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La condamnation du feu service Uber Pop a été de nouveau confirmée. Le 7 décembre 2015 la cour d’appel de Paris avait déjà considéré que la société UBER BV s’était rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses exercées à travers le service Uber Pop et l’avait condamnée à une amende de 150.000 euros, pour des faits commis en 2014. La chambre criminelle de la Cour de cassation (31 janvier 2017) avait aussi confirmé que le service ainsi mis en place par UBER BV était soumis à la réglementation, nécessitant une autorisation administrative, imposée sous peine de sanction pénale, aux taxis ou aux VTC.
Parce que le service proposé par UBER BV ne relevait ni de la catégorie de taxis, ni de celle de véhicule motorisé à deux ou trois roues, ni de celle de VTC et parce que le service proposé générait une activité qui était soumise à la législation sur les taxis ou à celle des véhicules de petite remise et donc à une autorisation administrative, l’activité qui en découlait était donc par nature illicite.
Le Tribunal judicaire de Paris s’est de nouveau prononcé sur l’illégalité de cette mise en relation entre chauffeurs non professionnels et particuliers. Le contrat souscrit permettait aux particuliers de transporter des individus et de se faire rémunérer au titre d’un covoiturage onéreux.
Par ses communications commerciales, la société UBER BV, à travers UBERPOP, avait incité les consommateurs, conducteurs ou utilisateurs à participer à un service de transport à but lucratif par des particuliers, en donnant l’impression que ce service était licite alors qu’il ne l’était pas.
Le délit de pratique commerciale trompeuse était établi en raison de communications commerciales incitant les particuliers à participer comme conducteurs à un service de transport à but lucratif, en leur fournissant de façon ambiguë des informations incomplètes sur les caractéristiques essentielles du service.
Le maintien d’une activité illicite de service de transport, ainsi proposée par UBER BV au travers de UBERPOP, sur la période 2014/2015, sur un secteur par ailleurs très réglementé, présentait nécessairement le caractère d’un acte de concurrence déloyale qui découlait des décisions pénales déjà rendues et notamment de l’arrêt rendu le 31 janvier 2017 par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire de Paris
JUGEMENT DU 10 SEPTEMBRE 2021
N° 11-21-001213
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DEMANDEURS PARIS PARVIS DU TRIBUNAL DE PARIS 915 CHAUFFEURS DE TAXI 75859 PARIS CEDEX 17 DÉFENDEURS téléphone : 01 87 27 95 56 télécopie : 01 87 27 96 00 LA SOCIETE UBER BV SAS mail : [email protected] représentée par Me CALVET Hugues, avocat au barreau de PARIS
Références à rappeler Monsieur K L, DIRECTEUR EUROPE DE L’OUEST RG N° 11-21-001213 D’AB, CADRE EN CHARGE DU MARKETING AU MOMENT DES Pôle civil de proximité FAITS
Numéro de minute : 1 représentée par Me HUC-MOREL Nicolas, avocat au barreau de PARIS substitué par Me HERVEY-CHUPIN Diane
Monsieur AJ-AK AI – AN Copie conforme délivrée le : représenté par Me PLANTIN Charlotte, avocat au barreau de PARIS à : Me ISRAEL AH AG substitué par Me HERVEY-CHUPIN Diane Me CALVET Hugues Me HUC-MOREL Nicolas Me PLANTIN Charlotte COMPOSITION
Président: SCHARRE Florence Copie exécutoire délivrée Greffier : BLANC O le : à : Me ISRAEL AH AG DATE DES DEBATS
23 juin 2021 DEMANDEURS:
DÉCISION :
contradictoire, en premier ressort, prononcée par mise à disposition au greffe le 10 septembre 2021 par SCHARRE Florence, Présidente, assistée de BLANC O, greffier
EXPOSÉ DU LITIGE
1/ Rappel de la procédure
Par actes introductif d’instance en date des 22 février 2018 et 9 juillet 2018, le syndicat des sociétés coopératives de chauffeurs de taxi de la région parisienne, ci-après désigné « le syndicat », ainsi que 915 chauffeurs de taxi, ont assigné la SAS UBER BV ainsi que M. S et M. G, salariés et dirigeants de fait de la société UBER BV, devant le tribunal d’instance du 19e arrondissement de Paris. Ils ont sollicité, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation in solidum de ces derniers à verser à chacun des chauffeurs de taxi les sommes suivantes: 1.217,18 euros en réparation du préjudice matériel subi du fait des actes de concurrence déloyale, 800 euros au titre du préjudice moral et celle de 10.000 euros au titre du préjudice moral subi par le syndicat, et enfin 200 euros à chacun des chauffeurs de taxi et 3.000 euros au syndicat au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que la condamnation des défendeurs aux dépens.
Suite à la fusion des tribunaux d’instance des 20 arrondissements de Paris, et en application des dispositions de l’article R 211-2 du code de l’organisation judiciaire, les parties ont été convoquées à l’audience du tribunal d’instance de Paris qui, par jugement du 16 novembre 2018, a renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris.
Par arrêt du 16 mai 2019, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement ainsi rendu et a renvoyé l’affaire devant le tribunal d’instance de Paris.
Puis, par arrêt en date du 18 novembre 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société UBER BV et Messieurs S et G.
La mise en état devant le pôle civil de proximité du Tribunal Judiciaire de Paris :
Constatant que du fait de la décision statuant sur la compétence, le tribunal d’instance de Paris, qui depuis a été supprimé en tant que juridiction, n’avait pas été saisi d’une procédure qui était en cours à la date de la création du Tribunal Judiciaire de Paris, les demandeurs ont été invités à saisir le pôle civil de proximité de ce tribunal au visa de l’article 40 IV- 1° du décret 2019-912 du […].
Un calendrier de procédure avec deux audiences de mise en état les 3 mars et 16 avril 2021 et une audience de plaidoirie initialement fixée au 5 mai 2021, a été mis en place.
Par assignation du 12 février 2021, le syndicat et 900 chauffeurs de taxi ont assigné la société UBER BV devant la présente juridiction pour l’audience du 3 mars 2021 en formulant des demandes identiques à celles initialement faites.
Lors de l’audience du 16 avril 2021, à laquelle cette affaire avait été renvoyée, un nouveau calendrier de procédure a été fixé, avec une date de plaidoiries au 23 juin 2021.
Lors de l’audience de plaidoiries, les demandeurs ont fait viser leurs conclusions par lesquelles ils sollicitent désormais :
1 / Sur les désistements et reprises d’instance et d’action de : Donner acte de leur désistement d’instance et d’action à l’encontre Messieurs G et S, 3
Donner acte à X, de ce qu’ils et elles se désistent de leur instance et action dirigées contre la société UBER BV, Donner acte à X de ce qu’ils et elles reprennent l’instance et l’action engagées par ces derniers ;
2/ En tant que de besoin : Ordonner la disjonction de l’instance introduite par Messieurs T, R, C et K, dans l’attente de recevoir les attestations dévolutives ou actes de notoriété relatifs à la qualité de leurs héritiers et dire qu’il leur sera accordé le bénéfice de leurs précédentes écritures ;
3/ et à titre principal : – dire et Juger recevable et bien fondée l’action des demandeurs, – rejeter la fin de non-recevoir tirée du prétendu défaut d’intérêt à agir des chauffeurs de taxi, – rejeter la fin de non-recevoir tirée du prétendu défaut de qualité pour défendre de la société UBER BV ; – constater que la société UBER BV a violé les dispositions des articles L. 3120-1 et suivants du code des transports, les articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation ; constater que par décision de la Cour d’appel de Paris du 7 décembre 2015 et de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 31 janvier 2017, et par le jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 9 juin 2016, la société UBER BV a été condamnée pour organisation illégale d’un système de mise en relation avec des personnes se livrant au transport routier de personnes à titre onéreux, de complicité d’exercice illégal de l’activité d’exploitant de taxi et de pratiques commerciales trompeuses ; – Tirer les conséquences de droit en matière civile de l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 31 janvier 2017 déclarant comme illicite l’activité d’UBERPOP et du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris du 9 juin 2016 condamnant la défenderesse à la présente instance ; En tant que de besoin, constater que les demandeurs ont apporté la preuve que sont constitutives de pratiques déloyales l’organisation illégale d’un système de mise en relation avec des personnes se livrant au transport routier de personnes à titre onéreux, la complicité d’exercice illégal de l’activité d’exploitant de taxi et les pratiques commerciales trompeuses, juger que les pratiques déloyales imputables à la société UBER BV et constatées sont constitutives de fautes au sens de l’article 1240 du Code civil ; juger que les chauffeurs de taxi ont subi un préjudice d’ordre matériel et moral qui s’infère directement des fautes constatées au sens de l’article 1240 du Code civil ; juger que le Syndicat a subi un préjudice d’ordre moral qui s’infère également directement des fautes constatées au sens de l’article 1240 du Code civil ;
En conséquence, – Condamner la défenderesse à verser à chacun des chauffeurs de taxi la somme de 1.217,18 euros en réparation du préjudice matériel avec intérêts au taux légal à compter de la date d’introduction de la présente instance et augmentée de la capitalisation annuelle des intérêts ; – Condamner la défenderesse à verser à chacun des chauffeurs de taxi la somme de 800 euros en réparation du préjudice moral ainsi causé ; – Condamner la défenderesse à verser au Syndicat la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice moral ;
En toute hypothèse, Condamner la défenderesse à verser à chacun des chauffeurs 50 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et celle de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de 4
procédure civile au syndicat et condamner UBER BV aux dépens.
Lors de cette audience, le conseil de Messieurs G et S a accepté explicitement les désistements exposés par les demandeurs à leur égard.
Sur demande du tribunal, les conseils des demandeurs ont sollicité la rectification du prénom concernant « C venant aux droits de C» décédé le […], en précisant qu’il s’agit de C venant aux droits de son père C décédé à la date sus-mentionnée. Il a également été observé que M était décédé le 30 août 2017 avant la délivrance de l’assignation. Il a été sollicité par les demandeurs une disjonction de l’instance concernant les héritiers de Messieurs R, C et K, ce dans l’attente de recevoir les attestations dévolutives ou actes de notoriété relatifs à la qualité des héritiers. Concernant la situation de T, il a été indiqué que la pièce n°15 permettait de justifier de la reprise d’instance au nom de ses héritiers.
Les conseils de la société UBER BV ont également fait viser des conclusions selon deux jeux différents et demandent d’une part aux termes de conclusions dites « d’acceptation de désistement » au tribunal de leur donner acte de ce qu’ils acceptent le désistement des demandeurs dans le cadre de la présente instance. Ils estiment que le tribunal est saisi de deux assignations, celle du 22 février 2018 et celle du 12 février 2021. Ils en déduisent que du fait de la signification d’une seconde assignation, la première assignation n’a dès lors plus lieu d’être et demandent au tribunal de constater que les demandeurs se sont ainsi tacitement désistés de leurs demandes initiales.
Selon un second jeu de conclusions, UBER BV demande au tribunal de : Sur l’irrecevabilité de l’action intentée par les chauffeurs de taxis : – dire et juger que les taxis ayant introduit la présente action ne justifient pas d’un intérêt personnel né et actuel, – en conséquence, rejeter les prétentions formées par les « 913 » chauffeurs de taxi, Sur l’irrecevabilité de l’action introduite en ce qu’elle vise UBER BV SAS : – dire et juger qu’UBER BV n’a pas qualité pour défendre, – en conséquence rejeter les prétentions formulées par les demandeurs, Sur le caractère infondée de l’action des demandeurs : – dire et juger qu’aucune faute ne peut être alléguée à l’encontre d’UBER BV, – dire et juger que les demandeurs ne rapportent pas la preuve de l’existence et du quantum d’un préjudice personnel, direct et certain, – dire et juger que les demandeurs n’administrent pas la preuve que leurs hypothétiques préjudices procèdent directement des fautes qu’ils allègent à l’encontre d’UBER BV, – rejeter en conséquence les demandes formulées par les demandeurs, En toute hypothèse, – condamner in solidum les demandeurs à s’acquitter d’une somme de 25.000 euros entre les mains d’UBER BV, – condamner in solidum les demandeurs aux dépens.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, les conseils des parties ayant plaidé conformément aux écritures déposées, il convient de renvoyer à celles-ci pour un plus ample exposé des prétentions et moyens soulevés.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré, par mise à disposition au greffe, au 10 septembre 2021.
MOTIFS
Les demandes des parties tendant à voir “dire et juger”, “donner acte” ou “constater” ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile et ne donneront pas lieu à mention au dispositif.
I / Préalablement, sur les désistements, reprises d’instance et demande de disjonction
1/ Selon les articles 394 et suivants du Code de procédure civile, le demandeur peut, en toute matière, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l’instance. Le désistement n’est parfait que par l’acceptation du défendeur et n’est possible qu’en l’absence de toute défense au fond. Le moyen invoqué en défense, et tiré d’un désistement implicite des demandeurs, sera écarté aux motifs ainsi rappelés dans l’exposé du litige et tenant au fait que, constatant que par sa décision statuant sur sa compétence, le tribunal d’instance de Paris, qui depuis a été supprimé en tant que juridiction, n’a pas été saisi d’une procédure qui était en cours à la date de la création du Tribunal Judiciaire de Paris. Dès lors, les demandeurs ont été donc invités à saisir le pôle civil de proximité, au visa de l’article 40 IV. 1) du décret 2019-912 du […]. Il sera rappelé que nul désistement implicite ne peut être observé. Le désistement ne pouvant se présumer, il ne peut davantage être déduit des faits de la cause et de la procédure l’existence d’une volonté des demandeurs de mettre fin à l’instance. Le prétendu désistement implicite tiré de la délivrance d’une seconde assignation par les demandeurs sera donc écarté.
2/ Il sera ensuite observé que onze demandeurs ont renoncé à poursuivre l’instance, il s’agit de Messieurs C, C, Joaquim C, D, D, E, K, O, Messieurs O, P, S. Il convient donc de constater le désistement de onze des demandeurs et l’acceptation de la société défenderesse.
3/ Par ailleurs, il convient de relever que M. M est décédé le 30 août 2017, soit plusieurs mois avant que l’assignation introductive de cette instance ne soit délivrée le 22 février 2018. Il ne pouvait donc émettre une prétention au sens de l’article 30 du Code de procédure civile à cette date. Dès lors, il convient d’en déduire que la demande formée par M. M ne peut constituer une prétention puisque celui-ci était décédé avant la délivrance de l’assignation initiale.
4/ Enfin et concernant les décès intervenus en cours d’instance, il y a lieu de noter que neuf demandeurs sont décédés entre le 22 février 2018 et le 23 juin 2021. Il s’agit de Messieurs B (décédé le 24 août 2020), C (décédé le […]), K (décédé le […]), L (décédé le […]), P (décédé le […]), R(décédé le […]), S (décédé le […]), T (décédé le […]) et T (décédé le […]). Il s’agit à leur égard de faire application des dispositions de l’article 370 du Code de procédure civile. Il en résulte, en vertu des articles 370, 373 et 374 du Code de procédure civile, que les héritiers des parties décédées en cours d’instance peuvent, tout en notifiant ce décès à la partie adverse, intervenir dans l’instance qui reprend son cours dans l’état où elle se trouvait. Il y a lieu de constater que les héritiers de C, R et Kn’ont pas produit aux débats les attestations notariées pour justifier de leur qualité à ce titre. Le conseil des demandeurs sollicite dans ce cadre une disjonction alors qu’il sera rappelé que l’instance introduite par C, R et K est en réalité interrompue du fait des décès ainsi constatés. 6
Il convient donc de constater que le tribunal judiciaire de Paris n’est donc pas dessaisi de ces instances qui pourront reprendre dans le délai de la péremption d’instance prévue à l’article 386 du Code de procédure civile.
5/ Les héritiers de M. L sont, au vu de l’attestation notariée établie le 13 janvier 2021, son épousE et ses trois enfants majeurs X, Y et M L. Dans le cadre de cette instance J, X, Y et M L se désistent de l’instance et de l’action engagée, il leur en sera donné acte. Ceux de M. O T sont, au vu de l’attestation notariée établie le 27 mai 2021, son épouse Z N et ses deux enfants majeurs A et B T. Dans le cadre de cette instance Z, A et B Tse désistent de l’instance et de l’action engagée, il leur en sera donné acte.
6/ Il sera rappelé que la présente action à fins indemnitaires n’est transmissible que si les héritiers justifient de leur qualité dans la dévolution successorale du défunt. Concernant l’examen des attestations notariées produites par les héritiers de Messieurs B, P, S et T, il convient de relever qu’il s’agit d’une action indemnitaire engagée par une partie décédée en cours d’instance et d’actes conservatoires au sens de l’article 815-2 du Code civil.
Ainsi, les héritiers de M. P B sont, au vu de l’attestation notariée établie le 1er octobre 2020, son épouse Q F et ses deux enfants majeurs Dalil et R B. Dans le cadre de cette instance, seules Dalil et R B ont indiqué leur souhait de reprendre l’instance, il leur en sera donné acte et l’examen des demandes financières à leur égard se fera au nom de l’indivision successorale de feu M. P B représentée par Dalil et R B.
Les héritiers de M. T P sont, au vu de l’attestation notariée établie le 18 février 2020, son épouse E M et ses trois filles Y, C et D. Or, Y est mineure puisque née en 2007, elle est donc représentée par sa mère Mme E M dans la cause, les deux autres filles issues d’une précédente union sont, quant à elles, majeures. Il sera donné acte à Mme E M, en sa qualité de conjoint survivant et en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure Y P ainsi qu’à C P et D P, des demandes financières qu’elles formuleront au nom de l’indivision successorale de feu M. T P.
L’héritière de M. AH-AL S est, au vu de l’attestation notariée établie le 20 mars 2018, son épouse V G. Il sera donné acte à Mme V G en sa qualité de conjoint survivant des demandes financières qu’elle formule au nom de la succession de feu M. AH-AL S.
Les héritiers de M. AF AG T sont, au vu de l’attestation notariée établie le 26 août 2020, son épouse I K et ses trois enfants majeurs F, G et H T. L’examen des demandes financières à leur égard se fera au nom de l’indivision successorale de feu M. AF AG T représentée par I, F, G et H T.
7/ Il convient enfin de donner acte aux demandeurs restant dans la cause une fois les désistements d’instance et d’action effectués et les reprises d’instance faites de ce qu’ils se désistent de l’instance et de l’action qu’ils avaient engagées à l’encontre de Messieurs AI-AN G et L S. Ces désistements ont été accepté par le conseil des intéressés le rendant ainsi parfait.
II / Sur le moyen tiré du défaut d’intérêt à agir des chauffeurs de taxi
L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. En application des dispositions de l’article 31 du Code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès d’une prétention, étant précisé que l’intérêt au succès d’une prétention s’apprécie au moment de l’engagement de l’action.
La société UBER BV, qui ne désigne pas nominativement les chauffeurs qui n’auraient pas intérêt à agir, soutient que les demandeurs échouent à apporter la preuve d’un intérêt personnel, né et actuel et souligne que leur identité n’est pas précisée. En ce sens, UBER BV expose que les chauffeurs de taxis demandeurs ne justifient pas d’une carte professionnelle permettant au tribunal d’apprécier les demandes formées sur la période considérée. La société défenderesse ajoute que nonobstant la production du tableau récapitulatif -constitué de la pièce 8 des demandeurs- elle ne peut pas identifier les demandeurs concernés, indiquant qu’environ 20% des demandeurs produisent un justificatif d’identité et 80% ne produisent aucune pièce de nature à justifier de leur identité.
Or, une telle affirmation est contrariée par les moyens de preuve apportés aux débats que sont les pièces 5-1 à 5-4 qui contiennent la copie de la carte professionnelle avec photographie et état civil complet de chacun des demandeurs.
Par ailleurs, le tableau élaboré par la Préfecture de police de Paris (pièce n°6) permet de définir la date à laquelle chaque chauffeur de taxi a obtenu cette qualité. Il y a lieu de préciser enfin que ce document a été actualisé au plus près de l’audience de plaidoirie au 10 mai 2021 puis au 14 juin 2021.
De plus, il a été versé aux débats les contrats de sociétaires coopérateurs des chauffeurs de taxis demandeurs (pièce n°7), ainsi que la preuve de ce que ceux-ci ont exercé cette activité durant la période couverte par les demandes formées à savoir 2014/2015 (attestation des SCOP-pièces 9).
Enfin, il ressort de la pièce n°16 qu’ils ont tous adhéré au service ALPHA TAXIS, ce qui leur a permis, sur la période sollicitée, et en contrepartie du règlement de la redevance due, de bénéficier des courses ainsi gérées par le central-radio.
De surcroit, il doit être considéré que l’action ainsi intentée, puisqu’elle implique l’existence d’une faute, peut donc être mise en œuvre quel que soit le statut juridique de la victime de la faute alléguée. Se trouvant en situation de concurrence avec UBER BV lorsqu’ils ont intenté leur action, les demandeurs justifient donc d’un intérêt à agir personnel, né et actuel.
Étant en outre relevé que l’intérêt à agir des demandeurs n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de leur action, dont l’appréciation relève de l’examen au fond de l’affaire.
En outre, il doit être précisé, contrairement à ce que soutient UBER BV, que l’autorisation de stationnement « licence de taxis » est en l’espèce détenue par la société coopérative auprès de laquelle les chauffeurs demandeurs ont loué cette autorisation.
La fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir des chauffeurs de taxi sera donc écartée.
III / Sur le moyen tiré du défaut de qualité à défendre d’UBER BV
La AMA.S UBER BV, immatriculée en janvier 2012 après que le groupe AB a été créé en 2009, a développé la mise en relation électronique de passagers et de conducteurs de véhicules automobiles au moyen d’un service de l’application logicielle UBER BV à compter de février 2014 et jusqu’en juillet 2015.
UBER BV fait valoir qu’elle n’a pas qualité à défendre au motif qu’elle n’exploitait pas, sur la période considérée 2014/2015, l’application UBER BV et qu’elle a pour seule et unique fonction de promouvoir la marque AB et les services fournis en AD avec cette marque.
Il y a lieu de relever qu’il est constant que la société UBER BV, qui a la charge de la promotion de la marque AB, a déployé l’activité UBER BV et exploité la plateforme UBER BV à travers une application disponible sur smartphones ou iPhone, permettait ainsi de mettre en relation des usagers du service du transport et des conducteurs de voitures ordinaires. Pour l’utilisateur, le service UBER BV permettait de localiser via son téléphone le véhicule le plus proche et de le réserver. Pour toute personne disposant d’un permis de conduire et d’une voiture automobile, il s’agissait de prendre un passager sur la voie publique et de facturer ainsi la course. Ainsi et dans ce cadre, tout particulier pouvait partager l’usage de son véhicule personnel, devenant ainsi conducteur occasionnel, avec un autre particulier, le client, et ce moyennant le paiement de la course et après réservation via l’application.
Il convient de souligner dans un premier temps que, suite à une plainte des chauffeurs de taxis parisiens et à une enquête de la Direction générale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes, et par arrêt du 07 décembre 2015, la Cour d’appel de Paris (Pôle 4, chambre 10), statuant sur appel du jugement correctionnel précédemment rendu par la chambre 31/2 par le Tribunal correctionnel de Paris, a retenu la matérialité du délit reproché à la société UBER BV de pratiques commerciales trompeuses sur la période du 05 février 2014 au 25 mars 2014, délit jugé comme étant suffisamment caractérisé par une communication commerciale trompeuse en donnant l’impression que le service UBER BV proposé était licite alors qu’il ne l’était pas. Il sera rappelé que l’arrêt précité a déclaré la SAS UBER BV coupable des délits de pratiques commerciales trompeuses sur la période de prévention comprise entre le 5 février 2014 et le 30 juin 2015.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation (chambre criminelle, pourvoi n°15-87-770) a ensuite, par son arrêt du 31 janvier 2017, rappelé qu’il s’agissait bien de condamner la société UBER BV coupable de pratiques commerciales trompeuses puisqu’au travers de l’application qu’elle a déployé, celle-ci a incité les consommateurs, conducteurs ou utilisateurs à participer au service UBER BV par des communications commerciales donnant l’impression que ce service était licite alors qu’il ne l’était pas. La Cour de cassation a estimé que le service offert par UBER BV, utilisant des véhicules motorisés à quatre roues pour le transport de particuliers, ne remplissait pas les conditions applicables au covoiturage parce que celui-ci suppose un but non lucratif.
Il convient ensuite de rappeler par ailleurs, concernant plus spécifiquement le service et la marque UBER BV, que sans les moyens humains et financiers déployés par la société UBER BV SAS pour assurer en AD, à partir de février 2014, le lancement puis le développement et le 9 maintien du service UBER BV, cette mise en relation illégale n’aurait pas prospéré. Les éléments légaux et matériels du délit d’organisation d’un système illégal de mise en relation de clients avec des chauffeurs non professionnels ont donc été également caractérisés sur le plan pénal. La société UBER BV, en ce qu’elle a déployé en AD l’application UBER BV, a été reconnue coupable de ce délit.
Il doit dès lors en être déduit que la société UBER BV, parce qu’elle a été condamnée tant au titre du délit d’organisation d’un système illégal de mise en relation de clients avec des chauffeurs non professionnels, qu’au titre du délit de pratiques commerciales trompeuses, et ce sur l’ensemble de la période 2014/2015, a donc bien qualité à défendre sur le plan civil dans le cadre de la responsabilité délictuelle qui en découle.
De manière surabondante, il sera observé que les jurisprudences civiles produites par la société défenderesse, qui ont retenu le défaut de qualité à défendre, sont sans effet sur le présent litige qui concerne les conséquences civiles de jugements pénaux définitifs précédemment rendus.
Dès lors, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la société UBER BV et de déclarer recevable l’action intentée par les demandeurs.
IV/ Sur la responsabilité découlant du comportement de la société UBER BV à l’égard des chauffeurs de taxis et résultant des décisions pénales précédemment rendues
Au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Par ailleurs, l’imitation d’un concurrent n’est en tant que telle pas fautive à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce (CA PARIS pôle 5 ch 1,12 septembre 2017, n°16/04469).
L’article L. 121-1 du code de la consommation, créé par la loi du 3 janvier 2008, abrogé par l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 (article 34) et remplacé désormais depuis cette date par l’article L 121-1 du même code, dispose quant à lui que les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est considérée comme déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer, de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7.
La concurrence déloyale est par ailleurs désormais définie comme consistant en des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires (TGI PARIS 7 septembre 2018, n°16/12074).
1. Enfin, la protection du consommateur interdit quant à elle au professionnel d’user de certaines méthodes susceptibles de corrompre substantiellement son comportement économique, mais également de détourner à son profit des clients (les consommateurs) qui, sans l’utilisation de ces pratiques commerciales déloyales, auraient pu s’adresser à un concurrent.
Il est par ailleurs admis que le non-respect par un opérateur économique des règles du droit de la consommation, créé une distorsion dans le jeu de la concurrence, est ainsi un acte de concurrence déloyale par désorganisation du marché, ce qui est donc de nature à ouvrir un droit à réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
La Cour de cassation a consacré sur ce sujet une présomption en vertu de laquelle il s’infère nécessairement l’existence d’un préjudice, fut-il seulement moral, d’un acte de concurrence déloyale (Cass. Com. 9 février 1993, bull.civ. IV p34 et plus récemment Cass. Civ. 1re, 21 mars 2018, n°17-14-582). Cette présomption a pour conséquence que l’exigence probatoire attendue des demandeurs est dès lors moindre, ce qui ne les dispense pas de prouver l’étendue de leur préjudice (en ce sens Cass. Com 12 février 2020, n°316-14).
a) La faute commune aux préjudices financier et moral invoqués
Il convient à ce stade de rappeler que la condamnation pénale définitive d’une personne morale ou d’une personne physique est de nature à établir la faute au sens de l’article 1240 du code civil et ce en raison de l’autorité absolue de la chose jugée pénalement devant le juge civil (Cass. Civ. 2 ème, 22 février 2005 n°03-30253).
Contestant cette autorité de la chose jugée, la société UBER BV estime n’avoir commis aucune faute et critique la pertinence des décisions pénales produites en ce sens en demande. Elle verse aux débats un arrêt de la Cour d’appel de Douai rendue le 20 juin 2017 pour écarter la faute qui lui est reprochée.
Or, cette décision, parce qu’elle a statué sur des faits isolés, et en l’espèce non établis, a conduit à une décision de relaxe au bénéfice de la société UBER BV. Dès lors cet arrêt ne permet pas dans le présent débat d’écarter la faute civile qui découle des fautes pénales déduites de l’arrêt rendu le 31 janvier 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, pourvoi n°15-87-770).
La société UBER BV relève ensuite que les demandeurs n’établissent pas l’existence d’une faute et par suite l’illicéité du produit UBER BV. Elle produit diverses jurisprudences administratives et judiciaires.
Il suffira de relever que la société UBER BV omet de considérer, sans qu’il soit besoin d’examiner la décision non définitive rendue le 9 juin 2016 par le tribunal correctionnel de Paris, qui concerne notamment le covoiturage, qu’elle a été condamnée sur le plan pénal à plusieurs reprises.
Ainsi, il convient de relever que le 7 décembre 2015 la cour d’appel de Paris (Pôle 4-chambre 10) a considéré que la société UBER BV s’était rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses exercées à travers le service UBERPOP et l’avait condamnée à une amende de 150.000 euros, pour des faits commis entre le 5 février 2014 et le 25 mars 2014. La cour d’appel a mentionné que par ses communications commerciales, la société UBER BV, à travers UBERPOP, avait incité les consommateurs, conducteurs ou utilisateurs à participer à un service de transport à but lucratif par des particuliers, en donnant l’impression que ce service était licite alors qu’il ne l’était pas. La cour d’appel de Paris a dans ce cadre relevé que contrairement aux communications réalisées par le groupe AB autour du service UBERPOP, le contrat souscrit permettait aux particuliers de transporter des individus et de se faire rémunérer au titre d’un covoiturage onéreux. Elle en a déduit que le délit de pratique commerciale trompeuse était établi en raison de communications commerciales incitant donc ces particuliers à participer comme conducteurs à un service de transport à but lucratif, en leur fournissant de façon ambiguë des informations incomplètes sur les caractéristiques essentielles du service. La cour d’appel de Paris a ensuite déduit que l’omission ou la dissimulation constatée dans les messages publicitaires de la société UBER BV, à travers UBER BV, était ainsi constitutive des délits de pratiques commerciales trompeuses et donc que les infractions étaient caractérisées dans tous leurs éléments.
Puis, la chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé contre l’arrêt ci- dessus rappelé en a confirmé les termes et a considéré le 31 janvier 2017 que le service ainsi mis en place par UBER BV était soumis à la réglementation, nécessitant une autorisation administrative, imposée sous peine de sanction pénale, aux taxis ou aux VTC.
La Cour de cassation d’en déduire que le non-respect de cette réglementation conférait à l’activité d’UBER BV un caractère illégal et de relever que le choix de la destination par le client était présenté comme inhérent au service offert par UBERPOP, ce qui excluait la qualification de covoiturage.
La Cour de cassation a estimé que la cour d’appel avait, sans se contredire ni méconnaître le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, caractérisé en tous ses éléments constitutifs, matériels et moral, le délit de pratiques commerciales trompeuses par incitation des consommateurs, conducteurs ou utilisateurs, à participer à ce service par des communications commerciales donnant l’impression qu’il était licite alors qu’il ne l’était pas.
En conséquence, parce que le service proposé par UBER BV ne relevait ni de la catégorie de taxis, ni de celle de véhicule motorisé à deux ou trois roues, ni de celle de VTC et parce que le service proposé générait une activité qui était soumise à la législation sur les taxis ou à celle des véhicules de petite remise et donc à une autorisation administrative, l’activité qui en découlait était donc par nature illicite.
Il doit en être déduit que le maintien d’une activité illicite de service de transport, ainsi proposée par UBER BV au travers de UBERPOP, sur la période 2014/2015, sur un secteur par ailleurs très réglementé, présente nécessairement le caractère d’un acte de concurrence déloyale qui découle des décisions pénales déjà rendues et notamment de l’arrêt rendu le 31 janvier 2017 par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Il est donc vain, comme proposé par UBER BV, d’affirmer qu’il n’existe pas de fautes civiles.
En conséquence, la faute invoquée et reprochée à UBER BV, consistant en une activité anticoncurrentielle, est établie.
b) Les préjudices
Il convient de rappeler que le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte, ni profit pour elle.
En ce sens, le juge apprécie souverainement le montant du préjudice, dont il justifie l’existence par la seule évaluation qu’il en fait, sans être tenu d’en préciser les divers éléments (Cass. Com 24 12 mai 2017, n°15-21-179). Le juge doit estimer le préjudice aussi exactement que possible, sans pour autant accorder des dommages et intérêts forfaitaires.
Cependant, dès lors qu’il constate l’existence d’un dommage, le juge doit évaluer celui-ci (Cass. Com 3 juillet 2019, n°17-18-681).
L’évaluation du préjudice doit être effectuée, conformément au principe de réparation intégrale, en comparant la situation réelle, dans laquelle la concurrence déloyale s’est produite, avec celle qui aurait été constatée en l’absence de concurrence déloyale. Le préjudice matériel qui est sollicité doit donc être qualifié d’économique puisque lié en l’espèce à une activité de service.
Par ailleurs, la réparation doit être appréciée au regard de la seule ampleur du préjudice subi par la victime et nullement en fonction de la gravité des fautes imputées à l’auteur du dommage.
Il faut donc opérer une comparaison fiable entre la situation des chauffeurs de taxi sans la concurrence déloyale d’UBER BV avec la situation qui a été la leur avec la concurrence déloyale d’UBER BV.
Au soutien de leurs prétentions, les demandeurs exposent qu’en s’appropriant leur clientèle, UBER BV s’est octroyé un avantage concurrentiel, qu’ils reconnaissent comme difficilement quantifiable, sauf à engager des dépenses qu’ils jugent disproportionnées au regard des intérêts en jeu. Ils estiment que les conditions du marché ont été faussées par les pratiques déloyales d’UBER BV et qu’ils ont subi une perte de clientèle et un trouble commercial. Ils en déduisent que leur préjudice réside tant dans le gain manqué de capter de nouveaux clients, que dans la perte d’anciens clients et en conséquence dans la perte de chance de percevoir des revenus supplémentaires. Ils exposent la méthode de calcul qu’ils ont retenue laquelle procède de l’examen d’articles de presse. Ils commentent ainsi la recette annuelle moyenne ainsi révélée d’un conducteur UBER BV, soit 8.200 euros, ce à quoi s’ajoute le coût du service d’intermédiation, soit 20% prélevés par UBER BV pour rémunérer son service, soit 9.840 euros. Les demandeurs calculent ensuite l’avantage indu que s’est octroyé UBER BV en retenant que la presse a indiqué que 4.000 conducteurs ont dans ce contexte travaillé pour UBER BV et d’en déduire que l’avantage octroyé au détriment des concurrents est donc de 39.360.000 euros (9840 × 4000). Ils ajoutent que pour la seule population parisienne, qui représente 2.254.262 habitants, la société UBER BV a donc réalisé, par son service UBER BV un chiffre d’affaires de 21.828.620 euros. Compte tenu de l’indû que s’est octroyée la société UBER BV, les demandeurs sollicitent la restitution de cette somme à leur profit, s’estimant lésés par les agissements de la société défenderesse. A ce titre, ils complètent la présentation de leur demande indemnitaire en précisant qu’en 2015, la profession de chauffeur de taxi à Paris regroupait 17.924 chauffeurs et en déduisent que chaque chauffeur de taxi doit pouvoir être indemnisé de la somme de 1 217,18 euros (21 828 620 euros : 17 924 chauffeurs de taxi). Les demandeurs affirment que la clientèle, qui avait rejoint l’utilisation de la plateforme UBER BV n’est jamais retournée vers les chauffeurs de taxi et qu’elle s’est reportée sur les autres services déployés ensuite par UBER BV. Aussi, le préjudice qu’ils calculent couvre une période d’une année.
De son côté, UBER BV s’oppose à tout principe indemnitaire et réplique en versant aux débats une analyse statistique du bureau d’études, le « 6T », qui en 2015, a procédé à l’examen comparé de la composition de la clientèle qui s’adressait à UBER BV avec celle s’adressant à des artisans taxis. La société défenderesse souligne que dans ce cadre le profil de l’usager-utilisateur d’UBER BV a été déterminé comme appartenant à la catégorie des étudiants, des jeunes actifs de moins de 30 ans vivant seul ou en couple sans enfant et aux revenus modestes et dont plus d’un tiers de moins de 25 ans n’a pas le permis de conduire. UBER BV ajoute que le service ainsi proposé est, au regard de l’étude statistiques produite, moins onéreux qu’une course faite par un chauffeur de taxi et que 60% des courses UBER BV ont été facturées pour moins de 10 euros. A l’inverse UBER BV précise que seulement 7% des déplacements en taxis parisiens est facturé à moins de 10 euros. UBER BV en déduit que l’utilisateur moyen du service UBERPOP ne faisait pas appel aux services des taxis et des VTC et fait valoir que cette offre de service a créé un nouveau marché avec une nouvelle demande. UBER BV verse également en ce sens une seconde étude développée cette fois-ci par la société XERFI qui en 2021 a conclu que le chiffre d’affaires des taxis de l’année 2006 à 2020 (hors période de crise sanitaire) a été croissant suivant une courbe nette et continue.
Sur ce, il sera fait observer d’une part que l’étude élaborée à l’époque par le Bureau d’Etudes 6T a été notamment réalisée par un sondage en ligne à destination des usagers de l’application smartphone AB dans six agglomérations françaises et deux agglomérations suisses. L’analyse a certes couvert tant le profil des usagers, que les pratiques de ces derniers et la manière dont leur usage des services de transport avec chauffeur s’articule avec leur usage des autres modes de transports. Les résultats de l’enquête ont été analysés selon le type de service utilisé (avec chauffeur professionnel ou occasionnel) et l’agglomération de résidence des répondants.
D’autre part, il convient de relever que cette étude, qui vise à démontrer que le produit d’étude du covoiturage urbain développé par la société UBER BV n’attirerait pas la même clientèle que celle des taxis parisiens et qu’elle interviendrait sur un segment de clientèle nouveau, a été commandée par UBER BV elle-même.
Il importe ensuite peu d’examiner, comme le soutient UBER BV, s’il existe ou non un segment de clientèle qui permettrait de distinguer la clientèle UBER BV de celle des taxis parisiens dès lors que les chauffeurs de taxis demandeurs, ainsi que la UBER BV à travers UBERPOP, intervenaient sur le même marché du transport de personnes.
Certes, les effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s’approprier la clientèle ou à désorganiser l’entreprise du concurrent peuvent être démontrés, dès lors que ces pratiques induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, consistant en un manque à gagner et une perte subie, y compris sous l’angle d’une perte de chance. Il est constant ensuite que dans une telle hypothèse, le juge se doit d’examiner la réparation du préjudice en prenant en considération l’avantage indû que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés à ces actes (Cass. Com 12 février 2020, n°316-14).
Il doit être ensuite rappelé que le préjudice économique qui en découle ne peut s’analyser que comme perte de chance de pouvoir réaliser un chiffre d’affaires normal. Il est enfin constant que cette notion de « chiffre d’affaires normal » ne peut être précisé puisqu’en l’espèce le bénéfice des chauffeurs de taxi demandeurs a pu baisser du fait des seuls agissements reprochés et ainsi pénalement établis.
En l’espèce, il est indéniable que les taxis traditionnels et la société UBER BV, à travers l’application UBER BV, sont deux entités qui sont directement concurrentes sur un marché restreint. Il est établi que l’activité des chauffeurs de taxis est par définition voisine ou semblable à celle déployée par le service UBERPOP puisqu’il s’agit dans les deux cas d’opérer un transport de personnes et donc d’intervenir sur le marché dans le cadre d’une clientèle commune.
Dès lors, en œuvrant sur ce marché par des pratiques commerciales trompeuses, pour lesquelles elle a été pénalement et définitivement condamnée, UBER BV a, ainsi que cela a été jugé, incité les consommateurs, conducteurs et utilisateurs à participer à un service présenté comme licite alors qu’il ne l’était pas et partant s’est assuré un avantage concurrentiel au préjudice des demandeurs.
Cependant en procédant à l’évaluation du gain manqué par l’intermédiaire d’un raisonnement par prospectives, qui plus est fondé, non pas sur des pièces comptables, mais uniquement sur des communiqués de presse, les demandeurs ne permettent pas au tribunal d’évaluer comme il se doit la réparation du préjudice financier invoqué. Ils n’établissent pas comme ils l’affirment le caractère disproportionné des dépenses qu’ils auraient dû engager s’ils avaient produit les éléments pertinents de leur comptabilité individuelle.
Les chauffeurs de taxis demandeurs, qui se fondent sur une méthode de calcul approximative ne permettent pas au tribunal de procéder à l’évaluation du préjudice financier qu’ils invoquent. Ils seront donc déboutés de la demande individuelle qu’ils forment en réparation de leur préjudice matériel.
Quant au préjudice moral, les demandeurs estiment à juste titre que les agissements de la société UBER BV ont eu pour conséquence de fausser l’équilibre normal dans les relations concurrentielles et de rompre l’égalité entre les concurrents sur le marché tant de la maraude que celui de la réservation préalable. Ils ajoutent que de graves tensions sociales se sont développées sur ce sujet et estiment avoir subi une dégradation de leurs conditions de travail au cours des années 2014/2015 et dont les effets vont bien au-delà. En effet, ils mentionnent la diminution du nombre de courses résultant nécessairement de la baisse des commandes par captation et en déduisent un préjudice qui se déploie sur plusieurs années.
Sur ce, il doit être déduit des décisions pénales définitives rendues précédemment que les agissements d’UBER BV ont jeté le discrédit sur la profession réglementée de chauffeur de taxi et ont perturbé le marché du transport public de personnes. Ce comportement a nécessairement provoqué la désorganisation d’un marché par ailleurs fortement réglementé et qui concerne l’activité spécifique du transport de personnes à titre onéreux.
Il est certain que les différentes décisions de justices par les juridictions pénales, et dont la presse s’est fait l’écho, ont été rendues dans un contexte fortement médiatisé.
Il a en outre déjà été jugé que les agissements de la société UBER BV ont créé une confusion qui est en elle-même constitutive d’un trouble illicite et de laquelle se déduit un comportement anti-concurrentiel.
Ainsi, l’application UBER BV, déployée par UBER BV entre 2014 et 2015, a nécessairement porté atteinte à l’image et à la réputation des chauffeurs de taxi et a pu laisser croire que les prestations offertes par les taxis étaient plus onéreuses que celles proposées par UBER BV.
Par ailleurs, le service UBER BV est directement entré en concurrence avec les contraintes et exigences spécifiques au métier de taxi qu’il s’agisse de l’accès à la profession, de l’exercice de l’activité ou encore de la discipline régissant cette profession, comme rappelé en page 66 du 15 jugement rendu le 9 juin 2016 par le tribunal correctionnel de Paris.
En étant à l’origine d’un comportement déloyal sur le marché des transports de personnes, la société UBER BV a donc, au travers l’application déployée sur les années 2014/2015, par cette violation constituée des règles du marché, provoqué nécessairement un préjudice moral.
Quant au lien de causalité, il convient d’identifier le lien de cause à effet entre le comportement reproché et le dommage allégué. Le lien de causalité doit être direct ou par équivalence de conditions (examen de manière équivalente de l’ensemble des faits qui ont concouru à la production du dommage) ou encore par causalité dite adéquate (parmi les multiples causes du dommage, l’on ne retient que la seule cause prépondérante comme fait générateur de responsabilité).
Sur ce point, les demandeurs soutiennent à juste titre que les conséquences de ces pratiques sur l’économie occasionnent nécessairement un préjudice aux personnes physiques ou morales opérant sur le marché en cause, en ce qu’elles interviennent en amont, en aval ou au même stade de la chaîne de commercialisation par rapport aux auteurs des pratiques déloyales. Les demandeurs en déduisent que les actes de concurrence déloyale de la société UBER BV sont en l’espèce caractérisés, de sorte qu’ils ont nécessairement eu pour effet de perturber le marché du transport et ont, ipso facto, porté directement atteinte à leurs intérêts. UBER BV oppose en vain l’absence de démonstration d’un préjudice moral particulier et en déduit qu’un acte de concurrence déloyale n’entraine pas ipso facto la réalisation d’un dommage et la réparation du préjudice, fût-il moral, en découlant.
Sur ce, il est certain qu’une perte de clientèle peut tout aussi bien être imputable au comportement déloyal d’un concurrent qu’au jeu normal de la concurrence ou à la conjoncture économique.
Cependant et en matière de concurrence déloyale, la Cour de cassation a retenu l’existence de présomptions pour faciliter l’établissement du lien de causalité et notamment, comme déjà rappelé, le fait qu’un « préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale » (Com., 28 sept. 2010, pourvoi n°09-69.272 ; Com., 11 janv 2017, pourvoi n°15-18669) ce préjudice « fût-il seulement moral » (v. Cass. Com. 12 février 2020, n° 17-31614, indiquant que cela « répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer »).
Il doit en être déduit que la démonstration du lien de causalité découle nécessairement de la présomption qui existe en matière d’acte de concurrence déloyale. Partant, les demandeurs n’ont donc pas à établir le lien de causalité au soutien de leurs demandes indemnitaires pour la réparation du préjudice moral qu’ils sollicitent.
Il y a donc lieu de condamner UBER BV à verser aux chauffeurs de taxis identifiés dans le dispositif de la présente décision la somme de 200 euros en réparation du préjudice moral subi en considération d’un préjudice réalisé sur une période d’une année (2014/2015), d’actes d’une intensité suffisamment réparée par l’allocation de cette somme et en l’absence de tout élément concernant la situation individuelle des chauffeurs de taxis.
V/ Sur la responsabilité de la société UBER BV à l’égard du syndicat professionnel
Il sera rappelé que la chambre commerciale de la Cour de cassation a consacré l’existence d’un préjudice moral pour les sociétés (Com., 15 mai 2012, pourvoi n°11-10278) et que celui-ci revêt deux aspects, l’un externe (affectant par exemple en raison d’un dénigrement, l’image ou la réputation de l’entreprise, ou comme en l’espèce du syndicat professionnel, son honneur quand elle est porteuse de valeurs notamment comme en l’espèce professionnelles) et qui fait son identité, et l’autre interne (se traduisant par une dégradation diffuse du moral au sein de l’entreprise ou du syndicat professionnel notamment par la perte de confiance en son devenir, par des départs accrus ou le désintérêt provoqué).
En l’espèce, le syndicat professionnel demandeur est recevable à agir sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour solliciter la réparation de ce préjudice spécifique.
Il a été jugé qu’est considéré comme un comportement fautif le fait de porter atteinte à la réputation commerciale, à la qualité des services et au sérieux de l’activité ainsi qu’à l’intérêt des clients pour les produits ou services.
Il est établi que les agissements dénoncés et jugés sur le plan pénal ont jeté le discrédit sur la profession réglementée de chauffeur de taxi, que le Syndicat des sociétés coopératives de taxis représente, et ont perturbé le marché du transport public de personnes défendu par le Syndicat.
Les statuts du Syndicat des sociétés coopératives de taxis rappellent que la mission et l’objet du syndicat consistent à assurer la défense ainsi que le développement des intérêts économiques, matériels et moraux de ses adhérents que sont les chauffeurs de taxis, porteurs de parts ou actionnaires, et titulaires d’un contrat de sociétaire coopérateur pour l’exploitation d’un véhicule équipé-taxi.
Il doit en être déduit que les actes de concurrence déloyale, établis par les décisions pénales produites, ont donc sur le plan civil, porté atteinte à l’intérêt collectif de la profession de chauffeur de taxi, représenté par le Syndicat des sociétés coopératives de taxis.
Ces manquements et violations de la réglementation constituent pour le syndicat professionnel, qui agit conformément à la loi ou à ses statuts, le préjudice dont il est fondé à demander la réparation.
Il y a donc lieu de condamner UBER BV à verser au Syndicat des sociétés coopératives de taxis la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice moral subi.
VI/ Sur les demandes accessoires
UBER BV partie perdante, sera condamnée aux dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile, sauf les dépens concernant Messieurs G qui resteront à la charge des demandeurs en raison du désistement intervenu à leur égard et par application des dispositions de l’article 399 du Code de procédure civile.
Concernant les demandes formées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu de rappeler que par son arrêt du 18 novembre 2020, la Cour de cassation a condamné la société UBER BV à payer au syndicat des sociétés coopératives de taxi de la région parisienne et 17 aux 910 chauffeurs la somme globale de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Par arrêt du 16 mai 2019, la Cour d’appel de Paris, statuant sur la demande alors faite à ce titre avait octroyé une somme de 3.000 euros au syndicat et celle de 10 euros pour chacun des chauffeurs. Il ne paraît donc pas inéquitable de condamner à nouveau à la société UBER BV à verser au syndicat la somme de 3.000 euros à ce titre et celle de 30 euros à chacun des chauffeurs demandeurs à la présente instance.
La date de délivrance des assignations initiales et l’ancienneté du litige justifient de faire droit à la demande formulée au titre de l’exécution provisoire et ce en application de l’article 515 du Code de procédure civile dans sa version applicable au présent litige.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal judiciaire de Paris, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe
Constate le désistement d’instance de Messieurs X,
Constate le décès de Messieurs X,
Constate l’interruption de l’instance introduite par AE C, AH AI R et Salem K du fait de leur décès et que leurs héritiers ne justifient pas de cette qualité,
Constate que J, X, Y et M L, ainsi que Z, A et B T se désistent de l’instance et de l’action engagée,
Donne acte aux demandeurs restants et au Syndicat de ce qu’ils se désistent de leur instance et de leurs actions dirigées contre Messieurs G et S,
Vu l’article 40 IV. 1) du décret 2019-912 du […], dit y avoir lieu à désistement tacite des demandeurs,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir des chauffeurs demandeurs,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la société UBER BV,
Déboute les demandeurs de leurs prétentions formées au titre de la réparation du préjudice matériel,
Condamne la société UBER BV à payer la somme de 200 euros chacun en réparation du préjudice moral à : 910 CHAUFFEURS DE TAXIS,
Condamne la société UBER BV à payer au Syndicat des Sociétés Coopératives de chauffeurs de Taxi de la Région Parisienne la somme de 5.000 euros chacun en réparation du préjudice moral,
Condamne la société UBER BV à payer la somme de 30 euros chacun au titre de l’article 700 du Code de procédure civile à : 915 CHAUFFEURS DE TAXIS, Condamne UBER BV à payer au syndicat des Sociétés Coopératives de chauffeurs de Taxi de la Région Parisienne la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamne UBER BV aux dépens,
Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement,
Et le jugement a été signé par le greffier et le juge aux jour, mois et an susdits.
Le Greffier Le Juge