Gérant de fait : 21 novembre 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/01121

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Gérant de fait : 21 novembre 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/01121
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HP/SL

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile – Première section

Arrêt du Mardi 21 Novembre 2023

N° RG 21/01121 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GWZJ

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ANNECY en date du 12 Mai 2021

Appelants

Mme [U] [P]

née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 5], demeurant [Adresse 4]

M. [B] [S]

né le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 10], demeurant [Adresse 3]

Représentés par la SAS MERMET & ASSOCIES, avocats au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimé

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT, dont le siège social est situé [Adresse 6]

Représenté par la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS, avocats au barreau d’ANNECY

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Date de l’ordonnance de clôture : 19 Juin 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 septembre 2023

Date de mise à disposition : 21 novembre 2023

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Composition de la cour :

Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l’assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

– Mme Hélène PIRAT, Présidente,

– Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

– Mme Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire,

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Faits et procédure

Le 24 février 2005, la directrice du lieu de vie « [8] » à [Localité 9] a dénoncé des dysfonctionnements dans la gestion du foyer qui ont conduit à l’ouverture d’une enquête préliminaire et à un rapport de l’enquêteur saisi du 6 juin 2005 adressé au procureur de la République de Thonon-les-Bains, concluant que Mme [U] [P] pouvait avoir commis des faits d’abus de confiance.Le 21 février 2006 une information a été ouverte sur réquisitoire introductif du parquet auprès du juge d’instruction de Thonon-les-Bains du chef d’abus de confiance au préjudice du conseil général de Haute-Savoie.L’information s’est achevée par l’ordonnance de règlement du 11 octobre 2017 renvoyant Mme [P] et M. [B] [S] devant le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains.Par jugement du 29 mai 2018, le tribunal a rejeté l’exception de prescription de l’action publique et a relaxé Mme [P] et M. [S] des faits qui leur étaient reprochés

Par acte d’huissier du 14 août 2018, Mme [P] et M. [S] ont fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, devenu tribunal judiciaire, notamment aux fins d’engager la responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice et pour obtenir des dommages-intérêts.

Par ordonnance du 8 mars 2019, la première présidente de la cour d’appel de Chambéry, saisie le 12 décembre 2018 par la juridiction de Thonon-les-Bains, a désigné le tribunal de grande instance d’Annecy, devenu tribunal judiciaire, sur le fondement des articles 339 et suivants du code de procédure civile pour connaitre de la procédure.

Par jugement du 12 mai 2021, le tribunal judiciaire d’Annecy a :

– Retenu la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice postérieur au réquisitoire introductif du 21 février 2006 saisissant le juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains ;

– Condamné l’Etat en en la personne de l’agent judiciaire de l’Etat à verser à Mme [U] [P] et M. [B] [S] chacun la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

– Débouté Mme [P] et M. [S] pour le surplus de leurs demandes ;

– Condamné l’Etat en la personne de l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens ;

– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.

Au visa principalement des motifs suivants :

Est constitutif d’une faute lourde ou d’un déni de justice le jugement de relaxe intervenu plus de 12 années après le début de l’enquête préliminaire ayant mis en cause Mme [P] et M. [S] et près de 7 années après leur mise en examen, sans acte d’enquête significatif depuis ces mises en examen dans l’intervalle ;

Le fait pour Mme [P] et M. [S] de ne pas avoir sollicité la clôture de l’information par application des dispositions de l’article 175-1 du code de procédure pénale comme ils en avaient la faculté, n’exonère pas l’Etat de sa responsabilité sur le fondement de celle de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire mais relativise le préjudice allégué par les demandeurs à raison de la longueur excessive de la procédure pour laquelle ils disposaient d’un moyen de s’y opposer ;

Mme [P] et M. [S] se prévalent uniquement d’un préjudice moral pour lequel ils n’ont versé aux débats aucune pièce permettant d’en apprécier l’importance, il leur sera donc alloué chacun la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts.

Par déclaration au greffe du 27 mai 2021, Mme [P] et M. [S] ont interjeté appel du jugement en ce qu’il a condamné l’Etat en en la personne de l’agent judiciaire de l’Etat à verser à Mme [P] et M. [S] chacun la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, débouté Mme [P] et M. [S] pour le surplus de leurs demandes et débouté Mme [P] et M. [S] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 17 mars 2022, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Chambéry a :

– Débouté à Mme [P] et M. [S] de leur demande d’irrecevabilité de l’appel incident de l’agent judiciaire de l’État ;

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Dit que les dépens de l’incident suivront les dépens d’appel.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures en date du 10 janvier 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Mme [P] et M. [S] sollicitent l’infirmation du jugement et demandent à la cour de :

– Condamner l’agent judiciaire de l’Etat à leur payer, au titre de l’indemnisation de leur préjudice moral et matériel, la somme de 30 000 euros chacun ;

– Condamner l’agent judiciaire de l’Etat à leur payer àune indemnité de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;

– Condamner l’agent judiciaire de l’Etat à leur payer àune indemnité de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

– Débouter l’agent judiciaire de l’Etat de l’intégralité de ses demandes plus amples ou contraires ;

– Condamner l’agent judiciaire de l’Etat aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Au soutien de leurs prétentions, Mme [P] et M. [S] font valoir notamment que :

La longueur injustifiée de l’information judiciaire a causé un préjudice indéniable à Mme [P] et M. [S] ;

La procédure a duré près de 13 ans pour déboucher sur une relaxe et le délai excessif est d’à minima de 7 années ;

Il ne peut être tenu compte de l’absence de mise en ‘uvre d’une simple faculté procédurale par les victimes pour justifier une minimisation de leur préjudice.

Par dernières écritures en date du 28 avril 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, l’agent judiciaire de l’Etat sollicite de la cour de :

A titre principal,

– Réformer le jugement du 12 mai 2021 prononcé par le tribunal judiciaire d’Annecy en ce qu’il a :

– Retenu la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice postérieur au réquisitoire introductif du 21 février 2006 saisissant le juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains,

– Condamné l’Etat en la personne de l’Agent Judiciaire de l’Etat à verser à Mme [P] et M. [S] chacun la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

– Condamné l’Etat en la personne de l’agent judiciaire de l’Etat aux dépens ;

– Déclarer recevable l’appel incident de l’agent judiciaire de l’Etat ;

En conséquence, statuant à nouveau,

– Dire et juger que l’Etat n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité pour dysfonctionnement du service public de la justice ;

– Débouter M. [S] et Mme [P] de l’ensemble de leurs demandes ;

A titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la Cour estimait que la responsabilité de l’Etat est engagée,

– Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

En tout état de cause,

– Débouter M. [S] et Mme [P] de leurs plus amples demandes, fins et conclusions ;

– Condamner solidairement M. [S] et Mme [P] à payer à l’agent judiciaire de l’Etat la somme de 4 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, l’agent judiciaire de l’Etat fait valoir notamment que :

Les conditions de mise en ‘uvre de la responsabilité de l’Etat ne sont pas réunies, d’une part, pour apprécier la longueur de la procédure pénale, le tribunal judiciaire d’Annecy s’est fixé sur la date du 26 février 2006, date à laquelle M. [S] et Mme [P] n’avaient pas la qualité d’usager du service public de la justice, d’autre part, le tribunal a manifestement omis de prendre en considération l’ensemble des comportements des appelants ainsi que la complexité de la procédure ;

Les requérants ne démontrent pas avoir sollicité l’achèvement de l’instruction, comme ils en avaient la faculté en application de l’article 175-1 du code de procédure pénale, or, il est de jurisprudence constante que l’absence d’exercice des voies de recours par le justiciable à l’égard d’une décision ne le satisfaisant pas, ne lui permet de se prévaloir d’aucune faute au titre d’un fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

L’appréciation de la longueur de la procédure pénale doit se faire eu égard à la complexité de l’affaire qui consiste en une enquête pénale et une instruction suivie d’un procès correctionnel, pour des faits de détournements de fonds et d’emploi non déclarés ;

Sur le montant de l’indemnisation, le principe de réparation intégrale du préjudice nécessite de fait la démonstration de sa réalité et de son périmètre, or, en l’espèce, M. [S] et Mme [P] n’apportent aucun document permettant de démontrer la réalité de leur préjudice moral, ni de justifier les montants réclamés à ce titre, ni encore moins de l’existence d’un préjudice matériel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience ainsi qu’à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 19 juin 2023 a clôturé l’instruction de la procédure. L’affaire a été plaidée à l’audience du 12 septembre 2023.

MOTIFS ET DÉCISION

I – Sur la responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice

Aux termes de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire, ‘l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice’.

Par ailleurs, l’article 6 paragraphe 1 première partie de la convention européenne des droits de l’Homme, ‘Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle’.

La faute lourde de l’Etat résulte d’une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. Le déni de justice est quant à lui caractérisé par tout manquement de l’Etat à son devoir de permettre à toute personne d’accéder à une juridiction pour faire valoir ses droits dans un délai raisonnable. L’appréciation d’une durée excessive du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’Etat sur le fondement des articles précités s’apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce en prenant en considération la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure et les mesures prises par les autorités compétentes.

En matière pénale, la période à considérer sous l’angle du délai raisonnable de l’article 6 précité débute dès l’instant qu’une personne se trouve ‘accusée’ et il peut s’agit d’une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement, notamment la date de l’arrestation, de la mis en examen et de l’ouverture de l’enquête préliminaire.

‘ sur le début du délai

L’enquête préliminaire concernant des dysfonctionnements dans la gestion du lieu de vie ‘[8]), à [Localité 9], a débuté le 24 février 2005 par la plainte de sa directrice qui mettait en cause Mme [P], responsable des soins dans le lieu de vie et son ex-époux, M. [S], gérant de fait du foyer. A ce stade, des auditions de plusieurs témoins étaient notamment réalisées, mais les consorts [P] – [S] n’étaient pas auditionnés. Cette procédure prenait fin en juin 2005 et était adressée au procureur de la République de Thonon-les-Bains qui ouvrait une information judiciaire.

L’instruction débutait donc le 21 février 2006 contre X des chefs d’abus de confiance au préjudice du conseil général de Haute Savoie et se poursuivait tout d’abord par une commission rogatoire délivrée le 4 avril 2006 dont le dernier acte d’enquête avait lieu le 14 juin 2007 mais sa transmission au magistrat mandant que le 9 juin 2010, puis ensuite par la prise de réquisitions supplétives en date du 13 octobre 2010 qui concernaient nominativement les consorts [P] – [S], et deux autres personnes.

Ces quatre personnes étaient convoquées en vue de leurs mises en examen les 22 et 25 novembre 2010 et trois d’entre elles étaient mises en examen les 20 et 21 janvier 2011, M. [L] [E], la quatrième personne, n’ayant pas été touché, par la convocation.

Il ne peut pas être considéré que l’enquête préliminaire, quand bien même la plainte à son origine désignait nommément les consorts [P] – [S], ni la saisine, par le procureur de la République, du juge d’instruction, par un réquisitoire ouvert contre X, pouvaient conférer à ces derniers la qualité d’ « accusé » dans la mesure où ces actes n’impliquaient, en tout état de cause, nullement l’engagement de poursuites à leur endroit, le juge d’instruction ayant la possibilité de considérer qu’il n’y avait pas lieu à les mettre en examen au vu des faits dont il était saisis.

Ainsi, la durée du délai de la procédure judiciaire doit s’apprécier à partir des convocations en vue d’être mis en examen soit à partir des 22 et 25 novembre 2010.

‘ sur la durée excessive de la procédure judiciaire

Alors que les consorts [P] – [S] ont été ‘accusés’ à compter de fin novembre 2010, une décision devenue définitive a mis fin à cette accusation le 29 mai 2018 soit 7 ans et demi plus tard.

Cette durée résulte de deux facteurs :

– M. [S] a soulevé devant le juge d’instruction, par acte en date du 1er avril 2011, la prescription de l’action publique au vu des actes accomplis en enquête préliminaire et a fait appel de la décision rendue avec diligence le 6 avril 2011. Dans un délai bref, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Chambéry a rendu le 22 juin 2011 sa décision contre laquelle M. [S] a déposé un pourvoi qui a conduit le président de la Cour de Cassation à rendre une ordonnance disant n’y avoir lieu à examen immédiat en date du 12 décembre 2011. Cette première année est uniquement liée à l’exercice des droits d’un mis en examen.

– un manque de diligence du magistrat instructeur entre fin 2011 et le 11 octobre 2017. En effet, entre la fin 2011 et le 28 novembre 2014, aucun acte d’instruction n’est intervenu, le 28 novembre 2014 étant la date d’une commission rogatoire en vue de rechercher l’adresse du quatrième mis en examen qui n’avait pas été touché par sa convocation de fin 2010. L’investigation unique sollicitée de l’officier de police judiciaire n’a été portée à la connaissance du magistrat instructeur que presqu’une année plus tard soit le 6 octobre 2015 sans que ni l’officier de policier judiciaire qui pourtant avait procédé à l’investigation dès le 12 févier 2015 n’ait eu l’initiative de retourner son mandat dès après, ni le juge d’instruction n’ait fait un rappel. Les seuls actes d’instruction ensuite diligentés, mais un an plus tard, sont l’interrogatoire de première comparution de la quatrième personne en date du 15 novembre 2016 et l’interrogatoire de Mme [P] le même jour. La fin de la procédure d’instruction qui a suivi ces actes est due à un délai de 11 mois entre le réquisitoire définitif du 6 décembre 2016 et l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction en date du 11 octobre 2017. Le délai après cette ordonnance est tout à fait classique puisque le tribunal correctionnel a statué le 29 mai 2018.

Comme l’ont souligné les premiers juges, l’enquête n’avait aucun facteur particulier de connexité. Certes un des mis en examen demeurait à l’étranger mais en Suisse, pays frontalier, [Localité 7] étant à 35 km de [Localité 11], la Suisse avec laquelle l’entraide judiciaire et policière est particulièrement facilitée.

La durée excessive de cette procédure par rapport aux consorts [P] – [S], est donc de 6 ans (entre fin 2011 et le 11 octobre 2017), alors que les actes réalisés ont été très limités, sans même que des investigations aient été diligentées en direction du Conseil départemental de Haute-Savoie, victime potentielle. Elle est constitutive d’un dysfonctionnement du service public et s’analyse en un déni de justice qui engage la responsabilité de l’Etat.

II – Sur le préjudice

Il est constant qu’une durée excessive de procédure est de nature à causer un préjudice moral au justiciable concerné.

Cependant, le préjudice allégué par les consorts [P] – [S] est manifestement disproportionné par rapport à la durée retenue comme étant excessive. En effet, il convient tout d’abord de souligner que ces derniers n’ont pas mis en oeuvre les moyens procéduraux mis à leur disposition pour tenter d’accélérer la procédure (demandes d’acte, demande de décision de clôture de l’instruction sur le fondement de l’article 175-1 al 1 du code de procédure pénale). Le recours à ce type d’actes, dont l’absence est certes inopérante pour apprécier une durée excessive, peut au contraire être le signe d’une certaine incompréhension de l’absence d’avancée de l’instruction. Il sera ensuite retenu le fait que les consorts [P] – [S] n’apportent aucun élément sur un lien direct entre leurs problèmes de santé dont certains anciens et la durée de la procédure litigieuse. Enfin, les consorts [P] – [S] ont été confrontés à d’autres procédures judiciaires qui ont dû être sources de mal être pour eux : Tous deux ont été condamnés par jugement du tribunal correctionnel en date du 8 octobre 2008 à des peines importantes pour des faits similaires à la procédure litigieuse portant sur des sommes conséquentes (plus de 200 000 euros) et M. [S] avait fait l’objet d’un autre jugement en novembre 2004 puis encore d’un second en novembre 2009. Par ailleurs, en mars 2017, l’association Lieu d’accueil du Chablais à laquelle ils collaboraient a été mise en liquidation judiciaire.

En conséquence, leur préjudice moral sera justement indemnisé par l’allocation de la somme de 1 500 euros chacun.

III – Sur les mesures accessoires

L’équité commande de faire droit à la demande d’indemnité procédurale à hauteur de 1 200 euros des consorts [P] – [S] en première instance. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

Succombant, l’agent judiciaire de l’Etat sera condamné aux dépens d’appel et sa demande d’indemnité procédurale sera rejetée. L’équite commande de faire droit à la demande d’indemnité procédurale des consorts [P] – [S] en cause d’appel à hauteur de 1 800 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement entrepris dans toutes ses disposition à l’exception de la condamnation de l’agent judiciaire de l’Etat au paiement des dépens,

Statuant des chefs du jugement infirmés

Retient la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice postérieur à l’ordonnance du Premier Président de la Cour de Cassation en date du 12 décembre 2011 jusqu’à l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction devant le tribunal correctionnel en date du 11 octobre 2017,

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat à payer aux consorts [P] – [S] à chacun la somme de 1 500 euros au titre de leur préjudice moral,

Condamne l’Agent judiciaire de l’Etat aux dépens d’appel,

Déboute l’Agent judiciaire de l’Etat de sa demande d’indemnité procédurale,

Condamne l’agent judiciaire de l’Etat à payer aux consorts [P] – [S] la somme de 1 200 euros au titre de l’indemnité procédurale de première instance et la somme de 1 800 euros au titre de l’indemnité procédurale en appel.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 21 novembre 2023

à

la SAS MERMET & ASSOCIES

la SCP BREMANT GOJON GLESSINGER SAJOUS

Copie exécutoire délivrée le 21 novembre 2023

à

la SAS MERMET & ASSOCIES

 


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