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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 8
ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/00903 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CG5O3
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 25 Novembre 2022 -Président du TJ de PARIS – RG n° 22/57522
APPELANT
M. [N] [U]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Elodie LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0424
INTIMES
M. [S] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 4]
S.A.R.L. LIBERATION prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentés et assistés par Me Charles-emmanuel SOUSSEN de la SCP JEAN-PAUL LEVY ET CHARLES-EMMANUEL SOUSSEN – AVOCATS ASSOCIE S, avocat au barreau de PARIS, toque : W17
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 29 juin 2023, en audience publique, Rachel LE COTTY, Conseiller ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Président,
Rachel LE COTTY, Conseiller,
Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Marie GOIN
MINISTERE PUBLIC : dossier transmis au ministère public le 07 avril 2023.
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Président et par Saveria MAUREL, Greffier, présente lors de la mise à disposition.
*****
La société Libération est la société éditrice du journal Libération, quotidien d’information dont M. [Z] est le directeur de la publication. Elle dispose également d’un site internet accessible à l’adresse www.liberation.fr.
M. [U] est un expert psychiatre.
A la suite d’un article publié dans le journal imprimé Libération du 6 juillet 2022, intitulé « Inceste – Des mères en lutte contre « l’aliénation parentale », ainsi que sur le site internet du journal le 5 juillet 2022, M. [U] a souhaité exercer un droit de réponse sur le fondement de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et de l’article 6, IV et V, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).
Par lettre du 15 juillet 2022, son avocat a demandé à M. [Z] l’insertion d’un texte intitulé « droit de réponse de [N] [U] à l’article publié dans Libération du 6 juillet 2022, pages 12 et 13 ».
Constatant qu’il n’avait pas été donné suite à cette demande, M. [U] a, par acte du 5 octobre 2022 dénoncé au ministère public, assigné M. [Z] et la société Libération devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris afin qu’il leur ordonne d’insérer, sous astreinte, dans la version papier du journal Libération et dans sa publication numérique, la réponse établie le 15 juillet 2022. Il a également sollicité la somme de 10.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts.
Par ordonnance du 25 novembre 2022, le juge des référés a :
– déclaré irrecevable la demande de M. [U] tendant à l’insertion, sur le site internet de Libération, d’un droit de réponse à l’article publié le 5 juillet 2022, sous le titre « Violences sexuelles Inceste : le « syndrome d’aliénation parentale » ;
– dit n’y avoir lieu à référé s’agissant de la demande présentée par M. [U] tendant à l’insertion forcée d’un droit de réponse dans le journal Libération, à la suite de l’article du 6 juillet 2022 du journal imprimé Libération, sous le titre « Inceste – Des mères en lutte contre « l’aliénation parentale » et rejeté la demande de dommages et intérêts subséquente ;
– rejeté toute demande plus ample ou contraire ;
– condamné M. [U] à verser à M. [Z] et à la société Libération la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [U] aux dépens.
Par déclaration du 26 décembre 2022, M. [U] a interjeté appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 juin 2023, il demande à la cour de :
le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;
infirmer l’ordonnance entreprise ;
recevoir l’intégralité de ses moyens et prétentions ;
ordonner aux intimés d’insérer, à la fois dans la version papier du journal Libération et dans sa publication numérique, sa réponse en date du 15 juillet 2022, reçue par le directeur de publication le 20 juillet 2022 ;
condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts ;
condamner in solidum les défendeurs à l’insertion forcée, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter du troisième jour suivant le prononcé de l’ordonnance à intervenir, du droit de réponse, telle que sollicitée dans le courrier du 15 juillet 2022 reçu par le directeur de publication du journal Libération le 20 juillet 2022 ;
condamner in solidum les défendeurs à lui payer la somme de 8.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner les défendeurs aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 7 juin 2023, M. [Z] et la société Libération demandent à la cour de :
confirmer intégralement la décision entreprise ;
en tout état de cause,
condamner M. [U] à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Le ministère public, à qui le dossier a été communiqué, a indiqué s’en rapporter.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 juin 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
SUR CE, LA COUR,
Sur la recevabilité de la demande d’insertion d’un droit de réponse sur le site internet de Libération
Aux termes de l’article 6, IV, de la LCEN :
« Toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d’un droit de réponse, sans préjudice des demandes de correction ou de suppression du message qu’elle peut adresser au service.
La demande d’exercice du droit de réponse est adressée au directeur de la publication ou, lorsque la personne éditant à titre non professionnel a conservé l’anonymat, à la personne mentionnée au 2 du I qui la transmet sans délai au directeur de la publication. Elle est présentée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la mise à disposition du public du message justifiant cette demande.
Le directeur de la publication est tenu d’insérer dans les trois jours de leur réception les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le service de communication au public en ligne sous peine d’une amende de 3.750 euros, sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l’article pourrait donner lieu.
Les conditions d’insertion de la réponse sont celles prévues par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 précitée. La réponse sera toujours gratuite ».
Le caractère strictement personnel du droit de réponse justifie qu’il ne puisse être mis en oeuvre que par celui qui a été mis en cause dans la publication litigieuse.
Il en résulte que la réponse adressée par l’avocat de la personne désignée dans l’article doit être accompagnée d’un pouvoir spécial et que le directeur de la publication n’est pas tenu d’insérer une réponse lorsque la demande est formée par un avocat qui ne produit pas le mandat spécial qui lui a été remis à cet effet par la personne mise en cause.
Au cas présent, le premier juge a retenu que la demande d’insertion d’un droit de réponse était irrecevable s’agissant du support en ligne au motif que le mandat spécial donné par M. [U] à ses avocats ne faisait référence qu’à l’édition papier.
M. [U] soutient que sa demande d’insertion d’un droit de réponse sur le site internet de la société Libération est recevable dès lors que le mandat spécial donné à ses conseils visait nécessairement les deux publications du même article, dans l’édition numérique et dans l’édition papier du journal Libération, la première en date du 5 juillet 2022, la seconde en date du 6 juillet 2022, le contenu des deux articles étant strictement identique.
Mais le mandat spécial daté du 11 juillet 2022 donné par M. [U] à ses avocats est ainsi libellé : « Je soussigné [N] [U], né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 6] (Algérie) et domicilié [Adresse 2], déclare par la présente mandater Maître [F] [J] et Maître [W] [A] afin d’exercer en mon nom un droit de réponse à l’article publié le 06/07/2022 par le quotidien Libération, intitulé « Inceste, des mères en lutte contre l’aliénation parentale ».
Il ne peut qu’être constaté que la date et l’intitulé de l’article ainsi désigné visent uniquement l’édition papier du journal, à l’exclusion de la version numérique, publiée le 5 juillet 2022 sous un intitulé différent : « Violences sexuelles – Inceste : le « syndrome d’aliénation parentale », travail de sape de la parole des mères ».
Le mandat vise donc exclusivement la version papier du journal, ainsi que l’a exactement retenu le premier juge, de sorte que le directeur de la publication n’était pas tenu de répondre à la demande d’insertion sur le site internet de Libération.
Il doit également être relevé que le texte même du droit de réponse, intitulé « droit de réponse de [N] [U] à l’article publié dans Libération du 6 juillet 2022, pages 12 et 13 », ne vise que l’édition papier du 6 juillet 2022.
L’ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef.
Sur le bien-fondé de la demande d’insertion d’un droit de réponse sur l’édition papier du journal Libération
M. [U] fonde sa demande sur les articles 834 et 835 du code de procédure civile ainsi que sur l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Selon l’article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
Selon l’article 835, alinéa 1er, du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit les conditions d’exercice du droit de réponse dans les termes suivants :
« Le directeur de la publication sera tenu d’insérer dans les trois jours de leur réception, les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique quotidien sous peine de 3.750 euros d’amende sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l’article pourrait donner lieu ».
Le droit de réponse institué par ce texte est général et absolu. Celui qui l’exerce est juge de l’utilité, de la forme et de la teneur de sa réponse. L’insertion ne peut être refusée qu’autant que la réponse est contraire aux lois, aux bonnes moeurs, à l’intérêt légitime des tiers ou à l’honneur du journaliste (Crim., 19 décembre 1989, pourvoi n° 89-81.197, Bull. crim. 1989, n° 493).
A cet égard, la réponse dont l’insertion est demandée ne porte pas, dans des conditions de nature à interdire sa publication, atteinte à l’honneur du journaliste, auteur de l’article auquel il est répondu, lorsqu’elle se contente de critiquer, dans des termes proportionnés à cet article, la légitimité du but poursuivi par celui-ci, le sérieux de l’enquête conduite par son auteur, sa prudence dans l’expression ou son absence d’animosité personnelle (Crim., 1er septembre 2020, pourvoi n° 19-81.448, publié ; Crim., 3 novembre 2020, pourvoi n° 19-85.276, publié).
Au cas présent, l’article incriminé a été publié en pages 12 et 13 de l’édition du 6 juillet 2022 du journal Libération, sous le titre « Inceste – Des mères en lutte contre « l’aliénation parentale », avec en exergue le texte suivant : « Ne reposant sur aucune base scientifique, le syndrome est régulièrement invoqué pour discréditer les mères, accusées d’instrumentaliser leurs enfants qu’elles tentent de protéger de leur père. »
L’article débute par l’évocation de la situation d’un couple séparé, dont les enfants seraient selon la mère victimes d’atteintes sexuelles par le père, lequel évoque de son côté une manipulation de la mère pour « obtenir seule la garde des enfants ».
L’article poursuit en énonçant que « le syndrome d’aliénation parentale (SAP) a été théorisé par le psychiatre américain [X] [B] en 1985 comme un « trouble de l’enfance qui survient dans le contexte de conflits relatifs à la résidence des enfants. Sa première manifestation est la campagne de dénigrement injustifiée menée par l’enfant contre un parent après un « lavage de cerveau ». D’après lui, 90% des mères sont aliénantes dans les divorces conflictuels, et lorsqu’il y a des allégations d’inceste, elles seraient alors fausses. « Le procès d'[Localité 7] et la remise en question de la parole des enfants a été un terreau favorable pour l’émergence du SAP en France dans les années 2000 », déplore [H] [G], avocate spécialisée dans la protection de l’enfance ».
L’article évoque alors M. [U] en ces termes : « Le psychiatre [N] [U], expert judiciaire cité par la défense au procès d'[Localité 7] de 2004, assure depuis vingt ans la promotion de l’aliénation parentale. C’est lui qui a expertisé [K] en décembre 2013. Cette mère […] avait déposé plainte pour viols et agressions sexuelles incestueux sur sa fille [L], 3 ans, dont le comportement avait brusquement changé. « Dans le bain, elle positionnait la tête d’un jouet dans l’entrejambe de l’autre. Elle disait avoir la bouche sale et évoquait un secret avec son papa ». Une enquête pénale est ouverte. Dans son rapport d’expertise, que Libération a consulté, [N] [U] conclut, sans avoir rencontré la petite fille : « [L] a une représentation anxiogène de la figure paternelle : ce qui est bien sûr compatible avec l’hypothèse d’un abus sexuel mais tout aussi compatible avec celle d’un abus fantasmé, dont sa mère n’est évidemment pas en mesure de la protéger, puisqu’elle est elle-même très envahie par une conviction proche d’une certitude inébranlable ».
L’article poursuit en soulignant que « les accusations d’aliénation parentale sont un moyen d’isoler, contrôler et contraindre le parent protecteur et l’enfant », estime [C] [D], docteure en psychologie sociale, spécialiste du contrôle coercitif. En 2018, le ministère de la justice émet une note interne pour informer du caractère « controversé et non reconnu » du SAP. Ce syndrome n’a pas de fondement scientifique, il n’a d’ailleurs jamais été inscrit dans le registre américain des troubles mentaux qui fait référence ».
Il ajoute en évoquant à nouveau l’appelant : « [N] [U] est aujourd’hui visé par une plainte collective au civil et devant le conseil de l’ordre portée par quatre structures spécialisées dans la lutte contre les violences sexuelles et la protection de l’enfance. Révélée par Médiapart et également consultée par Libération, cette plainte demande des sanctions disciplinaires à son égard et son retrait de la liste des experts près la cour d’appel de Versailles dans les dossier de violences sur mineur. Contacté par Libération, [N] [U] n’a pas souhaité s’exprimer, « préférant réserver ses réponses aux juridictions compétentes ». Le 23 juin, l’audience de conciliation devant le conseil de l’ordre des médecins des Yvelines a échoué, et la plainte transmise à la chambre disciplinaire de l’ordre d’Ile-de-France. « [N] [U] se range du côté des pères, regrette [O] [E], président de la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel. Ce n’est pas la place d’un expert dont le rôle est d’éclairer une procédure ». [N] [U] n’est pas le seul professionnel convaincu par l’aliénation parentale. Le SAP a imprégné durablement les pratiques de la chaîne judiciaire. « C’était un outil commode », admet [P] [R], membre du comité directeur de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille ».
L’article décrit ensuite le recours à ce syndrome dans les litiges familiaux, expliquant que « quand il est associé à une plainte du père pour non-représentation d’enfant et à un classement sans suite pour violences, le syndrome d’aliénation parentale contribue à acter le transfert de garde vers l’agresseur ».
Il évoque les travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, qui « a recueilli plus de 300 témoignages de « mères en lutte » s’affirmant en situation de déni de justice et demandant la mise en place d’une culture de la protection », ainsi qu’un récent décret qui « demande aux magistrats de vérifier les allégations de violences sur mineur quand un parent est poursuivi pour non-représentation d’enfant et de faire appliquer l’état de nécessité, c’est-à-dire de reconnaître qu’un parent était obligé d’enfreindre la loi pour protéger son enfant ».
L’article se conclut en ces termes : « en attendant, le SAP est une étiquette qui colle à la peau. Cela fait huit ans que [K] n’a pas le droit de voir sa fille [L] seule. Il y a deux ans, elle a cessé de jouer le jeu judiciaire des visites en présence d’un tiers. « J’ai dit à ma fille « je refuse de te voir sous surveillance alors que je ne suis pas dangereuse. Ma porte t’est ouverte, elle le sera toujours ». Les décisions que je prends aujourd’hui sont importantes pour sa construction demain ».
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 15 juillet 2022, M. [U] a sollicité, par ses conseils munis d’un mandat spécial, la publication d’un droit de réponse dans les termes suivants :
« Dans un article publié le mercredi 6 juillet 2022 dans vos colonnes, intitulé « Inceste Des mères en lutte contre « l’aliénation parentale », [I] [M] prenait position, dès la première ligne du chapeau, sur un trouble relationnel fortement controversé en psychiatrie. L’aliénation parentale, dont elle affirme l’inexistence, constitue pourtant le quotidien des juges aux affaires familiales : il ne s’agit que de la rupture du lien (au sens purement étymologique : a-liénation) entre un parent et un enfant lors d’une séparation hautement conflictuelle.
D’un ton accusateur, l’article relaie et assène des amalgames reposant sur des contre-vérités multiples pour tenter d’en faire un socle probatoire. Parmi ces amalgames, la confusion entre ce trouble relationnel et l’inceste est la plus courante des critiques formulées : l’aliénation parentale serait le « bouclier des pères abuseurs », ou encore, pour les plus fervents détracteurs, dont votre journaliste fait évidemment partie, le « négationnisme de l’inceste ».
Emportée par son élan, [I] [M] prête à [O] [E], psychiatre, président de la CNEPCA (Compagnie Nationale des Experts Psychiatres près les cours d’appel), un jugement particulièrement sévère à l’égard du docteur [U], qui « se rangerait du côté des pères », au détriment de son impartialité.
Le problème est que nous détenons la preuve que cette affirmation, mécaniquement reprise en boucle sur les réseaux sociaux avec l’évidente intention de nuire, est fausse et calomnieuse.
Dans un courriel adressé personnellement au docteur [U], le lendemain de la parution de l’article, le docteur [E] affirme en effet n’avoir jamais tenu de tels propos, notamment celui « faisant allusion à la prise de partie du côté des pères [qui] ne correspond à aucune des idées que j’ai développées et ne témoigne que d’un raccourci aboutissant à un contre-sens ».
Dans le même courriel, le docteur [E] déplore ce qu’il qualifie de « malentendu », soulignant au contraire « les compétences cliniques d’expert reconnu de tous » du docteur [U].
Alors que le docteur [U] fait l’objet d’une plainte de milieux associatifs, le fait que Mme [M] adopte sans distance leurs positions idéologiques et déforme, involontairement espérons-le, les propos d’un représentant d’une compagnie d’experts, aggrave le préjudice moral et professionnel causé à ce professionnel, ce pour quoi nous exerçons le présent droit de réponse.
Le pigisme sensationnel s’autoriserait-il à faire fi de la règle la plus élémentaire devant guider tout vecteur judiciaire : garder son objectivité. Il en va de la crédibilité de l’information transmise à l’ensemble des justiciables.
Vous le devez aussi, et subséquemment, par respect pour la souffrance que peut générer l’approximation, l’idéologie, le piège du compassionnel. Cela suppose notamment de retranscrire avec exactitude les propos que l’on impute à celui que l’on interroge…Le factuel et non l’inférence, source de déformation et donc de désinformation.
Chaque expertise, quel que soit le professionnel qui intervient, est menée en considération de cet équilibre délicat entre bienveillance exigée et objectivité nécessaire. L’objectif ultime poursuivi, l’intérêt de l’enfant, ne devrait diviser aucune partie, sans gagnant ni perdant.
Ce n’est évidemment pas la cause qui clive, mais la décision judiciaire, laquelle repose pourtant sur un entier dossier. L’avis de l’expert en fait seulement partie.
Enfin conviendrait-il d’ajouter que les voies de recours sont multiples, à la hauteur des enjeux humains et familiaux, et donc d’enfants en devenir.
Le Dr [U] est un expert reconnu et soutenu, non seulement par le SNEPP (Syndicat National des Experts Psychiatres et Psychologues), mais aussi par le monde judiciaire, comme le montrera la publication d’une prochaine tribune. Son objectivité et sa prudence, mais aussi sa connaissance de la méthodologie sont reconnues jusqu’au Canada. Néanmoins, et fort heureusement d’ailleurs, l’expert ne s’assoit jamais dans le fauteuil du juge.
Seule importe la recherche du juste dans l’intérêt d’un enfant, d’une fratrie, d’une famille. Et dans cette quête dont on mesure l’étendue, il est essentiel que vous, journalistes, les voix de la
démocratie, sans taire vos convictions, continuiez d’exiger, avant de la diffuser, une information fiable, ouvrant le débat plutôt que de la clôturer, sur des sujets d’une si grande sensibilité. C’est plus qu’humainement nécessaire. »
Le premier juge a estimé qu’il ne pouvait être considéré, avec l’évidence requise en référé, que M. [U], en arguant que la journaliste avait adopté une position militante et publié des informations fausses en manquant à l’objectivité inhérente à la déontologie des journalistes, n’avait pas porté atteinte à son honneur et qu’il avait adopté un ton correspondant au ton factuel adopté par l’article.
L’appelant critique cette décision, soutenant que les conditions de l’insertion du droit de réponse sont réunies, le message ne portant atteinte ni aux lois, ni aux bonnes moeurs, ni à l’intérêt des tiers, ni à l’honneur et à la considération de la journaliste.
Il fait valoir que le ton de l’article est inutilement péjoratif à son égard en le présentant en « promoteur » de la notion d’aliénation parentale, comme s’il agissait en « VRP » et y avait un intérêt personnel, et en assenant une contre-vérité choquante relative au procès d'[Localité 7], procès sans rapport avec l’aliénation parentale et dans lequel il n’a procédé qu’à une critique des expertises réalisées pendant l’information judiciaire.
Il estime que, tout en demeurant évasive, la journaliste a fait preuve de partialité et d’un manque de rigueur journalistique en établissant délibérément un lien avec l’affaire d'[Localité 7], grave affaire de pédophilie, lien dont elle ne pouvait ignorer les conséquences préjudiciables sur la carrière et l’image d’un expert reconnu.
Il ajoute que la plainte transmise à l’ordre des médecins et au parquet général près la cour d’appel de Versailles a depuis été classée sans suite et, surtout, que les propos prêtés à M. [E] en qualité de président de la compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel le mettent gravement en cause alors qu’ils n’ont jamais été tenus et sont démentis par celui-ci.
Il fait en conséquence valoir qu’au regard de la gravité des écrits et des conséquences sur sa réputation d’expert, la fermeté de sa réponse était proportionnée à la virulence du propos journalistique.
M. [Z] et la société Libération soutiennent pour leur part que le texte du droit de réponse de M. [U] est attentatoire à l’honneur et à la considération du journal et de ses journalistes, en ce qu’il remet en cause la déontologie et l’éthique personnelle de la journaliste, lui reprochant d’avoir relayé des thèses infondées et de s’être départie de son objectivité en prenant fait et cause pour une des parties.
Ils estiment que ces assertions sont manifestement disproportionnées au regard du ton de l’article et que le texte du droit de réponse se livre à une « attaque en règle » à l’encontre de la journaliste.
La cour relève que l’article incriminé dresse de M. [U] un portrait accablant en remettant en cause son impartialité d’expert puisqu’il est accusé de prendre partie pour les pères dans ses expertises, en raison d’un biais professionnel tenant à une théorie contestée et non scientifique – le syndrome d’aliénation parentale – utilisée dans les litiges familiaux pour discréditer les mères tentant de protéger leurs enfants de l’inceste des pères.
Ainsi, l’appelant est présenté comme étant partial, ce qui est incompatible avec l’exercice de ses fonctions d’expert judiciaire.
Il est décrit comme faisant la « promotion » d’une théorie contestée, ne reposant sur aucune base scientifique et dangereuse, le lien fait avec le procès d'[Localité 7] et les exemples de situations tragiques de mères donnés par la journaliste démontrant les dangers et les excès de cette théorie.
M. [U] apparaît également comme faisant l’objet de plaintes auprès de l’ordre des médecins aux fins de sanctions disciplinaires et de retrait de la liste des experts près la cour d’appel de Versailles.
Enfin et surtout, il est présenté comme n’étant pas soutenu par ses pairs, ce qui s’avère être faux au regard des démentis de M. [E] qu’il produit (courriel du 7 juillet 2022, message Whatsapp du 22 septembre 2022 et lettre officielle du 30 septembre 2022 du bureau de la CNEPCA).
L’ensemble de ces éléments portent à l’évidence gravement atteinte à l’honneur et à la réputation de M. [U], qui perd ainsi toute crédibilité professionnelle auprès des magistrats potentiellement amenés à le désigner.
La réponse dont l’insertion est demandée reproche à la journaliste de procéder d’un « ton accusateur », de relayer « des amalgames reposant sur des contre-vérités multiples pour tenter d’en faire un socle probatoire » et, « emportée par son élan », de prêter à M. [E] un « jugement particulièrement sévère à l’égard du docteur [U] », qui « se rangerait du côté des pères, au détriment de son impartialité ».
Il est encore reproché à la journaliste d’adopter « sans distance » les positions idéologiques des milieux associatifs ayant déposé plainte et de déformer les propos d’un représentant d’une compagnie d’experts, ce qui « aggrave le préjudice moral et professionnel causé » à M. [U].
Le texte du droit de réponse précise également ce qu’est l’aliénation parentale, en reconnaissant qu’il s’agit d’un trouble relationnel fortement controversé en psychiatrie, il affirme que M. [E] n’a jamais tenu les propos qui lui sont prêtés et qu’il souligne au contraire « les compétences cliniques d’expert reconnu de tous » de M. [U], il reconnaît l’existence d’une plainte de milieux associatifs mais rappelle le rôle de l’expert dans les litiges familiaux, sa difficile mission – « l’équilibre délicat entre bienveillance exigée et objectivité nécessaire » – et l’objectif ultime des procédures en matière familiale, à savoir l’intérêt de l’enfant, « qui ne devrait diviser aucune partie, sans gagnant ni perdant ».
En considération de la gravité de l’atteinte à la réputation de M. [U] portée par l’article incriminé, il apparaît que le texte de la réponse, qui reste intégralement en corrélation avec l’article initial, se borne à critiquer, dans des termes proportionnés, la légitimité du but poursuivi par celui-ci, le sérieux de l’enquête conduite par la journaliste et sa prudence dans l’expression.
La critique des méthodes de la journaliste, exprimée en termes sévères mais mesurés, est en conséquence restée proportionnée à la teneur de l’article initial.
La décision sera donc infirmée en ce qu’elle a rejeté la demande d’insertion d’un droit de réponse dans l’édition papier du journal Libération et l’insertion ordonnée sous astreinte de 100 euros par jour de retard courant à compter du troisième jour suivant la signification du présent arrêt et pendant six mois.
Sur la demande de dommages et intérêts provisionnels formée par M. [U]
Selon l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier.
M. [U] sollicite une provision de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts aux motifs que l’article litigieux a été largement repris par ses adversaires sur les réseaux sociaux, Twitter (devenu « X ») notamment, et que le refus d’insertion du droit de réponse ne fait que renforcer ces attaques personnelles, qui se multiplient et aggravent chaque jour l’atteinte portée à sa réputation.
Le refus d’insertion fautif du droit de réponse lui a à l’évidence causé un préjudice, en l’empêchant d’apporter sa propre version des faits, de rectifier les erreurs de l’article et de démentir les propos prêtés à ses pairs.
Au regard du préjudice de réputation subi par l’expert, une provision de 3.000 euros lui sera allouée, montant non sérieusement contestable de l’obligation de la société Libération et de M. [Z].
Sur les frais et dépens
Les intimés, partie perdante, seront tenus in solidum aux dépens de première instance et d’appel et au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme l’ordonnance entreprise sauf en ce qu’elle déclare irrecevable la demande de M. [U] tendant à l’insertion, sur le site internet de Libération, d’un droit de réponse à l’article publié le 5 juillet 2022, sous le titre « Violences sexuelles Inceste : le « syndrome d’aliénation parentale » ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Ordonne à la société Libération et à M. [Z], pris en sa qualité de directeur de la publication du journal Libération, d’insérer, dans la version papier du journal Libération, la réponse établie par M. [U] en date du 15 juillet 2022, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du troisième jour suivant la signification du présent arrêt et pendant un délai de six mois, à l’issue duquel il sera à nouveau statué sur l’astreinte ;
Condamne in solidum la société Libération et M. [Z], pris en sa qualité de directeur de la publication du journal Libération, à payer à M. [U] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels ;
Condamne in solidum la société Libération et M. [Z], pris en sa qualité de directeur de la publication du journal Libération, aux dépens de première instance et d’appel ;
Les condamne in solidum à payer à M. [U] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT