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L’application du droit de suite aux œuvres incorporées dans un livre pourrait se justifier en raison du fait qu’il s’agit d’œuvres des arts graphiques et plastiques, quel que soit le support qui les incorpore.
Toutefois, la qualité de professionnel du marché de l’art des libraires au sens de l’article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle et de la directive qu’il transpose en droit français et sur l’assujettissement des reventes de livres contenant des illustrations originales au droit de suite n’est pas de la compétence du juge des référés. Le litige en germe motivant la demande de l’ADAGP – au moins en ce qu’il porte sur la déclaration et le paiement d’un droit de suite sur la revente d’illustrations de livres incluant des illustrations originales – pose un sérieux problème de principe qui ne relève pas du référé. En la cause, l’ADAGP a assigné la Société Galerie Pinault, la société Librairie [O] [E] et la Société Librairie Pinault devant le tribunal judiciaire de Paris en référé, les accusant de ne pas respecter leurs obligations légales en matière de droit de suite pour la vente d’œuvres d’art graphiques ou plastiques. L’ADAGP a demandé la désignation d’un expert judiciaire pour inventorier les transactions et réclamé des dommages-intérêts. Les défenderesses ont demandé le rejet des demandes et des dommages-intérêts en retour. Le Syndicat national de la librairie ancienne est intervenu dans l’affaire. L’audience a eu lieu le 26 juin 2024. Affaire au fond à suivre … |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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N° RG 23/59160 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3JSP
N° : 7/MC
Assignation du :
24 Novembre, 05 décembre 2023
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 07 août 2024
par Irène BENAC, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Marion COBOS, Greffier.
DEMANDERESSE
SOCIETE DES AUTEURS DANS LES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES – ADAGP
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Jean-marc MOJICA de la SELEURL MoRe AvocaTs, avocat au barreau de PARIS – #E0457
DEFENDERESSES
Société LIBRAIRIE [O] [E]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Maître Marie-hélène VIGNES de la SELEURL ARTWORKS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – B696
Société LIBRAIRIE PINAULT
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Maître Marie-hélène VIGNES de la SELEURL ARTWORKS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – B696
Société GALERIE PINAULT
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentée par Maître Marie-hélène VIGNES de la SELEURL ARTWORKS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – B696
INTERVENANT VOLONTAIRE
SYNDICAT NATIONAL DE LA LIBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE DIT SLAM
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Maître Marie-hélène VIGNES de la SELEURL ARTWORKS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – B696
DÉBATS
A l’audience du 26 Juin 2024, tenue publiquement, présidée par Irène BENAC, Vice-Présidente, assistée de Marion COBOS, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties comparantes,
La Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ci-après ADAGP) est un organisme de gestion collective dont le principal objet est de percevoir et répartir les redevances de droit d’auteur dues au titre de l’utilisation et de la vente des œuvres d’auteurs lui ayant donné mandat, et notamment de percevoir et de répartir le droit de suite qui est le droit pour l’auteur d’une œuvre d’art graphique ou plastique de percevoir une rémunération sur le prix de revente de son œuvre lorsqu’intervient un professionnel du marché de l’art.
Exposant que la Société Galerie Pinault, la société Librairie [O] [E] et la Société Librairie Pinault vendent des oeuvres d’art graphiques ou plastiques, dont certaines bénéficient du droit de suite, sans respecter leurs obligations légales, notamment déclaratives au titre du droit de suite, elle les a fait assigner par actes des 24 novembre et 5 décembre 2023 devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé aux fins de :- voir désigner un expert judiciaire pour procéder à un inventaire de la totalité des transactions (achats et ventes) dans lesquelles les défenderesses sont intervenues depuis le 1er avril 2018 pour la société Librairie [O] [E], le 1er juin 2007 pour ce qui concerne la société Librairie Pinault et le 16 octobre 2020 pour ce qui concerne la société Galerie Pinault, et se faire remettre les pièces afférentes,
– mettre le coût de la mesure à la charge des défenderesses,
– les condamner aux dépens et à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
au visa des articles 145 du code de procédure civile, L. 122-8 et R. 122-1 du code de la propriété intellectuelle.
Elle a maintenu ses demandes dans ses conclusions signifiées le 24 juin 2024, soutenues oralement à l’audience, augmentant seulement sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile à 15.000 euros.
Par conclusions n°2 signifiées le 20 juin 2024 et soutenues oralement à l’audience, la société Librairie [O] [E] demande au juge des référés de rejeter la demande, de déclarer nulles et écarter des débats les pièces 40 à 49 et 53 de l’ADAGP et condamner celle-ci aux dépens et à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions n°2 signifiées le 11 juin 2024 et soutenues oralement à l’audience, la société Librairie Pinault demande au juge des référés de rejeter la demande, de déclarer nulles et écarter des débats les pièces 40 à 49 et 53 et condamner l’ADAGP aux dépens et à lui payer la somme de 7.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions n°2 signifiées le 20 juin 2024 et soutenues oralement à l’audience, la société Galerie Pinault demande au juge des référés de se déclarer incompétent au profit de celui du tribunal judiciaire de Nanterre ou, subsidiairement, rejeter la demande et condamner l’ADAGP aux dépens et à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 6 juin 2024 et soutenues oralement à l’audience, le Syndicat national de la librairie ancienne (SLAM) est intervenu volontairement et demande le débouté de l’ADAGP et sa condamnation aux dépens et à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’audience a eu lieu le 26 juin 2024.
I . Sur l’intervention volontaire du SLAM
Le SLAM expose que l’action intentée par l’ADAGP contre les sociétés Librairie [O] [E] et Librairie Pinault, qui sont ses adhérentes, soulève une question de principe intéressant les intérêts collectifs de la librairie, justifiant son intervention au soutien de celles-ci.
Aucune des parties ne s’oppose à cette intervention volontaire.
Sur ce,
L’article 330 du code de procédure civile prévoit que l’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie et qu’elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
Le SLAM justifie suffisamment son intérêt à soutenir la position de la société Librairie [O] [E] et la société Librairie Pinault. Son intervention volontaire est déclarée recevable.
II . Sur la compétence territoriale s’agissant de la société Galerie Pinault
La société Galerie Pinault fait valoir que :- les mesures ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile peuvent être ordonnées par le président du tribunal du tribunal du lieu où la mesure dit être exécutée de l’expertise comme celui de l’instance au fond, qui est dans les deux cas celui de Nanterre de sorte que la demande la concernant est de la compétence exclusive du juge des référés de Nanterre ;
– l’application de l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile suppose l’existence d’un litige indivisible ce qui n’est pas le cas ici.
L’ADAGP oppose que :- deux défenderesses ayant leur siège à [Localité 7], la circonstance que la troisième ait son siège à [Localité 8] ne rend pas le juge des référés parisien incompétent, dès lors que ses demandes sont communes aux trois défenderesses et portant sur des faits similaires dont dépend la solution d’un même litige ;
– les trois défenderesses ont le même représentant légal “direct ou indirect”, une adresse communes et revendiquent leur appartenance au “groupe [E]”, exercent une activité commune (elles vendent toutes des livres, manuscrits et objets d’art susceptibles d’entrer dans le champ d’application du droit de suite) et la communauté d’intérêt entre elles.
Sur ce,
L’article 42 du code de procédure civile prévoit notamment :“La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
S’il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction où demeure l’un d’eux.”
Pour l’application de l’alinéa 2, un lien (et non un litige indivisible) doit exister au fond entre les demandes à l’égard des divers défendeurs.
Il n’est pas discuté que le domicile de la société Galerie Pinault se trouve à [Localité 8], dans le ressort du tribunal judiciaire de Nanterre et que la mesure demandée la concernant devrait être exécutée à son siège et, s’agissant d’un litige relatif aux droits d’auteur, l’examen au fond relève de la compétence d’attribution du tribunal judiciaire de Nanterre.
Si l’ADAGP reproche aux trois sociétés défenderesses de ne pas déclarer, ni régler le droit de suite sur leurs reventes et acquisitions d’œuvres graphiques sur le fondement des mêmes textes, il s’agit de transactions et de manquements distincts de chacune réalisées dans l’exercice de leurs activités respectives au titre desquelles elles ne sont pas liées entre elles et dont il n’est pas allégué qu’elles auraient contribué au même dommage.L’ADAGP ne saurait donc être suivie lorsqu’elle soutient qu’il s’agit du même litige.
En revanche, les sociétés Librairie [O] [E] et Galerie Pinault ont le même président, M. [L] [E], qui est également celui de la société représentant la société Librairie Pinault. Il est par ailleurs établi par les pièces du dossier que la société Galerie Pinault vend également des livres, de sorte que la question portant sur l’applicabilité du droit de suite et la qualité d’intermédiaire du marché de l’art la concerne également.
Ces éléments caractérisent un lien entre les demandes.
Enfin, il n’apparaît aucunement que l’ADAGP ait assigné la société Galerie Pinault devant la présente juridiction pour échapper artificiellement à la compétence du lieu de son domicile.
Les conditions de la mise en jeu de la prorogation de compétence territoriale prévue à l’alinéa 2 l’article 42 du code de procédure civile apparaissent donc réunies à l’égard de la société Galerie Pinault et il apparaît inopportun de disperser le contentieux.
Il y a lieu de rejeter l’exception d’incompétence soulevée par celle-ci.
III . Sur la nullité des pièces 40 à 49 et 53 de l’ADAGP
Les défenderesses font valoir que : – les huit constats que l’ADAGP a fait dresser sur l’activité de la société Librairie [O] [E] entre le 12 avril 2019 et le 10 mars 2023 sont affectés de vices rédhibitoires (pièces 40 à 47 et p 52 à 56 des conclusions) en ce qu’ils lui ont été communiqués le 5 décembre 2023 dans une version non signés et sans justification de l’agrément de l’agent assermenté puis signés mais modifiés (ajout de mentions et d’annexes pièces 40 et 42) le 29 février 2024 ;
– le procès-verbal portant sur une visite du 12 avril 2019 (pièce n° 43) a été établi le 19 août 2020, soit plus de dix-sept mois après les constatations ;
– le procès-verbal portant sur une visite du 18 septembre 2020 (pièce n° 40) a été établi le 15 décembre 2020 soit trois mois après les constatations ;
– le procès-verbal portant sur une visite du 16 septembre 2022 (pièce n° 40) a été réalisé de façon déloyale (l’agent ne s’est pas présenté, a fait des déclarations mensongères et n’a pas constaté matériellement les faits qu’il relate) et porte sur des œuvres d’un auteur qui n’est pas adhérent de l’ADAGP ;
– le constat de l’agent de l’ADAGP sur l’activité de la société Librairie Pinault (pièce n°48) est également nul en ce qu’il est différent de la version communiqués le 5 décembre 2023 ;
– la pièce n°53 est un constat d’appartenance qui n’entre pas dans les prévisions de l’article L.331-2 du code la propriété intellectuelle de sorte que l’agent assermenté n’avait pas compétence à le dresser.
L’ADAGP oppose que :- ses procès-verbaux de constat (ses pièces 40 à 49) sont paraphés, signés et accompagnés des arrêtés de nomination et des justificatifs du serment des agents concernés,
– le délai entre les constats et la rédaction des procès-verbaux du 12 avril 2019 de M. [W] [B] (pièce 40) et du 18 septembre 2020 de Mme [Z] [H] (pièce 43) n’est aucunement de nature à entraîner leur nullité ;
– le fait que M. [V] [S] ait été accompagné par une amie et ait rapporté un entretien téléphonique n’affectent pas la validité de son procès-verbal du 10 octobre 2022.
Sur ce,
Les procès-verbaux litigieux (pièces 40 à 49 de l’ADAGP) ont été versés en copie papier paraphés, signés et assortis d’une copie de leur arrêté d’agrément par le ministère de la culture et de la communication et le procès-verbal de leur prestation de serment. Ils ont donc force probante.Le fait que l’ADAGP ait fourni dans un premier temps une version numérique de ces pièces sans annexes et, pour la pièce n°48, avec une phrase ajoutée à plusieurs reprises légèrement différente, démontre que les pièces objets de cette première communication étaient sans valeur mais n’entache ces procès-verbaux d’aucune vice justifiant qu’ils soient écartés des débats.
De la même façon, le temps écoulé entre les constatations et l’établissement des procès-verbaux du 19 août 2020 et du 15 décembre 2020 n’est pas de nature à en altérer la sincérité. Dont le premier porte sur le catalogue et l’autre sur des photographies pris sur le stand de la société Librairie [O] [E];
Enfin, les diligences effectuées et décrites par M. [S] dans son procès-verbal du 10 octobre 2022 ne caractérisent pas de comportement déloyal susceptible d’affecter la validité de ses constatations qui pouvaient régulièrement se faire par téléphone.
Enfin, le fait qu’il n’entre pas dans les missions des agents assermentés d’attester de l’adhésion à l’ADAGP de certains auteurs ne saurait les disqualifier pour le faire ni rendre nulle cette attestation.
Quant à la pièce n°49, aucun vice n’est exposé dans les conclusions des parties.
Il n’y a donc pas lieu d’écarter des débats les pièces 40 à 49 et 53 de l’ADAGP.
IV . Sur la mesure d’expertise
L’ADAGP soutient en substance que :- de 2008 à 2018, la société Librairie [E] a procédé à des déclarations et paiements et son activité se poursuit dans les mêmes conditions, mais depuis 2018 elle se heurte au refus de principe des défenderesses, qui sont dirigées directement ou indirectement par la même personne, de déclarer au titre du droit de suite les transactions relatives aux œuvres graphiques et plastiques incorporées dans des livres, et à ne pas déclarer des transactions dont elles ne contestent pas qu’elles soient soumises au droit de suite ;
– l’application du droit de suite aux œuvres incorporées dans un livre se justifie en raison du fait qu’il s’agit d’œuvres des arts graphiques et plastiques, quel que soit le support qui les incorpore;
– les objections des défenderesses sur le fait qu’elles ne sont pas des professionnelles du marché de l’art au sens des textes sur le droit de suite et que les reventes de livres contenant des illustrations originales ne sont pas assujetties au droit de suite sont inexactes et ne constituent pas des contestations sérieuses de nature à faire échec à la mesure sollicitée ;
– ses pièces 40 à 47 prouvent que la société Librairie [O] [E] vend des œuvres graphiques (lithographies et dessins) et ne déclare ni ne paie de droit de suite sur ces ventes, de même que sa pièce 48 pour la société Librairie Pinault et sa pièce 49 pour ce qui concerne la société Galerie Pinault, de sorte qu’elle caractérise un lien entre la mesure sollicitée et une action ultérieure en paiement du droit de suite ;
– les conditions de l’article 145 sont réunies en ce que elle justifie d’un litige existant sur la déclaration et le paiement du droit de suite par les défenderesses sur leurs reventes et que la mesure d’expertise vise à obtenir des informations qui ne lui sont pas accessibles et sont nécessaires à la solution de ce litige ;
– la jurisprudence est constante pour juger que la prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire.
La société Librairie [O] [E] fait valoir que : – le droit de suite n’est pas applicable au domaine du livre et elle n’est pas un professionnel du marché de l’art au sens de la loi sur le droit de suite, de sorte que c’est à tort qu’elle a fait par le passé des déclarations de vente et payé des sommes au titre du droit de suite et l’a signifié officiellement à l’ADAGP le 25 octobre 2018,
– l’action que l’ADAGP entend mener au fond est vouée au rejet car le droit positif ne permet pas l’application du droit de suite aux livres et manuscrits illustrés, les libraires ne comptent pas parmi les professionnels du marché de l’art, l’interprétation extensive du droit positif par l’ADAGP est dépourvue de tout fondement et les principes de gestion qu’elle a imaginés pour les œuvres incorporées dans un livre sont illégaux (le SLAM développe les mêmes moyens);
– les huit constats dressés sur 5 ans par l’ADAGP sur tous ses catalogues et publications depuis 2016, son site Internet, les vitrines et l’intérieur de sa boutique et sur son stand lors des différentes éditions du Salon international du livre rare depuis avril 2019 n’ont relevé que 16 oeuvres graphiques dont aucune ne relève du droit de suite (5 non vendues, 2 vendues moins de 750 euros, 1 dans le domaine public, 2 vendues il y a plus de 5 ans et les autres intégrées à un livre ) et le commerce passant intégralement par internet, aucune pièce n’a pu échapper à ces constats de sorte que les faits allégués par la demanderesse manquent de toute crédibilité et le motif légitime fait donc défaut;
– elle verse aux débats une attestation d’expert-comptable certifiant que, de 2019 à 2023, elle a réalisé en tout et pour tout 11 ventes d’oeuvres d’art graphiques ou plastiques et les factures correspondantes (pièce n° 15) de sorte que les mesures sollicitées sont inutiles et donc dépourvues de motif légitime ;
– en vertu de l’article R.122-11 du code de la propriété intellectuelle, toute mesure sollicitée pour une date antérieure au 24 novembre 2020 (ou au moins avant le 24 novembre 2018) est prescrite ;
– la mesure demandée est disproportionnée comme portant sur la totalité de son activité, ce qui pourrait se concevoir pour une galerie d’art récalcitrante au paiement du droit de suite qui se consacre au commerce d’œuvres d’art graphiques et plastiques, mais est inacceptable pour un libraire.
La société Librairie Pinault fait valoir que : – elle a été assignée sans aucune démarche amiable préalable,
– vu que le constat d’appartenance à son répertoire doit être écarté des débats, l’ADAGP ne justifie pas de l’adhésion effective des membres qu’elle prétend représenter au titre du futur litige invoqué à l’appui de sa demande d’expertise,
– elle propose à la vente des manuscrits et autographes qui ne sont pas des œuvres d’art graphiques et les professionnels du marché de la bibliophilie et ne sont pas des professionnels du marché de l’art de sorte qu’elle n’est pas concernée par le droit de suite, et la présente action vise à étendre de façon illégitime le champ de ce droit,
– à deux exceptions près, les 17 objets de la liste de l’ADAGP échappent au droit de suite soit parce que ce ne sont pas des œuvres graphiques ou plastiques, soit parce qu’ils n’ont pas été vendus, soit parce qu’ils ont été vendus à un prix inférieur à 750 euros HT,
– en vertu de l’article R. 122-11 du code de la propriété intellectuelle, toute mesure sollicitée pour une date antérieure au 24 novembre 2020 (ou subsidiairement au 24 novembre 2018) est prescrite et la jurisprudence invoquée connaît une exception lorsque le créancier, parfaitement au fait du manquement de son débiteur à ses obligations déclaratives, néglige d’agir ;
– la généralité des mesures demandées les rend disproportionnées avec l’objectif poursuivi et elles sont inutiles dès lors qu’il a été communiqué à l’ADAGP les factures détaillant les transactions prétendument susceptibles de fonder un futur litige, leur objet et leur prix (ses pièces n° 2 à 13).
La société Galerie Pinault fait valoir que : – elle a été assignée sans aucune démarche amiable préalable, la mise en demeure du 14 novembre 2023 invoquée en demande ne lui ayant jamais été distribuée,
– le constat d’appartenance à son répertoire (pièce adverse n° 53) étant des débats, l’ADAGP ne justifier pas de l’adhésion des membres qu’elle prétend représenter au titre du futur litige invoqué à l’appui de sa demande d’expertise,
– l’ADAGP ne justifie pas de l’existence d’un litige plausible entre elles dès lors que les quatre œuvres pointées par l’ADAGP comme litigieuses dans son catalogue n’ont pas été vendues ;
– depuis son début d’activité, elle n’a vendu qu’une œuvre relevant du droit de suite et l’a déclaré et réglé durant la procédure,
– la mesure sollicitée est inutile car elle a produit une copie certifiée conforme de son grand livre comptable pour les exercices 2021 à 2023 inclus et la copie des factures,
– la mesure demandée était disproportionnée.
Sur ce,
L’article 145 du code de procédure civile prévoit “S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.”
Pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de ce texte, le juge des référés vérifie l’existence d’un motif légitime, à savoir un procès en germe – sans examiner sa recevabilité ou son bien-fondé, ni ses chances de succès à moins qu’il ne soit manifestement voué à l’échec – et la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans celui-ci, parmi lesquels la réalité des allégations à l’appui de la demande.Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi ; il incombe au juge de vérifier si la mesure demandée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du demandeur et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
S’agissant de la société Librairie [O] [E]
Les huit constats dressés sur 5 ans par l’ADAGP sur tous ses catalogues et publications depuis 2016, son site Internet, les vitrines et l’intérieur de sa boutique et sur son stand lors des différentes éditions du Salon international du livre rare depuis avril 2019 n’ont révélé la vente que de 16 œuvres graphiques dont 2 (peut-être 3) relèvent du droit de suite.
De plus, la société Librairie [O] [E] a versé aux débats une attestation d’expert-comptable certifiant que, de 2019 à 2023, elle a réalisé en tout et pour tout 11 ventes d’oeuvres d’art graphiques ou plastiques et les factures correspondantes.
Aucun indice ne corrobore un commerce de plus grande ampleur et il n’existe aucune raison de mettre en doute le fait que le commerce passe pour l’essentiel par internet.
L’examen du mérite des longues argumentations circonstanciées (sur une quarantaine de pages) de la société Librairie [O] [E] et du SLAM, d’une part, et de l’ADAGP, d’autre part, sur la qualité de professionnel du marché de l’art des libraires au sens de l’article L.122-8 précité et de la directive qu’il transpose en droit français et sur l’assujettissement des reventes de livres contenant des illustrations originales au droit de suite n’est pas de la compétence du juge des référés.
Elles démontrent cependant que le litige en germe motivant la demande de l’ADAGP – au moins en ce qu’il porte sur la déclaration et le paiement d’un droit de suite sur la revente d’illustrations de livres incluant des illustrations originales – pose un sérieux problème de principe.
Dès lors, si l’ADAGP justifie d’un litige en germe, force est de constater qu’elle détient déjà des éléments de preuve pour engager un procès et que la mesure qu’elle demande d’examen de l’ensemble des transactions réalisées par la société Librairie [O] [E] pour toute son activité apparaît disproportionnée au regard des objections élevées en défense, étant observé que le code de la propriété intellectuelle confère aux titulaires de droits un droit d’information qui pourra être exercé au cas où la question de l’assujettissement des reventes d’œuvres graphiques illustrant un livre par un libraire serait tranchée conformément à la position de l’ADAGP par un tribunal saisi au fond.
S’agissant de la société Librairie Pinault
Il résulte du dossier que l’ADAGP a fait dresser un procès-verbal de 189 pages le 8 février 2023 des œuvres graphiques offertes à la vente sur le site internet , mais n’identifie parmi toutes ces oeuvres que 17 dessins relevant du droit de suite dont 10 d’auteurs membres de l’ADAGP (page 18 de ses conclusions). Elle a mis en demeure la société Librairie Pinault de procéder aux déclarations de ses oeuvres vendues par ses soins et soumises au droit de suite sous 8 jours, par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 16 novembre 2023, mais l’a assignée avant même l’expiration du délai imparti.
La société Librairie Pinault a versé au dossier 13 factures de ventes d’œuvres graphiques de 2020 à 2022.
Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 37 à 40 supra, la demande d’expertise de la totalité des transactions réalisées par la société Librairie Pinault dans son activité apparaît disproportionnée et sera rejetée
S’agissant de la société Galerie Pinault
Il résulte du dossier que l’ADAGP a fait dresser un procès-verbal de 200 pages le 10 mars 2023 des oeuvres graphiques offertes à la vente sur le site internet , mais n’identifie parmi toutes ces œuvres que quatre dessins (page 19 de ses conclusions) relevant du droit de suite et n’en mentionne aucune autre malgré la défense articulée sur ce point par la société Galerie Pinault.
Par ailleurs, elle ne justifie d’aucune mise en demeure à l’égard de cette dernière, qui a versé au dossier une copie certifiée conforme de son grand livre comptable pour les exercices 2021 à 2023 inclus et la copie des factures des ventes excédant 750 euros. Toujours en cours d’instance, elle a déclaré et réglé le droit de suite impayé sur une œuvre vendue en 2022 de sorte que le refus de principe d’acqyuitter le droit de suite n’est aucunement établi la concernant.
Dans ces conditions, les éléments de fait versés aux débats ne justifient pas d’un motif légitime pour faire ordonner une expertise de la totalité des ventes et acquisitions intervenues depuis la création de la société Galerie Pinault, qui serait en toute hypothèse disproportionnée au regard des éléments versés.
Il y a donc lieu de la rejeter.
V. Dispositions finales
L’ADAGP, qui succombe, est condamnée aux dépens de l’instance.
Il y a lieu de la condamner à payer à chacune des sociétés Librairie [O] [E], Librairie Pinault et Galerie Pinault la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter la demande au même titre du SLAM, intervenant volontaire, et de la société Ga.
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,
Déclarons recevable l’intervention volontaire du Syndicat national de la librairie ancienne ;
Rejetons l’exception d’incompétence soulevée par la société Galerie Pinault ;
Disons n’y avoir lieu d’écarter des débats les pièces 40 à 49 et 53 de l’ADAGP ;
Rejetons les demandes d’expertise judiciaire formées par l’ADAGP ;
Condamnons l’ADAGP aux dépens de l’instance ;
Condamnons l’ADAGP à payer à chacune des défenderesses la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait à Paris le 07 août 2024
Le Greffier, Le Président,
Marion COBOS Irène BENAC