Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
8e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 26 JANVIER 2012
N° 2012/ 35
Rôle N° 10/09313
[B] [P]
C/
SA BANESTO – BANCO ESPANOL DE CREDITO
Grosse délivrée
le :
à :COHEN
[Localité 3]
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 12 Mai 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 2008F04498.
APPELANT
Maître [B] [P], pris es qualité de liquidateur judiciaire de la SOCIETE FRANCAISE POUR LE COMMERCE DES HUILES D’OLIVE ET OLEAGINEUX (FRAHUIL),
demeurant [Adresse 1]
représenté par la SCP COHEN GUEDJ, avoués à la Cour, assistée de Me Caroline SAYAG, avocat au barreau de MARSEILLE de la SCP BOLLET ET ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Société BANCO ESPANOL DE CREDITO, dite BANESTO, prise en la personne de son représentant légal, dont le siège est sis [Adresse 2] (ESPAGNE)
représentée par la SCP MJ DE SAINT FERREOL ET COLETTE TOUBOUL, avoués à la Cour, assistée de Me Béatrice FAVAREL, avocat au barreau de MARSEILLE, et de Me PITRON, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 06 Décembre 2011 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Jean-Noël ACQUAVIVA, Conseiller a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Louis BERGEZ, Président
Monsieur Jean-Noël ACQUAVIVA, Conseiller
Madame Marie-Claude CHIZAT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Janvier 2012,
Rédigé par Monsieur Jean-Noël ACQUAVIVA, Conseiller,
Signé par Monsieur Jean-Louis BERGEZ, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES.
La S.A. FRAHUIL ayant pour activité la vente en gros, l’importation et l’exportation d’huiles d’olives et d’oléagineux a, pour le financement de son activité, obtenu le 13 juillet 1996 de la S.A. BANESTO-BANCO ESPANOL DE CREDITO, établissement de crédit de droit espagnol (la banque), une ouverture de crédit d’un milliard de pesetas pour l’émission de crédits documentaires à l’exportation, garanti par un gage sur stocks avec dépossession puis le 19 septembre 1996 un crédit d’un montant de deux millions de dollars américains destiné à financer les options prises à la Bourse des Futurs de CHICAGO, garanti par le cautionnement de la Société de droit espagnol FRINT ESPANA.
Ces concours dont le montant a été porté pour le premier à 3 milliards de pesetas et pour le second à 3 millions de dollars américains par avenants du 19 décembre 1996 et dont les échéances ont été reportées par avenants successifs au 24 octobre 1998, n’ont pas été réglés à cette date.
La banque ayant refusé la nouvelle prorogation d’échéance sollicitée par la S.A. FRAHUIL, les parties sont convenues de procéder à la restructuration de la dette par la mise en place de deux échéanciers.
C’est ainsi que par deux actes du 30 novembre 1998, la première échéance de remboursement du crédit de trois milliards de pesetas a été fixée au 15 décembre 1998 et celle du crédit de trois millions de dollars au 30 mars 1999.
L’échéance fixée au 15 décembre 1998 n’ayant pas été respecté, la banque a notifié le 4 janvier 1999 à la S.A. FRAHUIL sa décision de prononcer la déchéance du terme des deux crédits et a mis en demeure celle-ci de rembourser les sommes dues.
Après l’ouverture d’une procédure de règlement amiable, le Tribunal de commerce de MARSEILLE constatant l’état de cessation des paiements de la S.A. FRAHUIL a, par jugement du 7 juin 1999, prononcé le redressement judiciaire de cette dernière, procédure ultérieurement convertie en liquidation judiciaire par décision du 6 octobre 1999, Monsieur [B] [P] étant désigné en qualité de liquidateur.
Considérant que la banque a soutenu abusivement l’activité de la S.A. FRAHUIL à laquelle les concours consentis ont crée une apparence de solvabilité et que cette faute a contribué à l’insuffisance d’actif, Monsieur [B] [P] ès qualités a, par acte d’huissier du 24 novembre 2006, fait assigner la banque devant le Tribunal de commerce de MARSEILLE en paiement d’une somme de 150 millions d’euros à titre provisionnel.
Par jugement du 3 octobre 2007, le tribunal, après avoir retenu sa compétence territoriale déclinée par la banque, a sursis à statuer dans l’attente de l’instance pénale en cours à l’encontre des dirigeants de la S.A. FRAHUIL du chef de présentation de comptes annuels ne présentant pas une image fidèle, de détournement de gage et d’escroquerie.
Par jugement du 2 juin 2008, confirmé par arrêt du 9 novembre 2010, le tribunal correctionnel de MARSEILLE a déclaré Monsieur [W] [H] et Monsieur [K] [H] coupables des délits qui leur étaient reprochés, a prononcé sur l’action publique et sur l’action civile a condamné ceux-ci au paiement de différentes sommes aux parties civiles, la S.A. BANESTO, la S.A. NATIXIS et la Banque LEUMI.
Après rétablissement de l’instance engagée devant lui, le Tribunal de commerce de MARSEILLE a, par jugement du 12 mai 2010, constaté que la loi applicable est la loi espagnole, a déclaré irrecevable comme prescrite l’action de Monsieur [B] [P] ès qualités et a condamné ce dernier au paiement d’une somme de 30.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration de son avoué du 18 mai 2010, Monsieur [B] [P] ès qualités a relevé appel de cette décision, demandant à la Cour, par voie d’écritures signifiées le 16 septembre 2010 de l’infirmer, de constater que la loi applicable au litige est la loi française, de constater que la banque a commis une faute engageant sa responsabilité, de la condamner au paiement de l’insuffisance d’actif telle qu’elle sera arrêtée à la clôture des opérations de liquidation et de la condamner au paiement à titre provisionnel d’une somme de 150 millions d’euros, outre une somme de 100.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Pour sa part, aux termes d’écritures récapitulatives signifiées le 19 novembre 2010, la banque a conclu à la confirmation de la décision déférée et si celle-ci devait être infirmée au débouté de Monsieur [B] [P] en l’absence de faute constitutive d’un soutien abusif et de preuve d’une quelconque aggravation du passif, sollicitant en tout état de cause, l’allocation d’une somme de 50.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2011.
MOTIFS DE LA DÉCISION.
– Sur la loi applicable au litige.
Attendu que les parties s’opposent sur la loi applicable, Monsieur [B] [P] ès qualités soutenant que la loi française est applicable tandis que la banque prétend que le litige est soumis à la loi espagnole.
Attendu que la loi applicable en matière extra-contractuelle est celle de l’Etat où le fait dommageable s’est produit, ce lieu s’entendant aussi bien de celui du fait générateur que de celui du lieu de réalisation de ce dernier.
Attendu qu’en l’espèce, la cour est saisie d’une action de nature délictuelle engagée à l’encontre d’une société de droit espagnol par un liquidateur judiciaire représentant une collectivité de créanciers dans le cadre d’une procédure collective ouverte en FRANCE à l’encontre d’une société de droit français, la responsabilité de la banque étrangère étant recherchée à l’occasion de l’octroi de concours consentis en Espagne aux termes de contrats de financement soumis à la loi espagnole ;
que le dommage allégué par le liquidateur de la S.A. FRAHUIL s’il trouve son origine dans les crédits accordés selon lui, de manière abusive, par la banque espagnole, a été subi en France par la collectivité des créanciers qu’il représente à la suite de l’ouverture de la liquidation judiciaire de la S.A. FRAHUIL, société de droit français ayant son siège social sur le territoire français en sorte que la loi française qui présente les liens les plus étroits avec le litige est applicable ;
qu’en effet, c’est vainement qu’au soutien de la demande de désignation de la loi espagnole, la banque fait valoir que l’activité de la S.A. FRAHUIL était très développée sur le marché espagnol, qu’une Société de droit espagnol FRINT ESPANA a donné sa caution à l’un des concours, qu’il existerait une confusion des intérêts économiques et financiers des deux sociétés, que l’un des dirigeants de la S.A. FRAHUIL avait un domicile à Madrid payé par FRINT et qu’enfin, les contrats de crédit reçus en la forme authentique par un officier public espagnol sont soumis à la loi espagnole, ces éléments étant inopérants au regard du principe de proximité qui doit prévaloir dans la désignation de la loi compétente, étant observé au surplus, sur le dernier point, que l’action étant de nature délictuelle, la loi applicable au contrat est sans incidence sur la détermination de la loi applicable à l’action ;
que de la même manière, la clause d’exception tirée de l’existence d’une relation préexistante, visée par l’article 4 § 3 du Règlement CE n°864-2007 du 11 juillet 2007, non applicable en la cause, pour privilégier la loi du pays présentant des liens manifestement plus étroits avec le fait dommageable, n’apparaît pas en l’espèce, déterminante dès lors que la circonstance que le grief d’un manquement contractuel fonde l’action extra-contractuelle engagée par Monsieur [B] [P] ne peut suffire à caractériser l’existence d’une relation préexistante avec la banque dès lors que celui-ci n’agit pas en qualité de représentant de la la S.A. FRAHUIL mais en celle de représentant de la collectivité de ses créanciers ;
que par suite, le jugement déféré doit être réformé de ce chef.
– Sur la prescription de l’action.
Attendu que la loi française étant applicable, l’action se trouve soumise aux règles de prescription de droit commun édictées par l’article 2270-1 ancien du Code civil applicable en la cause sans que puissent être invoquées utilement les dispositions de l’article 1968, 2° du code civil espagnol;
qu’il s’ensuit que l’action ayant été engagée par Monsieur [B] [P] le 24 novembre 2006 soit dans le délai de la prescription de 10 ans, celle-ci doit être déclarée recevable, le jugement devant être infirmé de ce chef.
– Sur le fond.
Attendu que Monsieur [B] [P] ès qualités fait grief à la banque d’avoir octroyé à la S.A. FRAHUIL plus de 20 millions d’euros de crédit dont elle a reporté systématiquement la date d’échéance alors que le maintien de l’activité n’était possible qu’avec le recours systématique aux financements bancaires, la trésorerie de la société comme sa capacité d’autofinancement étant négatives au cours des années 1996 et 1998 et son chiffre d’affaires en recul de presque 50%, ce que ne pouvait ignorer la banque.
Mais attendu que si la circonstance que le droit espagnol n’envisage pas la possibilité de rechercher la responsabilité d’un établissement bancaire pour un soutien abusif est indifférente en l’état de la désignation de la loi française pour régir le litige, cette responsabilité ne peut être engagée qu’autant qu’il est démontré que lors de l’octroi ou du maintien de ses concours, la banque savait ou ne pouvait ignorer que la situation de la S.A. FRAHUIL était irrémédiablement compromise ou à tout le moins, gravement obérée au point de mettre en question la continuité même de son exploitation;
qu’à cet égard, il est constant et d’ailleurs non contesté que la banque s’est fait remettre par la S.A. FRAHUIL avant toute décision, les documents comptables lui permettant d’analyser sa situation financière ;
que les bilans versés aux débats par la banque attestent que lors de l’octroi des concours litigieux au mois de septembre et octobre 1996, la S.A. FRAHUIL avait réalisé au cours du dernier exercice clos le 31 décembre 1995 un chiffre d’affaires d’un montant de 1.347.520.725 francs pour un résultat d’exploitation de 103.322.975 francs et un résultat courant avant impôt de 50.195.591 francs ;
que lors du maintien de ces concours par prorogation au mois d’octobre 2007 du terme d’un an initialement fixé, les comptes sociaux arrêtés au 31 décembre 1996 font apparaître que le chiffre d’affaires de la S.A. FRAHUIL était en progression à 2.068.040.794 francs et que si le résultat d’exploitation et le résultat avant impôt étaient en baisse, ils s’établissaient, toutefois, respectivement à 68.512.304 francs et 2.662.492 francs ;
qu’enfin, si lors de la prorogation accordée le 30 novembre 1998, le bilan clos au 31 décembre 1997 révélait une diminution importante du chiffre d’affaires ramené à 1.474.390.571 francs et une dégradation du résultat d’exploitation à 5.549.113 francs, le résultat avant impôt étant lui négatif, il ne peut être déduit de ces éléments non plus que de l’endettement de la S.A. FRAHUIL, la preuve ni même l’indice de ce que la banque savait que la situation de sa cliente était irrémédiablement compromise ou qu’elle aurait dû s’en convaincre si elle avait procédé aux vérifications qui, selon le liquidateur, s’imposaient ;
qu’il sera relevé, en effet, que la croyance dans le redressement de l’entreprise était partagée tant par le juge enquêteur désigné par le Tribunal de commerce de MARSEILLE le 23 décembre 1998 qui notait dans son rapport du 2 mars 1999 que ‘le bilan 1997 paraît satisfaisant. Avec des fonds propres de 156 MF pour des immobilisations de 16 MF seulement, FRAHUIL possède un fonds de roulement confortable. Le chiffre d’affaires est certes en forte baisse par rapport à 1996 mais il s’agit d’une baisse du cours des huiles et non d’une chute d’activité en volume’ que par le tribunal qui, dans son jugement du 2 avril 1999, a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la S.A. FRAHUIL aux motifs notamment que ‘le fonds de roulement de l’entreprise est très largement positif et finance plus que l’intégralité du stock de marchandises, la structure haut de bilan est saine’ et que le niveau des concours bancaires à court terme de l’ordre de 390.000.000 de francs a été suffisant à assurer l’équilibre du bas de bilan jusqu’en fin d’année 1998 ;
que cette confiance dans la pérennité de l’exploitation de la S.A. FRAHUIL était également épousée tant par la Banque de France qui devait attribuer à la S.A. FRAHUIL au mois de septembre 1998 une cotation favorable que par les autres banques, dispensatrices de crédit puisque aussi bien, la banque LEUMI devait accorder le 17 août 1998 deux crédits documentaires d’un montant respectivement de 2.225.000.000 et 150.000.000 de pesetas et la banque NATIXIS une ouverture de crédit de 7.844.881 francs le 5 mars 1997 et consentir un nouveau concours le 7 juin 1998 ;
qu’enfin, il n’est pas inutile de relever ainsi qu’il ressort des motifs de la décision du tribunal correctionnel de MARSEILLE du 2 juin 2008 dont les dispositions statuant sur l’action publique sont devenues irrévocables que les dirigeants de la S.A. FRAHUIL ont sciemment dissimulé à leurs propres commissaires aux comptes et experts comptables les engagements hors bilan souscrits par la S.A. FRAHUIL laquelle s’était portée caution notamment d’une société FRINT ESPANA à hauteur de 16 milliards de pesetas et que ces agissements avaient précisément pour objet de tromper les tiers et notamment les banques sur la situation réelle de la S.A. FRAHUIL.
Attendu qu’il résulte des éléments qui précédent que la banque ne pouvait avoir connaissance lors de l’octroi et du maintien des crédits considérés que la situation de la S.A. FRAHUIL était irrémédiablement compromise ou à tout le moins, gravement obérée ;
que par suite, aucune faute susceptible de caractériser un soutien abusif ne pouvant être retenue à l’encontre de la banque intimée, Monsieur [B] [P] ès qualités doit être débouté de son action.
– Sur les dépens.
Attendu que Monsieur [B] [P] qui succombe à titre principal doit être condamné aux dépens de première instance et d’appel.
– Sur la demande présentée sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Attendu que pour n’en point supporter la charge inéquitable, la banque recevra de Monsieur [B] [P] ès qualités, en compensation des frais exposés tant en première instance qu’en cause d’appel et non compris dans les dépens, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR ;
STATUANT publiquement, contradictoirement ;
INFIRME en toutes ses dispositions la décision déférée.
ET STATUANT à nouveau,
DIT la loi française applicable au litige.
DIT recevable l’action de Monsieur [B] [P] ès qualités.
DÉBOUTE Monsieur [B] [P] ès qualités de ses demandes.
CONDAMNE Monsieur [B] [P] ès qualités aux dépens de première instance et d’appel et au paiement d’une somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés tant en première instance qu’en appel.
DIT qu’il sera fait application au profit de la SCP d’avoués DE SAINT FERREOL-TOUBOUL des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT