Your cart is currently empty!
N° M 22-87.544 F-D
N° 01187
RB5
17 OCTOBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 OCTOBRE 2023
M. [O] [J] et la société [2], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 2-7, en date du 1er décembre 2022, qui les a déboutées de leurs demandes, après relaxe de M. [O] [B] du chef de diffamation publique envers un particulier.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [O] [J] et de la société [2], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l’audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 9 décembre 2020, la société [2] ([2]) et son directeur général délégué adjoint, M. [O] [J], ont porté plainte et se sont constitués partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier, à raison de deux articles publiés, les 19 et 30 septembre 2020, sur le site internet AlgeriePartPlus.com, respectivement intitulés, pour le premier, « Exclusif. Le patron de la plus importante banque algérienne à l’étranger auditionné pendant plus de 17 heures par la Police française », pour le second, « Document exclusif La plus importante [1] à l’étranger condamnée par la justice française », les deux articles contenant notamment les propos suivants : « En France, cette discrète banque algéro-lybienne est au cur d’un scandale de détournement de fonds sur lequel enquête très discrètement la police française », propos visant, selon les parties civiles, la société [2], prise en la personne de son directeur général délégué adjoint, M. [J].
3. Mis en examen et renvoyé de ce chef devant le tribunal correctionnel, M. [O] [B] a été relaxé, par jugement du 27 janvier 2022, le tribunal rejetant les demandes des parties civiles.
4. Celles-ci ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a dit que M. [B] n’avait pas commis de faute civile fondée sur la diffamation publique envers particulier chef de dispositif, a confirmé le jugement en ce qu’il avait rejeté les demandes de M. [J], alors « qu’excède sa liberté d’expression le journaliste professionnel qui impute à un tiers la commission d’une infraction lorsque les faits reprochés ne reposent pas sur une base factuelle suffisante en rapport avec la gravité des accusations portées ; qu’en retenant, pour écarter la faute civile entrant dans les liens de la prévention de l’infraction de diffamation, que les propos incriminés, qui imputaient à M. [J] la commission de détournements de fonds et d’abus de biens sociaux, étaient établis par une base factuelle suffisante, cependant que le journaliste s’était borné à justifier ses allégations par l’existence de plaintes pour faux et usage de faux et harcèlement moral, déposées par d’anciens salariés dans le cadre d’un contentieux prud’homal, ainsi que par des courriels et documents financiers desquels il résulterait que la rémunération et les frais exposés par les dirigeants seraient en constante augmentation, ce dont il résultait que les articles incriminés déduisaient les détournements de fonds et abus de biens sociaux de la simple existence de conflits sociaux internes à la banque et de décisions de gestion dont il n’était pas allégué qu’elles n’auraient pas été légalement approuvées par les organes de la société, la cour d’appel a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
Réponse de la Cour
6. Pour retenir l’excuse de bonne foi, dire que M. [B] n’a pas commis de faute civile et rejeter les demandes des parties civiles, l’arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, que les propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général, celui du fonctionnement et de l’usage des fonds détenus par une banque dont le capital est détenu par deux banques d’Etat et qui assure pour le compte des grandes entreprises de ces pays les relations financières avec la zone de l’Organisation de coopération et de développement économique.
7. Les juges ajoutent qu’aucune animosité personnelle n’anime le prévenu, journaliste engagé, qui a été emprisonné en Algérie pour de précédents articles critiques et qui bénéficie aujourd’hui de la qualité de réfugié politique en France. Ils en déduisent que celui-ci doit bénéficier d’une protection accrue de sa liberté d’expression, de sorte qu’une plus grande liberté de ton doit lui être reconnue, dès lors qu’il est en mesure de justifier d’un minimum de base factuelle.
8. Ils concluent, reprenant à leur compte l’analyse détaillée et pertinente des pièces qui a été faite par les premiers juges, qu’ils énumèrent précisément, que le prévenu bénéficiait d’une base factuelle suffisante lui permettant de croire légitimement ce qu’il écrivait, qu’il s’ensuit que la prudence dans l’expression est un critère moins pertinent, le ton général de l’article étant en tout état de cause mesuré.
9. En l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
10. En premier lieu, les propos poursuivis s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général, à savoir celui du fonctionnement et de l’usage des fonds détenus par une banque dont le capital est détenu par deux banques d’État et d’éventuelles infractions pénales pouvant être imputées à ses dirigeants.
11. En deuxième lieu, l’existence d’une base factuelle suffisante ne saurait être subordonnée à la preuve de la vérité des faits.
12. En troisième lieu, les propos reposaient sur une base factuelle suffisante résultant de plusieurs procédures pénales, dont une plainte pour abus de biens sociaux, que le prévenu, journaliste, a légitimement pu ne pas produire, afin de protéger l’identité de sa source, ainsi que de témoignages d’anciens salariés de la banque dénonçant les importantes dépenses engagées par M. [J], directeur général délégué adjoint, alors que la banque est déficitaire, éléments corroborés par des documents financiers.
13. Dès lors le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a dit que M. [B] n’avait pas commis de faute civile fondée sur la diffamation publique envers un particulier et a confirmé le jugement en ce qu’il avait rejeté les demandes de la [2], alors :
« 1°/ que l’imputation d’avoir commis une infraction pénale constitue un fait suffisamment précis et déterminé susceptible de faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire ; qu’en retenant, pour écarter la faute civile entrant dans la prévention de l’infraction de diffamation, que les propos selon lesquels « cette discrète banque algéro-libyenne est au coeur d’un scandale de détournement de fonds sur lequel enquête très discrètement la police française » étaient insuffisamment précis pour déterminer si la [2] était visée par une imputation d’avoir commis des faits de détournement de fonds, cependant que cette affirmation s’inscrivait dans un article qui imputait expressément au représentant légal de la banque la commission de tels faits, ce dont il résultait que les propos incriminés ne pouvaient se comprendre que comme imputant à la personne morale d’avoir commis les faits visés, par le biais de son représentant légal, la cour d’appel a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
2°/ que l’imputation d’avoir commis une infraction pénale constitue un fait suffisamment précis et déterminé susceptible de faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire ; qu’en retenant, pour écarter la faute civile entrant dans la prévention de l’infraction de diffamation, que les propos selon lesquels « cette discrète banque algéro-libyenne est au coeur d’un scandale de détournement de fonds sur lequel enquête très discrètement la police française » étaient insuffisamment précis pour déterminer si la [2] était visée par une imputation d’avoir commis des faits de détournement de fonds, cependant que cette affirmation s’inscrivait dans un article faisant état d’une enquête « sur la banque [2] », à propos de « plusieurs dossiers scabreux liés à des pratiques illicites et des opérations financières très douteuses », d’un « scandale financier » et de « détournements de fonds », en précisant que tout ceci constituait un « gâchis », qui « porte préjudice aux intérêts financiers de l’Etat algérien », ce dont il résultait que les propos incriminés lus à la lumière de l’ensemble de l’article, imputaient de manière précise à la [2] d’avoir commis des détournements de fonds, la cour d’appel a violé l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »