Gérant de fait : 2 juin 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00804

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Gérant de fait : 2 juin 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00804
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 JUIN 2022

N° RG 20/00804 – N° Portalis DBV3-V-B7E-T2BU

AFFAIRE :

[E] [P]

C/

S.A.R.L. L’ECONOMIQUE DE NANTERRE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Février 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 17/01187

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Julia AZRIA

la SELARL LFMA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [E] [P]

né le 09 Mai 1956 à [Localité 3] (MADAGASCAR)

de nationalité Malgache

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Julia AZRIA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 22

APPELANT

****************

S.A.R.L. L’ECONOMIQUE DE NANTERRE

N° SIRET : 552 076 937

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Julie MERGUY de la SELARL LFMA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2451

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 28 Février 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Valérie AMAND, Président,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

FAITS ET PROCEDURE

Mme [H] épouse [P] a été engagée à compter du 2 janvier 2003 en qualité d’employée polyvalente, par la société L’Economique de Nanterre, selon contrat de travail à durée indéterminée.

 

Son époux, M. [P], a été engagé à compter du 1er février 2008 en qualité d’employé polyvalent, par la société L’Economique de Nanterre, selon contrat de travail à durée indéterminée.

 

L’entreprise, qui exploite un restaurant indien sous le nom commercial [N], emploie moins de onze salariés et relève de la convention collective des hôtel, cafés, restaurants.

 

Le 16 avril 2008, Mme [P] est devenue associée, ayant acquis 33% des parts de la société L’Economique de Nanterre, suivant acte de cession de parts sociales 15 avril 2008, enregistré le 5 mai suivant.

 

A compter de cette date, la répartition des parts sociales de la société s’établissait comme suit :

– M. [U] [M] à hauteur de 9,74 %

– M. [L] [M] à hauteur de 57%

– Mme [H] épouse [P] à hauteur de 33,26 %.

 

A l’occasion de l’assemblée générale du 11 octobre 2011, M. [U] [M] était remplacé par Mme [P] aux fonctions de gérant de la société.

Mme [P] soutient qu’elle n’est devenue gérante effective que le 15 avril 2015 afin notamment :

– de mettre fin au contrat de travail de Mme [J] [M], épouse de son associé, par un licenciement pour faute lourde,

– de porter plainte contre son associé, M. [U] [M].

 

La société soutient que pendant cette période, Mme [P] a modifié unilatéralement son contrat de travail pour passer au statut cadre et aux fonctions artificiellement désignées Chef de service , niveau V, échelon 2 et qu’elle a modifié le contrat de travail de son époux, M. [P], le faisant passer au statut cadre, niveau V, échelon 2.

 

Aux termes d’une Assemblée Générale Extraordinaire, du  11  octobre  2016,  Mme [P] a été révoquée en tant que gérante et M. [R], cuisinier, a été nommé en ses lieux et places.

 

Le 25 janvier 2017, les époux [P] ont reçu un avertissement.

 

Convoqué le 11 mars 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 22 mars suivant, M. [P] a été licencié par lettre datée du 25 mars 2017 énonçant une cause réelle et sérieuse.

 

Contestant son licenciement, il a saisi le 5 mai 2017, le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et que soit condamnée la société à lui verser diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

 

La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

Par jugement rendu le 7 février 2020, notifié le 24 février 2020, le conseil a statué comme suit :

Fixe le salaire de référence à 1 506,27 euros,

Dit que le licenciement de M. [P] repose sur une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

Déboute M. [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Condamne M. [P] à payer à la société 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [P] aux éventuels dépens y compris le cas échéant, ceux afférents à l’exécution de la présente décision.

 

Le 16 mars 2020, M. [P] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

 

Par ordonnance rendue le 9 février 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 28 février 2022.

Selon ses dernières conclusions du 25 janvier 2022, M. [P] demande à la cour d’infirmer le jugement, et statuant à nouveau de :

Rejeter l’ensemble des demandes de la société L’Economique de Nanterre,

Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

– 15 062 euros au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, et dépourvu de faute grave

– 2 711,13 euros à titre d’indemnité légale de licenciement

– 1 556,48 euros au titre des congés payés restant dus en 2015, 2016 et 2017 (31 jours)

– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonner le paiement des intérêts de droit sur lesdites sommes à compter du dépôt de la demande auprès du conseil de prud’hommes, soit le 5 mai 2017,

Prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir et condamner la société aux dépens.

 

Aux termes de ses dernières conclusions, en date du 8 février 2022, la société L’Economique de Nanterre demande à la cour de :

A titre principal :

Confirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Nanterre du 7 février 2020, dans toutes ses dispositions

En conséquence,

Débouter M. [P] de l’ensemble de ses demandes

Condamner M. [P] à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

A titre subsidiaire,

Fixer les dommages et intérêts dûs pour licenciement abusif à la somme de 3765 euros, conformément aux dispositions de l’article L.1235- 3 du code du travail,

Fixer le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement, à la somme de 1355,58 euros

Condamner M. [P] à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I – Sur le licenciement

 

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

«  1. La consommation d’alcool sur le lieu de travail ;

 

En effet, malgré mes observations, vous persistez à consommer sans aucune modération du whisky et du vin aux heures de service, et même en présence de client dans la salle, ce qui vous embarrasse pour les servir, ainsi que les clients eux- mêmes d’ailleurs, car vous sentez l’alcool.

 

Vous vous contentez de rester debout derrière le comptoir pour finir les bouteilles entamées.

 

Ainsi, le mercredi 7 mars 2017 entre 21h50 et 22h10, vous vous serviez du whisky et vous teniez  à peine debout. Lorsque je vous ai fait la réflexion sur votre attitude, vous m’avez agressé verbalement à 22h05, et  lorsque  excédé,  j’ai  fait  mine  de  téléphoner  à  la  police, vous  avez précipitamment quitté le restaurant à 22h10 en abandonnant votre travail qui devait se terminer normalement à 23h00, sans doute pour ne pas montrer votre état.

 

Hier  même,  jour  de  réception  de  ma  LRAR  de  convocation  pour  un entretien préalable, vous avez consommé plusieurs verres de digestifs liqueur de litchi .

 

2.  Mauvaise  ambiance  et  insubordination  pour  refus  de  signer  les plannings de présence.

 

Vous  me  manquez  de  respect  à  chaque  occasion  depuis  que  je  suis devenu  le  gérant.  Vous  n’avez  jamais  accepté  que  votre  épouse, Madame [P] qui gérait auparavant le restaurant et qui tolérait votre faiblesse à l’alcool au restaurant ait été révoquée. Cette tolérance malheureusement  a  eu  pour  conséquence  une  atteinte  à  l’image  de marque du restaurant et corrélativement une baisse du chiffre d’affaires.

 

C’est pourquoi, depuis ma nomination, vous refusez mon autorité et à chacune  de  mes  remarques,  vous  réagissez  par  des  insultes  ou  des menaces, allant jusqu’à dire je vais te tuer.

Sans compter que depuis le 23 janvier 2017, vous avez décidé de ne pas signer  les  feuilles  de  présences,  nous  mettant  en  difficulté  pour comptabiliser la paie.

 

Vous poussez en plus [S], l’autre serveur à ne pas signer comme vous  les  feuilles  de  présence  pour  vous  ménager  la  possibilité  de solliciter des heures supplémentaires, créant ainsi un climat de fronde en montant certains de vos collègues contre moi.

 

Vous vous êtes d’ailleurs vanté de tout faire avec vos harcèlements et chantages pour être licencié afin d’amener la société aux Prud’hommes et obtenir une grosse indemnité en plus des allocations chômage.

 

3. Exécution défectueuse de vos attributions par mauvaise volonté

 

Vous  refusez  depuis  ma  nomination  de  placer  les  produits  dans  le réfrigérateur en les laissant dans la chaleur ambiante, rompant ainsi la chaine du froid. Vous n’indiquez pas au chef les commandes nécessaires au  remplacement  des  boissons,  et  ne  faite  preuve  d’aucun  esprit  de collaboration  avec  vos  collègues  pour  les  soulager  lorsque  c’est nécessaire.

 

Si je fais la moindre remarque, vous ne manquez pas de me rappeler que vous  êtes  là  pour servir  seulement,  pas  pour  être  aimable  avec  la clientèle ni être mon boy , ceci par rétorsion du fait que vous êtes le mari de l’ancienne gérante qui a été révoquée par les actionnaires et du fait que j’ai été nommé comme le nouveau gérant, moi le cuisinier + comme vous vous plaisez à le répéter devant tout le monde.

 

En  conséquence  de  votre  comportement  à  mon  égard  et  de  votre collègue, et des faits décrits ci- dessus, des divisions et des zizanies que vous créez, j’ai décidé de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. ».

M. [P] conteste toute insubordination ainsi qu’avoir bu de l’alcool sur son lieu de travail. Il fait valoir que le conseil de Prud’hommes aurait inversé la charge de la preuve s’agissant d’un licenciement pour faute grave, et que c’est à l’employeur qu’il incombe de prouver que les faits qu’il a qualifié comme tels sont établis.

La société L’Economique de Nanterre fait valoir que la consommation d’alcool sur le lieu de travail et l’insubordination caractérisée du salarié justifiaient son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Il convient tout d’abord de constater que selon la lettre de licenciement reproduite ci-dessus le salarié a été licencié pour cause réelle et sérieuse et non pas pour faute grave, de sorte que le conseil de prud’hommes n’a pas opéré d’inversion de la charge de la preuve, tel que le soutient le salarié en retenant que ce dernier n’apportait «  pas de preuves contraires irréfutables aux motifs évoqués dans la lettre de licenciement », l’administration de la preuve n’incombant pas dans ce cas, spécialement à l’une ou l’autre des parties.

Sur la consommation d’alcool sur le lieu de travail.

L’employeur affirme avoir été obligé de rappeler à l’ordre le salarié dès le 25 janvier 2017 notamment s’agissant de sa consommation d’alcool sur son lieu de travail par le biais de la délivrance d’un avertissement, et ajoute que cette consommation d’alcool a été revendiquée par M. [P] lui-même.

La société produit aux débats les témoignages suivants :

M. [F], salarié plongeur, qui atteste dans les termes suivants : «  M. [E] boit beaucoup d’alcool pendant le service ».

M. [O] qui déclare M. [P] « boit de l’alcool pendant le travail ».

Pour sa part, M. [P] conteste toute consommation d’alcool pendant son service en admettant une consommation à l’occasion de la fin de son service et donc en dehors de ses horaires de travail pendant son repas.

M. [P] produit à son tour une attestation de M. [O] en date du 14 juin 2019 aux termes de laquelle il rétracte son précédent témoignage de la façon suivante: «  C’est sous la menace de M. [M] et de (..) son épouse que j’ai rédigé une attestation à l’encontre de mon ancien collègue [E]. Son contenu n’exprime pas la réalité des faits. J’étais contraint de le faire à leur pression sous peine de ne pas être cautionné par la société pour le dossier de renouvellement de mon titre de séjour à la préfecture. Car en réalité ce sont eux qui géraient la société. Je n’ai pas vu mon collègue [E] boire de l’alcool au travail. ».

Il produit également une attestation de Monsieur [A] [T] en date du 02 Avril 2017 qui déclare : «  (..) Je n’ai pas vu mon collègue consommer de l’alcool dans le restaurant, et constater une quelconque action égard du gérant [R]. Pour autant, que je sache il arrivait d’une manière peu habituelle à mon collègue [E] de prendre occasionnellement un verre de vin au cours des dîners du personnel après le service. ».

M. [P] produit également une attestation en date du 4 novembre 2017 de M. [F] aux termes de laquelle ce dernier déclare les faits suivants : «  Le 10 février 2017, je commence mon premier jour au sein de [N] ayant effectué une courte période d’essai quelques temps après, M. [M], via M. [R] le gérant, par téléphone, me convoque chez lui, je entre et il me dit que c’était à propos d’attestations civiles et de mon contrat de travail qu’il allait me donner. Il me demande d’écrire des attestations sur M. [S] Mme [K] et M. [E] en disant que Mme [K] et M. [S] menaçaient et insultaient M. [R] le gérant et que je voyais M. [E] boire du vin et être ivre, des faits dont je n’étais effectivement pas là. Ayant senti un lien de subordination et mon poste en jeu je le fis sans trop poser de question. ».

La rétractation du témoignage de M. [O], ainsi que le témoignage de M. [A] [T] et de M. [F] créent un doute sérieux quant à la réalité du grief, doute qui profite au salarié.

Par ailleurs, bien qu’en réponse à son avertissement, le salarié adressait un courriel le 30 janvier 2017 à son employeur lui disant : «  vous m’avez vu en train de consommer de l’alcool à table et à ma guise, au moins je le fais devant tout le monde », il est exact que pour autant, ce dernier ne reconnaissait pas de consommation d’alcool pendant son service.

Ce grief n’est donc pas caractérisé.

Sur l’insubordination.

L’employeur produit aux débats l’avertissement délivré à M. [P] le 25 janvier 2017 avertissement à l’occasion duquel il lui était reproché de refuser de signer les feuilles de présence journalières et un dérapage verbal à l’égard du gérant et de la seconde serveuse.

L’employeur verse à la procédure un courriel du salarié en date du 30 janvier 2017 en réponse à l’avertissement qui lui était délivré précédemment et au terme duquel il répliquait dans les termes suivants : «  Bravo quelle belle image pour le restaurant encore un mensonge vous passez votre vie à mentir ! ».

La société ajoutant que le salarié se croyant légitime et tout-puissant en raison de la qualité d’associée de son épouse se permettait de remettre en question l’autorité du gérant, le travail de ce dernier et refusait obstinément les directives y compris la présence des clients et des autres salariés.

La société produit également le témoignage de M. [O] aux termes duquel celui-ci déclare « mon collègue [E] n’écoute pas le gérant » ainsi que le témoignage de M. [F] selon lequel «  Monsieur [R] a demandé à plusieurs reprises à M. [E] de nettoyer et de remplir le réfrigérateur, ce que M. [E] a refusé en insultant et menaçant le gérant, en lui disant «  tu fais chier et je vais te tuer ».

La société produit également le témoignage de M. [A] [T] selon lequel M. [P] et son épouse gérante, «  m’obligeaient à faire signer des attestations au cas où si je n’acceptais pas leur chantage, il me licencieraient de suite, donc je n’avais pas le choix. »

Cependant, ces témoignages sont remis en cause par une attestation produite aux débats par le salarié en date du 19 mars 2018 de M. [R] [Y], ancien gérant de la société aux termes de laquelle il rétracte les motifs que comporte la lettre de licenciement, en expliquant que plusieurs lettres de licenciement ont été signées par lui-même en qualité de gérant de droit, mais qu’il était en réalité soumis à un lien de subordination envers M. [M] lequel lui donnait les directives et en contrôlait l’exécution. Il témoigne dans les termes suivants :

«  À la demande de M. [M] j’avais accepté le poste de gérant le 14 décembre 2016.

C’est sous ma gérance en se servant de moi alors gérant de droit que M. [M], gérant de fait, avait commandité les licenciements du commis de cuisine [B] [Y], ainsi que de [K] [H] et [E] [P]. Dans le cadre de ma gérance, étant sous les ordres de M. [M], j’avais fait tout ce qu’il me disait de faire.

Tous ces licenciements sont abusifs car les motifs invoqués ont été inventés par M. [M] et sont inexacts. ».

Il est également établi que M. [O] est revenu sur ses déclarations en indiquant avoir témoigné contre M. [P] sous la menace de M. [M].

M. [A] [T] est également revenu sur son témoignage par attestation du 2 avril 2017 en précisant, en qualité de salarié avoir assisté à l’entretien préalable au licenciement de son collègue et n’avoir constaté « une quelconque agression à l’égard du gérant [R] ».

Il ressort aussi de l’attestation en date du 4 novembre 2017 de M. [F] que ce dernier témoignait en défaveur de son collègue M. [P] sous la pression de M. [M] dans la seule fin de conserver son poste.

Les rétractations de ces différents témoignages constituent également un doute qui doit profiter au salarié.

S’agissant de la réponse du salarié par courriel du 30 janvier 2017 à l’employeur à l’avertissement qu’il avait reçu dans les termes rappelés plus haut; il y a lieu de considérer que les circonstances de leur expression, à savoir la contestation d’un avertissement, ne permet pas de caractériser le grief de la subordination reprochée.

Le grief n’est pas caractérisé.

Sur l’inexécution des obligations contractuelles.

L’employeur reproche au salarié de ne plus avoir exécuté ses tâches en contradiction avec les termes de son contrat de travail selon les stipulations duquel il avait été embauché en tant qu’employé polyvalent. Il ajoute qu’il ne tenait aucun compte du travail de collaboration et d’équipe nécessaires à la bonne conduite des affaires du restaurant.

L’employeur fonde ses demandes sur le témoignage de M. [F] précité.

M. [P] conteste ce grief en affirmant avoir toujours exécuté son contrat avec bonne foi ainsi qu’en attestent ses collègues et un client.

Il fait valoir le témoignage précité de M. [A] selon lequel : «  Depuis que je travaille dans ce restaurant, mon collègue serveur [P] [E] est aussi le coursier de cette même société ; il est chargé de faire les courses chez les fournisseurs pour les besoins du restaurant en dehors de ses horaires de travail de serveur. ».

Il produit le témoignage du 14 février 2017 de M. [G], client du restaurant, selon lequel : «  Le serveur m’a servi correctement comme à son habitude, puis je voyais qu’il était en train de ranger les tables. Tout d’un coup, je vois apparaître le cuisinier qui venait vers lui qui lui ordonne d’une manière agressive, et violente, quelque chose que je ne comprends pas. (..) Avec beaucoup de calme le serveur lui a répondu car il y avait des clients dans le restaurant, quelques minutes après, j’ai essayé de parler avec le serveur qui m’a répondu gêné et ému que le gérant l’obligeait à faire du nettoyage pendant le service. La situation était vraiment très ahurissante. ». 

M. [F] a retracé les circonstances dans lesquelles il avait témoigné contre son collègue, son témoignage ne peut donc objectiver le grief reproché au salarié.

En l’état des deux autres attestations versées par le salarié, il y a lieu de constater que l’inexécution des obligations contractuelles n’est pas établie.

Aucun des griefs reprochés au salarié n’étant caractérisé, le licenciement de M. [P] sera déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

S’agissant de l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, il appartient au salarié, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au jour du licenciement, de justifier de son préjudice.

M. [P] justifie de son inscription d’une inscription à Pôle emploi depuis 2017 jusqu’au 15 janvier 2021 et bénéficier de l’aide au retour à l’emploi depuis le 1er juillet 2020.

En considération de l’âge du salarié au moment de son licenciement (61 ans), de son ancienneté (9 ans et un mois), du montant de son salaire ( 1 506,27 euros), il sera alloué au salariée la somme de 9 000 euros.

Sur la demande d’indemnité légale de licenciement.

L’employeur s’oppose à titre subsidiaire à cette demande en faisant observer que le salarié ne saurait prétendre à une somme supérieure à 1 355,58 euros, au regard de son ancienneté et conformément aux dispositions de l’article 32 de la Convention collective.

Selon l’article R. 1234-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige selon laquelle l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d’ancienneté.

M. [P] est bien fondé en sa demande d’application des dispositions légales plus favorables.

M. [P] dont l’ancienneté au terme du préavis de 2 mois s’établissait à 9 ans et 3 mois, et percevait un salaire mensuel brut moyen de 1 506,27 euros, sera indemnisé dans les limites de sa demande à hauteur de 2711 euros.

Sur la demande d’indemnité compensatrice de congés payés.

M. [P] expose avoir été licencié avant d’avoir pu prendre ses jours de congés payés au nombre de 31 jours.

La société conteste cette demande en faisant valoir que les bulletins de paye font état de prise régulière de congés.

Le solde de tout compte indique que M. [P] a été indemnisé pour 30 jours ouvrables à hauteur de 1524,49 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés.

Le bulletin de paie du mois de mai 2017 établit que le salarié a été indemnisé à hauteur de 1 jour de congés payés.

Force est de constater que la demande de M. [P] a ainsi été satisfaite.

Il sera débouté de sa demande par confirmation du jugement entrepris sur ce point.

Sur les intérêts moratoires.

Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, alors que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la décision qui les ordonne.

Sur les frais irrépétibles et les dépens.

La société L’Economique de Nanterre sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société L’Economique de Nanterre qui succombe supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

 

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu par le conseil de Prud’hommes de Nanterre le 07 février 2020, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande d’indemnité compensatrice de congés payés,

Statuant de nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

Dit le licenciement de M. [P] par la société L’Economique de Nanterre sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la société L’Economique de Nanterre à payer à M. [P] les sommes suivantes:

9000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

2 711 euros à titre d’indemnité de licenciement,

2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

RAPPELLE que les créances de nature salariale produiront des intérêts au taux légal à compter de la réception par la société L’Economique de Nanterre de la convocation à l’audience du bureau de conciliation du conseil de prud’hommes de Nanterre et les créances de nature indemnitaire produiront des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la société L’Economique de Nanterre aux entiers dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,

 


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