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FV/IC
Maître HERVE DECHRISTE
C/
S.A. SOCIETE GENERALE
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE DIJON
2ème chambre civile
ARRÊT DU 07 JUILLET 2022
N° RG 21/00731 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FWSM
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : au fond du 19 avril 2021,
rendue par le tribunal de commerce de Chaumont – RG : 2014003587
APPELANTE :
Maître HERVE DECHRISTE en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL MODUS VIVENDI, domicilié :
[Adresse 7]
[Adresse 8]
[Localité 2]
représentée par Me Miléna DJAMBAZOVA, membre de la SCP MERIENNE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 83
INTIMÉE :
S.A. SOCIETE GENERALE dont le siège social est sis :
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Chantal BOURRON, membre de la SCP WILHELEM – BOURRON-WILHELEM, avocat au barreau de HAUTE-MARNE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 05 mai 2022 en audience publique devant la cour composée de :
Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, Président, ayant fait le rapport,
Michel WACHTER, Conseiller,
Sophie DUMURGIER, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 07 Juillet 2022,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La Sarl Modus Vivendi est créée le 28 décembre 2009, avec pour activité principale les travaux de menuiserie et d’installation de chauffage.
Elle débute son activité fin mars 2010 avec l’ouverture d’une agence à [Localité 5], puis, en octobre 2010, elle ouvre deux autres agences, à [Localité 6] et [Localité 4], portant ses effectifs à une trentaine d’employés.
Elle dispose d’un compte bancaire auprès de la Société Générale.
Dans le cadre de son activité, la société Modus Vivendi obtient les agréments de trois organismes de financement, les sociétés Sofinco (le 13 janvier 2010), Financo SA (le 8 février 2010) et Sofemo (le 6 janvier 2011), ce qui lui permet de proposer des crédits à ses clients potentiels.
Le 21 janvier 2011, la Société Générale est destinataire d’une décision de ‘saisie pénale’ émanant du Parquet du tribunal de grande instance de Chaumont visant les sommes inscrites au crédit du compte de la société Modus Vivendi. Cette saisie est décidée au titre des mesures conservatoires dans le cadre d’une enquête pénale ouverte notamment à l’encontre de plusieurs commerciaux et de la société Modus Vivendi elle même.
Jusqu’à cette saisie pénale, le compte bancaire n’avait jamais connu d’incident de paiement.
Le jour même de la saisie pénale, la Société Générale inscrit la société Modus Vivendi au fichier central des retraits de cartes bancaires ‘ CB’.
Malgré les sollicitations de la Sarl Modus Vivendi auprès de la Société Générale afin que celle-ci demande à la Banque de France d’annuler l’inscription injustifiée au Fichier central des retraits de cartes bancaires, la banque n’y donne pas suite.
Saisi par la société Modus Vivendi, le président du tribunal de commerce de Chaumont, par ordonnance de référé du 28 juin 2012, ordonne à la Société Générale d’annuler l’inscription de la société Modus Vivendi au fichier sous un délai maximal d’un mois.
La société Modus Vivendi est placée en liquidation judiciaire par jugement du12 novembre 2012.
Par acte d’huissier du 20 novembre 2014, Maître Dechriste, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Modus Vivendi saisit le tribunal de commerce de Chaumont aux fins de voir la Société Générale déclarée responsable du préjudice subi par la Sarl.
Par jugement du 5 septembre 2016, le tribunal de commerce ordonne un sursis à statuer dans l’attente de la décision définitive relative à la procédure pénale engagée à l’encontre de la société Modus Vivendi.
Par arrêt du 15 juin 2017, la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Dijon condamne six commerciaux de Modus Vivendi pour pratiques commerciales trompeuses, et plus particulièrement pour avoir omis d’ informer les clients de la possibilité qui leur était offerte de se rétracter dans un délai de 14 jours suivant la commande, 31 parties civiles étant visées par la procédure. La société Modus Vivendi est elle aussi déclarée coupable pour les mêmes pratiques que celles de ses salariés.
Monsieur [T], gérant de fait de la société, est lui aussi condamné pour violation de la loi Scrivener pour pratiques commerciales trompeuses à l’encontre de six personnes entre le 1ère août 2008 et le 7 juillet 2011, une partie des faits qui lui étaient reprochés concernant la société Huis Clos et les autres la société Modus Vivendi.
Par ordonnance du 19 février 2018, le juge en charge de l’instruction de l’affaire au tribunal de commerce ordonne la radiation du dossier du rôle pour défaut de diligences du demandeur.
Me Dechriste mandate un nouveau conseil et demande la réinscription de l’affaire au rôle du tribunal.
Par conclusions du 25 février 2019, la Société Générale saisit le juge chargé de l’instruction aux fins d’invitation du procureur de la République à lui communiquer le dossier de l’instruction pénale et d’invitation du greffier du tribunal de commerce à mettre à la disposition des parties le rapport de Me Dechriste ès qualités de liquidateur de la société Modus Vivendi.
Par jugement du 14 octobre 2019 rectifié par jugement du 18 novembre 2019, le tribunal constate que Me Dechriste a versé aux débats son rapport déposé à l’ouverture de la liquidation de Modus Vivendi ainsi que l’arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Dijon du 15 juin 2017, et rejette la demande de la Société Générale concernant le dossier d’instruction. Il renvoie les parties devant le juge chargé de l’instruction de l’affaire afin qu’elles se mettent en état sur le fond du dossier.
Le 20 mai 2020, la Société Générale réitère auprès du Parquet de Chaumont sa demande de communication du dossier d’instruction, et le 27 juillet 2020, le procureur de la République autorise la délivrance d’une copie et sa communication dans la procédure en cours devant le tribunal de commerce.
L’affaire est retenue lors de l’audience du 2 novembre 2020 et le délibéré est fixé au 21 décembre 2020 puis prorogé au 11 janvier 2021. Pendant la période de délibéré, un changement intervient dans la composition de la chambre ayant eu à connaître de cette affaire. Une ordonnance de réouverture des débats est rendue le 6 janvier 2021 et les débats ont été repris à l’audience du 08 février 2021.
Maître Dechriste, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Modus Vivendi, demande au tribunal de :
– Dire et juger que la Société Générale a commis une faute au préjudice de la société Modus Vivendi en procédant à l’inscription de cette dernière au fichíer central des retraits de cartes bancaires,
En conséquence,
A titre principal,
– Condamner la Société Générale à payer à Me Hervé Dechriste ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Modus Vivendi les sommes suivantes :
– 131 034,58 euros au titre de son préjudice financier pour l’exercice 2011,
– 138 928,25 euros au titre de son préjudice financier pour l’exercice 2012,
– 200 000 euros au titre de son préjudice financier découlant de l’ouverture de la liquidation judiciaire,
– 50 000 euros au titre de son préjudice commercial pour atteinte à son image,
A titre subsidiaire.
– Dire et juger que la faute de la Société Générale a généré une perte de chance au préjudice de la société Modus Vivendi de réaliser ses bénéfices et d’éviter l’ouverture d’une liquidation judiciaire et Condamner la Société Générale à réparer les préjudices ci- dessus à hauteur de 80%
– Condamner la Société Générale à payer à Me Hervé Dechriste ès qualités de liquidateur de la société Modus Vivendi la somme de 1 euro au titre du préjudice moral,
En tout état de cause,
– Condamner la Société Générale à payer à Me Hervé Dechriste ès qualités de liquidateur de la société Modus Vivendi la somme de 4.000 euro au titre des dispositions de l’art. 700 du code de procédure civile
– Condamner la même aux entiers dépens.
Maître Dechriste expose, concernant la faute reprochée à la Société Générale, qu’il n’est ni contesté ni contestable qu’antérieurement à la décision de saisie pénale du 21 janvier 2011, la société Modus Vivendi n’avait jamais connu le moindre incident de paiement ; que c’est la raison pour laquelle il est parfaitement incompréhensible que, dès le 21 janvier 2011, la banque ait procédé à l’inscription litigieuse au Fichier central des retraits de cartes bancaires (ci après le FCC) géré par la Banque de France alors que la décision de saisie pénale ne comportait aucune instruction en ce sens.
Il ajoute que les conditions dans lesquelles un établissement bancaire est autorisé à procéder au fichage de l’un de ses clients sont bien précises, un tel fichage étant juridiquement très encadré, et que la Société Générale n’est pas sans savoir qu’une inscription au FCC ne peut être effectuée que dans le cadre de la convention sur le principe et les modalités de gestion du fichier central des retraits de cartes bancaires ; que cette convention précise que donnent lieu à une inscription au FCC les incidents suivants :
– les rejets de chèques impayés pour motif d’insuffisance ou d’absence de provision.
– les mesures d’interdiction judiciaire prononcées par les juridictions pénales.
– les décisions de retrait de cartes bancaires ‘CB’ prises à la suite d’incidents de fonctionnement du compte qui résultent directement de l’usage de la carte, et dont l’utilisation abusive se caractérise par une provision non disponible au jour de la présentation du paiement ;
que seuls ces trois cas, limitativement énumérés, peuvent donner lieu à l’inscription au FCC, et que la société Modus Vivendi ne se trouvait dans aucune des trois hypothèses.
Me Dechriste ajoute que la Société Générale tente maladroitement de justifier l’inscription litigieuse par la survenance d’un paiement présenté après la saisie pénale, en l’espèce un impayé d’un montant de 85,15 euros, alors que la décision d’inscription au FCC ayant été notifiée le jour même de la saisie pénale, cela exclut qu’elle puisse être motivée par un impayé postérieur à cette saisie ; qu’au surplus l’usage abusif de la carte n’est pas démontré et que, dans tous les cas, la Société Générale aurait dû déclencher une procédure d’information préalable pour permettre au titulaire du compte de régulariser sa situation avant toute inscription au fichier.
En réponse à l’argument soulevé par la Société Générale selon lequel le blocage intégral du compte bancaire répondrait au cas de l’opposition du compte, c’est à dire le cas n°34 dans la nomenclature des incidents, et qu’ainsi l’inscription au fichier serait la conséquence nécessaire de l’indisponibilité de l’intégralité du solde du compte litigieux, Maître Dechriste réplique que la banque ne produit aucune pièce à l’appui de cette affirmation qui est foncièrement inexacte puisque, contrairement à ce qu’elle prétend, la Société Générale n’a été destinataire d’aucune décision de gel des fonds, instruments financiers et ressources économiques de la société Modus Vivendi ; que quand bien même elle l’aurait été, elle ne pouvait pas demander l’inscription de Modus Vivendi au FCC pour ce motif.
Il ajoute que la Société Générale semble se référer à une nomenclature interbancaire qui a été établie pour gérer les motifs de rejet/retour de certaines opérations bancaires ; que le motif de rejet n° 34 de cette liste renvoie, pour les opérations autres que les virements, à l’hypothèse d’un compte frappé d’opposition suite à une saisie attribution, à une saisie conservatoire ou à un avis à tiers détenteur ; que cela n’a strictement rien à voir avec les cas autorisant l’inscription d’une société au FCC.
Maître Dechriste relève que la Société Générale cite dans ses écritures les articles L. 561- 2 et L 562- 4 du code monétaire et financier alors que ces textes ne sont pas applicables à la cause comme cela a été rappelé par l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon du 25 avril 2012 ; qu’ainsi il n’y a eu aucun blocage intégral valable du compte bancaire dela société Modus Vivendi comme cela a été confirmé par deux décisions de justice.
Il rappelle que la décision du procureur indiquait que la saisie portait sur les sommes inscrites au crédit du compte SG de la société Modus Vivendi et ajoutait ‘ainsi que des sommes à venir’ alors qu’une saisie pénale ne peut porter que sur les sommes présentes sur le compte au moment de la saisie conformément à l’article 706- 154 du code de procédure pénale ; que contrairement à ce que prétend la Société Générale, la société Modus Vivendi a contesté cette décision, mais que son appel devant la chambre de l’instruction a été déclaré irrecevable car exercé avec un jour de retard ; que cependant, par arrêt du 25 avril 2012, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon a jugé que l’expression ‘ainsi que des sommes à venir’ était réputée non écrite ; qu’une mention qui est réputée non écrite est censée n’avoir jamais existé ; que le juge des référés du tribunal de commerce de Chaumont a ordonné à la Société Générale par ordonnance du 28 juin 2012 d’adresser une demande d’annulation de l’inscription faite par elle le 21 janvier 2011 au FCC dans un délai maximal d’un mois et l’a condamnée à une indemnité au titre de l’article 700 au profit de la société Modus Vivendi et que la Société Générale a immédiatement fait le nécessaire.
Il estime que la Société Générale, établissement bancaire rompu à la pratique des saisies et disposant de services bancaires spécialisés, aurait dû constater très rapidement le caractère irrégulier de la saisie pénale et agir avec prudence, mais que surtout, même si cette décision avait été régulière, elle ne permettait pas à la banque de procéder à l’inscription de la société Modus Vivendi au FCC, comme cela a été rappelé.
Sur le préjudice subi par la société Modus Vivendi imputable à la faute de la Société Générale, Maître Dechriste expose que dans le cadre de son activité, la société Modus Vivendi prospectait une clientèle de particuliers essentiellement par la voie du démarchage à domicile ; que la personne démarchée se trouve très souvent dans une situation où les travaux proposés font bien partie de ses projets mais à une échéance différée et non immédiate ; que c’est pour pallier cette difficulté que les instances bancaires ont eu l’idée de créer des produits financiers spécifiques destinés aux sociétés comme Modus Vivendi afin de leur permettre de proposer à leurs clients des solutions de financement adaptées aux situations de démarchage à domicile ; qu’en contrepartie, les établissements bancaires reversent aux sociétés une commission sur le chiffre d’affaires réalisé à l’aide des crédits ; que l’existence d’une solution de financement attractive est strictement indispensable au fonctionnement de sociétés telles que la société Modus Vivendi, et qu’en l’espèce les prestations vendues avec financement représentaient environ 80 % du chiffre d’affaires de cette société ; que grâce aux agréments obtenus, elle a réalisé 729 622,54 euros de chiffre d’affaires lié aux financements pour un chiffre d’affaires total client de 920 685,84 euros.
Me Dechriste ajoute que les sociétés qui bénéficient de ce type d’agrément sont considérées par la loi comme intermédiaires en opérations de banque et en service de paiement et donc soumises aux dispositions de l’article L.612 -10 du code monétaire et financier et notamment à la contribution forfaitaire pour frais de contrôle mentionnés à l’article L.612 – 20 II C 2 du même code ; que la Société Générale connaissait parfaitement l’importance que revêtait pour sa cliente sa cotation puisqu’elle avait accès à l’historique de toutes les opérations créditrices constituées principalement de virements émanant des établissements Financo et Sofinco ; que la société Modus Vivendi a réalisé un chiffre d’affaires de 733 134 euros pour l’année 2010 et un bénéfice de 104 196 euros, et a obtenu une cotation ‘X0″ de la Banque de France qui signifie que cette dernière n’avait recueilli aucune information défavorable la concernant.
Il expose que l’activité commerciale de la société a été ensuite fortement entravée après le 21 janvier 2011 puisque le chiffre d’affaires de l’année 2011 est tombé à 203 497 euros pour un résultat de 7 894 euros ; que la cotation de la société Modus Vivendi est passée de ‘X0″ à ‘X8″ à la suite du fichage injustifié par la Société Générale et de sa persistance à considérer que le compte était bloqué et à traiter comme des incidents les effets qui ont été présentés postérieurement à la saisie du 11 janvier 2011 ; que par ailleurs, toute inscription à un quelque fichier bancaire entraîne inévitablement la suspension ou la résiliation de la convention de crédit vendeur, et qu’ ainsi l’agrément Sofinco de la société Modus Vivendi a été résilié dès le 27 janvier 2011 et celui de Financo dès le 24 janvier 2011 ; que la société Modus Vivendi a, par conséquent, été privée d’environ 80 % de son chiffre d’affaires.
Maître Dechriste ajoute que la liquidation judiciaire n’est pas liée à la procédure pénale mais à la perte des partenariats avec Sofinco, Financo et Sofemo à la suite du fichage abusif ; que l’image de la société auprès de ses clients et du public n’a en aucun cas été impactée par l’instruction ou les décisions pénales, aucun article de presse n’étant paru à ce sujet ; qu’au surplus, seuls deux de ses commerciaux étaient placés sous contrôle judiciaire alors qu’elle comptait une trentaine d’employés, et que les bureaux de [Localité 4] et de [Localité 6] n’ont fait l’objet d’aucune poursuite ; que c’est à tort que Monsieur [C] [T] était sous le coup d’une interdiction de gérer ; que si la Société Générale n’avait pas procédé à son fichage abusif, la société Modus Vivendi avait toutes les chances de poursuivre son activité malgré la saisie pénale des sommes le 21 janvier 2011, la preuve en étant que Monsieur [T] a créé une nouvelle société le 6 juillet 2015, avec la même activité et le même modèle économique, et que cette société est parfaitement rentable.
Il estime que le préjudice au titre de l’exercice 2012 doit être fixé au minimum à la somme de 138.928,25 euro pour la perte de chiffre d’affaires ; que la société Modus Vivendi a subi en outre un préjudice financier distinct de la perte de chance de réaliser les bénéfices précités qui résulte directement de l’ouverture de la liquidation judiciaire et qui ne saurait être inférieur à la somme de 200.000 euros ; qu’enfin, la société Modus Vivendi a subi un préjudice moral lié à l’atteinte à son image auprès de ses partenaires financiers.
A titre subsidiaire, il demande au tribunal de constater la perte de chance d’éviter la liquidation judiciaire qui ne saurait être inférieure à 80 %, et de faire droit aux demandes indemnitaires dans cette proportion.
La Société Générale conclut au débouté de Maître Dechriste es qualité de l’intégralité de ses demandes, et en tout état de cause, demande la fixation d’une créance de dommages et intérêts au passif de la SARL Modus Vivendi de 1 500 euros pour procédure abusive et de 3 000 euros en application des dispositions de l’art. 700 du code de procédure civile.
Elle conteste avoir commis une faute en rappelant que, par décision du 21 janvier 2011, le procureur de la république de [Localité 5] a ordonné la saisie pénale da sommes inscrites au nom de la Sarl Modus Vivendi dans ses livres, que cette décision était susceptible d’appel dans un délai de 10 jours, l’appel devant être porté devant la chambre de l’instruction, et qu’aucune voie de recours n’a été exercée à l’époque par la Sarl Modus Vivend i; que la mesure prescrivait la saisie immédiate de la totalité des avoirs de la Sarl Modus Vivendi inscrits dans les comptes de la Société Générale, tant présents que futurs, et que le retrait de la saisie des avoirs futurs n’a été ordonné par la cour d’appel de Dijon que 15 mois plus tard, le 25 avril 2012.
Elle expose que cette situation a eu notamment pour effet de produire le rejet des paiements effectués par la Sarl Modus Vivendi avant la mesure et présentés à la banque après la saisie.
Elle ajoute que la mesure prévoyait également le gel des fonds, instruments financiers et ressources économiques. Elle invoque l’article L562- 4 du code monétaire et financier dont l’alinéa 2 dispose que ‘le gel des fonds (…) s’entend comme toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert ou utilisation de fonds, instruments financiers et ressources économiques qui aurait pour conséquence un changement de leur montant, de leur localisation, de leur propriété ou de leur nature, ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation par les personnes faisant l’objet de la mesure de gel.’
Elle soutient que deux circonstances l’ont conduite à procéder à l’inscription au fichier des incidents de fonctionnement des cartes bancaires ; que la première est un impayé survenu après la saisie pénale, d’un montant de 85,15 euros, à la suite de l’utilisation d’une carte bancaire le 13 décembre 2010 ; que la seconde est la survenance du blocage intégral du compte bancaire, répondant au cas de l’opposition du compte, c’est à dire le cas n° 34 dans la nomenclature des incidents ; qu’ainsi, l’inscription au fichier des cartes bancaires était une conséquence nécessaire de l’indisponibilité de l’intégralité du solde du compte litigieux.
Elle estime que c’est donc à tort que le juge des référés a ordonné le retrait de l’inscription auprès de la Banque de France, et relève que cette ordonnance n’a pas l’autorité de la chose jugée, peu important qu’elle n’en ait pas fait appel et qu’elle l’ait exécutée dès lors qu’elle était exécutoire de plein droit.
Elle soutient qu’entre la notification de l’ordonnance, le 21 janvier 2011 et la décision rectificative de la cour, dont elle a été informée le 29 mai 2012, elle s’est bornée à exécuter purement et simplement la décision de saisie pénale.
La Société Générale soutient ensuite qu’il n’existe pas de lien de causalité entre l’inscription et le dommage allégué par Modus Vivendi.
Elle expose qu’elle ne disposait d’aucune autorité pour procéder de son propre chef à la rectification d’une mesure ordonnée dans le cadre d’une enquête pénale ; qu’à titre infiniment subsidiaire, si par impossible une faute devait lui être reprochée, il est évident qu’il n’existe aucun lien de causalité entre l’inscription sur un fichier de retrait de carte bancaire et la liquidation judiciaire de la Société Modus Vivendi.
Elle relève que si la Sarl Modus Vivendi affirme avoir subi une perte de chiffre d ‘affaire d’environ 80 %, l’origine de cette perte de chiffre d’affaires et de la mauvaise image de marque de cette entreprise doivent être recherchées dans la mise au jour des pratiques
commerciales frauduleuses ; que Monsieur [C] [T] était sous le coup d’une interdiction de gérer, et que le 21 janvier 2011 plusieurs représentants de la société Modus Vivendi ont été placés soit en détention provisoire, soit sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre en Haute-Marne et d’exercer une activité commerciale ;
La banque conteste également le préjudice dont elle serait responsable et les éléments de comptabilité ainsi que les comptes de résultat produits par la demanderesse. Elle ajoute que la dégradation de la note de crédit n’est pas démontrée, et que le lien entre cette prétendue dégradation et l’inscription sur le fichier n’est qu’une affirmation ; qu’enfin, l’interruption du concours du établissements de crédit ne repose sur aucune preuve.
Par jugement du 19 avril 2021, le tribunal de commerce Chaumont :
– Déboute Maître Dechriste, ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl Modus Vivendi, de l’ensemble de ses demandes ;
– Ordonne la fixation d’une créance de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au passif de la société Modus Vivendi au profit de la Société Générale ;
– Condamne Maître Dechriste ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Modus Vivendi aux dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal retient :
– que le 21 janvier 2011, la Société Générale a inscrit la société Modus Vivendi au fichier central des retraits de cartes bancaires, considérant que cette inscription était la conséquence logique de la saisie pénale qui lui avait notifiée le même jour et que de surcroît la société Modus Vivendi avait déjà un impayé datant du 10 décembre 2010 suite à l’utilisation de sa carte bancaire ; que cet impayé, antérieur à la saisie pénale et non postérieur contrairement à ce qu’affirme la société Modus Vivendi, était suffisant pour inscrire la société Modus Vivendi au fichier des cartes bancaires ;
– qu’il n’est pas démontré que la Société Générale était tenue de déclencher une information préalable pour permettre au débiteur de régulariser sa situation avant son inscription au FCC, situation qui n’a au surplus été régularisée qu’en septembre 2011 soit neuf mois plus tard ;
– que la saisie pénale portait sur les sommes présentes sur le compte de la société Modus Vivendi le jour de la saisie et ‘sur les sommes à venir’, et que la société Modus Vivendi se trouvait de ce fait dans l’incapacité de fonctionner puisqu’elle ne pouvait plus payer ni ses salariés, ni sa fournisseurs. ni ses charges sociales ou sa TVA ;
– qu’il n’entrait pas dans les prérogatives de la Société Générale d’aller à l’encontre des termes de la saisie pénale qui s’imposaient à elle, même si cette saisie était entachée d’une erreur ;
– que s’il est établi que les sociétés de financement ont dénoncé les contrats d’agrément qui les liaient à Modus Vivendi quelques jours seulement après la saisie pénale des comptes de cette dernière, il n’est pas prouvé que cette résiliation ait été due au fichage de Modus Vivendi sur le registre de retrait des cartes bancaires, les courriers de résiliation des sociétés Sofinco et Financo ne faisant pas allusion à ce fichage , et celui de la société Sofemo n’étant pas produit aux débats.
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Maître Dechriste es qualité fait appel par déclaration reçue au greffe de la cour d’appel le 27 mai 2021.
Par conclusions n° 2 déposées le 26 janvier 2022, il demande à la cour d’appel de :
‘ Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
Vu l’article 706-154 du code de procédure pénale,
Vu la Convention sur le principe et les modalités du Fichier central des retraits de carte bancaire,
Vu les pièces versées aux débats,
Réformant intégralement le jugement entrepris,
– Dire et juger que la Société Générale a commis une faute au préjudice de la sté Modus Vivendi en procédant à l’inscription de cette dernière au Fichier central des retraits de cartes bancaires,
En conséquence,
A titre principal,
– Condamner la Société Générale à payer à Me Hervé Dechriste es qualité de liquidateur judiciaire de la sté Modus Vivendi les sommes suivantes :
– 131.034,58 euros au titre de son préjudice financier pour l’exercice 2011,
– 138.928,25 euros au titre de son préjudice financier pour l’exercice 2012,
– 200.000 euros au titre de son préjudice financier découlant de l’ouverture de la liquidation judiciaire,
– 50.000 euros au titre de son préjudice commercial pour atteinte à son image,
A titre subsidiaire,
– Dire et juger que la faute de la Société Générale a généré une perte de chance au préjudice de la sté Modus Vivendi de réaliser ses bénéfices et d’éviter l’ouverture d’une liquidation judiciaire et condamner la Société Générale à réparer les préjudices ci- dessus à hauteur de 80 %,
– Condamner la Société Générale à payer à Me Hervé Dechriste es qualité de liquidateur de la sté Modus Vivendi la somme de 1euro au titre du préjudice moral,
En tout état de cause,
– Débouter la Société Générale de l’intégralité de ses demandes,
– Condamner la Société Générale à payer à Me Hervé Dechriste es qualité de liquidateur de la sté Modus Vivendi la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l’art. 700 CPC
– Condamner la même aux entiers dépens.’
Par conclusions n° 2 déposées le 18 mars 2022, la Société Générale demande à la cour de :
‘ Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– débouté Maître Hervé Dechriste, es-qualité de liquidateur de la Sarl Modus
Vivendi, de l’ensemble de ses demandes indemnitaires,
– fixé une créance de 1.500,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Maître Hervé Dechriste, es-qualité de liquidateur de la Sarl Modus Vivendi aux dépens.
– Réformer le jugement en ce qu’il n’a pas fait droit à la demande de dommages et intérêts
présentée par la Société Générale,
– Fixer au passif de la Sarl Modus Vivendi une créance de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– Fixer au passif de la Sarl Modus Vivendi une créance de 3.000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner Maître Hervé Dechriste, es-qualité de liquidateur de la Sarl Modus Vivendi aux dépens d’appel.’
L’ordonnance de clôture est rendue le 5 avril 2022.
En application des articles 455 et 634 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIVATION :
Sur la faute imputée à la Société Générale :
Me Dechriste es qualité réitère sa présentation des faits telle qu’en première instance.
Il précise, concernant les condamnations pénales, que les six commerciaux condamnés travaillaient précédemment pour une société Huis Clos avant d’être embauchés par Modus Vivendi, et que les pratiques douteuses pour lesquelles ils ont été condamnés ont eu lieu entre le 1er août 2008 et le 7 juillet 2011 soit, pour la plupart d’entre eux, avant la création de Modus Vivendi. Il ajoute que la condamnation de la Sarl Modus Vivendi est la conséquence des condamnations prononcées contre ses commerciaux, et que son gérant de fait, Monsieur [T], a été relaxé des chefs d’abus de confiance et d’abus de biens sociaux et condamné pour violation de la loi Scrivener pour des faits antérieurs à la date à laquelle il est devenu dirigeant de Modus Vivendi.
Il reproche aux premiers juges de ne pas avoir retenu la faute de la banque, en insistant sur le fait que la question du caractère fautif ou pas de l’inscription de la société au fichier est indépendante de la question de la validité ou non de la décision de saisie pénale.
Il reconnaît qu’il n’appartenait pas à la banque de se substituer aux autorités judiciaires et d’apprécier la régularité d’une décision émanant du Parquet, mais expose que ce qui lui est reproché, c’est de ne pas avoir constaté très rapidement le caractère irrégulier de la décision de saisie pénale qui était entachée d’une erreur flagrante en mentionnant que la saisie portait sur les sommes à venir au mépris des dispositions de l’article L 706-154 code de procédure pénale, et qui au surplus n’était pas conforme à l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui autorisait la saisie des sommes inscrites au crédit du compte.
Il réitère son argumentation sur la convention sur le principe et les modalités de gestion du fichier central des retraits de carte bancaire, et conteste l’affirmation de la Société Générale selon laquelle elle aurait été destinataire d’une décision de gel des fonds, instruments financiers et ressources économiques de la société Modus Vivendi.
Il maintient également son argumentation sur la confusion avec la nomenclature interbancaire et les cas permettant l’inscription au fichier.
Sur l’incident de paiement, il relève que le 13 décembre 2010 le solde du compte bancaire était créditeur de 48 362,28 euros ce qui permettait tout à fait d’honorer le débit de 85,15 euros par carte bancaire du même jour.
Il rappelle enfin que la note d’information de la Banque de France sur le fichier de septembre 2015 prévoit : ‘Préalablement à la déclaration, l’établissement émetteur est tenu d’apporter à son client toutes les informations concernant les caractéristiques de l’incident et la possibilité de régulariser sa situation, ainsi que les modalités de cette régularisation.’
La Société Générale réplique que le 21 janvier 2011 le parquet a régularisé la saisie de toutes les sommes inscrites au crédit du compte n° 30003 0000202152200 68 ainsi que des sommes à venir ; que le même jour elle a demandé à Modus Vivendi la restitution des cartes bancaires mises à sa disposition.
Elle ajoute que le 25 janvier 2011, elle a avisé la Sarl Modus Vivendi du blocage des comptes à la demande du Groupe d’Intervention Régional de Champagne-Ardennes de la Gendarmerie et de l’impossibilité d’exécuter des opérations bancaires ; que le 27 janvier suivant, elle a notifié à Modus Vivendi sa décision de mettre fin à la relation bancaire à l’expiration du délai de 60 jours, et qu’elle n’a ensuite eu aucune nouvelle de sa cliente jusqu’à la demande de radiation de l’inscription par courrier de son gérant du 27 septembre 2011 auquel elle a répondu le 1er octobre qu’elle ne pouvait pas y procéder.
Elle rappelle que la Sarl Modus Vivendi n’a saisi le juge d’instruction de [Localité 5] que le 21 décembre 2011 d’une requête contestant la saisie en ce qu’elle portait sur les sommes à venir ; que le magistrat a rejeté la requête par ordonnance du 27 janvier 2012, et que la chambre de l’instruction, par arrêt du 25 avril 2012, a retranché l’expression ‘ainsi que des sommes à venir’ de l’ordonnance du 21 janvier 2011.
Elle développe la même argumentation qu’en première instance concernant l’absence de faute de sa part en invoquant l’absence de recours de la Sarl Modus Vivendi contre la décision du PR de [Localité 5], le fait que ce n’est que 15 mois plus tard que la cour a ordonné le retrait de la saisie des avoir futurs, et le fait que la saisie entraînait le rejet des paiements effectués avant mais présentés à la banque après la saisie.
Elle rappelle que la mesure renvoie expressément aux articles L 562-4 et L 561-2 du code monétaire et financier, le premier décrivant les instruments de paiement et de crédit affectés par la mesure de saisie.
Elle maintient que l’inscription au fichier était justifiée d’une part par l’incident de paiement et d’autre part par le blocage du compte qui répond au cas n° 34 de la nomenclature des incidents.
Il est établi par les pièces produites que le 21 janvier 2021, la Société Générale a été destinataire d’une décision de saisie pénale émanant du Parquet du tribunal de grande instance de Chaumont par laquelle il était demandé de procéder à ‘la saisie des sommes inscrites au crédit du compte n° 30003 02152 00020215220 68 auprès de la Société Générale au nom de la Société Modus Vivendi ( Siret n° 519 062 913) ainsi que des sommes à venir’.
Il est également établi que cette décision visait expressément une ordonnance du même jour rendue par le juge des libertés et de la détention près le tribunal de grande instance de Chaumont, laquelle autorisait ‘la saisie de l’ensemble des sommes inscrites au crédit du compte désigné ci-après et ouvert au nom de la société Modus Vivendi’, ordonnance notifiée à la banque pour établir la régularité de sa procédure.
Enfin, il est aujourd’hui définitivement jugé d’une part que la décision du Parquet de [Localité 5] visait à tort les articles L 561-2 et L 562-4 du code monétaire et financier qui ne sont pas applicables en la cause, et surtout que la saisie ne pouvait porter que sur les sommes au crédit du compte au jour de la saisie et pas sur les sommes à venir.
Il n’est pas contesté par Maître Dechriste es qualité que la Société Générale n’avait pas qualité pour procéder à la rectification de la décision du Parquet de [Localité 5].
Néanmoins, dès lors qu’elle était en possession de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, elle ne pouvait que relever la différence entre cette décision qui ne mentionnait pas les sommes à venir et celle du Parquet rendue en exécution, ce qui à tout le moins aurait dû l’amener à agir avec prudence, alors au surplus que cette saisie, ordonnée en application de l’article L 706-154 code de procédure pénale, n’en respectait pas les limites, ce dont les services juridiques de la banque ne pouvaient que se rendre compte.
Par ailleurs, et contrairement à ce que la Société Générale indique dans le corps de ses écritures, la décision de saisie ne portait que sur les sommes au crédit du seul compte courant expressément visé et n’ordonnait aucunement un gel des fonds, instruments financiers et ressources économiques dont la Sarl Modus Vivendi pouvait bénéficier tel que prévu par l’article L 562-4 alinéa 2 du code monétaire et financier.
Il doit être sur ce point relevé que la Société Générale, dans le courrier adressé à sa cliente le 21 janvier 2011, invoque non pas la saisie ordonnée, mais ‘une utilisation non conforme du compte aux conditions générales de fonctionnement des cartes’ et ajoute que ‘l’usage abusif de ces cartes a fait l’objet d’une inscription au fichier cartes bancaires géré par la Banque de France’.
D’autre part, Maître Dechriste es qualité relève sans être contredit par la banque que, dans le cadre de la convention sur le principe et les modalités de gestion du Fichier central des retraits de cartes bancaires, il est précisé que donnent lieu à une inscription les rejets de chèques impayés pour motif d’insuffisance ou d’absence de provision, les mesures d’interdiction judiciaire prononcées par les juridictions pénales et les décisions de retrait de cartes bancaires ‘CB’ prises à la suite d’incidents de fonctionnement du compte qui résultent directement de l’usage de la carte, et dont l’utilisation abusive se caractérise par une provision non disponible au jour de la présentation du paiement ; que seuls ces trois cas, limitativement énumérés, peuvent donner lieu à l’inscription au FCC.
C’est donc à raison que Maître Dechriste es qualité relève que, contrairement à ce que la Société Générale soutient, tous les incidents prévus par la nomenclature interbancaire des incidents destinée à gérer les motifs de rejets ou retour de certaines opérations bancaires ne constituent pas un motif d’inscription au Fichier ; que notamment l’opposition au compte prévue par le cas n° 34 de cette nomenclature n’est pas à elle seule l’un des motifs prévus par la convention sur le principe et les modalités de gestion du Fichier.
Pour justifier l’inscription au Fichier, la Société Générale invoque la présentation à l’encaissement postérieurement à la décision de saisie d’un paiement par carte bancaire réalisé le 13 décembre 2010 à hauteur de 85,15 euros.
Or il est établi que cette présentation est intervenue le 11 février 2011. Dès lors, lorsque la Société Générale a procédé à l’inscription au Fichier le 21 janvier 2011, elle ne pouvait pas avoir connaissance de cet incident qui était alors inexistant.
Il s’en déduit qu’à juste titre Maître Dechriste es qualité soutient que le 21 janvier 2011, la banque ne pouvait pas procéder à l’inscription reprochée, dès lors que la Sarl Modus Vivendi ne se trouvait dans aucun des cas prévus pour ce faire.
Par ailleurs, la Société Générale ne conteste pas qu’antérieurement à la saisie ordonnée, le compte bancaire de sa cliente n’avait connu aucun incident de paiement, ni qu’elle aurait dû déclencher la procédure d’information préalable prévue par la note d’information émise par la Banque de France sur le fichier en septembre 2015 pour permettre à sa cliente de régulariser sa situation avant toute inscription au fichier au besoin en réglant ses dettes à partir d’un autre compte.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’en procédant à l’inscription critiquée, la banque a commis une faute au détriment de la société Modus Vivendi.
Sur le lien de causalité avec les préjudices invoqués par Maître Dechriste es qualité :
Maître Dechriste es qualité réitère devant la cour ses explications sur le préjudice résultant de la perte des agréments des sociétés de financement.
Il maintient que la société Modus Vivendi était considérée comme intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement par l’autorité de contrôle prudentiel, invoquant sur ce point la convention avec la société Sofemo qui renvoie expressément aux articles L 519-1 à 519-5 du code monétaire et financier, et ajoute que le registre unique (dit ORIAS) n’a été mis en place qu’à compter du 15 janvier 2013, ce qui explique qu’il ne peut pas être justifié de l’inscription de Modus Vivendi sur ce registre en 2010 et 2011.
Il souligne les résultats de la société pour les exercices 2010 (soit un bénéfice de 104 196,19 euros pour une activité commencée seulement en mars) et 2011 (soit un bénéfice de 7 894 euros), et affirme que sa cotation est passée de X0 à X8 suite au fichage.
Il invoque le contenu des conventions signées avec les sociétés Sofemo et Financo prévoyant la possibilité de suspendre les prestations de la société de financement en cas de dégradation de la situation financière du vendeur, et souligne que les résiliations notifiées le 27 janvier 2011 par Sofinco et le 24 janvier 2011 par Financo ne peuvent pas s’expliquer par l’enquête pénale qui commençait tout juste et qui n’a abouti aux condamnations pour méconnaissance des dispositions du code de la consommation qu’en juin 2017.
Il conteste que la cessation des activités de la société Modus Vivendi soit le résultat du travail efficace du Parquet puis de l’autorité judiciaire en relevant que bon nombre des qualifications pénales du ministère public n’ont pas été retenues par le tribunal correctionnel, pas plus que le quantum des peines réclamées.
Il souligne que par jugement du 7 mars 2011, le tribunal de commerce de Chaumont a constaté que la société Modus Vivendi n’était pas en état de cessation des paiements et a débouté le parquet de sa demande d’ouverture d’une liquidation judiciaire.
Il relève que seuls 2 salariés du bureau de [Localité 5] de Modus Vivendi sur les 30 ont été visés par la procédure pénale, et aucun pour les autres bureaux.
Selon lui, c’est à tort que le greffe du tribunal de commerce de Chaumont a considéré que [C] [T] était interdit de gérer suite à une condamnation pour infractions en matière de stupéfiants qui n’avait pas cet effet et l’a poussé à démissionner un mois à peine après le début de l’activité de la société Modus Vivendi, et il souligne que les deux autre co-gérants n’ont jamais été mis en cause pour des infractions pénales.
Il soutient enfin que si Monsieur [C] [T] a déclaré aux gendarmes que la société était en sommeil, c’est parce que les salariés, privés de la possibilité de vendre des produits faute de possibilité de proposer des financements, ne pouvaient pas reprendre leur activité.
La Société Générale développe devant la cour la même argumentation sur l’absence de lien de causalité entre l’inscription et le dommage allégué qu’en première instance.
Elle ajoute qu’au maximum la seule période concernée pourrait être entre la date de communication de l’arrêt de la chambre de l’instruction le 29 mai 2012 et l’ordonnance de référé du 28 juin 2012, puisque dès qu’elle en a eu connaissance elle a procédé aux mesures ordonnées.
Elle conteste que la société Modus Vivendi soit un intermédiaire financier, et soutient qu’elle ne le prouve pas, les pièces produites ne justifiant pas d’un agrément officiel.
Elle estime que la société Modus Vivendi ne prouve pas la dégradation de la note de crédit et souligne que la pièce produite ne vise pas des incidents de carte bancaire mais liste des échéances impayées de factures de fournisseurs de montants importants.
Elle soutient que la société Modus Vivendi ne prouve pas plus la réalité des résiliations avec les sociétés Financo et Sofinco .
Selon elle, les pièces de la procédure pénale démontrent que c’est cette procédure qui a décapité la société et que les salariés et les clients potentiels ont fui.
Elle ajoute que le blocage du compte n’est pour rien dans les difficultés de la société, et qu’il lui suffisait d’ouvrir un autre compte et d’utiliser d’autres moyens de paiement ; que les éléments comptables produits au soutien de la demande d’indemnisation n’ont aucun caractère probant s’agissant de documents émanant d’un gérant qui faisait l’objet d’une interdiction de gérer, et que les demandes sont fondées sur une extrapolation du bénéfice qui aurait été réalisé au cours de l’exercice 2010, donc sur 9 mois d’activité compte-tenu de la date de création de la société.
Il n’est pas contesté par la Société Générale que la possibilité pour des sociétés telles la société Modus Vivendi de proposer à leurs clients potentiels un financement par crédit des fournitures et travaux proposés constitue un argument favorisant la conclusions de commandes.
Il est par ailleurs établi que la société Modus Vivendi avait obtenu l’agrément de trois sociétés intervenant de manière habituelle dans ce type d’opérations, soit le 13 janvier 2010 la société Sofinco, le 8 février 2010 la société Financo et le 6 janvier 2011 la société Sofemo.
Maître Dechriste, qui expose que ces trois sociétés ont mis fin à leurs relations contractuelles avec la société Modus Vivendi en conséquence de son fichage, produit aux débats la lettre de résiliation de la société Sofinco du 27 janvier 2011 et celle de la société Financo du 24 janvier suivant. Or aucun de ces courriers ne mentionne le motif de la résiliation.
Quant à la société Sofemo, le courrier de résiliation n’est pas produit, ce qui ne permet ni de connaître la date de résiliation ni de confirmer que cette société a rompu les relations du fait de l’inscription litigieuse.
Maître Dechriste ne justifie pas plus de la dégradation de sa cotation par la Banque de France dont il fait état, ni d’un lien de cause à effet direct entre cette prétendue dégradation et le fichage de la société.
Par contre, Maître Dechriste es qualité ne peut pas sérieusement contester l’incidence de la procédure pénale sur le fonctionnement de la société alors que Monsieur [T], son gérant de fait, a été placé en détention provisoire jusqu’au 7 février 2011 puis sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre en Haute-Marne et de rencontrer les co-mis en examen et les autres salariés de la société, et que tant le responsable d’agence que trois autres salariés ont eux aussi été soumis aux mêmes interdictions dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Si, pour expliquer les propos de Monsieur [T] en octobre 2011 selon lesquels la société était en sommeil, Maître Dechriste indique que cette mise en sommeil était dûe au fait que faute de possibilité de proposer des crédits et donc de chances d’obtenir des commandes les salariés ont refusé de revenir travailler, il fait également état de démissions sans pour autant établir les motifs alors invoqués par les salariés démissionnaires.
Il s’en déduit que l’appelant n’établit pas l’existence d’un lien direct de cause à effet entre la faute commise par la Société Générale et les difficultés financières et économiques rencontrées par la société Modus Vivendi ayant abouti à son placement en procédure collective. Sans qu’il soit besoin de statuer sur la nature et le quantum des préjudices invoqués que la banque conteste, le jugement ne peut qu’être confirmé.
Sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive :
La Société Générale réitère devant la cour sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive sans pour autant établir l’abus de droit invoqué, ni surtout faire état de la nature du préjudice dont l’indemnisation est demandée alors qu’elle formule par ailleurs une dmeande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de ce chef de prétention.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Chaumont du 19 avril 2021 en toutes ses dispositions,
Condamne Maître Hervé Dechriste es qualité de mandataire liquidateur de la Sarl Modus Vivendi aux dépens de la procédure d’appel,
Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Fixe au passif de la Sarl Modus Vivendi une créance au profit de la Société Générale d’un montant de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles liés à la procédure d’appel,
Déboute Maître Dechriste es qualité de sa demande de ce chef.
Le Greffier, Le Président,