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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 6
ARRÊT DU 8 SEPTEMBRE 2023
(n° /2023, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/18113 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGS35
Décision déférée à la Cour : ordonnance du 14 octobre 2022 – juge de la mise en état de Paris – RG n° 21/04839
APPELANTE
S.C.C.V. NB D’AUGUSTA agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Ayant pour avocat plaidant Me Lucie DU HAYS, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
M. [Y] [U]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Cyrille CHARBONNEAU, avocat au barreau de PARIS
MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS société d’assurance mutuelle à cotisations variables, entreprise régie par le code des assurances, n° SIRET 784 647 349 00074, agissant en la personne de son directeur général domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentée par Me Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653
Ayant pour avocat plaidant Me Férouze MEGHERBI, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 06 avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Valérie GUILLAUDIER, conseillère faisant fonction de présidente
Mme Valérie GEORGET, conseillère
Mme Alexandra PELIER-TETREAU, vice-présidente placée faisant fonction de conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Valérie GEORGET, conseillère, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Manon CARON
ARRÊT :
– contradictoire.
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, délibéré initialement prévu le 7 juillet 2023 et prorogé au 8 septembre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Valérie GUILLAUDIER, conseillère faisant fonction de présidente, et par Alexandre DARJ, greffier, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Selon devis accepté du 23 février 2012, la SCCV NB d’Augusta a confié à la société EGA des travaux de transformation d’un bâtiment industriel en immeuble d’habitation comprenant trente-quatre logements sis [Adresse 3] pour un prix de 7 498 920 euros TTC.
A cette date, M. [K] [M] détenait 30 % des parts sociales de la SCCV NB Augusta, M. [L] 20 %, le surplus étant réparti entre les membres de la famille de M. [M]. Mme [B] [M] était gérante.
M. [L] était gérant de la société EGA.
Par un premier contrat établi le 6 septembre 2011, la SCCV NB Augusta a confié à M. [U], architecte, une mission de maîtrise d’oeuvre portant sur les points suivants :
– demande de permis de construire,
– surveillance des travaux,
– ordonnancement, pilotage et coordination.
M. [U] est assuré par la Mutuelle des architectes français (la MAF).
La société EGA a établi, entre le 29 mars 2012 et le 21 décembre 2012, treize factures pour un montant total de 2 162 263, 90 euros TTC (1 807 912, 90 euros HT).
Sur douze de ces factures, M. [U] a apposé sa signature et la mention ‘bon pour accord de paiement’.
La société EGA a interrompu son intervention sur le chantier au début de l’année 2013.
Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à son égard par jugement du 11 mars 2013 convertie en liquidation judiciaire par jugement du 6 mai 2013.
Par arrêt du 26 avril 2018, la cour d’appel d’Amiens, sur saisine du liquidateur judiciaire de la société EGA agissant en responsabilité pour insuffisance d’actif contre M. [L] et M. [M], a condamné :
– M. [L] à payer au liquidateur de la société EGA la somme de deux millions d’euros au titre de l’insuffisance d’actif,
– M. [M] à payer au liquidateur de la société EGA la somme de 150 000 euros au titre de l’insuffisance d’actif.
Par ailleurs, le 6 mai 2013, en réponse à la demande de la SCCV NB Augusta, le liquidateur judiciaire de la société EGA a indiqué qu’il n’entendait pas poursuivre l’exécution du marché de travaux.
Les travaux ont été confiés à une autre société sous la maîtrise d’oeuvre de M. [U].
Par actes du 4 mai 2018, la SCCV NB Augusta a assigné M. [U] et la MAF devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile en désignation d’un expert judiciaire afin qu’il se prononce sur l’état d’avancement exact des travaux réalisés par la société EGA au jour de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
Par ordonnance du 6 juillet 2018, M. [N] a été désigné en qualité d’expert judiciaire.
Par ordonnance du 10 juillet 2019, les opérations d’expertise ont été rendues communes à M. [L].
L’expert a déposé son rapport le 7 décembre 2020.
Par actes du 31 mars 2021, la SCCV NB Augusta a assigné M. [U] et la MAF en indemnisation des préjudices allégués devant le tribunal judiciaire de Paris.
Par ordonnance du 14 octobre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire a déclaré irrecevable comme prescrite l’action engagée par la SCCV NB Augusta à l’encontre de M. [U] et de la MAF, laissé à la charge des parties leurs frais irrépétibles et condamné la SCCV NB Augusta aux dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile.
Le 21 octobre 2022, la SCCV NB Augusta a interjeté appel de cette ordonnance, intimant M. [U] et la MAF devant la cour d’appel de Paris.
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2023, la SCCV NB Augusta demande à la cour de :
Infirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 14 octobre 2022 en ce qu’il a déclaré irrecevable comme prescrite l’action de la SCCV NB Augusta à l’encontre de M. [U] et de la Mutuelle des architectes français ;
En conséquence, et à titre principal :
Fixer le point de départ du délai de prescription quinquennale au 23 mai 2013, date à laquelle ce dernier a établi l’attestation concernant le montant des travaux exécutés par la société EGA,
Dire et juger recevable l’action en responsabilité engagée par l’assignation du 31 mars 2021 qui n’était pas prescrite et que la SCCV NB Augusta était bien recevable à agir contre M. [U] et la compagnie MAF,
Débouter M. [U] et la MAF de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire :
Constater que le délai de prescription quinquennale a été interrompu par l’attestation du 23 mai 2013, valant reconnaissance de responsabilité,
Dire et juger recevable l’action en responsabilité engagée par l’assignation du 31 mars 2021 qui n’était pas prescrite et que SCCV NB Augusta était bien recevable à agir contre M. [U] et la compagnie MAF,
En tout état de cause :
Condamner solidairement M. [U] et la compagnie MAF à régler la somme de 5 000 euros entre les mains de la SCCV NB Augusta au titre des frais engagés par cette dernière pour assurer la défense de ses intérêts et ce, conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner solidairement M. [U] et la compagnie MAF aux entiers dépens.
Par conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 22 mars 2023, M. [U] demande à la cour de :
A titre principal,
– juger que le délai de prescription quinquennale a commencé à courir à la date de réalisation du dommage, soit le jour de l’établissement de la dernière facture litigieuse datée du 21 décembre 2012,
– constater que la SCCV NB Augusta n’a introduit aucune action en responsabilité à l’encontre de M.[U] dans le délai de 5 ans suivant l’établissement par la société EGA des 13 factures établies du 29 mars 2012 au 31 décembre 2012,
– constater que la SCCV NB Augusta n’a pas interrompu le délai de prescription quinquennale avant le 22 décembre 2017,
– juger que le point de départ de la prescription ne saurait être retardé au 23 mai 2013, date à laquelle M.[U] a établi une attestation,
En conséquence,
– confirmer l’ordonnance du 14 octobre 2022 en ce qu’elle a déclaré irrecevable comme prescrite l’action en responsabilité engagée par la SCCV NB Augusta à l’encontre de M. [U] et de la MAF,
– déclarer par voie de conséquence la SCCV NB Augusta irrecevable à agir à l’encontre de M. [U] et de la MAF en raison du caractère prescrit de son action en responsabilité,
A titre subsidiaire,
– juger que la SCCV NB Augusta avait connaissance de la réalisation du dommage au plus tard le 11 mars 2013, date du placement en redressement judiciaire de la société EGA, de sorte que le point de départ du délai de prescription quinquennale n’a pu être retardé au-delà de cette date,
– juger que l’attestation établie par M. [U] le 23 mai 2013 ne constitue pas une reconnaissance par lui d’une dette de responsabilité envers la SCCV NB d’Augusta pour avoir prétendument manqué de signaler la surfacturation par EGA des factures émises entre le mois de mars 2012 et le mois de décembre 2012,
En conséquence,
– constater que la SCCV NB Augusta n’a pas interrompu le délai de prescription quinquennale avant le 12 mars 2018,
– juger que la SCCV NB Augusta ne peut se prévaloir d’aucune reconnaissance de dette ayant un effet interruptif de prescription avant l’écoulement du délai de prescription quinquennale,
– confirmer l’ordonnance attaquée du 14 octobre 2022 en ce qu’elle a déclaré irrecevable comme étant prescrite l’action en responsabilité engagée par la SCCV NB Augusta à l’encontre de M. [U] et de la MAF,
En tout état de cause,
– rejeter toutes demandes de condamnation formulées par la SCCV NB Augusta à l’encontre de M. [U] et de la MAF,
– juger que la SCCV NB Augusta est irrecevable à agir s’agissant de la facture n°12/07/0027 du 12 juillet 2012 d’un montant de 187 000 euros HT, n’ayant fait l’objet d’aucun « bon pour accord de paiement » de la part de M. [U],
– condamner la SCCV NB Augusta à verser à M. [U] la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en raison du caractère abusif de son action,
– condamner la SCCV NB Augusta à verser à M. [U] la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter la SCCV NB Augusta de sa demande de condamnation de M. [U] au versement d’un article 700 code de procédure civile,
– condamner la même aux dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Boccon-Gibod.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2023, la MAF demande à la cour de :
– dire la SCCV NB Augusta non fondée en son appel,
– juger que le délai de prescription a commencé à courir au plus tard le 21 décembre 2012,
– constater l’absence d’acte interruptif de prescription délivré tant à l’égard de M. [U] que de la MAF avant le 12 décembre 2017,
-juger que l’attestation du 23 mai 2013 ne vaut pas reconnaissance de responsabilité de M. [U],
-juger en tout état de cause que cette attestation n’est pas opposable à la MAF de sorte que dans l’hypothèse où la cour retiendrait que celle-ci vaut reconnaissance de responsabilité de M. [U], elle ne peut marquer le point de départ de prescription à l’égard de la MAF,
En conséquence,
– confirmer l’ordonnance du 14 octobre 2022 en ce qu’elle a déclaré l’action de la SCCV NB Augusta irrecevable comme prescrite à l’égard tant de M. [U] que de la MAF,
Dès lors,
– rejeter l’appel et les demandes de la SCCV NB Augusta,
A titre subsidiaire et dans l’hypothèse où la cour jugerait l’action non prescrite :
– déclarer la SCCV NB Augusta irrecevable en sa demande visant la facture du 12 juillet 2012 d’un montant de 187 000 euros HT,
-l’en débouter et en toute hypothèse,
-la condamner à payer à la MAF la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 9 février 2023.
MOTIVATION
I. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action engagée par la SCCV NB Augusta à l’encontre M. [U] et de la MAF
Le litige ne concerne pas des dommages affectant l’ouvrage en cause.
La SCCV NB Augusta recherche la responsabilité contractuelle de M. [U], architecte chargé de la maîtrise d’oeuvre, pour avoir validé des factures de la société EGA ne correspondant pas à la réalité de l’avancement du chantier. Elle affirme qu’elle a versé des sommes d’argent à la société EGA sans contrepartie. En outre, elle exerce une action directe contre la MAF, assureur de M. [U].
Pour accueillir la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par M. [U] et la MAF, le juge de la mise en état a jugé, en substance, que la SCCV NB Augusta avait connaissance de la surfacturation d’ampleur le 21 décembre 2012 (date de la dernière facture), que le délai de prescription quinquennale n’avait pas été interrompu par une reconnaissance de responsabilité de M. [U] et que l’action contre celui-ci et la MAF avait été engagée après l’expiration du délai de prescription.
Moyens des parties
La SCCV NB Augusta conclut à l’infirmation de l’ordonnance.
Elle soutient que, selon la jurisprudence, le point de départ du délai de prescription quinquennale visé par l’article 2224 du code civil est fixé à la date à laquelle celui qui engage l’action en responsabilité a connaissance de la faute, du dommage dans toute son ampleur et du lien de causalité.
Elle conteste avoir eu connaissance de son préjudice lors de l’établissement des factures. Elle souligne, d’une part, que la complexité du procédé mis en place par la société EGA a été admis par les experts judiciaires et la cour d’appel d’Amiens statuant sur l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, d’autre part, que M. [U] n’a jamais appelé son attention sur l’incohérence de la facturation.
S’agissant de M. [K] [M], elle expose que celui-ci est associé et non gérant et que ses actions doivent être distinguées de celles de la société.
Elle ajoute qu’elle n’est pas professionnelle de la construction, qu’excepté M. [L], les associés – notamment M. [M]- sont des agriculteurs. Elle soutient que seuls deux comptes rendus de chantier, ne détaillant pas l’état d’avancement de celui-ci, ont été établis par M. [U] sans qu’il soit démontré qu’ils ont été portés à la connaissance du maître de l’ouvrage.
Selon elle, la qualité d’associé de M. [L] ne démontre pas qu’elle avait connaissance de la surfacturation au moment de l’émission des factures litigieuses et aucun élément ne lui permettait de soupçonner que les factures validées par M. [U] ne correspondaient pas aux prestations effectivement réalisées.
La SCCV NB Augusta affirme qu’elle a pris conscience de la surfacturation et de sa connaissance par M. [U] lorsque le 23 mai 2013 celui-ci a, à sa demande, rédigé une attestation selon laquelle les travaux réalisés par la société EGA étaient évalués à la somme de 505 000 euros HT soit 603 980 euros.
Elle en déduit que les assignations en référé du 4 mai 2018 et du 31 mars 2021 devant le juge du fond ont interrompu le délai de prescription de cinq ans.
A titre subsidiaire, elle expose que le délai de prescription a, conformément à l’article 2240 du code civil, été interrompu par la reconnaissance de responsabilité de M. [U] dans son attestation du 23 mai 2013.
M. [U] conclut à la confirmation de l’ordonnance.
Il fait valoir que le dommage s’est réalisé le 21 décembre 2012 de sorte que l’action en responsabilité de la SCCV NB Augusta est prescrite depuis le 21 décembre 2017.
Il considère que la différence entre l’avancement des travaux et le montant de la facturation était manifeste à la simple lecture des factures émises par la société EGA, ce que l’expert M. [N] a constaté. Il souligne que M. [M] a indiqué à l’expert qu’il effectuait des visites hebdomadaires du chantier et que l’état d’avancement des travaux avait été constaté par huissier de justice le 19 mars 2013.
Il précise que la SCCV NB Augusta, dirigée de fait par M. [K] [M], et la société EGA entretenaient des liens étroits ainsi qu’établi par le rapport de l’expert judiciaire désigné par le commissaire au redressement judiciaire de la société EGA.
Selon lui, le point de départ du délai de prescription peut être reporté au plus tard au mois de mars 2013 au cours duquel, d’une part, a été établi un procès-verbal d’huissier détaillant l’état d’avancement du chantier, d’autre part, la SCCV NB Augusta a été avisée de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société EGA.
Enfin, M. [U] fait valoir que l’attestation du 23 mai 2013 ne vaut pas reconnaissance claire et non équivoque de responsabilité.
La MAF développe des moyens similaires à ceux de son assuré.
Réponse de la cour
Selon l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Enfin, l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable est soumise à la prescription applicable à l’action de la victime contre le responsable.
En l’espèce, la SCCV NB Augusta a confié à la société EGA des travaux de transformation d’une friche industrielle en un bâtiment à usage d’habitation composé de trente-quatre appartements.
Le prix hors taxes de ces travaux était fixé, selon devis du 23 février 2012, à 6 270 000 euros HT dont 384 351, 00 euros HT au titre de la démolition et du nettoyage ainsi décrits : démolition de tous les murs, chambre froide, chaufferies, réseaux aciers et cuivre, réseaux de ventilation, tout le bâtiment central couverture et charpente métallique, dépose de tous les réseaux électriques, enlèvement de 170 m3 de galets en toiture, démolition des fenêtres (hors rez-de-chaussée) et enlèvement de tous les gravois existants.
Les travaux de démolition ont démarré le 21 mars 2012.
L’expert judiciaire, M. [N], a indiqué qu’en 2013, après le départ de la société EGA du chantier, seuls des travaux de préparation du chantier, démolition et dépose des ouvrages existants avaient été effectués. Les parties ne discutent pas l’avis de l’expert selon lequel les montants facturés par la société EGA sont deux fois plus élevés que le coût des travaux réellement réalisés par celle-ci. Selon l’expert, la surfacturation est, au minimum, de 900 000 euros.
Il convient donc de déterminer la date à laquelle la SCCV NB Augusta a connu ou aurait dû connaître le préjudice causé par la distorsion entre, d’une part, les sommes qu’elle a payées au regard des factures de la société EGA validées par M. [U], d’autre part, la valeur des travaux réellement exécutés par la société EGA.
Bien que chargé, pour la période considérée, d’une mission limitée à la demande de permis de construire, la surveillance des travaux et l’ordonnancement, le pilotage et la coordination, M. [U], architecte, a apposé son tampon, sa signature et la mention ‘ bon pour accord ‘sur douze des factures émises par la société EGA entre le 29 mars 2012 et le 21 décembre 2012, pour un montant total de 1 807 912, 90 euros HT.
L’expert, M. [N], a indiqué que M. [U] avait apposé sa signature sur les factures afin de permettre le déblocage des paiements par la Caisse d’épargne, M. [U] ayant en effet indiqué au cours des opérations d’expertise qu’il avait procédé ainsi à la demande du maître de l’ouvrage.
La convention d’ouverture du crédit consenti par la Caisse d’épargne et de prévoyance de Picardie à la SCCV NB Augusta prévoyait en effet que : ‘toute demande de paiement et d’utilisation du crédit devront être adressées à la banque par écrit (…) et être accompagnées de tous documents de nature à justifier la destination des fonds. Elles devront indiquer impérativement le numéro de compte ouvert dans les livres de la banque, être signées du client ou de l’un de ses représentants ou mandataires. Lorsque la pièce justificative consiste en une situation de travaux, celle-ci devra être visée et approuvée par l’architecte de l’opération.’
L’examen de ces factures révèle, par ailleurs, que :
– la première facture du 29 mars 2012, établie huit jours après le démarrage des travaux de démolition, vise des travaux de préparation du chantier, de démolition et d’installation de l’échafaudage pour un montant de 126 000 euros HT,
– la deuxième facture du 12 avril 2012 concerne, de nouveau, pour l’essentiel des travaux de démolition pour un montant de 148 950 euros HT,
– la troisième facture du 18 avril 2012 vise des travaux de démolition pour 79 850 euros HT,
– la quatrième facture du 25 avril 2012 mentionne, au titre de la démolition, une somme de 30 000 euros HT.
Il s’en déduit que, dès le 25 avril 2012, le coût du poste ‘démolition’ tel que prévu par le devis établi par la société EGA était atteint, puisque la facturation de la démolition s’élevait au total à 384 800 euros.
Pourtant, les factures suivantes prévoient encore des travaux de démolition, de dépose des existants et d’évacuation des gravois pour une somme supérieure à 500 000 euros HT.
En outre, il résulte du rapport d’expertise que les prestations suivantes, qui ont été facturées, n’ont pas été exécutées :
– percements,
– reprise de la couverture centrale,
– tronçonnage d’ouverture sur terrasse,
– mise en place d’étanchéité,
– démolition d’une rampe béton à la grue (pas de grue pour ce poste lors du chantier).
La SCCV NB Augusta, qui a engagé un chantier d’ampleur dans un but lucratif, ne peut sérieusement prétendre avoir ignoré l’état réel d’avancement de celui-ci pendant toute l’année 2012.
La cour relève à ce propos que M. [L] a déclaré pendant les opérations d’expertise que M. [K] [M] passait hebdomadairement sur le site avec lui et l’architecte M. [U]. Si la SCCV NB Augusta conteste cette affirmation devant la cour, il ne résulte pas du rapport d’expertise que ce point ait été discuté devant l’expert.
Or, M. [K] [M], détenant la majorité du capital de la SCCV NB Augusta, en était le gérant de fait ainsi que souligné par l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 26 avril 2018 statuant sur l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif de la société EGA. Cette constatation n’est pas utilement remise en cause par les pièces versées aux débats.
En outre, la SCCV NB Augusta et la société EGA entretenaient des liens étroits.
La cour d’appel d’Amiens, dans son arrêt précité du 26 avril 2018, a jugé que M. [K] [M] avait été gérant de fait de la société EGA au cours des mois de février et mars 2013, avant l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de cette société.
M. [L], gérant de la société EGA, était associé de la SCCV NB Augusta.
Contrairement à ce que soutient la SCCV NB Augusta, cette proximité avec la société EGA favorisait la transmission des informations concernant l’avancement réel des travaux.
L’expert judiciaire, M. [N], a confirmé l’importance de la surfacturation qu’il a évaluée à environ 900 000 euros. Il était évident, même pour un maître de l’ouvrage ne disposant pas de connaissances notoires en matière de construction que, dès l’automne 2012, les prestations facturées, validées par M. [U], étaient sans rapport avec les travaux effectivement réalisés.
De plus, la SCCV NB Augusta connaissait les difficultés de la société EGA dès le mois de janvier 2013, date à laquelle celle-ci a quitté le chantier, étant observé, d’une part, qu’une procédure de redressement judiciaire était ouverte concernant la société EGA le 11 mars 2013, d’autre part, que dès le mois d’octobre 2012, la SCCV NB Augusta avait été informée par le Crédit du Nord que la société EGA lui avait cédé sa créance à son égard.
Surtout, le 19 mars 2013, la SCCV NB Augusta a mandaté un huissier de justice à l’effet d’établir un état descriptif de l’immeuble en travaux. Les quarante-et-une photographies annexées au procès-verbal de constat démontrent, à l’évidence, que seuls des travaux de démolition avaient été effectués, qu’ils n’étaient pas terminés pas plus que ceux concernant l’enlèvement des gravois. Là-encore, en prenant connaissance de ce document, la SCCV NB Augusta, même non professionnelle de la construction immobilière, ayant entrepris une opération immobilière d’ampleur, était manifestement en mesure de comprendre que les factures litigieuses validées par M. [U] jusqu’en décembre 2012 pour plus de deux millions d’euros TTC étaient sans lien avec l’état réel d’avancement du chantier.
Il se déduit de l’ensemble des motifs précédents que la SCCV NB Augusta avait connaissance des faits lui permettant d’agir contre les intimés depuis le 19 mars 2013, soit avant que M. [U] n’établisse une attestation – le 23 mai 2013 – à la demande du maître de l’ouvrage indiquant que ‘le montant approximatif des travaux réalisés peut être basé aux alentours de 500 000 euros HT, ce qui correspond à 75 % des démolitions et la réalisation des listels pour la pose des menuiseries sur les façades existantes’.
La SCCV NB Augusta devait donc engager son action en responsabilité contre M. [U] et son action directe contre la MAF avant le 19 mars 2018.
La SCCV NB Augusta échoue à démontrer que le délai de prescription de cinq ans a été interrompu par une reconnaissance de responsabilité de M. [U] au sens de l’article 2240 du code civil dans son attestation susvisée du 23 mai 2013. Dans ce document, M. [U] évalue le coût des travaux effectivement effectués par la société EGA avant son départ. Certes l’évaluation n’est pas conforme aux factures validées par M. [U] mais celui-ci ne reconnaît pas de façon claire et non équivoque avoir engagé sa responsabilité à l’égard de SCCV NB Augusta.
En conclusion, ayant agi contre M. [U] et la MAF pour la première fois le 4 mai 2018, soit après l’expiration du délai de prescription, la SCCV NB Augusta est irrecevable en son action.
L’ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée.
La demande de M. [U] tendant à voir juger que la SCCV NB Augusta est irrecevable à agir s’agissant de la facture n°12/07/0027 du 12 juillet 2012 d’un montant de 187 000 euros HT est, dès lors, sans objet.
II. Sur la demande de dommages et intérêts formée par M. [U]
M. [U] n’établit pas en quoi l’action engagée par la SCCV NB Augusta présenterait un caractère abusif.
Sa demande de dommages et intérêts à ce titre sera rejetée.
III. Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
L’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a condamné la SCCV NB Augusta aux dépens et rejeté les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
Eu égard à l’issue du litige, la SCCV NB Augusta sera condamnée aux dépens d’appel.
Les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit que la demande de M. [U] tendant à voir juger que la SCCV NB Augusta est irrecevable à agir s’agissant de la facture n°12/07/0027 du 12 juillet 2012 d’un montant de 187 000 euros HT est sans objet,
Rejette la demande de dommages et intérêts de M. [U],
Condamne la SCCV NB Augusta aux dépens d’appel avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Boccon-Gibod,
Rejette toutes les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, La conseillère faisant fonction de présidente,