Gérant de fait : 23 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/17879

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Gérant de fait : 23 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/17879
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/17879 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGSF7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 octobre 2022 -Tribunal de commerce d’AUXERRE – RG n° 2022000658

APPELANT

Monsieur [C] [K]

Né le [Date naissance 3] 1938 à [Localité 8] (80)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté et assisté de Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241,

INTIMÉS

Maître Véronique THIEBAUT de la SELARL MJ & ASSOCIES, en qualité de liquidateur judiciaire de la société VOSGES MATELAS,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de DIJON sous le numéro 419 349 030,

Dont l’étude est située [Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Non constituée

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 2]

[Localité 6]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 septembre 2023, en audience publique, devant la cour, composée de :

Madame Sophie MOLLAT, présidente de chambre,

Madame Isabelle ROHART, conseillère

Madame Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère

Un rapport a été présentée à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du Code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTERE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame Anne-France SARZIER, substitute générale, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

– rendu par défaut,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Sophie MOLLAT, et par Mme Saoussen HAKIRI, greffière, présent lors de la mise à disposition.

**********

Exposé des faits et de la procédure

La société par actions simplifiée Vosges matelas a été immatriculée le 1er février 2019 par Monsieur [U] [Z], son président et associé unique.

Son activité a débuté en octobre 2018 avec pour objet la distribution de toutes marchandises de fabrication artisanale ou industrielle.

Monsieur [C] [K], âgé de 80 ans, a signé avec Monsieur [Z] agissant en sa qualité de la sas Vosges Matelas un contrat de consultant à titre gratuit pour assister la société au titre des démarches administratives et juridiques.

Par jugement du 7 septembre 2020, sur déclaration de cessation des paiements, le tribunal de commerce d’Auxerre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l’égard de la SAS Vosges matelas.

Le 20 septembre 2021, le tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS Vosges Matelas et a désigné en qualité de liquidateur judiciaire la Selarl Mj & associés, prise en la personne de Maître Véronique Thiebaut.

La date de cessation des paiements a été fixée au 1er janvier 2020.

Aux termes des opérations de liquidation judiciaire il n’existe pas d’insuffisance d’actif, aucun passif n’existant.

Par requête déposée au greffe le 13 juin 2022, Monsieur le Procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Auxerre a sollicité la convocation de Monsieur [U] [Z], dirigeant de droit, ainsi que de Monsieur [C] [K], dirigeant allégué de fait de la SAS Vosges matelas aux fins de voir prononcer à leur encontre une mesure d’interdiction de gérer d’une durée de 10 ans sur le fondement des articles L.652-1 et L.653-1 à L.653-11 du code de commerce.

Par jugement en date du 3 octobre 2022, rendu à l’encontre de Monsieur [K] seul, le tribunal de commerce d’Auxerre a :

– constaté la gérance de fait de Monsieur [C] [K] ;

– prononcé l’interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale à l’encontre de Monsieur [C] [K];

– fixé la durée de cette mesure à 5 ans ;

– ordonné l’exécution provisoire du jugement ;

– ordonné l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire ;

– liquidé les frais de greffe à la somme de 250,98 euros.

Le tribunal a indiqué dans l’exposé de sa décision qu’ il ressort des éléments en la possession du tribunal et de la requête du parquet que M. [K] animait de fait la SAS Vosges matelas en ce qu’il était le seul à communiquer avec le liquidateur judiciaire, que Monsieur [K] et Monsieur [Z] ont fait obstacle au bon déroulement de la procédure de liquidation en s’abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure (article L.653-5 du code de commerce) en ce qu’ils n’ont pas communiqué au liquidateur les renseignements légaux dans le mois d’ouverture de la procédur, que Monsieur [K] et Monsieur [Z] n’ont pas, de mauvaise foi, informé les créanciers de l’ouverture de la procédure collective dans les 10 jours de celle-ci (article L.622-22 du code de commerce), en ce qu’ils n’ont pas remis de liste des créanciers ni de liste des dettes au liquidateur judiciaire, que ce type de comportement s’analyse en un véritable obstacle aux fonctions du liquidateur et a été préjudiciable au bon déroulement de la procédure collective, que l’article L.653-8 du code de commerce dispose que le tribunal peut prononcer l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale à l’encontre de toute personne qui, de mauvaise foi, n’a pas remis au liquidateur judiciaire les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer, en application de l’article L.622-6, dans le mois suivant le jugement d’ouverture.

Le tribunal aux termes de sa motivation a ensuite retenu  que les éléments versés au dossier permettaient d’établir que la demande du parquet était fondée et, au titre des griefs, le fait pour Monsieur [K], dirigeant de fait, de ne pas avoir remis, de mauvaise foi, au liquidateur, les renseignements qui devaient être communiqués en application de l’article L 622-6 du code de commerce dans le mois suivant le jugement d’ouverture.

Monsieur [C] [K] a formé appel de ce jugement le 18 octobre 2022.

Dans ses conclusions signifiées par voie électronique le 17 janvier 2023, Monsieur [C] [K] demande à la cour de :

Déclarer Monsieur [C] [K] recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit,Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Auxerre le 3 octobre 2022 en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau,

Constater que Monsieur [K] n’a pas la qualité de gérant de fait de la SAS Vosges matelas,

Juger que les faits reprochés à Monsieur [K] de s’être abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, faisant ainsi obstacle à son bon déroulement, ne sont pas caractérisés,

Juger que les faits reprochés à Monsieur [K] de ne pas avoir, de mauvaise foi, remis au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L.622-6 du code de commerce dans le mois suivant le jugement d’ouverture et d’avoir sciemment manqué à l’obligation d’information prévue par le second alinéa de l’article L.622-22 du code de commerce, ne sont pas caractérisés,

Juger qu’il n’y a pas lieu de prononcer à l’encontre de Monsieur [C] [K] une interdiction de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,

Rejeter la requête du ministère public,

Débouter le ministère public de ses demandes à l’encontre du concluant,

Dire que les dépens seront à la charge du trésor public.

Selon avis signifié le 2 février 2023, le ministère public considère qu’il existe un faisceau d’indices selon lequel la cour pourrait retenir la gestion de fait de Monsieur [K].

Il est d’avis que le grief tiré de l’absence de communication au liquidateur des renseignements dont il était tenu et notamment de la liste des créanciers paraît caractérisé ; que le grief tiré de l’abstention volontaire de coopération avec les organes de la procédure faisant obstacle à son bon déroulement apparaît en revanche devoir être rejeté.

Compte tenu de l’absence de passif, le ministère public s’en remet à l’appréciation de la cour.

La déclaration d’appel a été signifiée à la Selarl Mj & associés, prise en la personne de Me [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Vosges matelas par acte d’huissier en date du 19.01.2023.

Celle ci n’a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la direction de fait :

Monsieur [K] expose que la qualité de dirigeant de fait ne se présumant pas, il appartient à celui qui entend la démontrer de rapporter la preuve qu’il a effectué des actes positifs de gestion et de direction de la société en toute souveraineté et indépendance et il souligne que la Cour de cassation a jugé que ne caractérisaient pas des actes positifs de gestion et de direction le fait d’avoir été le seul interlocuteur du mandataire judiciaire à tous les stades de la procédure, en l’absence du dirigeant de droit.

Il fait ainsi valoir que le ministère public ne rapporte pas de preuve de sa qualité de dirigeant de fait.

Il précise qu’il n’a fait qu’aider Monsieur [Z] sur les plans administratif s (création, transfert de siège) et juridique (déclaration de cessation des paiements, suivi de la procédure collective), qu’il s’est toujours abstenu de gérer la partie commerciale de l’activité comme les relations avec les clients/fournisseurs, qu’il ne détenait pas la signature sur les comptes de la société, qu’il n’a jamais signé de chèque.

Il conteste avoir exercé une quelconque activité positive de gestion ou de direction et sollicite la réformation du jugement dont appel à ce titre, la sanction de l’article L.653-8 du code de commerce ne pouvant être prononcée en l’absence de la qualité de dirigeant.

Par avis du 2 février 2023, le ministère public indique qu’il ressort du rapport du liquidateur du 2 octobre 2020 que Monsieur [K] connaissait parfaitement la situation économique, financière et sociale de la société, qu’en effet, ce dernier établissait la comptabilité de la SAS Vosges matelas, a apposé sa signature sur la liasse fiscale au titre de l’impôt sur les sociétés, a mis gracieusement à la disposition de la société un local lui appartenant afin qu’elle y déclare son siège social.

Le ministère public ajoute que Monsieur [K] était dirigeant de deux autres SARL ayant fait l’objet de liquidations judiciaires en 2003 et que le tribunal de commerce de Vannes a prononcé une mesure de faillite personnelle à son encontre pour une durée de 8 ans.

Il conclut qu’il existe ainsi un faisceau d’indices permettant à la cour de retenir la gestion de fait de Monsieur [C] [K].

Sur ce

Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que pour retenir la direction de fait d’une personne physique il convient d’établir que celle ci a effectué des actes positifs de gestion de la société en toute indépendance.

En l’espèce il ressort des pièces produites que Monsieur [K] est intervenu auprès de Monsieur [Z] agissant en qualité de président de la SASU Vosges Matelas en exécution d’un contrat de consultant signé le 15.10.2018 aux termes duquel Monsieur [K] fournissait les services suivants:

– assistance administrative, juridique et fiscale ainsi que le traitement des données comptables

– intervention dans les litiges commerciaux susceptibles de survenir.

Aux termes de ce contrat Monsieur [K] en qualité de consultant indique à son client, la SASU Vosges Matelas, qu’il ne peut intervenir dans la gestion de la société à savoir: achats/ventes/trésorerie.

Enfin il est prévu qu’aucune note d’honoraire ne sera présentée et que les frais et dépens seront réglés sur présentation des pièces justificatives.

La déclaration de cessation des paiements a ainsi été signée par Monsieur [Z] en qualité de présidente de la Sasu Vosges Matelas et le fait qu’il soit mentionné qu’il est représenté par Monsieur [K] ne constitue pas un acte de gestion positif de ce dernier mais la simple désignation de la personne le représentant, étant en outre souligné que Monsieur [Z] a établi un pouvoir spécial mandatant Monsieur [K] pour que celui ci réalise en ses lieux et place les formalités concernant la demande d’ ouverture d’une procédure collective et le suivi de la procédure.

Ainsi le fait que Monsieur [K] ait honoré en lieu et place de Monsieur [Z] le rendez vous avec le liquidateur judiciaire désigné et ait été seul à se présenter lors de l’audience d’examen de la clôture des opérations de liquidation judiciaire, constitue l’exécution du mandat que le président de la Sasu Vosges Matelas lui avait confié et ne permet pas de caractériser des actes positifs de gestion de la part de l’appelant.

S’agissant de la domiciliation de la société dans un local appartenant à Monsieur [K], nonobstant le fait qu’aucun élément de preuve n’est produit aux débats et que cette affirmation relève uniquement du rapport de liquidateur judiciaire, cette domiciliation ne constitue pas à elle seule et en l’absence d’autres éléments, un acte d’ingérence dans l’activité de la société de la part du propriétaire du local servant d’adresse au siège social de la société.

S’agissant de l’établissement de la liasse fiscale de 2019 elle a été établie et signée par Monsieur [K] qui a cependant indiqué qu’il intervenait en qualité de conseil, et cette intervention est conforme au contrat de consultant signé entre les parties.

Enfin le fait que selon le rapport du liquidateur judiciaire Monsieur [Z] ait indiqué qu’il était incapable de s’occuper de la gestion, de l’administration ou de la comptabilité de l’entreprise est cohérent avec le contrat passé entre la société et Monsieur [K] confiant à celui ci des tâches administratives et comptables et ne constitue pas une preuve de l’ingérence de Monsieur [K] dans les décisions commerciales et financières concernant la société.

En conséquence la preuve d’une direction de fait de Monsieur [K] n’est pas rapportée et il convient d’infirmer la décision.

Les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Auxerre le 3.10.2022,

Et statuant à nouveau,

Déboute le ministère public de sa demande de déclarer Monsieur [K] dirigeant de fait de la SAS Vosges Matelas et en conséquence de sa demande de le condamner à une sanction d’interdiction de gérer,

Dit que les dépens seront passés en frais privilégiés de procédure collective.

Le Greffier La Présidente

 


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