Gérant de fait : 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01245

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Gérant de fait : 24 juin 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 20/01245
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ARRÊT DU

24 Juin 2022

N° 1074/22

N° RG 20/01245 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S76I

SM/VDO

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DUNKERQUE

en date du

28 Avril 2020

(RG F19/00193 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 24 Juin 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. [V] & ASSOCIES prise en la pesonne de Maître [G] [V] es qualité de liquidateur judiciaire de la Société LE CHATAIGNIER

[Adresse 1]

représentée par Me Caroline BELVAL, avocat au barreau de DUNKERQUE

INTIMÉES :

M. [L] [S]

[Adresse 3]

cedex 1

représenté par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE substitué par Me Nicolas HAUDIQUET, avocat au barreau de DUNKERQUE

L’UNEDIC DELEGATION AGS, CGEA DE LILLE

[Adresse 2]

représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI

DÉBATS :à l’audience publique du 31 Mai 2022

Tenue par Stéphane MEYER

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie DOIZE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphane MEYER

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Béatrice REGNIER

: CONSEILLER

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Stéphane MEYER, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 mai 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 1er novembre 2017, a été signé entre Monsieur [S] et la société Le Châtaignier, qui exploitait une pizzeria à Saint-Pol-sur-Mer, un contrat unique d’insertion à durée indéterminée en vue d’un emploi de personnel polyvalent en restauration.

La relation de travail est régie par la convention collective de la restauration rapide.

Par jugement du 19 février 2019, le tribunal de commerce de Dunkerque a prononcé la liquidation judiciaire de la société Le Châtaignier et désigné la société [V] et associés en qualité de liquidateur judiciaire.

Cette dernière a dénié à Monsieur [S] la qualité de salarié .

Le 27 juin 2019, Monsieur [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Dunkerque et formé des demandes de rappel de salaire et indemnitaires.

Par jugement du 28 avril 2020, le conseil de prud’hommes de Dunkerque a dit que Monsieur [S] était salarié de la société Le Châtaignier, a fixé à 11 553 euros net à titre de rappel de salaires, sa créance sur la liquidation judiciaire de cette société, a ordonné l’envoi du dossier CSP auprès de Pôle emploi et a débouté Monsieur [S] de ses autres demandes.

La selarl [V] et associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société le Châtaignier, a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 28 mai 2020.

Par ordonnance du 28 mai 2021, le conseiller de la mise en état a débouté la société [V] et associés de son incident et déclaré recevables les conclusions notifiées le 22 décembre 2020 par Monsieur [S] , ainsi que sa demande de fixation à titre de créance de la somme de 24 000 € de dommages et intérêts pour absence d’indemnisation auprès de Pôle Emploi.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 février 2022, la société [V] et associés demande l’infirmation du jugement et le rejet des demandes de Monsieur [S]. Elle fait valoir que :

– Monsieur [S] était le gérant de fait de la société Le Châtaignier, sans aucun lien de subordination, alors que le gérant de droit n’a en réalité jamais exercé ses fonctions ;

– malgré l’existence de fiches de paie, Monsieur [S] n’a jamais perçu de rémunération, tout en continuant à travailler et a attendu la liquidation judiciaire de la société pour réclamer ses salaires ;

– le gérant de droit ayant expliqué que l’entreprise était fermée depuis novembre 2018, il convient de déduire les sommes réclamées pour les mois de novembre 2018 à mars 2019 soit la somme de 4 745,50 € ;

– il convient également de déduire 4.703,14 €, compte tenu des sommes perçues par Monsieur [S] ;

-Monsieur [S] ne justifie pas des préjudices allégués.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 mai 2022, Monsieur [S], qui a formé appel incident, demande la confirmation du jugement en ce qu’il a dit qu’il était salarié de la société Le Châtaignier et en ce qu’il a fixé sa créance au passif de la liquidation judiciaire de celle-ci à 11 553 euros net à titre de rappel de salaires, son infirmation pour le surplus et la fixation des ses créances suivantes au passif de la liquidation judiciaire de la société :

– dommages et intérêts pour absence d’indemnisation auprès de Pôle Emploi : 24 000 € ;

– indemnités de congés payés sur rappel de salaire 1 155,00 € net ;

– dommages et intérêts pour retard et refus de demande d’avance auprès du CGEA et refus d’envoi des documents CSP auprès de Pôle Emploi : 5 000 €.

Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, Monsieur [S] expose que :

– il a signé un contrat de travail, a été régulièrement déclaré, a reçu des bulletins de paie et travaillait en compagnie d’un apprenti ;

– la société [V] et associés ne rapporte pas la preuve de l’absence de contrat de travail, alors que lui-même produit une attestation du gérant de la société attestant de la réalité de son travail de salarié ;

– il est fondé à percevoir ses salaires impayés, alors que la société [V] et associés fait état de virements sans établir qui en a été le destinataire ; il a continué à se tenir à la disposition de l’employeur malgré la fermeture de l’établissement ;

– le refus injustifié de reconnaissance de sa qualité de salarié lui a été préjudiciable.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 janvier 2021, l’AGS demande qu’il soit jugé qu’il n’existe aucun lien de subordination et aucune relation de travail entre la société Le Châtaignier et Monsieur [S], que ce dernier soit renvoyé à mieux se pourvoir devant la juridiction commerciale compétente, en toute hypothèse, le rejet de ses demandes, que la demande de dommages et intérêts pour retard et refus de demande d’avance et refus d’envoi des documents lui soit déclarée inopposable. A titre subsidiaire, elle demande la réduction de cette demande indemnitaire ‘à de plus justes proportions’. Elle demande également le rejet de la demande de dommages et intérêts pour absence d’indemnisation auprès de Pôle Emploi, qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle a procédé aux avances au profit de Monsieur [S] d’un montant de 14 514,47 €, en cas d’infirmation du jugement, sa condamnation à rembourser les sommes avancées au titre de son exécution. Elle développe une argumentation similaire à celle de La société [V] et associés et demande qu’il soit en tout état de cause fait application des limites légales de sa garantie.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 mai 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’existence d’un contrat de travail

Aux termes de l’article 12 du code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties auraient proposée.

Il en résulte que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles auraient donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité de celui qui se prétend salarié.

Le contrat de travail suppose l’existence d’une prestation de travail en contrepartie d’une rémunération, exécutée sous un lien de subordination, caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve.

En l’espèce, Monsieur [S] produit un contrat de travail écrit daté du 1er novembre 2017, des bulletins de paie afférents à la période de décembre 2017 à novembre 2018, déclare, sans être contredit sur ce point, qu’il était déclaré auprès des organismes sociaux et il est constant que l’entreprise lui a versé certaines sommes.

Ces éléments concordants permettent de prouver l’existence d’un contrat de travail apparent, et il appartient aux appelants de combattre cette présomption.

A cet égard, la société [V] et associés se prévaut des termes du rapport remis au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire dont l’entreprise faisait l’objet mais qui n’a aucune valeur probante, puisqu’il est rédigé par elle-même.

Elle fait valoir que Monsieur [S] a attendu plus d’un an et demi sans être rémunéré et sans faire de réclamation, pour finalement réclamer ses salaires dans le cadre de la liquidation judiciaire de l’entreprise.

Cependant, elle se contredit dans son argumentation, puisqu’elle prétend elle-même dans ses écritures, que Monsieur [S] a perçu les sommes de 1 800 € en mai 2018, 500 € et 365,91 € en juillet 2018, 410 €, en août 2018, deux fois 400 € en septembre 2018, 350 € en janvier 2018, 365 € en mars 2018, 406,23 € en avril 2018 et 206 € en mai 2018, étant précisé que le contrat de travail prévoyait un salaire brut mensuel de 849 euros.

La société Le Châtaignier fait également valoir que le gérant de droit ne pouvait exercer ses fonctions, puisqu’il travaillait au sein d’une autre entreprise en qualité de chauffeur de bus et que Monsieur [S] était le gérant de fait de la société.

Cependant, elle ne rapporte pas la preuve de cette qualité de gérant de fait, alors que, par jugement du 28 mars 2022, le tribunal de commerce de Dunkerque l’a déboutée de sa demande formée en ce sens, au motif que rien ne démontre l’existence d’actes de gestion accomplis par Monsieur [S].

Enfin, le fait, révélé par l’Ags, que Monsieur [S] exerçait, depuis 2009, les fonctions de gérant de droit d’une société exploitant une pizzeria à [Localité 4], n’est pas de nature à exclure l’existence d’un lien de subordination avec la société Le Châtaignier.

Il résulte de ces considérations que La société [V] et associés et l’AGS échouent à rapporter la preuve d’une absence de contrat de travail ; le jugement doit donc être confirmé sur ce point.

Sur la demande de rappel de salaires

Le paiement du salaire constituant la contrepartie d’une prestation de travail dans le , cadre d’un lien de subordination, le salaire est dû lorsque le salarié reste à disposition de son employeur pour travailler, même s’il ne travaille pas.

En l’espèce, il est constant que l’entreprise a fermé définitivement ses portes au mois de novembre 2018.

A cette date, Monsieur [S] ne pouvait ignorer qu’il avait cessé d’être à la disposition de l’employeur pour accomplir sa prestation de travail et ne peut prétendre à rémunération que jusqu’au mois d’octobre 2018.

Par ailleurs, les parties s’entendent sur le fait que Monsieur [S] a perçu 1 800 euros en mai 2018.

La société [V] et associés, qui prétend que Monsieur [S] a perçu d’autres sommes, produit les relevés de compte de l’entreprise, faisant apparaître les virements allégués.

Cependant, à l’exception d’un virement de 500 euros du 3 juillet 2018, intitulé sur le relevé ‘VIR SEPA REGUL SALAIRE MR [S]’ ces virements portent les mentions de virements de salaires mais sans préciser le nom des bénéficiaires, alors qu’il est constant que Monsieur [S] n’était pas le seul salarié de l’entreprise.

Par conséquent, seules les sommes de 1 800 et 500 euros doivent être déduites des

salaires apparaissant sur les bulletins de paie.

Entre le 1er novembre 2017 et le 31 octobre 2018, ce montant total s’élève à 8 615,43 euros en valeur nette

Monsieur [S] est donc fondé à percevoir un rappel de salaires de 6 315,43 euros nets (8 615,43 – 1 800 – 500), outre 631,54 euros nets d’indemnité de congés payés afférente. Le jugement doit donc être confirmé en ce qui concerne le montant retenu.

Sur les demandes de dommages et intérêts

Au soutien de ces demande, Monsieur [S] fait valoir, d’une part, que le refus par La société [V] et associés de demander une avance à l’AGS et de lui adresser ces documents de CSP auprès de Pôle emploi le laisse dans une situation financière catastrophique et d’autre part qu’il n’a pu être indemnisé par Pôle emploi du fait du refus de sa reconnaissance de la qualité de salarié.

Il produit en ce sens un courriel que Pôle emploi lui a adressé le 11 décembre 2020, lui indiquant qu’il ne pourra bénéficier d’une inscription en CSP et de l’ouverture des droits correspondants, tant que la question de sa qualité de salarié ne sera pas définitivement tranchée, l’appel étant en cours mais qu’en cas de confirmation du jugement, il sera procédé à son inscription avec effet rétroactif.

Il résulte de cette lettre que si, par son refus de reconnaître à Monsieur [S] la qualité de salarié, La société [V] et associés lui a causé un préjudice constitué par la privation de sommes à caractère alimentaire pendant environ 3 ans et demi, sa situation sera régularisée à titre rétroactif au vu de la présente décision.

Il en résulte que son préjudice total, constitué par une désorganisation de son patrimoine, doit être fixé à 2 000 €.

Par ailleurs, cette créance échappe à la garantie due par l’Ags.

Il n’y a pas lieu à ordonner le remboursement des sommes qui ont pu être perçues par Monsieur [S] en exécution du jugement entrepris, le présent arrêt constituant un titre exécutoire permettant de plein droit une telle restitution.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a déclaré que Monsieur [S] avait la qualité de salarié de la société Le Châtaignier ;

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés ;

Fixe la créance de Monsieur [S] au passif de la procédure collective de la société Le Châtaignier aux sommes suivantes :

– rappel de salaires : 6 315,43 € nets ;

– indemnité de congés payés afférente : 631,54 € nets ;

– dommages et intérêts pour refus de reconnaissance de la qualité de salarié : 2 000 €.

Rappelle que les intérêts au taux légal cessent de produire effet au jour de l’ouverture de la procédure collective ;

Dit que le Centre de Gestion et d’Etude, AGS-CGEA de Lille – Unité Déconcentrée de l’UNEDIC devra garantir ces créances dans la limite du plafond légal, à l’exception de la créance de dommages et intérêts ;

Déboute Monsieur [S] du surplus de ses demandes ;

Condamne La société [V] et associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Châtaignier, aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Stéphane MEYER

 


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