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SG/CD
Numéro 2294/11
COUR D’APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 16/05/2011
Dossier : 10/02812
Nature affaire :
Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Affaire :
S.A.R.L. [S] MATERIAUX
C/
[U] [D]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 16 mai 2011, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 16 Mars 2011, devant :
Monsieur GAUTHIER, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame HAUGUEL, greffière.
Monsieur [Z], en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame de PEYRECAVE, Présidente
Madame ROBERT, Conseiller
Monsieur GAUTHIER, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l’affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.R.L. [S] MATERIAUX
[Adresse 1]
[Localité 2]
Comparante en la personne de Monsieur [S], gérant, assisté de Maître L’HOIRY, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMÉE :
Madame [U] [D]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Comparante et assistée de Maître [A], avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 22 JUIN 2010
rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DÉPARTAGE DE DAX
LES FAITS, LA PROCÉDURE :
Madame [U] [R] épouse [D], engagée par la SARL [S] MATÉRIAUX, spécialisée dans le négoce de matériaux de construction, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er mars 2007, en qualité de « vendeuse interne », niveau III, coefficient 245, échelon C, de la convention collective nationale de construction-négoce des employés, mise à pied à titre conservatoire et convoquée le 6 novembre 2008 à un entretien préalable fixé au 20 novembre 2008, a été licenciée par lettre recommandée avec avis de réception du 26 novembre 2008 pour faute grave aux motifs de diverses manipulations frauduleuses.
Contestant son licenciement, Madame [U] [D] a saisi le Conseil de Prud’hommes de Dax, par requête en date du 30 décembre 2008.
À défaut de conciliation le 22 janvier 2009, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement qui s’est déclaré en partage de voix le 17 décembre 2009.
Par jugement avant-dire droit du 9 mars 2010, le Conseil de Prud’hommes a ordonné la communication à chaque partie de la copie de l’ensemble des pièces de la procédure pénale, initiée par la SARL [S] MATÉRIAUX, classée sans suite, et a ordonné la réouverture des débats à l’audience du 11 mai 2010.
Au terme de ses dernières conclusions de première instance, Madame [U] [D] demandait : que son licenciement soit dit abusif et que la SARL [S] MATÉRIAUX soit condamnée à lui régler les sommes suivantes : 1.442,36 € bruts au titre du paiement de la mise à pied conservatoire ; 144,24 € bruts de congés payés y afférents ; 1.686 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ; 168,60 € bruts de congés payés y afférents ; 400 € à titre d’indemnité de licenciement ; 15.000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse ; 1.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement rendu le 22 juin 2010, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits, des moyens et de la procédure, le Conseil de Prud’hommes de Dax (section commerce), statuant en formation de départage :
– a dit que le licenciement de Madame [U] [D] pour faute grave avec mise à pied conservatoire immédiate n’est pas fondé,
– a condamné la SARL [S] MATÉRIAUX à régler à Madame [U] [D] les sommes suivantes :
1.442,36 € bruts au titre du paiement de la mise à pied conservatoire, outre 144,24 € bruts de congés payés y afférents,
1.686 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 168,60 € bruts de congés payés y afférents,
400 € à titre d’indemnité de licenciement,
10.000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse,
750 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– a ordonné à la SARL [S] MATÉRIAUX de délivrer à Madame [U] [D] un certificat de travail et une attestation ASSEDIC rectifiés et conformes au présent jugement,
– a condamné la SARL [S] MATÉRIAUX aux dépens.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 13 juillet 2010 la SARL [S] MATÉRIAUX, représentée par son conseil, a interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 24 juin 2010.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
La SARL [S] MATÉRIAUX, par conclusions écrites, reprises oralement à l’audience et auxquelles il convient de se référer, demande à la Cour de :
– dire que le licenciement de Madame [U] [D] est intervenu pour faute grave,
– mettre à néant le jugement du Conseil de Prud’hommes de Dax du 22 juin 2010,
– condamner Madame [U] [D] à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
La SARL [S] MATÉRIAUX expose qu’un contrôle interne, instruit le 5 novembre 2008 par le gérant, a montré que Madame [U] [D] avait commis des manipulations frauduleuses consistant en falsifications de documents, bons de commande et bons de livraison (dissimulation d’un bon de livraison et suppression d’une facture sur l’ordinateur ; oublis de factures ; falsification régulière des bons de livraison ; établissement de fausses factures ; modification des prix d’achat pour établir de faux prix de vente ; non-respect des formalités mises en place pour passer des commandes) ; ainsi, par exemple, une commande effectuée par la société [D] avait donné lieu à une livraison en date du 15 juillet 2008 mais à aucune facturation ; de même l’examen du compte fournisseur a révélé que des livraisons de marchandises à la société [D] ne correspondent pas toujours aux marchandises visées sur le bon de livraison, griefs sur lequel Madame [U] [D] n’a jamais répondu.
La SARL [S] MATÉRIAUX fait valoir que Madame [U] [D] a reconnu, dans le cadre de l’enquête pénale, qu’elle n’avait pas fait simplement qu’imprimer des bons de commande suivis de bons de livraison, mais qu’elle était intervenue de manière active sur ceux-là, ou encore qu’elle avait établi une facturation supérieure à la commande pour compenser des frais de transport.
La SARL [S] MATÉRIAUX soutient que les faits reprochés à la salariée sont réels, lui sont personnellement imputables, en lien avec son contrat de travail et constituent le motif véritable du licenciement ; que le seul fait de ne pas remplacer la salariée licenciée ne saurait constituer en soit la démonstration d’un licenciement économique déguisé.
Madame [U] [D], par conclusions écrites, reprises oralement à l’audience et auxquelles il convient de se référer, demande à la Cour de :
– confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes en ce qu’il a jugé que le licenciement était abusif,
– en conséquence, condamner la SARL [S] MATÉRIAUX à lui verser les sommes de :
1.442,36 € bruts au titre du paiement de la mise à pied conservatoire,
144,24 € bruts de congés payés y afférents,
1.686 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
168,60 € bruts de congés payés y afférents,
400 € à titre d’indemnité de licenciement,
15.000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse,
2.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– ordonner à la SARL [S] MATÉRIAUX de lui délivrer un certificat de travail et une attestation destinée au PÔLE-EMPLOI, rectifiés des condamnations à intervenir,
– condamner la SARL [S] MATÉRIAUX aux entiers dépens,
– faire courir l’intérêt légal à compter du jour de la saisine du Conseil de Prud’hommes.
Madame [U] [D] expose qu’elle a été débauchée de son précédent emploi par le gérant de la SARL [S] MATÉRIAUX, en raison de son expérience, de son réseau et de ce que son embauche garantissait à la société de devenir le principal fournisseur de la SARL [D], dont son époux était salarié et associé et sa belle-soeur gérante, qui générait un chiffre d’affaires de 25.000 € mensuels en moyenne.
Elle fait valoir qu’elle n’avait pas dans ses attributions la réalisation des factures qui était de la responsabilité des services comptables de l’entreprise et du gérant, ce dernier ayant également la maîtrise du système informatique ; dès 2008, un accord est intervenu sur les achats de matériaux, entre le gérant de la SARL [S] MATÉRIAUX et les époux [D] afin de leur permettre d’acheter des marchandises pour leur usage personnel via le compte de la SARL [D], Monsieur [D] ayant remboursé l’intégralité de ses achats personnels à la SARL [D] en fin d’exercice comptable. Elle soutient que : les griefs invoqués sont soit prescrits, soit irréels, soit insuffisamment sérieux pour justifier de la rupture immédiate des relations contractuelles ; que le véritable motif du licenciement réside en un litige commercial entre la SARL [S] MATÉRIAUX et la SARL [D], ainsi que dans la mauvaise situation économique de l’entreprise, son poste ayant été supprimé depuis son licenciement.
Elle considère que la plainte pénale de la SARL [S] MATÉRIAUX était de pure opportunité afin de l’intimider et considère que le classement sans suite confirme que les griefs qui lui ont été faits sont totalement abusifs, alors que dans la lettre de licenciement l’employeur invoque le caractère délibéré et intentionnel des actes reprochés.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L’appel, interjeté dans les formes et délais prescrits par la loi, sera déclaré recevable en la forme.
Concernant le licenciement :
La faute grave, dont la charge de la preuve pèse sur l’employeur, est la faute qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis.
Dans la lettre de licenciement du 26 novembre 2008, la SARL [S] MATÉRIAUX indique qu’un contrôle interne effectué le 5 novembre 2008 a permis de révéler et de confirmer diverses manipulations frauduleuses de Madame [U] [D] à qui il est reproché d’avoir « commis des actes volontaires et graves tendant à faire bénéficier indûment un client (en l’espèce son époux) de réductions, de marchandises gratuites, de factures auxquelles il n’avait pas droit pour ne pas avoir effectivement acheté des produits correspondant aux bons présentés » et énumère 6 griefs.
« Dissimulation d’un bon de livraison et suppression de facture à l’ordinateur.
Une commande a été effectuée par la société [D] dont le gérant n’est autre que votre époux. La livraison a eu lieu le 15 juillet 2008. Elle aurait donc dû être facturée fin juillet. L’ordinateur révèle une annulation de la commande. Autrement dit, la facture a été supprimée sciemment à l’écran. Ce qui signifie que s’il n’y avait pas eu ce contrôle, toute cette marchandise n’aurait jamais été facturée. C’est du vol organisé. Nous sommes en possession de documents prouvant cette manipulation. À l’entretien, vous avez déclaré avoir fait du « ménage » sur le compte client [D] et vous avez reconnu avoir sciemment annulé la facture.
« Oublis de factures :
Une étude de béton armé a été réalisée pour le compte de la société [D] en date du 21 juillet 2008. Elle aurait dû être facturée au mois de septembre.
Or, elle n’a jamais été facturée. Aussi après contrôle, nous avons lancé nous même la facture.
À l’entretien, vous avez déclaré ne pas avoir eu connaissance de l’existence de cette étude.
Or je vous ai répondu que ce n’était pas possible que vous ne soyez pas au courant puisque nous avions retrouvé un fax rédigé par vos soins à l’attention de votre mari auquel vous avez joint le coût de l’étude, au prix d’achat pour notre société. Vous êtes revenue sur vos déclarations et avez répliqué que vous aviez effectivement passé ce fax à votre mari et que la facture (876 €) était d’ailleurs plus élevée que le prix facturé à notre société (700 €). Cela démontre que vous étiez parfaitement informée de la réalisation de cette étude ainsi que de son prix mais qu’en plus vous en avez sciemment suspendu la facturation. De plus, vous ne respectez pas l’obligation de discrétion et de confidentialité qui vous incombe concernant toutes informations auxquelles vous avez accès dans le cadre de vos fonctions.
Toujours à l’occasion du contrôle nous avons mis la main dans votre bureau sur un bon de livraison portant la mention écrite « facture » avec le prix HT et TTC ainsi que la TVA, en revanche sans indication du nom de notre société, sans date, sans numéro et sur le compte du client concerné, il n’y a pas de facture correspondante.
À l’entretien, vous avez déclaré ne pas vous souvenir, vous reconnaissez avoir établi ce document sans l’enregistrer dans l’ordinateur, mais vous ne savez plus. Nous ne pouvons donc rien en faire, ni facturer, ni enregistrer ».
« Falsification régulière des bons de livraisons :
Encore à l’occasion du contrôle, en vérifiant le compte de fournisseurs, nous avons constaté que les marchandises livrées à la société [D] ne correspondaient pas toujours aux marchandises indiquées sur les bons de livraisons.
Exemples :
– bon de livraison n° 106 422 du 24 juin 2008 : sur le BL il est inscrit CIMENT SPJ 35HG 19 sacs. Or, on a livré un garage à vélo.
– Bon de livraison n° 106 174 du 6 juin 2008 : sur le BL il est inscrit CIMENT CPJ 44 7 sacs à 11,05 € (au lieu d’ailleurs de 5,10 €) + 3 sacs CIMENT CPJ 45 de 40 kg à 12,65 € (c’est une référence qui n’existe pas donc la désignation a été modifiée). Or, on a livré des poignées de portes.
– Bon de livraison n° 106 228 du 9 juin 2008 : sur le BL il est inscrit Fer diamètre 8 – 21 mètres linéaires à 1,11 € + CIMENT CPJ 35 vendus au mètre linéaire à 5,56 € (le ciment ne peut pas se vendre au mètre linéaire). Or, on a livré des plinthes pour parquet.
« Établissement de fausses factures :
Nous avons mis la main dernièrement sur des factures très étonnantes dont il résulte que vous achetez des matériaux pour votre compte personnel et vous les facturez à la société [D] en changeant simplement les libellés, les références et les prix.
Nous disposons de toutes les preuves nécessaires (notamment toutes les commandes et toutes les références).
Exemples : vous avez pris du parquet, et pour régler votre achat, vous avez émis une facture au nom de la société [D] en indiquant Ciment avec des prix et des qualités incohérents. Même opération pour un garage à vélo ou encore pour des portes, des planches caillebotis…
Vous ne semblez pas mesurer la gravité de vos actes puisque à l’entretien vous avez déclaré en présence de votre assistant, « je ne fais pas de faux, je ne fausse pas les stocks car je laisse en divers ».
Or, contrairement à ce que vous prétendez, vous faussez les stocks et il s’agit bien de fausses factures. Pour information, j’ai des stocks négatifs et dois-je rappeler que la société [D] va récupérer la TVA sur ces marchandises qui ne sont autres que des achats personnels. Vos pratiques constituent bel et bien des malversations que vous contrôlez parfaitement, notamment parce que vous passiez ces marchandises en divers, nous pouvons en conclure que vous agissiez sciemment encore une fois.
En octobre, nous avons émis les factures du mois de septembre 2008. Mais avant de les imprimer, nous avons toute la soirée rectifié toutes les factures concernées par ce problème.
Le lendemain matin, étonné par l’ambiance pesante du bureau, nous avons, peu de temps avant l’édition, à nouveau contrôlé le compte de la société [D]. Celui-ci avait encore été modifié en sens inverse. Nous avons donc dû à nouveau rectifier toutes les références et les factures. Vous persistez dans vos agissements fautifs. C’est scandaleux !.
« Modification des prix d’achat pour établir de faux prix de vente.
Nous avons constaté ce problème récemment et nous avons été contraints d’avoir recours à un informaticien pour bloquer tous nos prix. Là encore les conséquences sont importantes puisque notre marge est directement impactée ainsi que notre résultat.
« Non-respect des formalités mises en place pour passer des commandes.
Nous avons imposé à l’ensemble du personnel de consulter la Direction pour toutes les commandes à faire. À cette occasion, vous m’aviez d’ailleurs dit « tu ne vas pas commencer à me faire chier comme le petit con de chez réseau pro qui est toujours sur mon dos ».
À l’entretien, vous sembliez ne pas vous rappeler ces propos mais compte tenu du fait qu’ils ont été prononcés en présence d’un témoin (salarié), je vous ai proposé de le faire entrer mais vous avez refusé.
D’évidence, vous n’appréciez pas mes interventions et encore moins les consignes de la direction.
Sans doute pour cette raison, vous avez effectué une commande chez notre fournisseur KP1 sans notre accord en date du 7 octobre 2008.
Cette commande a été effectuée pour la société [D]. Or, un devis pour cette commande avait déjà été lancé auprès d’un autre fournisseur (BARBE), fournisseur d’ailleurs que nous favorisons puisque notre marge est plus importante sur lui que sur les autres. Non seulement vous avez passé outre nos ordres, mais en plus, vous avez troublé nos relations avec notre fournisseur préférentiel et avez négligé l’intérêt de la société et ce dans le seul but d’accorder à la société [D] des remises sur sa commande.
Vous avez également commandé de votre propre chef un complet de Terreal le 29 octobre 2008 alors qu’une commande identique avait déjà été passée la semaine précédente. Commande encore préjudiciable à notre société puisque nous surchargeons inutilement nos stocks au détriment de notre trésorerie.
Vous avez violé délibérément la procédure mise en place.
À l’entretien, vous avez dit connaître l’existence de cette nouvelle procédure et de la même façon vous avez reconnu avoir passé ses commandes de manière délibérée, sans notre avis ».
La lettre de licenciement est donc précise et circonstanciée.
La réalité du deuxième grief est établie par la production par la SARL [S] MATÉRIAUX d’un fax manuscrit en date du 2 juillet 2008 adressé à la société Armatures d’Aquitaine signé de « [U] », demandant une étude de sol, et le devis adressé par cette société en date du 17 juillet 2008 sur lequel figure la mention manuscrite « bon pour commande le 21/07/08 ». Les signatures sur ces deux documents attribuées à Madame [U] [D], ne sont pas contestées par celle-ci.
La réalité du troisième grief est établie par la production par la SARL [S] MATÉRIAUX du bon de livraison numéro 106 174 et du bon de commande dont le numéro 10805241 figure également sur le bon de livraison.
La SARL [S] MATÉRIAUX produit également le bon de livraison 106 228, ainsi que le bon de commande 10806394, et le bon de livraison 106 422.
Sur chacun des bons de livraison figure notamment la mention « référence document : [U] ».
Lors de son audition dans le cadre de la plainte pénale, Madame [U] [D] a reconnu avoir établi la commande du garage à vélo chez le fournisseur et avoir modifié l’intitulé « ciment », indiquant « sans changer le prix du garage à vélo car 19 sacs de ciment + 5,10 = 96,90 le prix du garage vélo », ce qui correspond au bon de livraison n° 106 422 du 24 juin 2008.
Madame [U] [D] a donc reconnu avoir effectué ces manipulations.
Elle ajoute que « sur la facture du 30 juin 2008 la mention garage à vélo a disparu. Elle a été effacée par Monsieur [S] qui je le rappelle établit les factures. En effet, mon mari et Monsieur [S] s’étaient mis d’accord pour faire passer des achats personnels sur le compte SARL [D] en modifiant les libellés afin que ces produits correspondent à des achats relatifs à la maçonnerie. Monsieur [A] [T] (‘) a assisté à cet entretien entre mon mari et Monsieur [S] », précisant, sur question de l’enquêteur, que cela lui permettait d’acheter des produits payés par la SARL [D] et non par son mari et elle-même, la gérante de la société étant au courant car à la fin de l’exercice comptable tous les achats faits à titre personnel ont été basculés sur les comptes associés et réglés la société.
S’agissant des poignées de portes, Madame [U] [D] a reconnu avoir commandé 9 pièces pour 10 facturées pour compenser les frais de transport ajoutant « une fois de plus, Monsieur [S] aurait dû s’en rendre compte plus tôt car la facture date du 30 juin 2008. Monsieur [S] était de toute façon d’accord ». Or, le fait de considérer que l’employeur « aurait dû se rendre compte plus tôt » de cette anomalie, signifie que cela a été fait à son insu.
La réalité du sixième grief est établie par la production par la SARL [S] MATÉRIAUX des bons de commande numéro 10810845 du 1er octobre 2008 et des bons de livraison numéro 107518 du 7 octobre 2008, ainsi que la proposition de prix de la société KP1 du 7 octobre 2008, qui comporte la mention manuscrite « le 7/10/08 bon pour accord et commande » suivie de la signature de Madame [U] [D], non contestée.
En effet, lors de son audition dans le cadre de la plainte pénale diligentée à la suite de la plainte déposée par le gérant de la SARL [S] MATÉRIAUX, Madame [U] [D] a reconnu avoir établi le bon de livraison numéro 107518 relatif à la commande 10810845.
Madame [U] [D] prétend que le gérant de la SARL [S] MATÉRIAUX avait conclu un accord verbal avec son mari, ce que celui-ci a confirmé lors de son audition dans le cadre de l’enquête pénale.
Mais, le gérant de la SARL [S] MATÉRIAUX conteste un tel accord.
La SARL [S] MATÉRIAUX, et son mari, ont prétendu que cet accord avait été conclu en présence d’un témoin, Monsieur [T] [A], salarié de la SARL [S] MATÉRIAUX.
Monsieur [T] [A], entendu lors de l’enquête pénale le 8 juin 2009, à la question « avez-vous assisté à une discussion entre Monsieur [S] et Monsieur [D] au sujet des achats personnels facturés sur le compte de la SARL [D] » a déclaré qu’il avait « entendu que Monsieur [D] demandait à Monsieur [S] si cela était possible. Monsieur [S] a dit : on verra cela plus tard ».
Cette personne n’a donc pas été témoin d’un accord intervenu entre le mari de Madame [U] [D] et le gérant de la SARL [S] MATÉRIAUX, puisque ce dernier n’a pas donné sa réponse au moment où la question a été posée et aucun élément n’est produit aux débats de nature à démontrer qu’un tel accord a effectivement été donné.
Madame [I] [D] épouse [N], gérante de la SARL [D], a déclaré aux enquêteurs que son frère [U] l’avait informée de ce qu’il « avait fait des achats personnels chez [S] en les passant sur le compte SARL [D] et en modifiant les intitulés des fournitures ».
Il est donc parfaitement établi que c’est sciemment et en connaissance de cause que Madame [U] [D] a modifié les intitulés des fournitures, destinées à son mari à titre personnel en les faisant passer sur le compte de la SARL [D], ce qui, en l’absence de démonstration de l’accord de son employeur, constitue des falsifications qui caractérisent un manquement à ses obligations professionnelles, et qui sont totalement étrangères à des erreurs ou aux imperfections du système informatique invoquées par la salariée.
Sur la prescription :
Madame [U] [D] soulève la prescription de certains des griefs.
La SARL [S] MATÉRIAUX produit l’attestation de Mademoiselle [K] [C] du 7 mars 2009 qui écrit qu’elle a été engagée par la SARL [S] MATÉRIAUX du 30 octobre 2008 au 5 novembre 2008 avec pour mission de vérifier que ce qui avait été facturé à l’entreprise par les fournisseurs avait par la suite été facturé au client qui avait passé la commande, qu’elle avait ainsi constaté que : « la facturation d’un garage à vélo n’apparaissait pas facturé au client qui l’avait commandé, Monsieur [D] » et précise : « Après plusieurs recherches, j’ai constaté que ce produit avait bien été facturé mais sous l’intitulé « fer » ou encore « ciment ».
Elle ajoute : « de plus, lors de la réception de la facture d’un fournisseur concernant des appuis, aucune facturation à un client n’avait été effectuée. En cherchant dans les commandes au fournisseur, j’ai trouvé la commande passée au fournisseur par Madame [D] [U], l’accusé de réception de commande du fournisseur ainsi que la commande passée par le client, Monsieur [D]. En effet, ces documents papiers avaient été agrafés ensemble mais la commande du client en informatique avait été apparemment supprimée puisque le numéro de commande client affiché sur le document papier n’existait plus dans l’ordinateur. La commande du client n’existant plus, il n’était donc plus à générer en bon de livraison et la facturation au client n’a pas été faite ».
Les termes de cette attestation ont été confirmés par Mademoiselle [K] [C] lors de son audition du 11 avril 2009 dans le cadre de l’enquête pénale.
Lors de son audition par les enquêteurs, Madame [U] [D] a confirmé que Mademoiselle [K] [C] était chargée de contrôler les factures fournisseurs et les refacturations clients pour faire la comparaison.
Il est donc établi que les faits reprochés à Madame [U] [D] ont été constatés entre le 30 octobre et le 5 novembre 2008, certains des faits ayant été commis au début du mois d’octobre 2008.
Par conséquent, la procédure de licenciement ayant été engagée le 6 novembre 2008, il y a lieu de dire les griefs non prescrits.
Les falsifications effectuées par Madame [U] [D] justifient le licenciement et, compte tenu de leur nature, rendaient impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise y compris pendant la durée du préavis, et ce indépendamment d’une part de l’importance du préjudice financier pour la SARL [S] MATÉRIAUX et d’autre part de ce que les époux [D] ont remboursé à la SARL [D] les livraisons qui leur avaient été faites à titre personnel via le compte de la SARL.
Le jugement du Conseil de Prud’hommes sera donc infirmé en toutes ses dispositions et Madame [U] [D] sera condamnée à restituer à la SARL [S] MATÉRIAUX les sommes perçues au titre de l’exécution provisoire du jugement de première instance.
Sur les articles 696 et 700 du Code de procédure civile :
Madame [U] [D], partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens.
Aucun élément de l’espèce ne commande de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.