Licenciement économique : 5 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02585

·

·

Licenciement économique : 5 janvier 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02585
Ce point juridique est utile ?

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JANVIER 2023

N° RG 20/02585 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UFBS

AFFAIRE :

S.A.S. ECAB

C/

[K] [W]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Octobre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 18/00475

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Marie-Sylvaine CAPIN-SIZAIRE

Me Sophie KORKMAZ

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. ECAB

N° SIRET : 533 862 819

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Marie-Sylvaine CAPIN-SIZAIRE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2255

APPELANTE

****************

Monsieur [K] [W]

né le 27 Mars 1982 à [Localité 13]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Sophie KORKMAZ, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0273

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 25 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

EXPOSE DU LITIGE :

M. [K] [W] a été engagé à compter du 2 septembre 2013, par contrat de travail à durée indéterminée par la société Assistance & Conseil en qualité de Business Developer International.

Son contrat de travail a été transféré à compter du 1er mail 2015 auprès de la société eCAB.

Celle-ci employait habituellement moins de onze salariés.

Après avoir été convoqué par courrier du 14 juin 2017 à un entretien préalable fixé au 26 juin suivant, il a été licencié pour motif économique par courrier du 6 juillet 2017 et son contrat de travail a pris fin le 7 octobre 2017, au terme de l’exécution du préavis.

Par requête reçue au greffe le 8 mars 2018, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre, afin de contester son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 7 octobre 2018, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes a :

– condamné la société eCAB à verser à M. [W] la somme de 21.000 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre des bonus pour les exercices 2016 et 2017 et 2.100 euros bruts au titre des congés payés afférents, ces sommes étant productives d’intérêts au taux légal à compter du jour du bureau de conciliation et d’orientation, soit le 13 novembre 2018 ;

– dit que le licenciement pour motif économique du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– fixé la rémunération du salarié à la somme de 9.083,33 euros ;

– condamné la société à verser au salarié les sommes de :

– 813,60 euros à titre de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement et dit que cette somme est productive d’intérêts au taux légal à compter du jugement, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil ;

– 36.333 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dit que cette somme est productive d’intérêts au taux légal à compter du jugement, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil ;

– 1.200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté le salarié de ses demandes de dommages et intérêts pour non-proposition du congé de reclassement, de dommages et intérêts pour privation illégale de rémunération et de dommages et intérêts pour non-respect des contreparties aux temps de trajet inhabituels ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire sous réserve des dispositions des articles R. 1454-14 et 5 du code du travail selon lesquelles la condamnation de l’employeur au paiement des sommes visées par les articles R. 1454-14 et 5 du code du travail est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire dans les conditions prévues par l’article R. 1454-28 ;

– débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

– condamné la société aux éventuels dépens.

La société eCAB a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 18 novembre 2020.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, elle expose notamment que :

– le licenciement pour motif économique du salarié est valablement fondé, au vu des difficultés économiques et de la nécessité d’une réorganisation destinée à sauvegarder la compétitivité de l’entreprise dont elle justifie ;

– les recherches de reclassement ont été menées avec sérieux au sein des sociétés du groupe disposant de salariés, les postes disponibles ayant été proposés à l’intimé ;

– le salarié n’a pas perçu sa rémunération variable au mois d’avril 2017 en raison de la situation financière catastrophique de la société et de l’absence d’atteinte d’objectif, de sorte qu’il doit être débouté de l’ensemble de ses demandes afférentes à cette rémunération variable indue ;

– dès lors que le groupe [B] auquel elle appartient employait moins de 1.000 salariés au jour du licenciement, elle n’était pas tenue de proposer au salarié le congé de reclassement prévu par l’article L. 1233-71 du code du travail ;

– compte tenu de la liberté d’organisation dont il disposait lorsqu’il accomplissait des déplacements professionnels dans le cadre de ses fonctions et des journées de repos qu’il pouvait s’accorder à l’issue desdits déplacements, le salarié n’est pas fondé à solliciter des dommages et intérêts pour non-respect des contreparties aux temps de trajets inhabituels.

Elle demande en conséquence à la cour :

*Sur le licenciement pour motif économique :

– d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement pour motif économique du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’a condamnée à lui verser la somme de 36.333 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– à titre principal, de débouter le salarié des demandes (notamment indemnitaires) qu’il forme au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– à titre subsidiaire, de limiter une éventuelle condamnation à un mois de salaire brut soit 8.083 euros ;

*Sur la rémunération variable :

– d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il l’a condamnée à verser au salarié la somme de 21.000 euros bruts pour les exercices 2016 et 2017 et 2.100 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

– de débouter le salarié des demandes qu’il forme au titre de la rémunération variable ;

*Sur la rémunération de référence :

– d’infirmer le jugement en ce qu’il a fixé la rémunération de référence du salarié à la somme de 9.083 euros et l’a condamnée à verser au salarié la somme de 813,60 euros à titre de complément d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

– de débouter le salarié de sa demande de réévaluation de son salaire de référence et des demandes y afférentes ;

*Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement :

– d’infirmer le jugement sur ce point ;

– de débouter le salarié de sa demande de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement ; *Sur les dommages et intérêts pour privation illégale de rémunération :

– de confirmer le jugement sur ce point ;

– de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour privation illégale de rémunération ;

*Sur le congé de reclassement :

– de confirmer le jugement sur ce point ;

– de débouter le salarié de sa demande d’indemnisation pour non-proposition du congé de reclassement ;

*Sur les contreparties aux temps de trajets inhabituels :

– de confirmer le jugement sur ce point ;

– de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect des contreparties obligatoires aux temps de trajet ;

*en tout état de cause, de condamner le salarié au paiement d’une somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 octobre 2022 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [W] soutient en substance que :

– son licenciement est abusif, en ce que le motif économique était inexistant (la notification du licenciement n’étant nullement motivée) et en ce que la société ne s’est pas conformée à son obligation préalable de reclassement ;

– alors que sa lettre d’embauche et son contrat de travail prévoyaient le versement d’une rémunération variable, il n’a pas perçu cette rémunération au titre des exercices 2016 et 2017 ;

– dès lors que la société appartient à un groupe employant plus de 1.000 salariés, elle était tenue de lui proposer un congé de reclassement d’une durée au moins égale à quatre mois ;

– alors qu’il justifie avoir accompli de nombreux déplacements professionnels qui l’ont conduit à réaliser de multiples trajets en-dehors de ses horaires de travail, il n’a bénéficié d’aucune contrepartie de la part de la société.

Il demande à la cour de :

*confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf à ce qu’il l’a débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour non-proposition du congé de reclassement, de dommages et intérêts pour privation illégale de rémunération et de dommages et intérêts pour non-respect des contreparties aux temps de trajet inhabituels ainsi que du surplus de ses demandes ;

*et ce faisant, statuant à nouveau sur ces chefs de jugement infirmés, de :

– juger qu’il a été illégalement privé de sa rémunération variable ;

– juger que son licenciement est abusif ;

– juger que la société n’a jamais proposé de contrepartie à ses temps de trajet inhabituels ;

– juger que la société appartient à un groupe qui compte plus de 1.000 salariés ;

– condamner en conséquence la société eCAB à lui verser les sommes suivantes :

– 12.000 euros bruts à titre de rappel de salaires au titre de son bonus 2016 ;

– 1.200 euros bruts à titre de rappel de congés payés y afférents ;

– 9.000 euros bruts à titre de rappel de salaires au titre de son bonus 2017 ;

– 900 euros bruts à titre de rappel de congés payés y afférents ;

– 813,60 euros nets à titre de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

– 36.333 euros nets à titre d’indemnité pour licenciement abusif ;

– 4.500 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-proposition du congé de reclassement ;

– 1.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour privation illégale de rémunération ;

– 3.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect des contreparties aux temps de trajet inhabituels ;

– assortir l’ensemble des condamnations de l’intérêt légal à compter de la mise en demeure du

1er décembre 2017 ;

– condamner la société à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;

– débouter la société eCAB de toutes ses demandes.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 12 octobre 2022.

MOTIFS :

Sur la rémunération variable :

Il appartient à l’employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part variable de la rémunération d’un salarié et, lorsqu’il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation.

En l’espèce, l’accord de transfert du contrat de travail conclu entre les parties stipule :

‘En contrepartie de vos services, vous percevrez une rémunération fixe annuelle brute de 92.004 euros, versée sur 12 mois.

De plus, il est convenu entre les parties, le versement d’une partie variable annuelle de 12.000 euros, sous réserve de l’atteinte des objectifs fixés par votre Responsable Hiérarchique’.

Il n’est pas contesté que le salarié n’a perçu aucune rémunération variable au titre des années 2016 et 2017.

L’employeur se borne à affirmer que le salarié n’a pas perçu de rémunération variable du fait de la situation financière catastrophique de la société et de l’absence d’atteinte d’objectif.

Il ne produit cependant aucun élément permettant d’apprécier les résultats du salarié au regard des objectifs fixés.

Il ne saurait utilement se référer de manière générale à la ‘situation financière catastrophique de la société’ pour justifier de l’absence de versement des primes litigieuses, dès lors que le droit à rémunération variable était uniquement subordonné à l’atteinte des objectifs fixés au salarié.

L’employeur ne rapportant pas la preuve de ce qu’il est libéré de son obligation au paiement de la part variable de rémunération due au salarié en contrepartie de son activité, le versement de celle-ci est due pour l’année 2016 et au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise pour l’année 2017.

Dès lors que le salarié a travaillé du 1er janvier 2016 au 7 octobre 2017 sans percevoir la part variable de sa rémunération contractuellement convenue, le jugement sera confirmé en ce qu’il lui alloue la somme de 21.000 euros (12.000 euros au titre de l’année 2016 et 9.000 euros au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise en 2017) à titre de rappel de salaire et la somme de 2.100 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la demande de dommages et intérêts pour privation illégale de rémunération :

Pour se voir allouer des dommages et intérêts pour non-respect des dispositions contractuelles relatives à la rémunération variable, le salarié doit caractériser l’existence d’un préjudice indépendant du retard apporté au paiement par l’employeur et causé par sa mauvaise foi.

L’échange de courriers électroniques entre Monsieur [G] [B], président du groupe, et Monsieur [R] [I], supérieur hiérarchique de l’intimé, dont il ressort que le dirigeant n’a pas souhaité prendre de décision concernant les modalités d’augmentation des salariés et de versement de leur rémunération variable avant le mois d’avril 2017, ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi de l’employeur.

M. [W] ne justifie pas en tout état de cause d’un préjudice indépendant du retard de paiement réparé par les intérêts au taux légal de sa créance.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il déboute le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour privation illégale de rémunération.

Sur la demande au titre des contreparties aux temps de trajets inhabituels :

Aux termes de l’article L. 3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire.

En l’espèce, il n’est pas contesté, d’une part, que le salarié a réalisé plusieurs déplacements professionnels à l’étranger dans le cadre de ses fonctions et, d’autre part, que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail avait alors dépassé le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail.

Ainsi, les justificatifs de voyages produits par le salarié démontrent qu’il a réalisé les déplacements professionnels suivants :

– [Localité 12] – [Localité 18] (Canada), les 24 janvier, 1er mars et 11 décembre 2016 ;

– [Localité 17] (Canada) – [Localité 12], les 29 janvier, 5 mars et 21 juillet 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 7] (Liban), le 14 mars 2016 ;

– [Localité 7]-[Localité 12], le 17 mars 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 11] (Canada), le 20 mars 2016 ;

– [Localité 11]-[Localité 12], le 24 mars 2016 ;

– [Localité 5]-[Localité 12], le 1er avril 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 9] (Irlande), les 30 mars et 21 avril 2016 ;

– [Localité 9]-[Localité 12], les 31 mars et 21 avril 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 16] (Suède), le 18 mai 2016 ;

– [Localité 16]-[Localité 12], le 19 mai 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 17], les 26 juin et 17 juillet 2016 ;

– [Localité 18]-[Localité 12], les 1er juillet et 16 décembre 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 6] (Espagne), les 4 août et 20 septembre 2016 ;

– [Localité 6]-[Localité 12], les 4 août et 20 septembre 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 15] (Pays-Bas), les 17 août et 12 octobre 2016 ;

– [Localité 15]-[Localité 12], les 18 août et 13 octobre 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 10] (Espagne), les 17 octobre et 21 novembre 2016 ;

– [Localité 10]-[Localité 12], les 18 octobre et 21 novembre 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 14] (Etats-Unis), le 31 octobre 2016 ;

– [Localité 14]-[Localité 12], le 4 novembre 2016 ;

– [Localité 12]-[Localité 8] (Inde), le 7 avril 2017 ;

– [Localité 8]-[Localité 12], le 16 avril 2017.

L’appelante, qui soutient que le salarié bénéficiait d’une ‘liberté d’organisation et que personne ne vérifiait s’il prenait ou non des heures de repos pour compenser ses voyages’, produit une attestation en ce sens de M. [S], directeur des ressources humaines de la société, et une attestation de Mme [D], responsable rémunération et reporting, dont il ressort que le salarié pouvait s’absenter le lendemain de ses déplacements, sans qu’aucun reproche ne lui soit adressé.

Ces attestations, qui émanent exclusivement d’acteurs chargés des ressources humaines au sein de la société, ne sont corroborées par aucun élément extérieur et trop vagues pour démontrer que le salarié a effectivement bénéficié d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière aux temps de déplacement professionnel dépassant le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail.

L’absence de mise en place d’une telle contrepartie a causé un préjudice au salarié, au vu de la fréquence de ses voyages professionnels et de la durée des trajets qu’il a pu accomplir en-dehors de son temps de travail (la cour relève, par exemple, les différents trajets nocturnes et réalisés le week-end, entre [Localité 17] et [Localité 12] le vendredi 29 janvier 2016, de 18 heures 45 à 8 heures le jour suivant, le samedi 5 mars 2016 de 18 heures 45 à 8 heures 05 le lendemain). Il lui sera alloué en conséquence la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des contreparties aux temps de trajets inhabituels.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il le déboute de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail :

L’article L. 1233-4 du code du travail en sa rédaction en vigueur du 8 août 2015 au 24 septembre 2017, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie. Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

En l’espèce, le salarié s’est vu notifier son licenciement dans les termes suivants :

‘Comme indiqué lors de notre entretien préalable du 26 juin 2017 et confirmé dans notre courrier du même jour, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique. Celui-ci est justifié par les éléments suivants :

La société eCab a été créée en juillet 2011 pour développer la mise en relation de clients avec des chauffeurs de taxi à l’international.

Depuis sa création, la société eCab n’a pas réussi à dégager de résultat net positif ; le secteur de la mobilité urbain est, en effet, devenu en très peu de temps ‘ultra-concurrentiel’ au niveau international creusant davantage encore le déficit de la société. La compétition dans ce secteur nécessite aujourd’hui des investissements financiers colossaux alors même que les bénéfices espérés demeurent très hypothétiques.

La société eCab n’ayant pas de perspective positive dans un horizon raisonnable, les actionnaires de la société eCab ont pris la décision de réduire leurs investissements dans l’entreprise. Ainsi, l’activité opérationnelle de la société eCab va se réduire peu à peu et le suivi technique et commercial va être géré par la société G7 pour réduire au minimum les coûts de fonctionnement.

Dans ces conditions, le poste de Business Developper que vous occupez n’est plus nécessaire à la poursuite de l’activité et est, par conséquent, supprimé.

Néanmoins, dans le souci constant de préserver votre emploi, les différentes possibilités de reclassement au sein de la société eCab et des autres sociétés du Groupe [B] ont été examinées avec la plus grande attention.

C’est ainsi que nous vous avons proposé par courriers en date du 29 mai 2017 puis du 14 juin 2017, deux postes immédiatement disponibles au sein de la société G7, société appartenant au Groupe [B] :

– un poste de Responsable Développement National et Grande Banlieue

– un poste de Key Account Manager.

Après avoir rencontré le Directeur Commercial de G7, vous avez refusé le poste de Key Account Manager aux motifs qu’il ne correspond ni à vos compétences, ni à votre niveau de responsabilité actuelles tout comme celui de Responsable National et Grande Banlieue en raison de son absence de dimension internationale et aucun autre poste d’un niveau comparable en terme de responsabilité et de qualification n’est actuellement vacant ou à pourvoir dans un avenir proche.’

Concernant les propositions de reclassement qui auraient été adressées au salarié, ce dernier conteste s’être vu proposer une proposition formelle au poste de ‘Responsable Développement national et Grande Banlieue’, tel qu’il est mentionné dans la lettre de licenciement.

A l’appui de son argumentation selon laquelle ce poste a été proposé à l’intimé, l’employeur se borne à produire une attestation établie par Monsieur [S], qui indique : ‘Dans mon souvenir deux postes lui ont été proposés : un poste de responsable du développement chez G7 et un poste de Manager Grands Comptes. Mais Monsieur [K] [W] n’a pas paru intéressé par ces postes’, qui ne permet pas de démontrer que le poste de ‘Responsable Développement national et Grande Banlieue’ a été effectivement proposé au salarié. L’employeur ne justifie pas en tout état de cause avoir fait au salarié une offre de reclassement à ce poste écrite et précise, comme exigé par l’article L. 1233-4 du code du travail.

Par ailleurs, si le courrier du 29 mai 2017 produit par le salarié laisse apparaître qu’une proposition de poste de ‘Key Account Manager’ lui a été adressée, il convient de relever, d’une part, que ce courrier ne contenait aucune proposition concrète de reclassement en ce qu’il précisait qu’un entretien était nécessaire pour valider la candidature du salarié et, d’autre part, qu’il ne contenait aucune proposition précise, en l’absence d’indication relative à la rémunération. La société ne saurait dès lors utilement se prévaloir de ce que cette offre, non conforme aux exigences de l’article L. 1233-4 du code du travail, a été acceptée puis refusée par le salarié.

Alors que l’existence d’emplois disponibles, au sein du groupe auquel appartenait l’entreprise, est établie, le salarié ne s’est vu adresser aucune offre écrite et précise de reclassement sur ces postes avant son licenciement.

Il en résulte que la société eCAB n’a pas satisfait à son obligation de reclassement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il dit le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

– Sur le salaire de référence

Compte tenu des salaires perçus par M. [W] au cours des douze mois précédant la rupture de son contrat de travail et du rappel de rémunération variable dont l’intéressé est fondé à se prévaloir pour la période considérée, ainsi qu’il a été ci-dessus retenu, le jugement sera confirmé en ce qu’il fixe à 9.083,33 euros la rémunération mensuelle de référence.

– Sur les sommes allouées

Eu égard à la somme de 6.623,54 euros qui a été versée à M. [W] à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, il sera alloué à celui-ci eu égard au rappel de rémunération variable alloué, la somme de 813,60 euros à titre de rappel d’indemnité de licenciement.

En raison des circonstances de la rupture, de l’âge du salarié au moment de son licenciement, de son ancienneté dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée et de son aptitude à retrouver un emploi, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral qu’il a subi du fait de la perte injustifiée de son emploi, la somme de 36.333 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l’article L. 1235-5 du code du travail en sa rédaction applicable du 10 août 2016 au 24 septembre 2017.

Le jugement sera donc confirmé sur ces points.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du congé de reclassement :

Suivant l’article L. 1233-71, alinéa 1er du code du travail, dans les entreprises ou les établissements d’au moins mille salariés, ainsi que dans les entreprises mentionnées à l’article L. 2331-1 et celles répondant aux conditions mentionnées aux articles L. 2341-1 et L. 2341-2, dès lors qu’elles emploient au total au moins mille salariés, l’employeur propose à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique un congé de reclassement qui a pour objet de permettre au salarié de bénéficier d’actions de formation et des prestations d’une cellule d’accompagnement des démarches de recherche d’emploi.

En l’espèce, la société verse aux débats des décomptes établis unilatéralement qui laissent apparaître que le groupe [B], auquel elle appartient, employait 923 salariés au mois de juillet 2017 et 950 salariés au 31 décembre 2017.

Or, elle indiquait sur son site internet que le groupe employait plus de 1.100 salariés en France en 2015 et les informations disponibles au greffe du tribunal de commerce de Nanterre faisaient état de 1.126 salariés au 31 décembre 2015.

Dans ce contexte, pris isolément, les extraits de comptes sociaux au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2017 ne sauraient suffire à démontrer que le groupe employait moins de mille salariés lorsqu’il envisageait de procéder au licenciement de l’appelant, dès lors que le salarié s’est vu notifier son licenciement au mois de juillet 2017.

Cela étant, à supposer que le groupe employait effectivement au moins mille salariés au moment de son licenciement, le salarié ne justifie nullement du préjudice que lui aurait causé ce manquement de l’employeur à son obligation de lui proposer un congé de reclassement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il le déboute de sa demande de dommages et intérêts au titre du congé de reclassement.

Sur les intérêts :

Les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation.

Les créances indemnitaires, à l’exception du rappel d’indemnité de licenciement, sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris, à l’exception de celles fixées par le présent arrêt qui sont productives d’intérêts au taux légal à compter du prononcé de celui-ci.

Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure :

La société eCAB, qui succombe pour l’essentiel, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sera condamnée à payer à M. [W] la somme de 2.800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel, en sus de la somme de 1.200 qui lui a été allouée par le conseil de prud’hommes pour les frais irrépétibles exposés en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 7 octobre 2018, sauf en ce qu’il a débouté M. [K] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect des contreparties aux temps de trajet inhabituels et en ses dispositions relatives aux intérêts ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la société eCAB à payer à M. [K] [W] les sommes suivantes :

– 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des contreparties aux dépassements du temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ;

– 2.800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

Dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation ;

Dit que les créances indemnitaires, à l’exception du rappel d’indemnité de licenciement, sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jugement du 7 octobre 2020, à l’exception de celles fixées par le présent arrêt qui sont productives d’intérêts au taux légal à compter du prononcé de celui-ci ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société eCAB aux dépens de première instance et d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Juliette DUPONT, Greffier en préaffectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, La PRÉSIDENTE,

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x