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Au titre de la nouvelle loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019, tout comme les entreprises de communication audiovisuelle et autres producteurs, les éditeurs et agences de presse établis au sein de l’Union disposent désormais de droits voisins. Le texte apporte une réponse aux moteurs de recherche qui reproduisent et diffusent, comme libres de droits, sur leurs propres pages, des millions de textes, de photographies, de vidéographies sans licence et causent, de ce fait un préjudice patrimonial considérable aux agences de presse et à leurs auteurs.
II est acquis que les infomédiaires profitent de la valeur créée par la diffusion de contenus qu’ils ne produisent pas et dont ils ne supportent pas les charges, au point de capter plus de 90 % de la croissance du marché publicitaire en ligne, dont plus des deux tiers pour les seuls Google et Facebook. L’article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle assortit les droits voisins des mêmes exceptions que celles prévues pour le droit d’auteur, à quelques réserves près. Face à la captation de leurs revenus par les « infomédiaires », les éditeurs et agences de presse semblaient démunis. Si les éditeurs ont un droit sur l’œuvre collective que constitue le titre de presse dans son ensemble, ils n’en ont pas sur l’utilisation de chaque article ou partie d’article considéré(e) isolément, alors qu’aujourd’hui la concurrence se joue davantage entre articles qu’entre titres de presse.
Par ailleurs, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé, dans un arrêt « Reprobel » du 12 novembre 2015, que les éditeurs de presse ne subissaient aucun préjudice du fait de copies privées, dans la mesure où ils ne figuraient pas au nombre des titulaires du droit de reproduction tel que prévu à l’article 2 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur. Par conséquent, les dispositions de cette directive « s’opposent à une législation nationale […] qui autorise l’État membre à attribuer une partie de la compensation équitable revenant aux titulaires de droits aux éditeurs des œuvres créées par les auteurs, sans obligation pour ces éditeurs de faire bénéficier, même indirectement, ces auteurs de la partie de la compensation dont ils sont privés ».
L’autorisation de l’éditeur de presse ou de l’agence de presse est désormais requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne. La durée des droits patrimoniaux des éditeurs de presse et des agences de presse est de deux ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la première publication d’une publication de presse. Les éditeurs et agences peuvent confier la gestion de leurs droits à un ou plusieurs organismes de gestion collective.
La rémunération due au titre des droits voisins pour la reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique est assise sur les recettes de l’exploitation de toute nature, directes ou indirectes ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment dans les cas prévus à l’article L. 131-4 du CPI. La fixation de ce montant prendra en compte des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne.
Les services de communication au public en ligne sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent article et de sa répartition.
Les journalistes professionnels ou assimilés, au sens des articles L. 7111-3 à L. 7111-5 du code du travail, et les autres auteurs des œuvres présentes dans les publications de presse ont droit à une part appropriée et équitable de la rémunération versée à leurs employeurs (éditeurs et journalistes). Cette part ainsi que les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés seront fixées par accords d’entreprise ou, à défaut, par un accord collectif
Outre les exceptions classiques aux droits voisins, les éditeurs et agences de presse ne peuvent interdire i) les actes d’hyperlien et ii) l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse (« snipet »). Cette exception ne doit toutefois pas affecter l’efficacité des droits voisins. Cette efficacité́ est notamment affectée lorsque l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer.
Pour rappel, la protection des œuvres des journalistes pour leur exploitation sur internet est prévue par les articles L. 132-35 à L. 132-45 du code de la propriété intellectuelle (CPI), depuis la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. Aux termes de l’article L. 132-37 du CPI, la première exploitation des œuvres des journalistes sur les supports (papier, numérique…) d’un titre de presse durant la « période d’actualité » (tenant compte de la périodicité du titre) est rémunérée par le versement d’un salaire. Les exploitations ultérieures à cette période font l’objet ou bien d’une majoration salariale, ou bien du versement de droits d’auteur aux journalistes (article L. 132-38 du CPI). Une rémunération complémentaire est également prévue en cas d’exploitation de l’œuvre journalistique au sein d’une « famille cohérente de presse ». La « famille cohérente de presse » est définie par accord collectif de l’entreprise lorsque celle-ci édite plusieurs titres de presse (selon l’article L. 132-39 du CPI). Enfin, la cession de l’œuvre du journaliste à un tiers par l’éditeur de presse, soumise à accord de l’auteur, ouvre droit à versement de droits d’auteur. Pour les journalistes pigistes auteurs d’images fixes, un salaire minimum conditionnant la cession des droits d’exploitation est fixé.
En cas de litige devant la justice, l’éditeur de presse doit, pour bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, apporter la preuve que tous les auteurs lui ont cédé leur droit en l’autorisant à le faire valoir en justice. Mais le cadre actuel des droits d’auteur échoue à protéger les publications de presse contre une copie massive, du fait de la quasi-impossibilité de démontrer la contrefaçon du droit d’auteur : l’éditeur doit être à même de prouver que le ou les extraits compilés et ressortis par un agrégateur sont bien issus de l’article en question, article dont l’originalité doit également être prouvée. En effet, l’originalité est un prérequis fondamental à la protection d’une œuvre dans le cadre du droit d’auteur. La charge de la preuve de ces éléments est difficilement supportable pour les éditeurs de presse et leurs conseils : il s’agirait de traiter les centaines de milliers d’extraits que les agrégateurs rassemblent afin de démontrer la présence d’une partie originale de l’article initial.
De la même façon, les agences de presse qui invoqueraient le droit d’auteur doivent démontrer l’originalité du contenu, comme pour toute perception de droit d’auteur, mais également justifier la cession des droits de l’ensemble des personnes ayant concouru à la production du contenu qu’elles cherchent à protéger. Or il peut s’agir d’un très grand nombre d’intervenants. Quand l’AFP produit environ 3 000 photos par jour, il est inenvisageable pour elle d’engager des actions contentieuses sur la base du droit d’auteur et de produire les preuves demandées pour l’ensemble de ses contenus, d’autant plus que le nombre d’usagers qu’elle pourrait poursuivre se compte potentiellement en millions : avec la viralité d’internet, il est matériellement impossible pour quiconque d’intenter un procès pour chaque utilisation ou exploitation abusive.
Pour épargner aux éditeurs et agences de presse l’obligation d’engager des contentieux longs et coûteux pour faire valoir leurs droits, en essayant de démontrer l’originalité et/ou la substantialité des extractions de leurs contenus par les infomédiaires, il existe, sur le terrain de la propriété intellectuelle, un instrument propice à la protection et à la rentabilisation de leurs investissements : celui des droits voisins. Ces droits voisins sont des droits exclusifs accordés à certains auxiliaires de la création littéraire et artistique : artistes-interprètes, producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, entreprises de communication audiovisuelle. Ces droits s’exercent indépendamment du droit d’auteur sur les œuvres, comme le prévoit l’article L. 211-1 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « les droits voisins ne portent pas atteinte aux droits des auteurs », de sorte qu’aucune disposition légale relative aux droits voisins « ne doit être interprétée de manière à limiter l’exercice du droit d’auteur par ses titulaires ».
L’octroi de droits voisins aux éditeurs et agences de presse allège donc la charge de la preuve qu’un infomédiaire a reproduit tout ou partie de leurs contenus sans autorisation. Ce droit étant basé sur la fixation d’une œuvre (c’est-à-dire sa fixation sur un support afin de permettre sa communication au public), il suffira au bénéficiaire de ce droit de prouver qu’une partie de cette œuvre a été utilisée indépendamment de son support de fixation. Les éditeurs ou agences de presse pourront ainsi plus aisément prouver la reproduction – puisqu’ils n’auront pas à démontrer l’originalité du contenu en cause – et pourront ainsi plus facilement agir contre la reproduction de masse de leurs publications.
De la même manière que des droits voisins ont été reconnus aux producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes ainsi qu’aux entreprises de communication audiovisuelle pour protéger et rentabiliser les investissements auxquels ils procèdent afin d’accompagner la création, de même l’octroi d’un droit voisin aux éditeurs et agences de presse permettra de protéger et de rentabiliser les investissements que ces auxiliaires de la création intellectuelle font, notamment en matière numérique, pour produire une information fiable et de qualité.
Il est en effet légitime de protéger non plus seulement le contenu des titres de presse par les droits d’auteur des journalistes, mais également les titres de presse eux-mêmes, en tant que contenants, afin de reconnaître et de protéger pleinement l’acte de création résidant dans l’agencement de l’information et dans la singularité du traitement éditorial.
En application du nouveau texte, les bénéficiaires des droits voisins ne peuvent interdire l’utilisation de la source de leurs droits à des fins de représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille, de copie privée, d’analyses et de courtes citations, de revues de presse, de diffusion de discours à titre d’actualité, ou encore de parodie. La loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information a également étendu aux droits voisins les exceptions prévues pour :
– les reproductions provisoires ;
– les utilisations au profit de personnes en situation de handicap ;
– les reproductions effectuées par des bibliothèques accessibles au public, des musées ou des services d’archives ;
– l’utilisation à des fins d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche.
Par ailleurs, tout comme le droit d’auteur, les droits voisins « ne peuvent faire échec aux actes nécessaires à l’accomplissement d’une procédure parlementaire de contrôle, juridictionnelle ou administrative prévue par la loi, ou entrepris à des fins de sécurité publique »