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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 23/06/2022
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N° de MINUTE : 22/
N° RG 21/03675 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TXD7
Jugement (N°20/00091) rendu le 31 mai 2021 par le tribunal de commerce de Dunkerque
APPELANT
Monsieur [Y] [M]
né le 25 octobre 1963 à Hazebrouck (59190), de nationalité française
demeurant 23 rue Queux St Hilaire 59190 Hazebrouck
représenté par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai
assisté par Me Thomas Obajtek, avocat au barreau de Lille
INTIMÉS
M. le Procureur Général près la Cour d’appel de Douai
représenté par M. Christophe Delattre, substitut général
entendu en ses observations orales, conformes à ses réquisitions écrites
Maître [G] [T], agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la société D2 Pro.
Ayant son siège social 58, avenue Guynemer 59700 Marcq en Baroeul
assisté par Me François Shakeshaft, substitué à l’audience par Me Laurence Gueit avocats au barreau de Dunkerque ,
représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai
DÉBATS à l’audience publique du 15 mars 2022 tenue par Laurent Bedouet magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Laurent Bedouet, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 juin 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Laurent Bedouet, président et Marlène Tocco, greffier lors du délibéré, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC :
Cf réquisitions du 27 octobre 2021
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 15 mars 2022
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Exposé du litige
La Sarl D2 Pro exerçait une activité d’agencement en plâtrerie et isolation, pose de menuiseries extérieures et intérieures, négoce de matériaux de second oeuvre.
Son gérant était M [Y] [M].
Suivant jugement du 8 janvier 2013, le tribunal de commerce de Dunkerque a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de ladite société.
Un plan de redressement a été arrêté par jugement du 15 juillet 2014.
Par jugement du 21 mai 2019, le tribunal a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société, Maître [T] étant désigné liquidateur.
Par acte d’huissier du 5 février 2020, Maître [T], ès qualités, a fait citer M. [Y] [M] devant le tribunal de commerce de Dunkerque aux fins de voir celui-ci condamné à participer à l’insuffisance d’actif à hauteur de 30 216,62 euros.
Par jugement du 31 mai 2021, le tribunal a :
– condamné M. [Y] [M] à payer à Maître [G] [T] en qualité de liquidateur judiciaire de la société D2 Pro la somme de 30 261,62 euros au titre de sa participation à l’insuffisance d’actif de la société et celle de 2000 euros pour indemnité procédurale.
Suivant déclaration du 6 juillet 2021, M. [M] a relevé appel de cette décision.
Suivant conclusions signifiées par voie électronique le 5 octobre 2021, il demande à la cour de:
– Réformer le jugement du tribunal de commerce de Dunkerque du 31 mai 2021 (procédure RG N°2020F00091) en toutes ses dispositions,
– Débouter Maître [T], és qualités de liquidateur judiciaire de la société D2 Pro ainsi que le Ministère Public, de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
– Subsidiairement, réduire à de plus justes proportions la condamnation prononcée à l’encontre de M. [Y] [M] dans le jugement entrepris,
– Condamner Maître [T], és qualités de liquidateur judiciaire de la société D2 Pro, à payer à Monsieur [Y] [M] la somme de 2 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Condamner Maître [T], és qualités de liquidateur judiciaire de la société D2 Pro, aux entiers frais et dépens.
Suivant conclusions signifiées par voie électronique le 7 mars 2022, Maître [T], ès qualités, demande à la cour de :
Vu l’article L 651-2 du Code de commerce,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Dunkerque le 31 mai 2021,
– Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Vu l’article 700 du Code de procédure civile,
-Condamner M. [Y] [M] à payer à Me [T] la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC pour les frais et honoraires irrépétibles exposés devant la Cour d’appel.
– Condamner M. [Y] [M] aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction, pour ceux d’appel, au profit de la SCP d’Avocats Processuel, aux offres de droit et en voir ordonner le recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.
Suivant réquisitions du 27 octobre 2021, le ministère public demande à la cour d’infirmer le jugement, considérant que le liquidateur ne rapporte aucune pièce de nature à justifier les fautes de gestion reprochés à M. [M].
SUR CE, LA COUR
Il résulte de l’article L 651-2 du Code de commerce que:
‘Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. Lorsque la liquidation judiciaire concerne une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le Code civil applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et non assujettie à l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues au 1 bis de l’article 206 du Code général des impôts, le tribunal apprécie l’existence d’une faute de gestion au regard de la qualité de bénévole du dirigeant.
Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine non affecté.
Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à l’égard d’un entrepreneur individuel relevant du statut défini à la section 3 du chapitre VI du titre II du livre V du présent code, le tribunal peut également, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. La somme mise à sa charge s’impute sur son patrimoine personnel.
L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
Les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés.’
L’article 6 du code de procédure civile dispose pour sa part qu’à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder.
L’article 9 dudit code prévoit en outre qu’il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Il n’est pas contesté par l’appelant que l’insuffisance d’actif s’élève à la somme de 30 216,62 euros.
Maître [T] soutient que M. [Y] [M] a créé, dès le 9 avril 2019, une nouvelle société dite D Pro, Sarl au capital de 10 000 euros, laquelle a son siège social à la même adresse que la société D2 Pro, ayant une activité similaire à cette dernière et dont le gérant est son frère domicilié dans le département des Bouches du Rhône.
Il reproche à M. [Y] [M] des fautes de gestion et notamment :
– d’avoir refusé de clôturer la procédure relative au plan et de n’avoir pas saisi le tribunal de grande instance de Dunkerque pour faire constater la péremption d’instance dans une procédure en cours contre la société,
– d’avoir, avec la complicité de son frère, fait immatriculer une société D Pro, dont il était en réalité le gérant de fait, ayant quasiment le même nom et une activité identique à celle de la société sous procédure collective, et d’avoir transféré les actifs de la société D2 Pro,
– d’avoir voulu faire démissionner des salariés de D2 Pro en vue de les faire embaucher par la nouvelle société.
– de n’avoir pas coopéré avec les organes de la procédure notamment en ne produisant pas le registre des immobilisations de la Sarl D2 Pro alors qu’il a été mis en demeure de le faire.
S’agissant du premier reproche adressé à M. [M], le liquidateur ne donne aucune précision quant à la procédure à laquelle il fait référence, ni en quoi le sort de ladite procédure est susceptible d’avoir un intérêt en la présente instance.
S’agissant des autres comportements reprochés, il verse aux débats, outre l’extrait K bis de la société D Pro, une lettre (non signée) adressée par Mme [R] [C], qui indique qu’elle est l’épouse de M. [B] [C] lequel était lui même salarié de la société D2 Pro, au juge commissaire de Dunkerque en charge de la procédure de liquidation de ladite société.
Elle y précise que M. [Y] [M] a convoqué le 30 avril 2019, la majeure partie de son personnel afin de remettre à chacun des salariés une lettre de démission et un nouveau contrat de travail pour la société D Pro, que son époux ayant refusé de démissionner, M. [M] lui a indiqué que la société D2 Pro n’avait plus de commande et qu’il était inutile de revenir travailler le 8 mai 2019.
Le ministère public fait toutefois justement observer qu’il n’est nullement établi que M. [Y] [M] était le dirigeant de fait de la société D Pro, et en conséquence qu’il aurait ainsi eu un intérêt à utiliser les actifs ou les ressources de la société D2 Pro en faveur de la société D Pro.
En effet la qualité de dirigeant de fait d’une société suppose l’accomplissement par ce dernier d’actes positifs de gestion exercés en toute indépendance.
En l’espèce aucune des pièces versées aux débats par le liquidateur ne démontre cette qualité, la lettre ci-dessus mentionnée étant en tout état de cause insuffisante à cet égard contrairement à ce qu’affirme le liquidateur.
Par ailleurs la simple concomitance de la constitution de la société D Pro avec la liquidation de la société D2 Pro, ainsi que le fait que les deux sociétés aient le même siège social, n’induit nullement l’existence de transferts d’actifs d’une société vers l’autre.
Il ne peut davantage être tiré de conséquences, ni du fait que M. [Y] [M] est devenu salarié de la société D Pro ni, contrairement à ce que soutient le liquidateur, qu’il a choisi ‘une dénomination sociale proche de celle de sa société liquidée pour entrainer la confusion auprès de ses clients’.
Enfin, le liquidateur dernier n’explicite enfin pas en quoi le reproche relatif à l’absence de réponse à la demande de précision quant à la consistance du patrimoine de la société a contribué à l’insuffisance d’actif.
Il appartient à la partie qui entend voir le dirigeant de la société sanctionnée, de caractériser de manière très précise quelles sont la ou lesdites fautes de gestion reprochées, et non pas seulement d’énumérer un certain nombre de comportements inadaptés relatifs à la gestion de l’entreprise, de démontrer le lien de causalité entre la ou lesdites fautes, qui ne doivent pas être de simples négligences, et l’insuffisance d’actif.
Il lui appartient de dire en quoi la ou lesdites fautes ont contribué à ladite insuffisance d’actif et dans quelle proportion.
Tel n’est pas le cas en l’espèce, le liquidateur se contentant de décrire certains comportements du dirigeant de la société sans caractériser en quoi ils constituent une faute de gestion et/ou en quoi cette faute a contribué à l’insuffisance d’actif.
Il résulte de tout ce qui précède qu’aucune des fautes de gestion reprochées à M. [M] n’est démontrée.
Le jugement est dès lors infirmé, et Maître [T] est débouté de toutes ses demandes.
Il n’y a pas lieu à condamnation de quiconque sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Maître [T] és qualités est condamné aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
– Infirme le jugement ;
– Déboute Maître [T], ès qualités, de toutes ses demandes ;
– Dit n’y avoir lieu à condamnation de quiconque sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Condamne Maître [T], ès qualités, aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffierLe président
Marlène ToccoLaurent Bedouet