Licenciement nul pour motif économique

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Licenciement nul pour motif économique
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Licenciement nul pour motif économique

Contexte de l’affaire

L’article L. 2411-5 du code du travail stipule que le licenciement d’un délégué du personnel ne peut intervenir sans autorisation de l’inspecteur du travail, même après la fin de son mandat. Un licenciement pour des motifs déjà refusés par l’inspection du travail pendant la période de protection est considéré comme nul.

Les faits de l’affaire

La société BM Chimie a demandé l’autorisation de licencier M. [L] pour des motifs économiques pendant sa période de protection. Après expiration de cette période, le licenciement a été effectué pour les mêmes raisons, malgré un refus de l’inspection du travail quelques semaines auparavant.

Décision de justice

Le licenciement de M. [L] a été déclaré nul, car il a été effectué pour des motifs identiques à ceux refusés par l’inspection du travail pendant la période de protection. La société BM Chimie [Localité 5] est condamnée à verser une indemnité de 18 000 euros à M. [L] en raison de la nullité du licenciement.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Arrêt n° 23/00119

07 février 2023

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N° RG 21/00880 –

N° Portalis DBVS-V-B7F-FPAO

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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de METZ

30 mars 2021

F 20/00091

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Sept février deux mille vingt trois

APPELANT :

M. [D] [L]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Bernard PETIT, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

S.A.S. BM CHIMIE [Localité 5] venant aux droits de la SAS BM CHIMIE [Localité 2] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Laure-Anne BAI-MATHIS, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par la SELARL CAPSTAN Rhône-Alpes, avocats au barreau de LYON, avocats plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 octobre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet, la SA BM chimie a embauché à compter du 1er janvier 2007 M. [D] [L], en qualité de laveur citernier, moyennant une rémunération de 1 500 euros brut par mois, outre un treizième mois et des éléments variables liés à l’activité.

La convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport était applicable à la relation de travail.

Au mois d’avril 2013, M. [L] a été élu membre de la délégation unique du personnel.

Son mandat n’a pas été reconduit lors des élections du mois de février 2017.

Le 16 mai 2017, l’inspectrice du travail a rejeté la demande de l’employeur de procéder au licenciement pour motif économique de ce salarié protégé.

Le 16 août 2017, la période de protection de M. [L] a pris fin.

Statuant le 12 octobre 2017 sur recours hiérarchique, le ministre du travail a annulé la décision du 16 mai 2017 et refusé le licenciement de M. [L].

Par courrier du 9 novembre 2017, M. [L] a été convoqué à un entretien préalable le 21 novembre 2017.

Par lettre du 6 décembre 2017, il a été licencié pour motif économique.

Estimant que son licenciement était nul ou pour le moins sans cause réelle et sérieuse, M. [L] a saisi le 30 août 2018 la juridiction prud’homale du litige l’opposant à la société BM chimie [Localité 2].

Par jugement contradictoire du 30 mars 2021, la formation paritaire de la section commerce du conseil de prud’hommes de Metz a notamment :

– dit que la procédure de licenciement avait été respectée ;

– débouté M. [L] de sa demande de requalification de son licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

– dit que chaque partie supporterait la charge de ses propres frais et dépens.

Le 9 avril 2021, M. [L] a interjeté appel par voie électronique.

Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 6 juillet 2021, M. [L] requiert la cour :

– d’infirmer le jugement ;

– de dire que le licenciement est nul et en tout cas sans cause réelle et sérieuse ;

– de condamner la société BM chimie [Localité 2] à lui payer la somme de 32 436 euros à titre de dommages-intérêts ;

– de condamner la société BM chimie [Localité 2] au paiement d’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

À l’appui de ses prétentions, M. [L] expose que son licenciement prononcé à l’expiration de la période légale de protection ne peut être motivé par les faits évoqués devant l’autorité administrative et qui ont donné lieu à une décision de refus d’autorisation de licenciement.

Il soutient que l’employeur ne peut se prévaloir de faits survenus pendant la période de protection et considère que son licenciement est nul en raison de la violation de son statut protecteur.

Il rappelle que la cessation partielle d’activité d’une entreprise n’est pas en soi un motif économique et que le transfert de l’activité de transport de marchandises n’impliquait pas automatiquement la fermeture de celle de lavage qui possédait une clientèle propre.

Il estime que la société BM Chimie [Localité 2] n’a pas parfaitement rempli son obligation de reclassement, au regard de l’importance du groupe et des postes disponibles.

Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 30 septembre 2021, la SAS BM Chimie [Localité 5], venant aux droits de la SAS BM Chimie [Localité 2], sollicite que la cour confirme le jugement et, conséquence :

– constate que le licenciement de M. [L] n’est pas entaché de nullité ;

– constate que le licenciement de M. [L] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

– déboute M. [L] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamne M. [L] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle réplique que la persistance, après l’expiration du mandat, de faits soumis à autorisation de licenciement auprès de l’inspection du travail autorise l’employeur à licencier le salarié sans qu’il ne soit porté la moindre atteinte au statut protecteur.

Elle ajoute que la demande d’autorisation de licencier M. [L] n’a été rejetée qu’en raison de considérations procédurales, ultérieurement régularisées, de sorte que l’administration n’a jamais tranché le motif économique invoqué.

Elle estime que le licenciement prononcé en raison de faits qui ont donné lieu à un refus d’autorisation ne caractérise nullement un détournement de la procédure attachée au statut protecteur et peut, tout au plus, être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle souligne que le secteur d’activité du groupe Geodis, à savoir le transport routier de marchandises, subit les incidences défavorables des contraintes tant de marché que concurrentielles. Elle souligne que les résultats de Geodis se sont sensiblement dégradés pour l’année 2017, exercice durant lequel était constatée une chute de chiffre d’affaires, de production, de valeur ajoutée, d’excédent brut d’exploitation et, par extension, de résultat net d’activité.

Elle rappelle que les choix de gestion de l’entreprise ne relèvent pas de l’examen du juge prud’homal.

Elle affirme que M. [L] ne peut pas prétendre au bénéfice d’un reclassement au sein de « SNCF région Lorraine », dès lors que la permutabilité de personnel entre la SNCF et elle est inexistante.

Elle souligne que M. [L] n’identifie aucun emploi disponible qu’elle aurait sciemment omis de lui soumettre.

+

Le 11 janvier 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction.

MOTIVATION

L’article L. 2411-5 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, dispose que le licenciement d’un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail et que cette autorisation est également requise durant les six premiers mois suivant l’expiration du mandat de délégué du personnel ou de la disparition de l’institution.

Le licenciement ne peut pas être prononcé après l’expiration du délai de protection légale du salarié pour des motifs identiques à ceux qui avaient été invoqués lors d’une demande d’autorisation administrative pendant le délai de protection et qui avaient donné lieu à un refus.

Est nul le licenciement du salarié au terme de son mandat prononcé en raison de faits commis pendant la période de protection et qui auraient dû être soumis à l’inspecteur du travail.

En l’espèce, par courrier du 17 mars 2017, soit pendant la période de protection de M. [L], la société BM chimie [Localité 2] a invoqué les motifs économiques suivants pour demander à l’inspection du travail l’autorisation de licencier ce salarié :

– difficultés engendrées par la perte importante de clients contraignant l’entreprise à envisager la réorganisation de son activité et à mettre en ‘uvre une procédure de licenciement collectif pour motif économique de quatre personnes ;

– perte de 20 % du chiffre d’affaires sur deux ans, les clients ayant choisi de ne pas reconduire les prestations confiées pour des raisons essentiellement tarifaires ;

– chute consécutive du taux de marge contributive de l’activité et fortes difficultés dans la rentabilisation de l’outil de production ;

– nécessité pour pouvoir continuer à fonctionner de procéder à une remise aux normes de « 50 K€ » au minimum, ce qui aurait alourdi d’autant les charges et donc grevé la rentabilité ;

– arrêt indispensable des activités atelier et station de lavage ;

– transfert de l’ensemble des activités de transport le 1er décembre 2016 ;

– suppression du poste de M. [L], laveur citernier.

La lettre de licenciement du 6 décembre 2017, soit après expiration du délai légal de protection de M. [L], est ainsi rédigée :

« (‘) Dans un contexte économique général très dégradé, BM Chimie [Localité 2] a subi de lourdes contraintes qui ont pesé sur l’ensemble de ses activité et notamment son activité lavage.

En 2013, la perte apparue au titre de l’exercice écoulé, faisait que le montant des capitaux propres est devenu inférieur à la moitié du capital social, obligeant ainsi la société BM Chimie [Localité 2] à recapitaliser.

Il en a été de même en 2014, où les difficultés du contexte économique général et de la situation concurrentielle régionale et du marché ont conduit à un retrait du volume d’activité de BM Chimie [Localité 2].

Après résultat financier, l’exercice 2014 s’est donc soldé par une perte de 553 280 €, contre une perte de 252 000 € pour l’exercice précédent.

Les résultats de l’exercice n’ont pas permis de reconstituer les capitaux propres de la société, qui demeuraient donc inférieurs à la moitié du capital social.

En 2015 et 2016, la situation, loin de s’améliorer, a continué à se dégrader, la marge contributive, est ainsi passée sous la barre des 6% ne permettant en aucun cas d’absorber les coûts fixes de bâtiment et de personnel.

La perte des contrats Air Liquide et Messer en 2016 a accentué cette dégradation, BM Chimie [Localité 2] s’éloignant encore du seuil de rentabilité, c’est-a-dire du niveau du chiffre d’affaires minimal pour équilibrer les charges de l’entreprise.

Par ailleurs, l’entreprise a été sollicitée sur de nombreux appels d’offre offensifs, où la tendance baissière ne pouvait qu’être inquiétante en termes de rentabilité.

En outre, la société BM Chimie [Localité 2] a été contrainte de mettre en place des actions de rationalisation de son activité avec notamment :

– la réorganisation régulière de ses plans de transport pour optimiser au mieux l’utilisation des matériels ;

– des opérations de sensibilisation des conducteurs aux coûts maîtrisables (accidentologie, casse de matériel, consommation gasoil,….),

– la maîtrise des heures et la diminution des heures payées non faites

– la rationalisation des coûts de location de VL et des frais de déplacements afférents.

La stratégie commercial et la recherche d’optimisation des flux n’ont cependant pas permis de compenser à elles seules les importantes pertes de volume enregistrées ces deux dernières années, lesquelles se sont encore accentuées.

Pour sa part, la station de lavage a vu son chiffre d’affaires diminuer depuis 2015 de manière importante, en corrélation avec la morosité du tissu économique lorrain.

En outre, la poursuite de l’activité de la station de lavage aurait nécessité des investissements importants au regard de la vétusté des installations.

Ainsi, suite a une panne conséquente, la station de lavage est à l’arrêt depuis le mois de Juin 2016.

Au-delà des actions mises en ‘uvre pour maintenir, voire développer l’activité sur BM Chimie [Localité 2] tout en réduisant les coûts d’exploitation, le volume d’activité et la baisse importante du chiffre d’affaires ne permettaient plus à l’entreprise d’assurer sa pérennité dans sa configuration actuelle.

En conséquence, il a été indispensable d’envisager la réorganisation des différentes activités en mutualisant les activités de transports avec BM Chimie [Localité 5], afin de permettre un retour à l’équilibre à court terme de celles-ci et d’arrêter les activités de lavage et d’atelier.

Un transfert des activités transport sur [Localité 5] doit ainsi permettre une synergie entre les activités et les plans de transport clients, à savoir :

– de réaliser des économies d’échelle et améliorer la productivité transport grâce à une synergie de moyens et des conducteurs

– de mutualiser les coûts de structure et réaliser ainsi des économies d’échelle.

Parallèlement au vu des éléments ci-dessus exposés, il a été décidé l’arrêt des activités de lavage et d’atelier.

À ce jour, les raisons économiques justifiant la suppression de votre poste de laveur citernier persistent puisqu’il n’existe plus aucune activité, ni de transport, ni de lavage et d’atelier, au sein de la société, ces décisions ayant été rendues indispensables compte tenu des difficultés évoquées ci-dessus.(‘) »

En définitive, le licenciement a été prononcé le 6 décembre 2017, après l’expiration du délai de protection légale de M. [L], pour des motifs économiques identiques à ceux invoqués lors de la demande du 17 mars 2017 d’autorisation administrative, étant observé que cette demande, présentée par la société BM Chimie [Localité 2] pendant le délai légal de protection, a donné lieu, quelques semaines seulement avant le licenciement, à un refus du 12 octobre 2017 par le ministre du travail statuant sur recours hiérarchique.

La décision de refus du ministre, quelle que soit sa motivation, en l’occurrence le non-respect du délai minimum de cinq jours ouvrables de l’article L. 1232-2 du code du travail entre la présentation ou la remise en main propre de la lettre de convocation et l’entretien préalable, lie le juge judiciaire – et donc la présente cour.

Il s’ensuit que le licenciement est déclaré nul.

Conformément à l’article L.1235-3-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, le salarié victime d’un licenciement entaché d’une nullité afférente à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé, qui ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou dont la réintégration est impossible a droit, quelles que soient son ancienneté et la taille de l’entreprise, à une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

La société BM Chimie [Localité 5], venant aux droits de la société BM Chimie [Localité 2], est donc condamnée à payer à M. [L] une indemnité d’un montant de 18 000 euros, eu égard au montant du salaire mensuel brut de l’intéressé (1721 euros brut en incluant la prime d’ancienneté), à son âge lors de la rupture du contrat (42 ans) et à ses difficultés pour retrouver un travail (M. [L] justifie être resté inscrit plus de deux années comme demandeur d’emploi).

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [D] [L] est nul ;

Condamne la SAS BM Chimie [Localité 5], venant aux droits de la SAS BM Chimie [Localité 2], à payer à M. [D] [L] la somme de 18 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

Rejette les demandes de la SAS BM Chimie [Localité 5], venant aux droits de la SAS BM Chimie [Localité 2] ;

Condamne la SAS BM Chimie [Localité 5], venant aux droits de la SAS BM Chimie [Localité 2], aux dépens de première instance et d’appel ;

Condamne la SAS BM Chimie [Localité 5], venant aux droits de la SAS BM Chimie [Localité 2], à payer à M. [D] [L] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

 


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