Droits des journalistes : 12 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 23/00661

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Droits des journalistes : 12 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 23/00661
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 12/10/2023

****

N° de MINUTE : 23/340

N° RG 23/00661 – N° Portalis DBVT-V-B7H-UX6Y

Ordonnance (N° 23/00121) rendue le 31 Janvier 2023 par le Président du tribunal de Lille

APPELANTS

Monsieur [R] [J]

né le [Date naissance 7] 1966

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 12]

Syndicat Cgt Ilevia Keolis [Localité 20] Métropole pris en la personne de son secrétaire, Monsieur [R] [J]

[Adresse 8]

[Localité 17]

Représentés par Me Alexandre Barege, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [H] [P]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 18]

SAS Mediacites prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 18]

Représentés par Me Marion Bourel, avocat au barreau de Lille, avocat constitué, assistée de Me Vincent Fillola, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

Syndicat Sud Ilevia Transports Urbains des Hauts de France pris en la personne de son representant létal Monsieur [Y] [C]

[Adresse 11]

[Localité 16]

Représenté par Me Guillaume Ghestem, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

Monsieur [I] [E]

Intervenant volontaire

né le [Date naissance 3] 1983 à [Localité 20]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 14]

Monsieur [M] [O]

Intervenant volontaire

né le [Date naissance 4] 1979 à [Localité 13]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 13]

Monsieur [U] [S]

Intervenant volontaire

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 19]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 15]

Représentés par Me Alexandre Barege, avocat au barreau de Lille, avocat constitué,

DÉBATS à l’audience publique du 06 juillet 2023 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d’instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Claire Bertin, conseiller, conformément à l’article 452 du CPC et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 juin 2023

****

EXPOSE DU LITIGE :

Le 2 janvier 2023, la société Mediacités a publié sur son site internet un article intitulé « chez Ilevia, le tandem CGT-direction bat un peu de l’aile » et rédigé par M. [H] [P].

Le syndicat Sud Ilevia a repris cet article pour le publier sur son propre site.

M. [R] [J] est salarié au sein de la société Keolis [Localité 20] Métropole (KLM), qui exploite le réseau de transport public sous l’enseigne Ilevia. Il est également membre du CSE et est affilié au syndicat CGT.

Par actes du 12 janvier 2023, M. [J] a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille la société Mediacités, M. [P] et le syndicat Sud Ilevia, invoquant une atteinte à sa vie privée et à son image, ainsi qu’une atteinte aux droits de la personnalité des membres du syndicat CGT. Il incrimine en particulier la diffusion de son adresse personnelle, ainsi que celle d’une photographie de membres de la CGT sans que ces derniers aient autorisé une telle exploitation de leur image ou la révélation de leur appartenance à ce syndicat.

Par ordonnance rendue le 31 janvier 2023, le juge des référés a :

– déclaré le syndicat CGT Ilevia KLM irrecevable à agir au titre de l’atteinte à la vie privée de ses membres ;

– débouté M. [J] de ses demandes au titre de l’atteinte à sa vie privée et à son image ;

– condamné la CGT Ilevia KLM à payer à chacun d’entre la société Mediacités, d'[H] [P] et du syndicat Sud Ilevia, la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

– condamné M. [J] à payer à chacun d’entre la société Mediacités, d'[H] [P] et du syndicat Sud Ilevia, la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

– condamné M. [J] et le syndicat CGT Ilevia KLM aux dépens.

Par déclaration du 9 février 2023, M. [J] et le syndicat CGT Ilevia Keolis [Localité 20] Métropole ont formé appel de l’intégralité des chefs de cette ordonnance.

MM. [E], [O] et [S] sont intervenus volontairement à l’instance.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 juin 2023, M. [J], le syndicat CGT et les trois intervenants demandent à la cour de réformer l’ordonnance critiquée en ses dispositions critiquées par la déclaration d’appel et, statuant de nouveau,

Sur les demandes des appelants :

=> S’agissant de la publication parue sur le site de « Médiacités »

‘ condamner solidairement M. [H] [P] et la société Médiacités à retirer de l’article litigieux paru le 2 janvier 2023 sur le lien suivant https://www.Médiacités.fr/enquete/[Localité 20]/2023/01/02/chez-Ilevia-le-tandem-cgt-direction-bat-un-peu-de-laile/ sous astreinte de 5 000 euros par jour et à compter de la décision à intervenir ;

‘ faire interdiction à M. [P] et à la société Médiacités de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit tout élément permettant directement ou indirectement d’identifier l’adresse du domicile de M. [J] et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir ;

‘ Faire interdiction à M. [P] et la société Médiacités de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit toute photographie de M. [R] [J], ainsi que de Mme [G] [W], de M. [I] [E], de M. [D] [B], de M. [U] [S], de M. [M] [O] et de M. [A] [Z] et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir

=> Sur la publication parue sur le site du syndicat Sud Ilevia

‘ Condamner le syndicat Sud Ilevia à retirer l’article litigieux paru le 6 janvier 2023 sur le lien suivant : https://sud-Ilevia.fr/2023/01/06/la-presse-sinteresse-aux-derives-de-notre-cse/ sous astreinte de 5 000 euros par jour.

‘ Faire interdiction au syndicat Sud Ilevia de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit tout élément permettant directement ou indirectement d’identifier l’adresse du domicile de M. [J] et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir

‘ Faire interdiction au syndicat Sud Ilevia de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit toute photographie de M. [R] [J], ainsi que de Mme [G] [W], de M. [I] [E], de M. [D] [B], de M. [U] [S], de M. [M] [O] et de M. [A] [Z] et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir

Sur la réparation des préjudices

‘ Condamner solidairement la société Médiacités et M. [H] [P] à verser la somme de 10 000 euros à M. [J] en réparation de l’atteinte à sa vie privée et au droit au respect du domicile causée par leur publication et à tout le moins à titre de provision sur l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte à sa vie privée et au droit au respect du domicile

‘ Condamner le syndicat Sud Ilevia à verser la somme de 10 000 euros à M. [J] en réparation de l’atteinte causée à sa vie privée et au droit au respect du domicile par sa publication et à tout le moins à titre de provision sur l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte causée à sa vie privée et au droit au respect du domicile

‘ Condamner solidairement la société Médiacités et M. [P] à verser la somme de 10 000 euros au syndicat CGT Ilevia en réparation de l’atteinte causée à la vie privée et au droit au respect du domicile de ses adhérents par leur publication et à tout le moins à titre de provision sur l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte causée à sa vie privée et au droit au respect du domicile

‘ Condamner le syndicat Sud Ilevia à verser la somme de 10 000 euros au syndicat CGT Ilevia en réparation de l’atteinte causée à la vie privée et au droit au respect du domicile de ses adhérents par sa publication et à tout le moins à titre de provision sur l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte causée à sa vie privée et au droit au respect du domicile

Sur les demandes des intervenants volontaires :

A titre liminaire

‘ déclarer recevable les interventions volontaires de MM. [E], [O] et [S] à la présente instance ;

S’agissant de la publication parue sur le site de « Médiacités »

‘ Faire interdiction à M. [H] [P] et la société Médiacités de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit toute photographie de M. [R] [J], ainsi que de Mme [G] [W], de M. [I] [E], de M. [D] [B], de M. [U] [S], de M. [M] [O] et de M. [A] [Z] et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir

Sur la publication parue sur le site du syndicat Sud Ilevia

‘ Faire interdiction au syndicat Sud Ilevia de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit toute photographie de M. [R] [J], ainsi que de Mme [G] [W], de M. [I] [E], de M. [D] [B], de M. [U] [S], de M. [M] [O] et de M. [A] [Z] et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir

Sur la réparation des préjudices

‘ Condamner solidairement la société Médiacités et M. [P] à verser la somme de 500 euros chacun à MM. [E], [O] et [S] en réparation de l’atteinte causée à la vie privée par leur publication et à tout le moins à titre de provision sur l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte causée à sa vie privée

‘ Condamner le syndicat Sud Ilevia à verser la somme de 500 euros chacun à MM. [E], [O] et [S] en réparation de l’atteinte causée à la vie privée par leur publication et à tout le moins à titre de provision sur l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte causée à sa vie privée

Sur l’article 700 du Code de procédure civile

‘ Condamner in solidum la société Médiacités et M. [H] [P] à verser la somme de 2 500 euros à M. [J] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

‘ Condamner le syndicat Sud Ilevia à verser la somme de 2 500 euros à M. [J] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

‘ Condamner in solidum la société Médiacités et M. [H] [P] à verser la somme de 2 500 euros au syndicat CGT Ilevia au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

‘ Condamner le syndicat Sud Ilevia à verser la somme de 2 500 euros au syndicat CGT Ilevia au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

‘ Condamner in solidum la société Médiacités et M. [H] [P] à verser la somme de 500 euros chacun à MM. [E], [O] et [S] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

‘ Condamner le syndicat Sud Ilevia à verser la somme de 500 euros chacun à MM. [E], [O] et [S] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

A l’appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

– le syndicat CGT KLM a qualité à agir, alors qu’il agit pour la défense des intérêts collectifs des droits des salariés de l’entreprise et que son action n’a pas pour objet de faire application d’un accord collectif ; la délibération ayant autorisé l’action en justice devant le juge des référés est régulière, alors que seules des erreurs matérielles sont invoquées ; il n’est pas démontré que cette délibération n’est pas un faux ;

– la recevabilité des interventions volontaires repose sur l’article 554 du code de procédure civile ;

– la révélation d’une adresse personnelle constitue une atteinte à la vie privée ; une telle mention est attestée par des constats au jour où l’action a été introduite, même si elle a ultérieurement disparu  ; le trouble manifestement illicite est ainsi constitué, en sens de l’article 835 du code de procédure civile ; aucune contestation sérieuse n’est opposée au sens de l’article 834 du même code ; l’atteinte ne dépend pas de l’importance de la diffusion de la publication ;

– le droit à l’image des personnes est protégé : à cet égard, la publication de l’image des membres de la CGT candidats au CSE de la société KLM, autre que M. [J], ne peut se justifier par un droit du public à l’information, alors qu’il est constant qu’ils n’ont pas autorisé une telle publication et que les photographies de ces candidats n’ont aucun lien avec le paragraphe de l’article intitulé « la situation inconnue de [R] [J] » ;

– l’étendue du préjudice subi résulte de la consultation en ligne de l’article litigieux à 455 reprises entre le 2 et le 12 janvier 2023 ;

– l’interdiction de divulguer à nouveau l’adresse de M. [J] ou les photographies constitue une mesure adéquate à faire cesser une telle atteinte à la vie privée

– la condamnation provisionnelle à payer des dommages-intérêts doit sanctionner une telle atteinte aux droits de la personnalité et à la vie privée.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 5 juin 2023, la société Médiacités et M. [P], intimés, demandent à la cour de :

in limine litis :

– déclarer irrecevables les interventions volontaires de MM. [E], [O] et [S] ;

– déclarer mal fondé l’appel de la CGT Ilevia et de M. [J] à l’encontre de la décision critiquée

Par conséquent,

– confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions,

– débouter la CGT Ilevia et M. [J] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

Y ajoutant,

– condamner M. [J] et la CGT Ilevia à payer chacun à chacun des intimés, à cause d’appel, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [J] et la CGT Ilevia aux entiers dépens.

A l’appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

– les demandes formulées par le syndicat CGT sont irrecevables : il n’a pas intérêt à agir, dès lors que l’instance ne vise pas à faire cesser un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des salariés, mais concerne quelques adhérents de ce syndicat ;

– les interventions volontaires sont irrecevables: l’article 554 du code de procédure civile implique que l’intervenant ne soumette pas à la cour un litige nouveau. À cet égard, les demandes de condamnations personnelles non soumises aux premiers juges sont irrecevables.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 juin 2023, le syndicat Sud Ilevia, intimé, demande à la cour de :

– in limine litis : déclarer irrecevables les interventions volontaires de MM. [E], [O] et [S] ;

– confirmer l’ordonnance critiquée en ce qu’elle a :

* déclaré le syndicat CGT Ilevia KLM irrecevable à agir au titre de l’atteinte à la vie privée de ses membres ;

* débouté M. [J] de ses demandes au titre de l’atteinte à sa vie privée et à son image ;

* condamné la CGT Ilevia KLM à payer à chacun d’entre la société Mediacités, d'[H] [P] et du syndicat Sud Ilevia, la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

* condamné M. [J] à payer à chacun d’entre la société Mediacités, d'[H] [P] et du syndicat Sud Ilevia, la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

– Condamner M. [J] au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du CPC, outre les frais et dépens.

– Condamner la CGT Ilevia KLM au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens.

Y ajoutant :

– à titre subsidiaire, débouter MM. [E], [O] et [S] de leurs demandes, fins et conclusions.

– Condamner respectivement MM. [E], [O] et [S] au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamner la CGT Ilevia KLM et M. [J] au paiement, en cause d’appel, de la somme de 3 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

A l’appui de ses prétentions, le syndicat Sud Ilevia fait valoir que :

– l’action de la CGT est irrecevable, dès lors que : (i) elle ne justifie pas d’un intérêt à agir ; (ii) des irrégularités affectent la délibération de la commission exécutive ayant autorisé une telle action ;

– les interventions volontaires sont irrecevables dès lors que (i) elles ont pour objet de demandes des condamnations personnelles non soumises au premiers juge ; (ii) elles ne peuvent avoir pour objet d’interdire la publication des photographies de tiers (M. [J], Mme [W], M. [B] et M. [Z])

– les demandes indemnitaires présentées au juge des référés sont « irrecevables », dès lors qu’elles visent des condamnations à dommages-intérêts, et non des provisions ;

– aucune atteinte à la vie privée de M. [J] n’est établie : il n’est pas établi que son adresse, qui figure en outre sur le site des Pagesjaunes, a été publiée; la photographie du constat illustre simplement le fait que M. [J] utilise le véhicule appartenant au CSE à titre personnel ; elle constitue en tout état de cause une violation proportionnée du droit à la vie privée au regard du droit à l’information du public.

– aucune atteinte au droit à l’image des candidats CGT au CSE n’est établie : les photographies ont été remises volontairement par ces derniers et affichées publiquement ;

– subsidiairement, les appelants n’établissent pas avoir subi un préjudice, l’article étant resté en ligne moins de 10 jours.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes formulées par le syndicat CGT :

Le dispositif des conclusions des appelants ne comporte formellement aucune demande visant à déclarer recevable l’action exercée par le syndicat CGT.

Pour autant, le syndicat CGT sollicite d’une part l’infirmation de l’ordonnance critiquée en ce qu’elle l’a déclaré irrecevable à agir au titre de l’atteinte à la vie privée de ses membres et demande d’autre part la condamnation à son profit des intimés, ce dont il se déduit qu’elle soutient nécessairement la recevabilité de ses demandes, alors qu’il développe enfin des moyens au soutien d’une telle recevabilité dans le corps de ses conclusions.

S’agissant de l’intérêt à agir du syndicat CGT, il résulte de l’article L. 2132-3 du code du travail qu’un syndicat peut agir en justice pour défendre l’intérêt collectif de la profession qu’il représente.

En l’espèce, il s’observe que les demandes formulées par le syndicat CGT tendent au paiement de sommes déterminées et à la cessation d’une publication au profit de personnes nommément désignées. À cet égard, la seule affiliation de MM. [J], [E], [O] et [S] au syndicat CGT ne suffit pas à caractériser que ce syndicat agit dans l’intérêt collectif de ses membres, alors qu’il est en réalité question d’agir dans l’intérêt individuel de certains d’entre eux, étant observé que les droits à l’image et à la vie privée invoqués au profit de ces derniers sont exclusivement attachés à la personne de ceux qui en sont victimes.

L’ordonnance critiquée est par conséquent confirmée en ce qu’elle a déclaré irrecevables les demandes formulées par le syndicat CGT.

Sur la recevabilité des interventions volontaires :

Il ressort des conclusions de MM. [E], [O] et [S] que leur intervention volontaire présente un double aspect.

=> s’agissant de l’intervention volontaire accessoire :

MM. [E], [O] et [S] sollicitent d’une part l’infirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a déclaré irrecevable l’action engagée par le syndicat CGT, dont ils soutiennent ainsi les prétentions (page 24 de leurs conclusions) : à ce titre, ils ne formulent aucune demande qui leur soit propre, de sorte que leur intervention est à ce titre accessoire au sens de l’article 330 du code de procédure civile.

Ils justifient par ailleurs d’un intérêt à soutenir la CGT pour la conservation de leurs droits, dès lors que ce syndicat prétend protéger leur droit à l’image par sa propre action.

Compte tenu du caractère subordonné à la demande originaire de cette intervention accessoire à laquelle elle est nécessairement liée, il s’en déduit toutefois que l’irrecevabilité de la demande formée par le syndicat CGT rend également irrecevable une telle intervention volontaire accessoire.

=> s’agissant de l’intervention volontaire principale :

MM. [E], [O] et [S] sollicitent d’autre part la condamnation des intimés à leur payer des dommages-intérêts et à faire cesser une atteinte à leur droit à l’image : leur intervention, qui élève par conséquent une prétention à leur profit, constitue ainsi une intervention principale au sens de l’article 329 du code de procédure civile.

Pour autant, l’article 554 du code de procédure civile ne permet pas à un intervenant en cause d’appel de soumettre un litige nouveau et de demander des condamnations personnelles non soumises aux premiers juges à la suite des agissements d’une partie, contre laquelle a été engagée pour les mêmes faits une action en réparation par un tiers.

Tel est le cas de la demande de dommages et intérêts qui aurait pu être présentée en première instance ‘ et donc être soumise au double degré de juridiction, à l’inverse des prétentions formulées pour la première fois en appel.

Alors que l’intervention volontaire vise les faits reprochés en première instance par le syndicat CGT à la société Médiacités, M. [P] et le syndicat Sud Ilevia pour solliciter une condamnation personnelle au profit de MM. [E], [O] et [S], il s’en déduit que leur intervention principale est irrecevable.

Sur l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image de M. [J] :

Les demandes de M. [J] sont fondées à la fois sur les articles 834 et 835 du code de procédure civile (page 13 de leurs conclusions).

1. Il résulte en premier lieu de l’article 834 du code de procédure civile que, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

L’urgence est caractérisée chaque fois qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur.

En outre, une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Enfin, c’est au moment où la cour statue qu’elle doit apprécier non seulement l’urgence mais également l’existence d’une contestation sérieuse, le litige n’étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l’articulation de ces moyens.

En l’espèce, l’urgence n’est plus constituée, dès lors qu’il n’est pas contesté que l’article litigieux (page 19 des conclusions de M. [J]) a été retiré depuis la mi-janvier 2023. Les conditions du référé général ne sont donc pas remplies.

2. En second lieu, il résulte de l’article 835 alinéa 1 que le président peut toujours, même en cas de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

L’existence de contestations sérieuses n’interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite.

La cour doit apprécier l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l’exécution de l’ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.

En l’espèce, la publication de l’article litigieux avait cessé lorsque le premier juge a statué, de sorte qu’il a pu valablement considérer qu’il n’y avait pas lieu à ordonner les mesures réclamées par M. [J] sur ce fondement.

En l’absence d’un trouble manifestement illicite à la date de l’ordonnance critiquée, le juge des référés n’avait pas le pouvoir d’interdire, préventivement, une nouvelle publication de cet article ou une nouvelle exploitation des éléments y figurant.

Il n’est enfin ni allégué qu’un dommage imminent puisse survenir, ni démontré que la société Médiacités projetterait de publier à nouveau l’article litigieux.

3. Enfin, par application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir le juge du fond.

C’est au moment où la cour statue qu’elle doit apprécier l’existence d’une contestation sérieuse, le litige n’étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l’articulation de ce moyen.

En l’espèce, les dernières conclusions de M. [J] visent à condamner le syndicat Sud Ilevia, la société Médiacités et M. [P] à réparer les préjudices invoqués « à tout le moins à titre de provision ».

La circonstance que l’article litigieux ait été supprimé des sites ne fait pas obstacle à l’indemnisation provisionnelle des préjudices résultant de l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image qu’invoque M. [J].

Un procès-verbal établi le 9 janvier 2023 par un commissaire de justice est invoqué par M. [J] à l’appui de ses demandes : pour autant, il ne s’agit pas d’un procès-verbal de constat, mais « de dépôt », dans la mesure où il certifie exclusivement « avoir reçu ce jour par mail de Me Lancelot Raoult, avocat au barreau de Lille [‘] un article de presse publié le 2 janvier 2023 à 16 h 23 par M. [H] [P] du journal en ligne Médiacités, ci-après intégralement annexés ».

À cet égard, il est notamment exposé qu’il n’appartient pas à M. [J] de s’acquitter d’une inscription auprès de la société Médiacités pour consulter et faire constater directement le contenu de l’article dont l’accès est réservé aux abonnés.

La preuve de l’authenticité de l’article ainsi « déposé » résulte toutefois de sa reproduction exacte sur le site du syndicat Sud Ilevia, telle qu’elle est établie par un procès-verbal de constat également dressé le 9 janvier 2023 par le même commissaire de justice (notamment, pièce 2/13 de M. [J]).

=> sur l’atteinte au droit à l’image :

Le procès-verbal de constat démontre qu’une photographie de M. [J] figure dans l’article diffusé tant par la société Médiacités que par le syndicat Sud Ilevia (pièce 2/17 de M. [J]).

Cette photographie est issue d’une « liste candidats UGIT CGT titulaires ».

Elle présente par conséquent un caractère public, dès lors qu’il n’est pas contesté qu’une telle liste a vocation à être affichée au sein de l’entreprise.

Elle a en outre vocation à illustrer un article évoquant la situation de M. [J], à partir de la mention « situation inconnue » qui figure sous ce cliché photographique.

Alors que ce cliché a été pris dans le cadre des fonctions qu’exerce M. [J] au sein du syndicat CGT sur lesquelles le journaliste a procédé à des investigations, il en résulte que la société Médiacités, M. [P] et le syndicat Sud Ilevia justifient d’une contestation sérieuse de l’obligation d’indemniser la violation invoquée par M. [J] de son droit à l’image.

Il n’y a pas lieu à référé-provision de ce chef.

=> sur l’atteinte à la vie privée de M. [J] :

Toute personne est en droit, notamment pour échapper aux aux indiscrétions ou à la malveillance, de refuser de faire connaître le lieu de son domicile ou de sa résidence, de sorte qu’en principe, sa volonté doit être sur ce point respectée par les tiers.

Le procès-verbal de constat dressé le 9 janvier 2023 démontre la révélation non autorisée du domicile de M. [J], dont la photographie satellitaire est accompagnée du nom de son propriétaire et de sa localisation précise. La publication comporte à cet égard une flèche indiquant expressément « domicile de M. [J] » sur la photographie ainsi diffusée. Une telle publication s’analyse comme une violation de son droit à la vie privée, que protègent l’article 9 du code civil et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. (Cass. 2e civ., 5 juin 2003, n° 02-12.853 ; Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, n° 13-21.929).

Cette violation du droit à la vie privée n’est pas justifiée par le droit du public à l’information : d’une part, la démonstration par M. [P] d’une utilisation personnelle d’un véhicule appartenant au CSE n’exigeait pas d’identifier clairement l’adresse du domicile de M. [J]. A l’inverse, l’atteinte portée à sa vie privée n’est pas proportionnée aux nécessités d’un tel droit à l’information.

La circonstance que l’adresse de M. [J] soit librement accessible sur le site des Pagesjaunes est enfin indifférente, alors qu’une telle publication permet de le distinguer de ses homonymes en personnalisant l’atteinte ainsi portée à sa vie privée.

L’obligation d’indemnisation du préjudice résultant d’une telle violation du droit à la vie privée n’est pas sérieusement contestable.

A ce titre, l’ordonnance ayant rejeté la demande formulée par M. [J] au titre d’une atteinte à sa vie privée est réformée, alors qu’il y a lieu à condamner respectivement de ce chef et à titre provisionnel :

d’une part, M. [P] et la société Médiacités, in solidum, à lui payer la somme de 1 000 euros 

d’autre part, le syndicat Sud Ilevia, à lui payer la somme de 1 000 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

à infirmer l’ordonnance critiquée sur ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,

et à condamner M. [P] et la société Médiacités d’une part, et le syndicat Sud Ilevia d’autre part, outre aux entiers dépens d’appel, à payer respectivement à M. [J] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Réforme l’ordonnance rendue le 31 janvier 2023 par le tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’elle a :

– déclaré le syndicat CGT Ilevia KLM irrecevable à agir au titre de l’atteinte à la vie privée de ses membres ;

Et statuant à nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant :

Déclare irrecevables les interventions volontaires tant principales qu’accessoires devant la cour de MM. [I] [E], [M] [O] et [U] [S] ;

Dit n’y avoir lieu à :

‘ condamner solidairement M. [H] [P] et la société Médiacités à retirer de l’article litigieux paru le 2 janvier 2023 sur le lien suivant https://www.Médiacités.fr/enquete/[Localité 20]/2023/01/02/chez-Ilevia-le-tandem-cgt-direction-bat-un-peu-de-laile/ sous astreinte de 5 000 euros par jour et à compter de la décision à intervenir ;

‘ faire interdiction à M. [P] et à la société Médiacités de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit tout élément permettant directement ou indirectement d’identifier l’adresse du domicile de M. [J] et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir ;

‘ faire interdiction à M. [P] et la société Médiacités de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit toute photographie de M. [R] [J], et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir

‘ condamner le syndicat Sud Ilevia à retirer l’article litigieux paru le 6 janvier 2023 sur le lien suivant : https://sud-Ilevia.fr/2023/01/06/la-presse-sinteresse-aux-derives-de-notre-cse/ sous astreinte de 5 000 euros par jour.

‘ faire interdiction au syndicat Sud Ilevia de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit tout élément permettant directement ou indirectement d’identifier l’adresse du domicile de M. [J] et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir

‘ Faire interdiction au syndicat Sud Ilevia de publier à nouveau et sous quelque forme que ce soit et par quelque intermédiaire que ce soit toute photographie de M. [R] [J], et ce sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir

Dit n’y avoir lieu à référé-provision au profit de M. [R] [J] au titre d’une violation de son droit à l’image ;

Condamne M. [H] [P] et la société Médiacités, in solidum à payer à M. [R] [J] la somme de 1 000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation d’une atteinte à sa vie privée résultant de la publication de son domicile personnel ;

Condamne le syndicat Sud Ilevia à payer à M. [R] [J] la somme de 1 000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation d’une atteinte à sa vie privée résultant de la publication de son domicile personnel ;

Condamne in solidum M. [H] [P], la société Médiacités et le syndicat Sud Ilevia aux dépens de première instance et d’appel ;

Condamne M. [H] [P] et la société Médiacités, in solidum à payer à M. [R] [J] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a exposé en première instance et en appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le syndicat Sud Ilevia à payer à M. [R] [J] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a exposé en première instance et en appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.

Le Greffier P/ le Président empêché, l’un des Conseillers ayant délibéré (article 456 du code de procédure civile)

H. Poyteau C. Bertin

 


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