Géolocalisation : 25 janvier 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 21-11.273

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Géolocalisation : 25 janvier 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 21-11.273
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25 janvier 2023
Cour de cassation
Pourvoi n°
21-11.273

SOC.

AF1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 25 janvier 2023

Cassation

Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 40 F-D

Pourvoi n° N 21-11.273

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 JANVIER 2023

M. [V] [O], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-11.273 contre l’arrêt rendu le 15 janvier 2021 par la cour d’appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Uber France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Uber BV, dont le siège est [Adresse 3], Pays-Bas, société de droit étranger,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [O], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Uber France et de la société Uber BV, après débats en l’audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 15 janvier 2021), M. [O], contractuellement lié avec la société de droit néerlandais Uber BV par la signature d’un formulaire d’enregistrement de partenariat, a exercé une activité de chauffeur à compter du 24 mars 2015 en recourant à la plateforme numérique Uber, après s’être enregistré au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, sous l’activité de transport de voyageurs par taxis.

2. En mars 2016, la société Uber BV a suspendu son compte pendant deux semaines au motif d’un taux d’annulation très élevé de ses courses avant de le réactiver le 1er avril 2016.

3. M. [O] a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de
travail, et formé des demandes de rappels de salaires et d’indemnités de rupture.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses cinquième, septième et huitième branches

Enoncé du moyen

4. M. [O] fait grief à l’arrêt de confirmer le jugement en ce qu’il dit que la relation entre les parties n’entre pas dans le cadre d’une relation de travail et, le reformant pour le surplus, de dire que le conseil de prud’hommes est compétent pour statuer sur ses prétentions et le dire mal fondé en ses demandes au titre d’un contrat de travail qui est inexistant et de le débouter en conséquence de l’intégralité de ses demandes, alors :

« 5°/ que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de
son subordonné ; qu’en constatant que « certaines dispositions du contrat
pourraient s’apparenter à l’exercice d’un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs » notamment celles relatives à la mise en place d’un itinéraire défini par le logiciel, à l’obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu’ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur (article 2.2 des conditions générales) d’attendre au moins 10 minutes qu’un utilisateur se présente sur le lieu convenu, à l’engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d’utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l’hypothèse où ils seraient d’accord, à l’obligation (article 2.3 du contrat de prestation de services) de ne transporter d’autre personne que l’utilisateur et à s’engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés, à l’engagement du chauffeur de s’abstenir d’afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s’abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l’effigie ou aux couleurs d’Uber et à la préconisation de règles comportementales, et en décidant néanmoins que ces « préconisations » relevaient plus de la fixation d’un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d’une prestation plutôt que la mise en œuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction de l’employeur, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1, et L. 8221-6 II du code du travail ;

7°/ que la détermination par la plateforme de mise en relation par voie électronique du prix des prestations de services constitue l’exercice d’un pouvoir de directive et de contrôle de l’activité des chauffeurs dès lors que le tarif peut être ajusté unilatéralement par la société, notamment en cas d’itinéraire inefficace ; qu’en l’espèce, il était constant que les tarifs étaient
contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n’avait pas le libre choix, puisque le contrat prévoyait en son article 4.3 une
possibilité d’ajustement par Uber du tarif, notamment si le chauffeur avait choisi un « itinéraire inefficace », ce qui traduisait l’existence de directives de la société Uber dont elle contrôlait l’application ; qu’en affirmant, pour écarter l’existence d’un contrat de travail, que S’il est exact que le contrat (art. 4.1 et suivants des conditions générales) prévoit un tarif utilisateur qui est fixé au moyen des algorithmes de la plate-forme Uber et sur lequel le chauffeur n’a aucune prise, cette situation n’est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d’une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d’ajuster le tarif, notamment si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace (art 4.3 des conditions générales), n’est que la conséquence découlant de cette politique tarifaire”, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail ;

8°/ que constituent l’exercice d’un pouvoir de sanction, caractéristique du lien de subordination juridique permanent, outre les déconnexions temporaires à partir de trois refus de courses dont la société Uber reconnaissait l’existence, les corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace”, la fixation par la société Uber BV d’un taux d’annulation de commandes, au demeurant variable dans chaque ville” selon la charte de la communauté Uber pouvant entrainer la perte d’accès au compte ainsi que la perte définitive d’accès à l’application Uber en cas de signalements de comportements problématiques” par les utilisateurs ; qu’en estimant que Lorsqu’un chauffeur, bien que connecté, ne répond pas à trois sollicitations successives de course, il est alors mis hors ligne par l’application ce qui ne peut là encore s’analyser en l’exercice d’un pouvoir disciplinaire dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu’il le souhaite en cliquant sur un bouton ; que Mr [O] justifie par contre par un échange de mails de ce que son compte a été désactivé entre le 14 mars et le 1er avril 2014 (sic 2016) en raison d’un taux élevé d’annulation ; que la société Uber ne discute pas qu’elle dispose effectivement de ce pouvoir en faisant valoir que le compte d’un chauffeur peut être temporairement suspendu, voire définitivement arrêté lorsqu’après avoir accepté une course, il l’a finalement annulée et ce à plusieurs reprises, ce qui semble avoir été le cas de Mr [O] ainsi qu’il ressort des termes des échanges de mails versés aux débats. Cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive est d’ailleurs rappelée à l’article 2.4 des conditions générales qui prévoit que Uber se réserve le droit, et à sa seule discrétion, de désactiver ou autrement restreindre l’accès ou l’utilisation pour un client ou un chauffeur de l’application en cas notamment d’infraction au contrat… ou pour toute autre raison, sans d’ailleurs que ne soit expressément évoqué le cas du taux élevé d’annulation de courses par les chauffeurs. Cet élément s’il peut certes constituer un indice de l’exercice d’un pouvoir disciplinaire par un employeur, s’assimile tout aussi bien à la faculté pour un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu’il n’aurait pas respecté les termes de leur convention. Il est là encore insuffisant à caractériser de manière incontestable l’exercice d’un pouvoir disciplinaire”, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 8221-6 II du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 8221-6 du code du travail :

5. Il résulte de ce texte que les personnes physiques, dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation aux registres que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail. L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.

6. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.

7. Pour dire que M. [O] n’était pas lié par un contrat de travail à la société Uber France, l’arrêt retient que certaines dispositions du contrat pourraient s’apparenter à l’exercice d’un pouvoir de directive de la société Uber sur les chauffeurs notamment celles relatives à la mise en place d’un itinéraire défini par le logiciel, à l’obligation pour les chauffeurs de prendre 6 heures de pause lorsqu’ils ont accumulé 10 heures de conduite, à la préconisation au chauffeur (article 2.2 des conditions générales) d’attendre au moins 10 minutes qu’un utilisateur se présente sur le lieu convenu, à l’engagement du chauffeur de ne pas contacter les utilisateurs ou d’utiliser leurs données personnelles, sauf à réserver toutefois l’hypothèse où ils seraient d’accord, à l’obligation (article 2.3 du contrat de prestation de services) de ne transporter d’autre personne que l’utilisateur et à s’engager à ce que tous les utilisateurs soient transportés directement vers leur destination convenue, sans interruptions ou arrêts non autorisés, à l’engagement du chauffeur de s’abstenir d’afficher des noms ou logos sur son véhicule ou de s’abstenir de porter un uniforme ou autre tenue vestimentaire à l’effigie ou aux couleurs d’Uber et à la préconisation de règles mais que ces préconisations relevaient plus de la fixation d’un cahier des charges destiné à garantir la qualité et la sécurité d’une prestation plutôt que la mise en œuvre de directives formelles et précises caractérisant le pouvoir de direction de l’employeur.

8. L’arrêt relève ensuite que s’il est exact que le contrat (art. 4.1 et suivants des conditions générales) prévoit un tarif utilisateur qui est fixé au moyen des algorithmes de la plate-forme Uber et sur lequel le chauffeur n’a aucune prise, cette situation n’est pas différente de celle découlant de la relation entre un franchisé et un franchiseur ou dans le cadre d’une location gérance où il peut être parfaitement imposé une politique tarifaire et la possibilité pour la société Uber d’ajuster le tarif, notamment si le chauffeur a choisi un itinéraire inefficace (art 4.3 des conditions générales), et n’est que la conséquence découlant de cette politique tarifaire.

9. Il retient encore que lorsqu’un chauffeur, bien que connecté, ne répond pas à trois sollicitations successives de course, il est alors mis hors ligne par l’application ce qui ne peut là encore s’analyser en l’exercice d’un pouvoir disciplinaire dès lors que le chauffeur a la possibilité de revenir en ligne dès qu’il le souhaite en cliquant sur un bouton et que M. [O] justifie par un échange de mails que son compte a été désactivé entre le 14 mars et le 1er avril 2016 en raison d’un taux élevé d’annulation.

10. Il ajoute que la société Uber ne discute pas qu’elle dispose effectivement de ce pouvoir en faisant valoir que le compte d’un chauffeur peut être temporairement suspendu, voire définitivement arrêté lorsqu’après avoir accepté une course, il l’a finalement annulée et ce à plusieurs reprises, que cette faculté de déconnexion temporaire ou définitive est d’ailleurs rappelée à l’article 2.4 des conditions générales qui prévoit que Uber se réserve le droit, et à sa seule discrétion, de désactiver ou autrement restreindre l’accès ou l’utilisation pour un client ou un chauffeur de l’application en cas notamment d’infraction au contrat… ou pour toute autre raison, sans d’ailleurs que ne soit expressément évoqué le cas du taux élevé d’annulation de courses par les chauffeurs mais, cet élément s’il peut certes constituer un indice de l’exercice d’un pouvoir disciplinaire par un employeur, s’assimile tout aussi bien à la faculté pour un acteur économique de rompre ses relations avec son co-contractant au motif qu’il n’aurait pas respecté les termes de leur convention et est là encore insuffisant à caractériser de manière incontestable l’exercice d’un pouvoir disciplinaire.

11. En statuant comme elle a fait, alors qu’il résultait de ses constatations l’existence d’un pouvoir de direction, de contrôle de l’exécution de la prestation ainsi que d’un pouvoir de sanction à l’égard du chauffeur, éléments caractérisant un lien de subordination, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 janvier 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

Condamne les sociétés Uber France et Uber BV aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Uber France et Uber BV et les condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.

 


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