Faute du salarié : la recevabilité des vidéos Youtube

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Faute du salarié : la recevabilité des vidéos Youtube
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Résumé de l’affaire

M. [J] a été embauché en tant que chauffeur VL par la société Ardial Sud Ouest en 1994, puis a évolué au sein de l’entreprise pour occuper différents postes. Suite à un incident en janvier 2020, il a été licencié pour faute grave en février de la même année. M. [J] a contesté cette décision et a saisi la juridiction prud’homale. Le conseil de prud’hommes de Pau l’a débouté de ses demandes en septembre 2022, le condamnant à payer des frais à la société Loomis France. M. [J] a interjeté appel du jugement et demande à la cour de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de lui accorder diverses indemnités. La SASU Loomis France, quant à elle, demande à la cour de confirmer le jugement initial et de condamner M. [J] à payer des frais supplémentaires. L’affaire est en attente de la décision de la cour suite à l’ordonnance de clôture en mars 2024.

L’essentiel

Irrégularité de la procédure

Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, il importe d’abord de relever que la vidéo en question n’est pas illicite car elle n’a pas été enregistrée ni obtenue par l’employeur en violation d’une règle de droit. Concernant sa loyauté, il appert de relever que M. [J] lui-même a informé son employeur de la diffusion de cette vidéo sur youtube, ainsi que cela résulte de son « rapport sur intervention avec un tiers ». Au demeurant, quand bien même cette vidéo constituerait une preuve déloyale comme portant atteinte au droit à l’image de M. [J], elle apparaît indispensable dans le cas présent, en complément des rapports et comptes-rendus des entretiens préalables des autres occupants du fourgon blindé, d’autant que le conseiller qui assistait M. [J] lors de son entretien préalable retire également des informations présentes sur cette vidéo pour contester la gravité des fautes reprochées à l’appelant. En conséquence de tous ces éléments, force est de constater qu’il n’est nullement justifié d’écarter cette pièce des débats.

Cette demande de M. [J] sera en conséquence rejetée et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Justification du licenciement

En application de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse. La cause réelle est celle qui présente un caractère d’objectivité et d’exactitude. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante. Aux termes de l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, le cas échéant complétée dans les conditions fixées par l’article R.1232-13 du même code, comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur. Suivant l’article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.

Suivant l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement en date du 26 février 2020, dont les termes fixent les limites du litige, M. [J] a été licencié pour les motifs suivants : Stationnement dans un contexte insécuritaire, Descente non autorisée du véhicule blindé pour aller à la rencontre de tiers, Non-respect de la procédure en matière d’accident de la route.

Les éléments du dossier permettent d’établir que, le 15 janvier 2020, M. [J] a commis des fautes graves en ne respectant pas les procédures de sécurité et en mettant en danger la sécurité de ses collègues et des fonds transportés. Ces manquements justifient pleinement le licenciement pour faute grave du salarié.

Décision et dépens

Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions. M. [J], qui succombe en son appel, devra en supporter les dépens. Toutefois, l’équité et les situations respectives des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Loomis France qui sera donc déboutée de sa demande sur ce fondement.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 juillet 2024
Cour d’appel de Pau
RG n°
22/02684
TP/DD

Numéro 24/2416

COUR D’APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 25/07/2024

Dossier : N° RG 22/02684 – N°Portalis DBVV-V-B7G-IKUL

Nature affaire :

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

[B] [J]

C/

S.A.S.U. LOOMIS FRANCE

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 25 Juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 10 Avril 2024, devant :

Madame CAUTRES, Présidente

Madame SORONDO, Conseiller

Madame PACTEAU, Conseiller

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [B] [J]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Maître PETRIAT, avocat au barreau de PAU

INTIMÉE :

S.A.S.U. LOOMIS FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Maître DABADIE, avocat au barreau de PAU, et Maître DE SAINT LEGER de la SELARL ALEXIAL AVOCATS, avocat au barreau de LYON

sur appel de la décision

en date du 05 SEPTEMBRE 2022

rendue par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE PAU

RG numéro : 21/00057

EXPOSÉ du LITIGE

M. [B] [J] a été embauché le 28 octobre 1994, par la société Ardial Sud Ouest, en qualité de chauffeur VL, classification 3 bis, Coefficient 118M, selon contrat à durée indéterminée.

L’employeur applique la Convention collective nationale des Transports routiers et activités auxiliaires de transport et plus particulièrement l’accord national professionnel relatif aux transports de fonds et de valeurs.

M. [J] a évolué au sein de l’entreprise :

– Par avenant au contrat de travail du 13 février 1998, M. [J] a évolué au poste de Convoyeur Garde, coefficient 130.

– Par un deuxième avenant au contrat de travail du 3 juin 1999, M. [J] a occupé les fonctions de Convoyeur Conducteur, à compter du démarrage du centre de [Localité 5].

– Par avenant au contrat de travail en date du 25 janvier 2007 à effet au 1er février 2007, M. [J] a occupé le poste de Convoyeur Messager, coefficient 150CF.

La société Securitas, puis la SASU Loomis sont venues aux droits de la société Ardial Sud ouest.

Le 15 janvier 2020, un incident s’est produit avec les passagers d’un autre véhicule, à la suite d’un accrochage. A cette occasion, M. [J] est sorti du véhicule blindé.

Le 13 février 2020, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une mesure de licenciement fixé au 21 février suivant et mis à pied à titre conservatoire.

Par courrier en date du 26 février 2020, M. [J] a été licencié pour faute grave selon les motifs suivants :

Descente du véhicule en dehors des cas autorisés,

Non respect de la procédure en matière d’accident de la route.

M. [J] a contesté la décision.

Le 23 février 2021, M. [B] [J] a saisi la juridiction prud’homale au fond.

Par jugement de départage du 5 septembre 2022, le conseil de prud’hommes de Pau a :

– Débouté M. [B] [J] de l’ensemble de ses prétentions,

– Condamné M. [B] [J] aux dépens d’instance et à payer à la société Loomis France la somme de 1000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 4 octobre 2022, M. [B] [J] a interjeté appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique 28 décembre 2022 auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, M. [B] [J] demande à la cour de :

– Déclarer recevable et bien fondée l’appel interjeté par M. [J] [B] à l’encontre du jugement rendu par le Conseil de prud’homme de Pau le 05 septembre 2022,

– Infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

– Ordonner le rejet de la pièce adverse n°2.9 : la vidéo prise à l’insu de M. [J],

– Dire et juger que le licenciement pour faute grave prononcé par la SASU Loomis à l’encontre de M. [J] est dénué de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– Fixer le salaire de référence à 3 051,10 euros bruts mensuels,

– Condamner la SASU Loomis France à verser à M. [J] les sommes suivantes :

* 24 072,78 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement,

* 6 102,20 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis outre la somme de 610,22 euros bruts à titre de congés payés et afférents,

* 1 472,94 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 147,29 euros bruts de congés payés afférents,

* 56 445.35 euros nets, soit 18,5 mois de salaire, à titre de dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Dire que les sommes allouées à M. [J] porteront intérêt au taux légal à compter de la citation en justice (date de réception par la société défenderesse de sa convocation devant le bureau de conciliation) pour les créances de nature salariale et à compter de la réception de la notification de la décision à intervenir pour les créances en dommages et intérêts,

– Condamner la SASU Loomis France à payer à M. [J] la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Dans ses conclusions n°2 adressées au greffe par voie électronique le 7 février 2024 auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des faits et des moyens, la SASU Loomis France demande à la cour de :

– Confirmer le jugement de départage injustement critiqué en ce qu’il a jugé que :

– M. [J] a commis une faute en stationnant dangereusement le véhicule blindé dans une zone insusceptible de permettre un dégagement rapide.

– M. [J] a gravement manqué à ses obligations en sortant du véhicule blindé sans en avoir reçu l’autorisation expresse de la régulation.

– M. [J] a commis une faute mettant en danger son collègue M. [I] en le laissant seul dans le véhicule sans possibilité pour lui de le conduire en cas d’urgence, tout en s’éloignant de plusieurs dizaines de mètres tel que cela ressort de la vidéo.

– Le licenciement pour faute grave est parfaitement justifié au vu des manquements reprochés à M. [J], rendant impossible son maintien dans l’entreprise Loomis.

En conséquence,

– Débouter purement et simplement M. [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– Condamner M. [J] à payer à la société Loomis France la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 11 mars 2024.

MOTIFS de LA DÉCISION

Sur le rejet de la pièce n°2.9 produite par l’employeur

M. [J] demande que soit écartée des débats la pièce 2.9 produite par l’employeur qui consiste en une clé USB contenant une vidéo tournée par les occupants du camping-car avec lequel le véhicule dans lequel se trouvait l’appelant a eu un accrochage le 15 janvier 2020. Il estime qu’il s’agit d’une preuve déloyale car la vidéo a été filmée à son insu, de manière illicite, déloyale et en violation de sa vie privée.

La société Loomis lui oppose le fait que cette vidéo n’a pas été enregistrée à son insu puisque M. [J] n’ignorait pas qu’il était filmé, et qu’en tout état de cause, elle ne saurait constituer une atteinte à sa vie privée puisqu’elle a été filmée dans un lieu public et sur son temps de travail.

Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, il importe d’abord de relever que la vidéo en question n’est pas illicite car elle n’a pas été enregistrée ni obtenue par l’employeur en violation d’une règle de droit.

Concernant sa loyauté, il appert de relever que M. [J] lui-même a informé son employeur de la diffusion de cette vidéo sur youtube, ainsi que cela résulte de son « rapport sur intervention avec un tiers ».

Au demeurant, quand bien même cette vidéo constituerait une preuve déloyale comme portant atteinte au droit à l’image de M. [J], elle apparaît indispensable dans le cas présent, en complément des rapports et comptes-rendus des entretiens préalables des autres occupants du fourgon blindé, d’autant que le conseiller qui assistait M. [J] lors de son entretien préalable retire également des informations présentes sur cette vidéo pour contester la gravité des fautes reprochées à l’appelant.

En conséquence de tous ces éléments, force est de constater qu’il n’est nullement justifié d’écarter cette pièce des débats.

Cette demande de M. [J] sera en conséquence rejetée et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur le licenciement

En application de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse. La cause réelle est celle qui présente un caractère d’objectivité et d’exactitude. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante.

Aux termes de l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, le cas échéant complétée dans les conditions fixées par l’article R.1232-13 du même code, comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.

Suivant l’article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.

Suivant l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites. La prise en compte d’un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir s’il s’est poursuivi ou réitéré dans ce délai.

Le délai de deux mois s’apprécie du jour où l’employeur a eu connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits fautifs reprochés au salarié, étant précisé que c’est à l’employeur qu’incombe la charge de la preuve qu’il n’a eu cette connaissance des faits fautifs que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de la procédure disciplinaire.

En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement en date du 26 février 2020, dont les termes fixent les limites du litige, M. [J] a été licencié pour les motifs suivants :

Stationnement dans un contexte insécuritaire,

Descente non autorisée du véhicule blindé pour aller à la rencontre de tiers,

Non-respect de la procédure en matière d’accident de la route.

Les éléments du dossier permettent d’établir que, le 15 janvier 2020, M. [J] conduisait un véhicule blindé, dans lequel se trouvaient deux autres collègues, M. [X] [U] en tant que convoyeur-garde, et M. [T] [I] en tant que convoyeur messager.

Il ressort de la déclaration d’incident établie par l’appelant que, ce jour-là, à 12h15, le véhicule blindé que M. [J] conduisait a croisé un camping-car et les rétroviseurs gauches des véhicules se sont entrechoqués. M. [J] conclut ainsi : « voyant que rien de vital n’était atteint et ne pouvant m’arrêter dans un endroit sûr, j’ai continué mon chemin tout en signalant à ma hiérarchie les faits ».

Par la suite, les trois salariés ont fait leur pause repas sur un parking. Le camping-car accroché précédemment est alors arrivé, s’est stationné à l’entrée du parking et en a bloqué l’accès.

Le rapport d’incident établi par M. [I], celui rédigé par M. [J] et le visionnage de la vidéo filmée par les occupants du camping-car permettent d’établir que M. [J] est descendu du véhicule pour aller vers les occupants du camping-car, suivi de M. [U] resté en retrait. Il a échangé avec ces derniers qui lui reprochaient de ne pas s’être arrêté après avoir percuté le rétroviseur de leur véhicule puis est retourné au camion. M. [U] l’a suivi après avoir communiqué les coordonnées du service à contacter. Deux des occupants du camping-car leur ont emboîté le pas dans le but de filmer ou photographier la plaque minéralogique du fourgon blindé. Les gendarmes, avisés par les occupants du camping-car, sont arrivés plusieurs dizaines de minutes après.

Les faits tels qu’ils résultent des pièces visées ci-avant ainsi que du compte-rendu de l’entretien préalable de M. [I] qui, tout comme M. [U], a fait ensuite l’objet d’une mise à pied disciplinaire, constituent des infractions aux règles de sécurité applicables.

En effet, selon la fiche procédure n°17, en cas d’accident matériel du fourgon blindé avec un véhicule tiers, lorsque le fourgon blindé n’est pas immobilisé, il est demandé de :

Arrêter le fourgon blindé en dehors de la circulation,

Mettre les feux de croisement et de détresse,

Donner l’alerte aux forces de l’ordre, informer le centre de sa situation,

Indiquer au moyen d’un panneau :

Que l’on ne peut descendre du fourgon blindé,

Que le constat sera fait au centre,

Communiquer les coordonnées : adresse, téléphone et nom du responsable,

Donner le numéro d’immatriculation du véhicule,

Noter l’immatriculation du véhicule adverse et les dégâts occasionnés,

Visualiser les tiers le mieux possible pour pouvoir les reconnaître,

Reprendre la route,

Informer le centre de la reprise de tournée.

Dans le cas présent, il est incontestable que cette procédure n’a pas été appliquée par M. [J] le 15 janvier 2020 après le croisement d’un camping-car au cours duquel les rétroviseurs gauches des deux véhicules se sont entrechoqués.

En particulier, il n’a pas été porté à la connaissance des occupants du camping-car les informations nécessaires permettant, le cas échéant, la rédaction d’un constat d’accident.

Par ailleurs, selon la fiche procédure n°11, « la pause repas en rase campagne est interdite. Il est vivement conseillé de prendre les repas dans le fourgon blindé et toujours en agglomération. Le point de stationnement doit être différent chaque jour. Le temps d’arrêt doit rester aussi court que possible et fixé par le chef de centre ou responsable de transport ».

Il est également prescrit que, s’il « n’existe pas d’accord avec les forces de l’ordre », il faut :
Stationner le fourgon blindé à un endroit fréquenté, le plus près possible des forces de l’ordre,

Informer le centre du point exact du stationnement,

Veiller à ce que le fourgon blindé puisse démarrer et quitter les lieux rapidement en toutes circonstances,

Surveiller les abords pendant le repas,

Se tenir prêt à repartir,

Eviter le blocage du fourgon blindé,

Renseigner la feuille de route,

Informer le centre de la reprise de tournée,

Quitter systématiquement les lieux si un autre véhicule vient stationner à proximité du fourgon blindé.

Le visionnage de la vidéo permet de constater que le véhicule blindé était, le 15 janvier 2020, au moment de la pause déjeuner, stationné sur une zone ne disposant que d’un accès, au fond de ladite zone de parking, en campagne, près d’un point d’eau.

En stationnant le véhicule blindé dont il était le conducteur, dans un endroit isolé, en tous les cas sans construction visible alentours et pouvant être facilement bloqué comme ce fut le cas par le camping-car, lieu qu’il ne pouvait donc quitter rapidement, M. [J] n’a pas respecté les consignes de sécurité.

Il n’a pas agi sur ordre de quelqu’un : M. [I], lors de son entretien préalable, a en effet indiqué « qu’ils n’ont pas décidé » et que « le chauffeur (M. [J]) lui a demandé si cela lui convenait et cela était sur leur route ».

Enfin, le règlement intérieur précise que, dans le cadre de la discipline particulière du transport de fonds, il est prescrit à l’agent de « ne pas quitter son poste sans raison impérative et sans avoir reçu l’autorisation du chef de service ou de son représentant » et de « prendre ou observer toute mesure tendant à assurer, dans l’ordre : sécurité des personnes, des valeurs transportées, des matériels qui lui sont confiés ».

Dans le cas présent, M. [J], ainsi qu’il l’écrit dans son « rapport sur intervention avec un tiers », indique avoir « pris l’initiative d’aller [à la] rencontre » des occupants du camping-car. Il est donc descendu du fourgon blindé et, après avoir fini d’ajuster son gilet pare-balles à l’extérieur du véhicule, s’est dirigé vers ces derniers, une famille composée de deux adultes et cinq enfants, conscient d’être filmé. Il a été suivi par M. [U].

Ce faisant, alors que, s’il avait informé la régulation de son projet, il n’avait toutefois pas reçu l’autorisation du chef de service ou de son représentant de descendre du fourgon, M. [J] a enfreint les règles de sécurité, sortant du véhicule blindé en laissant M. [I] seul à bord du fourgon, chargé de fonds, qui était bloqué au fond d’une impasse. L’écrit des régulateurs transport, M. [O] et [Z], confirme la situation du fourgon blindé : « nous avons reçu un appel mis sous haut-parleur de M. [I] [T], messager de la tournée, nous indiquant le blocage du FB par un camping-car et nous demandant l’autorisation de percuter le véhicule. Après notre refus, il nous signale que la gendarmerie est en route pour régler la situation ».

[B] [J] soutient qu’il n’est pas démontré qu’il avait connaissance des procédures en vigueur.

Or, la société Loomis justifie des formations reçues par le salarié en 2005, 2009, 2012, 2017 et 2020 ayant toutes trait à la sécurité et en particulier aux « procédures opérationnelles de sécurité dans le cadre normal du transfert de fonds ».

Parfaitement informé des procédures à suivre, M. [J] a enfreint les règles de sécurité le 15 janvier 2020 pour aller au contact de deux adultes et 5 enfants, dont un adolescent à la lecture de la vidéo, qui étaient relativement virulents et ont d’ailleurs suivi les convoyeurs qui retournaient au fourgon pour photographier ou filmer la plaque minéralogique de ce dernier, sans attendre l’arrivée des gendarmes.

La réalité et l’ampleur de ces faits ont été portées à la connaissance de l’employeur le 12 février 2020, à l’initiative de M. [J] lui-même dont le rapport est postérieur à cette date puisqu’il évoque la vidéo faite par les occupants du camping-car, diffusées sur youtube et sa communication à l’employeur, qui est démontrée comme ayant été faite par mail du 12 février 2020.

La procédure engagée par l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable le 13 février 2020 est donc intervenue immédiatement après la connaissance exacte, par la société Loomis, de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits fautifs reprochés au salarié, de sorte qu’aucune prescription ne peut lui être opposée.

Dans ces conditions, le licenciement pour faute grave du salarié était justifié, son maintien dans l’entreprise étant impossible même pendant la période du préavis compte tenu de la gravité des manquements de M. [J] et de leurs conséquences sur la sécurité de ses collègues et des fonds transportés.

Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les demandes accessoires

[B] [J], qui succombe en son appel, devra en supporter les dépens.

Toutefois, l’équité et les situations respectives des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Loomis France qui sera donc déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Pau en date du 5 septembre 2022 ;

Y ajoutant :

CONDAMNE M. [B] [J] aux dépens d’appel ;

DEBOUTE la société Loomis France de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


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