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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 20/01069 – N° Portalis DBVH-V-B7E-HWEJ
MS/EB
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’ALES
07 février 2020 RG :18/00147
[L]
C/
S.A.R.L. [I] ET FILS
Grosse délivrée
le
à
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 10 JANVIER 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALES en date du 07 Février 2020, N°18/00147
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila REMILI, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 13 Octobre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 10 Janvier 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
Monsieur [T] [L]
né le 11 Août 1976 à [Localité 4] (30)
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représenté par Me Eve SOULIER de la SELARL EVE SOULIER-JEROME PRIVAT-THOMAS AUTRIC, avocat au barreau d’AVIGNON substituée par Me Jérôme PRIVAT, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
S.A.R.L. [I] ET FILS
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Vincent VINOT de la SELARL SYNAPSE AVOCATS, avocat au barreau de NIMES substitué par Me Magalie LEON
Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SCP DELRAN-BARGETON DYENS-SERGENT- ALCALDE, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 29 Septembre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 10 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [T] [L] a été engagé par la Sarl [I] et Fils initialement du 21 février 2000 au 31 juillet 2000 suivant contrat de travail à durée déterminée pour surcroît temporaire d’activité, en qualité de peintre en bâtiment.
Un second contrat de travail à durée déterminée était conclu pour la période du 8 janvier 2001 au 29 juin 2001.
Le 2 juillet 2001, le salarié concluait un contrat de travail à durée indéterminée de chantier ; puis le 1er août 2002, la relation de travail se poursuivait à durée indéterminée à temps complet.
À compter du 9 octobre 2017, M.[L] était placé en arrêt de travail pour maladie.
Après avoir été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement fixé le 22 juin 2018, M. [L] était licencié pour motif économique et impossibilité de reclassement par courrier du 4 juillet 2018.
Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre et dénonçant l’absence de recherche de reclassement, le 8 novembre 2018, M. [L] saisissait le conseil de prud’hommes d’Alès en paiement d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de diverses sommes, lequel, par jugement contradictoire du 07 février 2020, a :
– dit que le licenciement de M. [T] [L] pour raison économique est justifié,
– dit que la SARL [I] et Fils, en la personne de son représentant légal, a bien respecté la procédure de licenciement,
– dit que la SARL [I] et Fils, en la personne de son représentant légal, a satisfait aux recherches de reclassement,
– condamné la SARL [I] et Fils, en la personne de son représentant légal, à payer à M. [T] [L] en deniers ou quittance les sommes suivantes :
* 159,24 euros à titre de rappel de salaire d’avril 2017 à octobre 2017,
* 15,92 euros au titre des congés payés y afférents,
* 27,82 euros à titre de rappel de complément d’indemnité repas d’avril 2017 à octobre 2017,
– débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes, fins et conclusions ;
– laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Par acte du 20 mars 2020, M. [L] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 17 juin 2020, M. [T] [L] demande à la cour de :
– recevoir son appel
– le dire bien fondé en la forme et au fond
En conséquence,
– réformer le jugement en ce qu’il dit que son licenciement pour raison économique est justifié, en ce qu’il dit que la procédure a bien été respectée, en ce qu’il dit que l’employeur a satisfait aux recherches de reclassement
– confirmer le jugement en ce qu’il fait droit aux demandes de rappel de salaire et rappel d’indemnité de repas
En conséquence,
– dire et juger que son licenciement pour motif économique est dénué de cause réelle et sérieuse
– dire et juger que l’employeur n’a pas mis en place une procédure de licenciement régulière
– dire et juger que l’employeur n’a pas respecté les critères d’ordres de licenciement économique
En conséquence,
– condamner l’employeur au paiement des sommes suivantes :
* 159.24 euros à titre de rappel de salaire d’avril 2017 à octobre 2017
* 15.92 euros au titre des congés payés y afférents
* 27.82 euros à titre de rappel de complément d’indemnité repas d’avril 2017 à octobre 2017
* 30000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en l’absence de difficultés économiques avérées et de l’absence de recherche loyale et sérieuse de reclassement
* 1863.37euros à titre d’indemnité pour procédure de licenciement irrégulière
* 30000 euros à titre d’indemnité pour non-respect des critères d’ordres
* 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner l’employeur aux entiers dépens
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile.
Il soutient que :
– sur le licenciement :
– la procédure n’a pas été respectée par l’employeur.
– Il s’évince de la simple analyse de la lettre de licenciement que :
Aucune mesure de réorganisation de la SARL [I] ET FILS n’a été effectuée,
L’employeur ne justifie nullement d’une telle mesure de réorganisation pourtant à l’origine du licenciement.
La seule mesure entreprise n’est pas une mesure de réorganisation visant à sauvegarder la compétitivité de l’entreprise mais une mesure visant à faire des économies au détriment des emplois.
– Pour assurer la sauvegarde de la compétitivité, l’employeur doit avoir des éléments de comparaison avec les concurrents et surtout, il doit avoir un projet de réorganisation en vue d’un projet susceptible de faire repartir l’activité.
La simple suppression d’un poste est loin d’être suffisante.
Dès lors, il apparaît très clairement que la véritable motivation de l’employeur visait à réaliser des économies.
– L’employeur ne justifie nullement par des éléments circonstanciés et contemporains au licenciement des difficultés.
– L’employeur fait seulement état d’un probable chiffre d’affaires en baisse en 2018 par rapport à 2017 mais n’apporte aucun élément probant.
– Aucune proposition de reclassement ne lui a été proposée. Aucun effort de formation et d’adaptation n’était réalisé pour lui assurer un reclassement.
– L’employeur n’a pas mis en ‘uvre les critères d’ordre de licenciement pour justifier son licenciement alors qu’il bénéficiait d’une ancienneté de plus de 15 ans et était un ouvrier qualifié.
– Au regard des critères d’ordre produits par l’employeur, ce dernier ne s’explique pas sur les points accordés aux différents critères et dès lors au fait que l’âge est plus valorisé que l’ancienneté.
– Sur le rappel de salaire sur la base du minimum conventionnel :
– A compter du 1er avril 2017, il n’était plus rémunéré au minimum conventionnel en raison du fait que la nouvelle grille salariale ne lui était pas appliquée.
Il adressait une correspondance à son employeur en ce sens, en vain.
– L’employeur ne conteste pas son erreur. Cependant ce dernier croit pouvoir utiliser le fait qu’il rémunérait son salarié plus que le taux conventionnel en 2018, ce qui ne lui permet nullement de venir compenser son erreur antérieure.
En l’état de ses dernières écritures en date du 14 septembre 2020, la Sarl [I] et Fils a sollicité la confirmation du jugement et la condamnation de M. [T] [L] au paiement de la somme de 3000,00 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Elle fait valoir que :
– sur le licenciement :
– la procédure de licenciement est parfaitement régulière.
– le motif économique du licenciement ainsi que la conséquence sur l’emploi de M. [L] ont été détaillés dans sa notification de licenciement.
– la suppression de poste est bien la conséquence d’une restructuration de l’entreprise.
– la baisse prévisible du chiffre d’affaires entamait largement la pérennité de l’entreprise, contraignant celle-ci à devoir diminuer ses charges pour sauvegarder sa compétitivité et donc supprimer deux postes.
– elle verse au dossier les bilans et comptes de résultats 2016, 2017 et 2018 pour démontrer la réalité du motif économique invoqué.
– elle enregistre une perte constante depuis 2016.
Sur le reclassement :
– à l’époque contemporaine du licenciement de M. [L], elle ne comptait que 7 personnes dans ses effectifs : 6 peintres et une secrétaire aide comptable.
– dans la mesure où elle supprimait deux postes de peintre, il est évident qu’aucune création de poste n’était envisagée.
– le poste de secrétaire aide-comptable ne correspond pas à la formation initiale de peintre en bâtiment du demandeur, qui ne pouvait donc être reclassé sur ce poste, lequel était de toute façon, pourvu.
– aucun poste vacant n’existait.
– malgré cela, elle procédait à des recherches de reclassement externe, en dehors de toute obligation légale.
Sur l’ordre des licenciements
– afin de déterminer les deux salariés concernés par ces suppressions de poste sur les six peintres de son effectif, elle mettait en ‘uvre les critères d’ordre de licenciement, tenant compte des 4 critères légaux, et notamment de l’ancienneté dans l’entreprise et de l’âge du salarié.
– malgré une ancienneté de 15 ans, M. [L] n’était pas le plus ancien salarié de l’entreprise, et était surtout l’un des plus jeunes.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 11 juillet 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 29 septembre 2022. L’affaire a été fixée à l’audience du 13 octobre 2022.
MOTIFS
Sur le licenciement
Même s’il est justifié par une cause économique avérée, le licenciement d’un salarié ne peut être légitimement prononcé que si l’employeur a préalablement satisfait à son obligation générale de reclassement.
L’obligation de reclassement étant individuelle à chaque salarié, l’employeur est tenu de rechercher, pour chacun des salariés dont le licenciement est envisagé, en considération de sa situation particulière, avant la notification du licenciement, toutes les possibilités de reclassement envisageables au sein de l’entreprise ou du périmètre de reclassement, et il lui appartient de justifier, par des éléments objectifs, des recherches qu’il a effectuées en ce sens et de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de procéder au reclassement du salarié dans un emploi équivalent, de même catégorie, voire de catégorie inférieure.
En effet, il résulte des dispositions de l’article L1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige que :
‘Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.
Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.’
En l’espèce, il n’est pas contesté que la Sarl [I] et Fils ne fait pas partie d’un groupe.
L’employeur justifie avoir respecté son obligation de reclassement dans la mesure où :
– il justifie par la production du registre du personnel qu’aucun poste n’était disponible en interne. Il n’y a en effet pas de manquement à l’obligation de reclassement si l’employeur justifie de l’absence de poste disponible, à l’époque du licenciement, dans l’entreprise, ou s’il y a lieu dans le groupe auquel elle appartient.
En l’espèce, la Sarl [I] et Fils établit l’absence de tout poste disponible à l’époque du licenciement en rapport avec les compétences du salarié.
L’effectif de l’entreprise était en effet composé de 7 salariés, 6 peintres et une secrétaire aide-comptable.
– il a tenté un reclassement en externe en adressant des courriers recommandés avec accusé de réception à divers établissements concurrents, et a même sollicité la FFB (Fédération Française du Bâtiment) et la CAPEB (Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment)
Concernant le motif économique :
La lettre de licenciement mentionne que le licenciement litigieux a pour motif économique la suppression de l’emploi de M. [L] consécutive à la réorganisation de l’entreprise justifiée par des difficultés économiques (‘la suppression de votre poste en raison de la nécessité de restructurer notre structure afin de faire face aux difficultés économiques importantes et assurer sa pérennité’), ce qui répond aux exigences légales,
En effet, c’est seulement en cas de litige qu’il appartient à l’employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.
Il résulte des dispositions de l’article L 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable que :
‘Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.
Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.
Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.’
Le motif du licenciement s’apprécie à la date du licenciement ce dont il résulte que les indicateurs économiques énumérés à l’article L.1233-3 du code du travail que sont la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, s’apprécient sur la base de la comparaison entre le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période.
Lorsqu’elle n’est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, la réorganisation de l’entreprise peut également constituer un motif économique, à condition qu’elle soit effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou, si l’entreprise appartient à un groupe, si elle est nécessaire à la sauvegarde du secteur d’activité du groupe.
La réorganisation de l’entreprise, motivée par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité ou celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, ne peut constituer une cause économique de licenciement que si l’employeur démontre l’existence d’une menace sur cette compétitivité et l’impossibilité d’y pallier dans le cadre de l’organisation existante.
Si le juge ne peut apprécier la pertinence de la décision prise par l’employeur, laquelle relève de son pouvoir de direction, il doit toutefois veiller que l’opération était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, à savoir son aptitude à affronter la concurrence, ce qui implique que la compétitivité soit déjà atteinte ou menacée de manière certaine.
Il revient ainsi à l’employeur, sur qui repose la charge de la preuve, de produire des documents ou autres éléments qui établissement des signes concrets et objectifs d’une menace sur l’avenir de l’entreprise, autrement dit de démontrer le caractère inéluctable des difficultés économiques si la situation reste en l’état.
La réorganisation de l’entreprise, bien qu’elle relève du pouvoir de direction de l’employeur, ne peut se faire au détriment de l’emploi dans le cadre de simples choix de gestion discrétionnaires qui ne seraient pas rendus nécessaires par des difficultés financières ou la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.
S’agissant des difficultés économiques qui doivent être examinées à la date du licenciement, (en juillet 2018), la société produit les bilans et comptes de résultats 2016, 2017 et 2018.
L’employeur démontre que son entreprise générait un chiffre d’affaires annuel HT s’établissant comme suit :
– en 2016 : 521.229 euros,
– en 2017 : 427.117 euros,
– en 2018 : 244.954 euros.
Cette baisse de la ‘production vendue’ est par ailleurs confirmée par la baisse également significative de la TVA collectée :
– 74351 euros au 31/12/2016
– 53066 euros au 31/12/2017
– 36313 euros au 31/12/2018
La diminution du chiffre d’affaires de l’entreprise est ainsi établie par les comptes de résultat pour les exercices 2016, 2017 et 2018 qui sont versés aux débats. Le chiffre d’affaires a effectivement diminué de manière très significative puisqu’il est passé de 521.229 euros en 2016 à 427.117 euros en 2017 puis à 244.954 euros en 2018.
Au cours de l’exercice 2018 pendant lequel le licenciement a été prononcé, le chiffre d’affaires n’était pas connu au moment de la rupture du contrat de travail qui est intervenue au cours du second semestre. Cependant, la baisse du chiffre d’affaires s’est poursuivie sur l’année 2018 de façon encore plus importante.
Les documents comptables mettent également en évidence une baisse du résultat net qui est passé de 40258 euros en 2016 à 6502 euros en 2017 puis à – 45545 euros en 2018.
Au mois de février 2018, compte tenu des difficultés de trésorerie de la société [I] et Fils, l’employeur soutient que M. [I] a procédé à un apport personnel de 30000 euros sur les comptes de la société.
Cette baisse pourtant très significative n’a pu être atténuée par le versement en compte courant d’associé d’une somme de 30000 euros d’après l’employeur, le compte courant d’associés faisant apparaître les chiffres suivants :
– au 31/12/2017 : 243 euros et un total autres dettes de 67526 euros
– au 31/12/2018 : 23914 euros et un total autres dettes de 73040 euros
Les bilans font enfin apparaître des produits à recevoir au 31 décembre 2016 et 2017 (respectivement de 47026 euros et 49258 euros), lesquels ont permis, l’année suivante de limiter les pertes, alors que la société ne peut espérer aucun produit à recevoir pour l’année 2019 ainsi qu’il résulte du bilan correspondant (produit à recevoir égal à zéro).
M. [L] conteste les difficultés économiques de la société, soutenant que la suppression de son poste ne saurait suffire à redresser l’entreprise alors que la mesure a touché deux salariés peintres sur un effectif de six peintres, de sorte que cet argument est inopérant.
La réalité et l’importance des difficultés économiques ainsi que leur caractère persistant sont donc suffisamment démontrés par la société.
Les premiers juges ont ainsi parfaitement analysé les pièces produites par l’employeur pour en conclure que les difficultés économiques justifiant le licenciement litigieux étaient bien réelles et s’étaient poursuivies après la rupture.
Le licenciement de M. [L] repose dans ces circonstances sur une cause réelle et sérieuse et le jugement déféré sera confirmé en ce sens et en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes financières liées à la rupture.
Sur l’ordre des licenciements
L’article L 1233-5 du code du travail stipule:
‘Lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique.
Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article.
Le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut être fixé par un accord collectif.
En l’absence d’un tel accord, ce périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone d’emplois dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emplois.
Les conditions d’application de l’avant-dernier alinéa du présent article sont définies par décret.’
Les règles relatives à l’ordre des licenciements ne s’appliquent que lorsque l’employeur doit opérer un choix parmi les salariés à licencier.
Lorsque le licenciement concerne tous les salariés d’une entreprise de la même catégorie professionnelle, il n’y a aucun choix à opérer et par conséquent pas d’ordre des licenciements à respecter.
La règle vaut, à plus forte raison, lorsque le salarié concerné par le projet de licenciement est le seul de la catégorie.
Il appartient à l’employeur, tenu de prendre en considération l’ensemble des critères qu’il a retenu pour fixer l’ordre des licenciements, de communiquer au juge en cas de contestation, les éléments objectifs sur lesquels il s’est appuyé pour arrêter son choix, sauf suppression de l’ensemble des postes d’une même catégorie professionnelle.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’entreprise comptait six peintres dans ses effectifs.
La société intimée produit ainsi le tableau établi pour déterminer les salariés concernés par le licenciement économique, avec les critères d’ordre pour chacun d’eux.
Il en résulte que MM [L] et [R] étaient les salariés visés par les suppressions de poste, et ce malgré une ancienneté de 15 ans pour le premier.
Le tableau démontre que l’employeur a pris en compte les critères légaux de fixation de l’ordre des licenciements et que M. [L] totalisait 10 points (ainsi que M. [R]), soit le total le plus faible sur les 6 salariés concernés par la mesure.
M. [L] met seulement en avant son ancienneté de 15 ans et indique qu’il ‘reviendra dès lors à l’employeur de justifier de l’application des critères d’ordres’.
Le tableau montre à ce titre que sur les 6 peintres, trois avaient une ancienneté supérieure à celle de M. [L], deux une ancienneté inférieure, dont M. [R]. Seul M. [S] non concerné par la mesure de licenciement avait une ancienneté inférieure (6 ans) mais avec un âge plus avancé (59 ans) lui permettant d’obtenir 8 points et un total de 11 points.
Les développements de la cour à ce titre au vu des pièces produites par l’employeur répondent à l’objection du salarié, de telle sorte que c’est à juste titre qu’il a été débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice subi pour non-respect des critères d’ordre des licenciements.
Les premiers juges n’ont pas statué sur ce chef de prétention mais ont débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en retenant les motifs exposés par la cour.
Sur l’irrégularité de la procédure de licenciement
M. [L] soutient à ce titre :
– qu’il a été convoqué à deux reprises à des entretiens préalables, au cours desquels les documents du CSP ne lui ont pas été remis.
– que lors de la première convocation, les mentions obligatoires relatives à l’assistance du salarié n’étaient pas mentionnées.
– il a reçu deux lettres de licenciement, la première ne respectant pas le délai de 7 jours minimum et ne faisant pas référence au délai maximum d’acceptation du CSP ; la situation ayant été régularisée par l’envoi d’une deuxième lettre.
L’article 1233-11 du code du travail prévoit que :
‘L’employeur qui envisage de procéder à un licenciement pour motif économique, qu’il s’agisse d’un licenciement individuel ou inclus dans un licenciement collectif de moins de dix salariés dans une même période de trente jours, convoque, avant toute décision, le ou les intéressés à un entretien préalable.
La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation.
L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.’
L’article L 1233-13 du code du travail énonce que la lettre de convocation à l’entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller et précise l’adresse des services où la liste des conseillers est tenue à la disposition des salariés.
L’article L 1233-15 du code du travail prévoit que la lettre de licenciement ne peut être expédiée moins de sept jours ouvrables à compter de la date prévue de l’entretien préalable de licenciement auquel le salarié a été convoqué.
Le salarié a fait l’objet d’une convocation suivant courrier en date du 23 mai 2018, ainsi libellé :
‘Monsieur,
Vous occupez au sein de l’entreprise des fonctions de peintre …
Comme vous le savez, depuis le début de notre exercice fiscal, le chiffre d’affaires de la société ne cesse de chuter.
…
Or, au regard de notre carnet de commandes, il s’avère que le chiffre d’affaires 2018 devrait être de 324.000 € HT, soit une diminution de plus de 100.000 € HT sur l’exercice.
…
En l’état, la situation économique et financière réelle et prévisible de notre société est devenue intenable au regard des résultats difficiles de l’exercice en cours et des prespectives pour l’avenir qui ne laissent aucun espoir d’amélioration.
L’analyse de l’activité de la société, nous conduit au constat que les difficultés économiques prévisibles de la société sont dues principalement au poids excessif de charges de personnel sur la société.
…
Ainsi, dans la mesure où la perspective d’une augmentation de chiffre d’affaires est improbable, la société est contrainte d’envisager la suppression de deux postes de peintres.
…
Sans cette restructuration rendue nécessaire, la situation économique de l’entreprise s’en trouvera irrémédiablement dégradée.
En application des critères d’ordre des licenciements, nous sommes donc conduits à envisager la suppression de votre poste afin de tenter de sauvegarder la pérennité de l’entreprise.
Toutefois, et avant d’envisager une mesure de licenciement pour motif économique, nous souhaitons vous rencontrer afin que nous puissions envisager ensemble toutes mesures qui seraient susceptible de favoriser votre reclassement, que ce soit en interne, ou en externe.
C’est la raison pour laquelle nous vous invitons à un entretien, au cours duquel nous pourrons évoquer ensemble toute solution alternative à une éventuelle mesure de licenciement économique et qui nous permettra d’orienter nos recherches de reclassement en prenant en considération vos projets professionnels pour l’avenir.
Cet entretien aura lieu le 30 mai 2018 à 8h30 au siège de l’entreprise.
…’
En application des dispositions de l’article L1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, ‘Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
…’
Il résulte de ces dispositions que les possibilités de reclassement doivent être recherchées avant tout licenciement, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, dès que le licenciement est envisagé.
Ce courrier, qui est destiné à rechercher les possibilités de reclassement du salarié, ne peut être regardé comme une convocation à un entretien préalable à la mesure de licenciement, ce qui était par ailleurs rappelé à M. [L] par courrier du 19 juin 2018.
La lettre adressée au salarié le 30 mai 2018, à la suite de l’entretien ainsi réalisé, confirme qu’il s’agissait, pour les parties, de rechercher les possibilités de reclassement, conformément aux dispositions légales et aux obligations de l’employeur à ce titre :
‘Monsieur,
Nous faisons suite à l’entretien informel que nous avons eu avec vous ce jour.
Comme nous vous l’avons exposé, nous devons mettre en oeuvre différentes démarches
dans le cadre des recherches de reclassement.
Pour ce faire, nous vous rappelons que nous avons besoin de connaître vos souhaits et disponibilités ainsi que vos possibilités de mobilité géographique, afin de cibler nos recherches.
Merci également de nous informer sur d’éventuelles qualifications ou compétences dont nous pourrions ne pas avoir connaissance, et qui pourraient vous aider à retrouver un emploi.
Nous vous remercions dès lors de nous transmettre un curriculum vitae à jour, afin que nous le communiquions aux entreprises qui pourraient être intéressées par votre profil.
…’
D’ailleurs, M. [L] apportera une réponse à ce courrier le 31 mai 2018, en indiquant que son arrêt maladie était incompatible avec la possibilité de rechercher un emploi.
Par la suite, l’employeur va adresser un courrier de convocation à entretien préalable en date du 11 juin 2018, en ces termes :
‘Monsieur,
Nous vous informons que nous sommes au regret de devoir envisager votre licenciement pour motif économique.
Nous vous convoquons donc par la présente à un entretien au cours duquel nous vous exposerons les motifs de la mesure envisagée et recueillerons vos explications éventuelles.
…’
M. [L] ne se présentera pas à l’entretien fixé au 22 juin 2018, estimant à tort, que le premier entretien valait entretien préalable à licenciement.
Par courrier du 26 juin 2018, l’employeur informe le salarié sur les raisons du licenciement envisagé (et non arrêté et définitif), ainsi que les explications relatives au CSP.
Enfin, par courrier du 4 juillet 2018, l’employeur notifie le licenciement à M. [L], cette notification respectant le délai légal de 7 jours ouvrables minimum entre la date
fixée pour l’entretien préalable et la notification du licenciement.
La procédure de licenciement a dès lors parfaitement été respectée par l’employeur, ainsi qu’ont pu le constater les premiers juges dont la décision sera confirmée sur ce point.
Sur le rappel de salaire et d’indemnité de repas
Le jugement déféré constate que l’employeur a accepté de régler à M. [L] la somme de 159,24 euros à ce titre.
Le salarié maintient sa demande de condamnation devant la cour.
L’employeur indique dans ses écritures qu’à l’audience de jugement, elle acceptait de
procéder à la régularisation de salaire et des indemnités de repas, compte tenu du faible
enjeu financier et qu’il n’y a donc aucun appel incident sur ces points.
Cependant, aucun justificatif n’est présent au dossier de l’employeur sur le paiement revendiqué.
Il apparaît cependant que le rappel d’indemnité de repas vient en plus de la somme de 159,24 euros correspondant seulement au rappel de salaire.
L’employeur ne contestant pas plus devoir ce supplément d’indemnité, il y a lieu à condamnation et à confirmation du jugement de ces chefs.
Sur les mesures accessoires
Il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d’appel seront laissés à la charge de M. [L].
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 7 février 2020 par le conseil de prud’hommes d’Alès en toutes ses dispositions,
Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Laisse les dépens d’appel à la charge de M. [T] [L],
Arrêt signé par le président et par le greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,