérêts en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L. 1226-15 du code du travail,
En tout état de cause,
– juger que la convention de forfait en jours du 1er novembre 2016 lui est inopposable,
– condamner la société à lui verser le rappel d’heures supplémentaires suivant :
27 334,35 euros au titre de l’année 2015, outre 2 733,43 euros au titre des congés payés afférents,
27 427,20 euros au titre de l’année 2016, outre 2 742,72 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société à lui verser la somme de 19 427,60 euros au titre des repos compensateurs non pris,
– juger que la société a intentionnellement dissimulé les heures supplémentaires qu’il a réalisées,
– condamner en conséquence la société à lui verser la somme de 26 000 euros à titre de réparation forfaitaire de travail dissimulé,
– juger que la société a manqué à son obligation de sécurité en l’exposant au transport prohibé de matières dangereuses,
– condamner en conséquence la société à lui verser la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice d’anxiété résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,
– juger que les sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,
– condamner la société à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 12 octobre 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses moyens, la société demande à la cour de :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Par conséquent :
– débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre reconventionnel,
– condamner le salarié à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 mars 2022.
À l’audience du 1er avril 2022, la cour a invité la société à produire en cours de délibéré le document unique d’évaluation des risques en vigueur dans l’entreprise à la date de l’accident du travail survenu au salarié.
La société a procédé à cette production par courrier reçu le 15 avril 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
3.1. Sur la demande de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires
Le salarié soutient que la société lui a unilatéralement appliqué une convention de forfait en jours à compter du mois de juillet 2011 ; que ce n’est que le 1er novembre 2016 qu’il a accepté le principe d’une telle convention par un avenant signé en contrepartie de la majoration de son salaire ; que pour autant, son employeur n’a jamais procédé au moindre contrôle de sa charge de travail ; qu’aucun entretien annuel n’a jamais été organisé à cet effet ; que dès lors, la convention de forfait lui est inopposable ; qu’il a effectué de nombreuses heures supplémentaires, rendues nécessaires par les tâches qui lui étaient confiées et le caractère vaste de son périmètre d’activité ; qu’il est donc bien fondé à solliciter la condamnation de la société à lui payer les sommes à titre de rappel d’heures supplémentaires au titre des années 2015 et 2016.
La société réplique, d’une part, à l’irrecevabilité en raison de leur prescription des des demandes de rappels de salaires antérieurs au 6 février 2015 par application d el’article L. 3245-1 du code du travail, d’autre part, que la seule sanction d’une convention de forfait privée d’effet ou inopposable est la possibilité pour le salarié de solliciter des heures supplémentaires dans les conditions de l’article L. 3171-4 du code du travail ; que le collaborateur doit être loyal, surtout lorsqu’il est « itinérant » comme c’était le cas du salarié, et doit demander à son employeur, au préalable, l’autorisation d’accomplir des heures supplémentaires ; que le salarié n’établit ni que ses fonctions auraient nécessité la réalisation d’heures supplémentaires, ni que la société aurait donné son accord pour l’accomplissement de telles heures, alors qu’il avait le plus petit portefeuille clients du secteur géographique auquel il était affecté et que son domicile se situait à proximité de ses clients ; qu’il ne démontre pas non plus que la société savait qu’il réalisait des heures supplémentaires ; que sa charge de travail lui a toujours permis de poser la totalité de ses congés payés et jours de réduction du temps de travail ; qu’à l’exception d’un seul mail, il n’a porté aucune réclamation sur de prétendues heures supplémentaires à la connaissance de son employeur ; que la copie de ses agendas, en l’absence de tout autre élément extérieur, ne correspond pas à des éléments suffisamment précis quant aux prétendues heures supplémentaires qu’il aurait réalisées ; que les documents unilatéraux établis par le salarié pour les besoins de la cause sont inconsistants, dépourvus de toute valeur et inopposables à la société.
Sur ce,
A titre liminaire, il convient de constater que le dispositif des conclusions de la société ne comporte aucune prétention tirée de l’irrecevabilité des demandes de rappel de salaires en raison de leur prescription, de sorte que la cour n’est pas saisie d’une telle demande.
Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
La forfaitisation de la durée du travail doit faire l’objet de l’accord du salarié et d’une convention individuelle de forfait établie par écrit.
En l’espèce, il n’est pas contesté que la société a appliqué un forfait en jours au salarié avant même la signature, le 1er novembre 2016, d’une convention à cette fin. En l’absence de convention écrite, le salarié est en droit de solliciter le paiement des heures supplémentaires qu’il justifie avoir effectuées.
Selon l’article L. 3121-60 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable à la date de signature de la convention du 1er novembre 2016, l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
Notamment, l’article L. 3121-65 dispose que l’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires et organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
En l’espèce, la société ne soutient pas et n’offre pas d’établir qu’elle a respecté ces dispositions et, notamment, qu’elle a organisé une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail.
Il en résulte que la convention de forfait en jours est inopposable au salarié, de sorte que ce dernier est en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte des dispositions de l’article précité et de celles des articles L. 3171-2, alinéa 1er, et L. 3171-3 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, le salarié produit à l’appui de ses demandes :
– ses agendas manuscrits pour les années 2015 et 2016 mentionnant ses rendez-vous,
– deux relevés annuels des heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées en 2015 et 2016, mentionnant, par semaine civile, le nombre d’heures travaillées et le nombre d’heures majorées à 25 et 50%,
– la copie d’un mail adressé au directeur général de la société, le 15 octobre 2013, dans lequel il expose que la fermeture du dépôt de [Localité 5] et le départ d’un collègue ont « engendré pour [lui] un surplus considérable de temps et de contraintes de travail », entraînant une augmentation de son temps de travail qui est passé de 50 heures par semaine à 55 ou 60 heures par semaine.
Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures supplémentaires qu’il prétend avoir accomplies et il appartient dès lors à l’employeur de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Or, la société ne produit strictement aucune pièce à cette fin. Par ailleurs, alors qu’elle a appliqué au salarié une convention de forfait en jours dès 2011, elle apparaît mal fondée à soutenir que les fonctions du salarié ne justifiaient pas la réalisation d’heures supplémentaires et qu’elle n’a jamais consenti à la réalisation de celles-ci. À cet égard, elle ne justifie pas avoir répondu au mail du salarié du 15 octobre 2013, dans lequel il faisait part d’un temps de travail supérieur à 55 heures par semaine, et l’avoir invité à limiter son temps de travail à la durée légale hebdomadaire.
Il s’ensuit, en l’absence de toute preuve contraire, que les éléments produits par le salarié apportent la preuve de la réalisation d’heures supplémentaires non rémunérées.
Aussi, sur la base des éléments produits, il convient, par infirmation du jugement déféré, de condamner la société à payer au salarié les sommes suivantes :
27 334,35 euros au titre de l’année 2015, outre 2 733,43 euros au titre des congés payés afférents,
27 427,20 euros au titre de l’année 2016, outre 2 742,72 euros au titre des congés payés afférents.
Ces sommes portent de droit intérêts au taux légal à compter du 11 février 2019, date de la signature par la société de l’accusé de réception de sa convocation devant le bureau de conciliation valant mise en demeure de payer par application de l’article 1231-6 du code civil.
3.2. Sur l’indemnité pour travail dissimulé
En application de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, notamment, de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
L’article L 8223-1 du code du travail dispose qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En l’espèce, le caractère intentionnel du travail dissimulé se déduit de l’importance des heures supplémentaires accomplies par le salarié, du mail du 15 octobre 2013 et de l’application au salarié du système du forfait en jours, malgré l’absence de signature d’une convention écrite avant le 1er novembre 2016, puis, à compter de cette date, en l’absence de tout contrôle de la charge de travail par l’employeur.
Aussi convient-il, par infirmation du jugement déféré, et sur la base du montant du salaire mensuel non utilement contesté, de condamner la société à payer au salarié la somme de 26 000 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé.
3.3. Sur l’indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos
En application de l’article L. 3121-11 du contrat de travail, dans sa rédaction applicable du 22 août 2008 au 10 août 2016, et de l’article L. 3121-30 dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d’un contingent annuel et les heures effectuées au-delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos.
L’article D 3121-14-1 précise en son premier alinéa que le contingent annuel d’heures supplémentaires prévu à l’article L.3121-11 est fixé à 220 heures par salarié.
Le salarié qui n’a pas été en mesure de faire valoir son droit à repos compensateur du fait de son employeur peut demander à celui-ci réparation du préjudice subi par l’octroi d’une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme de l’indemnité du repos compensateur et de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents.
En conséquence, infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société à payer au salarié la somme de 19’427,60 euros au titre de l’indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos.
3.4. Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
Le salarié soutient qu’il a été astreint au transport de marchandises dangereuses de manière récurrente ; qu’il était exposé à ces substances, transportées dans son coffre de voiture, sans disposer d’un véhicule destiné au transport de ce type de marchandises, sans aucune ventilation à l’intérieur ; que ces conditions de transport le mettaient manifestement en danger en cas d’accident d’incendie ; que ce manquement de l’employeur lui a causé un préjudice d’anxiété.
La société réplique que le salarié ne démontre ni son exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave, ni son préjudice ; qu’elle a pris les mesures de prévention nécessaires à assurer la santé la sécurité de son salarié ; qu’en qualité de distributeur de produits phytosanitaires, elle est soumise à des normes très contraignantes en termes de sécurité et dispose à ce titre d’un agrément, les techniciens conseillers préconisateurs, comme le salarié, bénéficiant également de cet agrément.
Sur ce,
En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.
En l’espèce, pour justifier d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave, le salarié se contente de produire des bons de livraison de produits phytosanitaires. Ces pièces sont très insuffisantes pour établir, d’une part, la réalité de l’exposition, d’autre part, le risque élevé de développer une pathologie grave.
En outre, force est de relever qu’il ne verse aucune pièce aux débats de nature à établir la réalité du préjudice d’anxiété allégué.
Aussi convient-il de confirmer le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de ce chef de demande.
2. Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
2.1. Sur l’origine professionnelle de l’inaptitude
Le salarié demande à la cour de juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, la déclaration d’inaptitude définitive ayant conduit à son licenciement étant la suite des manquements de son employeur à son obligation de sécurité. À l’appui de sa demande, le salarié fait valoir que les activités de préparation de commandes et de livraison étaient récurrentes, avec des poids importants ; qu’en l’absence d’outils d’aide au levage, le chargement des produits dans son véhicule le contraignait à des postures forcées ; que le risque auquel il était exposé était accru par les nombreux trajets en voiture et la durée de son travail ; que la société n’a pas procédé à l’évaluation des risques et n’a mis en place aucune mesure destinée à les supprimer ; qu’il est mensonger de soutenir qu’il avait reçu pour consigne de ne pas porter de charges ; que la société ne démontre pas la réalité de ces consignes ni les mesures prises pour les faire respecter ; que les attestations produites ont été rédigées pour les besoins de la cause, sur la base d’un modèle commun dicté à des salariés soumis à un lien de subordination juridique ; que la réorganisation mise en place en juillet 2015 n’a nullement modifié son activité.
La société réplique qu’elle a mis en place des mesures préventives afin d’assurer la sécurité et la santé du salarié ; que le médecin du travail l’a toujours déclaré apte à son poste sans émettre de réserves ou de préconisations concernant un aménagement de poste ; que le salarié avait un portefeuille clients beaucoup moins important que celui de ses collègues ; qu’il bénéficiait d’une voiture de service d’une gamme supérieure en termes de confort à celles de ses collègues, compte tenu de ses problèmes de dos ; que le salarié a toujours eu pour instruction de faire charger les produits dans son véhicule par les magasiniers et de les faire décharger par ses clients ; qu’à compter du 1er juillet 2015, la nouvelle organisation commerciale séparant strictement les fonctions commerciales et logistiques a conduit à limiter les livraisons réalisées par les techniciens conseillers préconisateurs, et donc le port de charges ; que le salarié était parfaitement informé de cette nouvelle organisation ; que l’accident du 21 décembre 2016 est dû à la faute du salarié qui n’était pas tenu de livrer le client le jour même, le chargement des bidons relevant de la responsabilité du responsable du magasin ou du magasinier.
Sur ce,
Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoqué.
Il incombe au salarié de démontrer que le manquement de l’employeur est à l’origine de son inaptitude.
Il résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Il ne peut s’exonérer de sa responsabilité que s’il démontre qu’il a bien pris toutes les mesures des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
En l’espèce, le salarié a été victime, le 21 décembre 2016, d’un accident du travail dont il est résulté, aux termes de la notification de décision relative à l’attribution d’une indemnité en capital, « une lombosciatique gauche sur hernie discale L4-L5 opérée, sur état antérieur ». Il a été placé en arrêt de travail régulièrement renouvelé jusqu’à l’avis d’inaptitude du 27 novembre 2017.
S’il n’est pas contesté qu’avant cette date le médecin du travail a toujours déclaré le salarié apte à son poste sans réserves ou préconisations d’aménagement de poste, il est établi que la société avait connaissance des problèmes de dos du salarié, raison pour laquelle un véhicule d’une gamme de confort supérieure aux véhicules de ses collègues lui avait été attribué.
Or, par les pièces qu’il verse aux débats (fiche de poste, bons de livraison portant la mention «livraison par commercial », attestations de cinq clients viticulteurs, entretien individuel de 2015), le salarié démontre qu’il était, en pratique, amené à livrer à des clients des produits phytosanitaires, dont le poids variait de 1 à 25 kilos, ces livraisons impliquant au minimum, à défaut de chargement dans le coffre du véhicule (la société soutenant que cette opération était réalisée par les magasiniers), le déchargement des produits chez les clients. En effet, la société ne saurait valablement soutenir qu’il appartenait au salarié d’inviter ses clients à procéder eux-mêmes au déchargement des produits livrés, une telle demande étant peu compatible avec une démarche commerciale et les viticulteurs attestant que la livraison se faisait régulièrement en leur absence alors qu’ils étaient occupés à d’autres tâches sur leur exploitation.
La société n’est pas davantage fondée à arguer des consignes orales données au salarié et de la nouvelle organisation commerciale mise en place à compter du 1er juillet 2015 pour soutenir que le port de charges par le salarié avait vocation à n’être qu’exceptionnel, alors qu’il ressort :
– de l’entretien individuel de 2015, que son supérieur hiérarchique mentionne expressément qu’il « passe beaucoup de temps à livrer » et « se démène pour rendre service à ses clients car il manque de proximité » du fait de la fermeture du dépôt de [Localité 5], le chef de région mentionnant expressément à cet égard que le salarié « a beaucoup de mérite »,
– des attestations de viticulteurs, qu’à l’exception de rares grosses commandes annuelles livrées par camion, la quasi totalité de leur approvisionnement était effectuée par le salarié,
– du courrier adressé par le directeur général de la société au médecin du travail le 3 novembre 2017, que les « missions secondaires [du salarié] peuvent impliquer la livraison de produits en clientèle en contenants de 500 g à 25 kg », ce courrier ne faisant pas état du caractère exceptionnel de ces livraisons.
Encore, si la société argue de consignes orales données au salarié de se faire assister par le personnel du dépôt lors du chargement de son véhicule, force est de relever qu’elle ne justifie pas de la mise en place d’une organisation à cet effet.
Elle ne saurait par ailleurs tirer argument du non-respect par le salarié de la nouvelle organisation mise en place en 2015 sans établir qu’elle a pris toutes les mesures utiles pour assurer sa mise en oeuvre par le salarié, y compris par le recours à son pouvoir de direction.
Enfin, alors que le document unique d’évaluation des risques produit en délibéré recense, s’agissant des entrepôts, le risque de troubles musculo squelettiques lié à la « manipulation des cartons et des produits » et préconise, au titre du plan d’actions, une formation aux gestes et postures, la société ne démontre nullement que le salarié, dont les problèmes de dos étaient pourtant connus, a bénéficié d’une telle formation.
Il ressort de ce qui précède que la société a contribué, par le manquement à son obligation légale de sécurité, à la dégradation de l’état de santé du salarié à l’origine de son inaptitude définitive, de sorte que le licenciement en résultant est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré est infirmé en ce qu’il a jugé le licenciement du salarié pour inaptitude fondé.
2.2. Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salarié ayant au jour du licenciement une ancienneté de 19 ans, il est en droit d’obtenir, en vertu de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, une indemnité dont le montant est compris entre 3 et 15 mois de salaire brut, dès lors que l’entreprise emploie au moins 11 salariés.
Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié dont le montant n’est pas utilement contesté, de son âge au jour de son licenciement, de son ancienneté à cette même date, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences de ce licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies, il convient de fixer le montant de l’indemnité due au salarié à la somme de 50 000 euros.
3. Sur les demandes accessoires
Il convient, en application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n °2016-1088 du 8 août 2016, applicable au litige, de condamner la société à rembourser à Pôle emploi Auvergne-Rhône-Alpes les allocations de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour de l’arrêt prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage.
Compte tenu de la solution donnée au litige, il y a lieu d’infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer au salarié la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté M. [F] [G] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice d’anxiété,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que le licenciement de M. [F] [G] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Soufflet vigne à payer à M. [F] [G] les sommes suivantes:
27 334,35 euros à titre de rappel de salaire pour l’année 2015, outre 2 733,43 euros au titre des congés payés afférents,
27 427,20 euros à titre de rappel de salaire pour l’année 2016, outre 2 742,72 euros au titre des congés payés afférents,
26 000 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
19’427,60 euros à titre d’indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos,
50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que les créances de rappel de salaire et de congés payés afférents portent intérêts au taux légal à compter du 11 février 2019 et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
CONDAMNE la société Soufflet vigne à rembourser à Pôle emploi Auvergne-Rhône-Alpes les allocations de chômage versées à M. [F] [G] du jour de son licenciement au jour de l’arrêt prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage,
CONDAMNE la société Soufflet vigne aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE